Chapitre 58 « Arrête de faire le bébé »
—— Maya ——
Deux mois plus tard, février 2019
Six mois fermes.
Six putains de mois.
Ma respiration s'était bloquée à l'instant même où le juge avait prononcé son verdict.
C'était totalement inimaginable.
Une main compatissante se posa sur mon épaule, ce fut à peine si je la sentis. J'étais prise dans une bulle, un bourdonnement assourdissant résonnait dans mes oreilles et progressivement ma vue se troublait.
— Maya !
C'était comme si une épaisse paroi de verre me séparait de ce qui m'entourait mes sens étaient annihilés par le choc.
Six mois de prison.
Six mois fermes.
Six mois. Six mois. Six mois.
— Maya !
Six mois de prison.
Six mois d'absence.
Six mois de cauchemars.
Six mois de manque.
Six mois sans lui.
— Maya, putain !
Pas du sursis, du ferme.
Six mois sans lui.
Lucie enceinte.
Le mariage de Ken et Clem.
La sortie de son album avec Fram.
Le procès de Benoit.
Mon retour à l'Opéra.
Nous.
Tout ça se déroulerait sans Hakim.
On me secoua violemment en m'attrapant par les épaules.
— Maya ! Putain c'est pas le moment de buguer là, faut qu'on se magne.
La voix de Ken me semblait si loin, elle ne m'atteignait pas. Un mantra résonnait dans ma tête « six mois, six mois, six mois » c'était pire que du rap.
Je voulais mourir.
— Putain elle est en plein K.O. technique là, on fait quoi ? Clem tu veux pas lui en coller une ?
— Allez-y, allez voir Hakim, je reste avec elle.
Une main douce se posa sur ma nuque et le visage adorable de Clémentine se retrouva face à moi. Mais je le discernais à peine.
— Maya, chérie, faut bouger. On va pas rester là. Y a pas de mandat de dépôt contre Hakim, ça veut dire qu'ils peuvent venir le chercher n'importe quand dans les six mois qui viennent. Si ça se trouve il fera que cinq ou quatre mois. Faut qu'on aille le voir, faut profiter de chaque minute avec lui d'accord ?
Je n'étais pas sure de comprendre ce que disait mon amie, Hakim venait de prendre six mois de ferme mais il n'allait pas en prison ?
Quoi ?
Le choc laissait place à l'incrédulité. Je ne parvenais pas à intégrer et analyser les mots de Clem.
— Maya, il a besoin de toi là. Je suis sûre qu'il est en train de flipper parce que t'es pas avec les autres.
Prendre les informations les unes après les autres.
Hakim.
Besoin de moi.
Comme un automate je me levai de ma chaise, la gorge sèche et l'esprit toujours embrumé.
Je voulais juste le voir.
Clem saisit mon bras et m'entraîna dans les couloirs du tribunal. Le stress me donnait des palpitations cardiaques et j'avais l'impression d'être redevenue une enfant.
En fait, j'étais terrifiée. Cela faisait des années qu'une telle peur ne m'avait pas habitée.
Quelques instants plus tard, nous nous retrouvâmes dans une pièce pleine de monde. Les gars du L, plein d'autres silhouettes encapuchonnée, des flics, Lucie, sa mère, Camille, Judith. Je ne comprenais rien du tout.
Et puis mes yeux rencontrèrent enfin les siens.
Nous nous étions séparés le matin même et pourtant j'avais l'impression de le voir pour la première fois.
Hakim.
C'est toujours au moment où l'on nous les arrache que l'on se rend compte que certaines personnes nous sont vitales.
Clem me poussa en avant, je sentais plusieurs regards braqués sur moi. Je savais bien que certains gars me tenaient pour responsable de ce qui arrivait à Haks. Moi même, je sentais la culpabilité me ravager les entrailles. Je n'arrivais pas à passer dessus, elle me donnait envie de vomir, de me punir.
Mais Hakim continuait de me fixer avec une expression à la fois sévère et tendre. C'était son regard de « je t'interdis de pleurer ».
Les mains de Clem me propulsèrent encore en avant et je vis les coins de la bouches du rappeur tressaillir quand il vit à quel point je m'étais changée en enclume.
Rarement soucieuse du regard des autres, j'étais cette fois paralysée par celui des rappeurs qui l'entouraient. Ils ne voulaient pas de moi ici, simplement soutenir leur frère. Les potes avant les putes, pas vrai ?
— Bon Haks ta meuf s'est transformée en gamine de cinq ans et visiblement elle a peur de s'approcher avec les vilains garçons qui t'entourent. Tu pourrais peut-être y mettre du tien ?
Clémentine, dans toute sa splendeur mesdames et messieurs.
— Les autres dégagez de là, on va les attendre dehors, putain vous êtes relous aussi à coller Mékra, s'énerva-t-elle.
Le gros chauve barbu protesta et me critiqua avec le gars aux cheveux longs qui était amoureux de Clem.
— Ta gueule Eff, juste, ta gueule. Parle encore de Maya comme ça et je t'en colle...
La main de Ken se plaqua sur la bouche de sa fiancée, et il lui adressa un regard agacé.
— Putain mais c'était tellement bien quand vous étiez tous célibataires, grogna encore le gars.
Tous commençaient un peu à se mettre sur la tronche, se défendant les uns les autres.
Je fermai les yeux, c'était ma faute, je n'aurais pas dû écouter Clem. Elle avait tort, Hakim n'avait pas vraiment besoin de moi. Au contraire, il venait de prendre six mois pour avoir défendu mon honneur.
— T'as fini de faire ta victime ? C'est moi qui ai pris tarif.
Mes paupières se soulevèrent immédiatement et mon regard percuta celui d'Hakim. Il avait comblé les mètres qui nous séparaient et me souriait faiblement.
Je n'arrivais toujours pas à parler et les commandes de mon corps réagissaient difficilement.
— Nam, tant qu'il viennent pas me chercher je suis libre ok ? On peut sortir d'ici.
Comme je baissais les yeux, Hakim saisit ma mâchoire pour me forcer à le regarder.
— Arrête de faire le bébé. Ça te va pas, t'es la meuf la plus courageuse que je connaisse tu peux endurer ça mieux que n'importe qui.
Il avait raison, ce n'était pas le moment de se laisser abattre. Haks avait besoin de savoir que je n'allais pas dépérir durant le temps où il serait incarcéré, peu importe la durée de celui-ci.
Je me composai un visage plus serein, pour lui montrer que malgré mon instant d'égarement, j'étais toujours aussi forte que lui.
— Mleh, j'préfère, chuchota-t-il avant de déposer brièvement ses lèvres sur mon front.
À ce moment précis, j'en avais plus rien à foutre des disputes des autres et de Clem et Lucie qui les poussaient dehors. Mon amie avait raison, il fallait profiter de chaque minute. S'il y avait quelque chose que j'avais appris depuis que j'étais avec Hakim, c'était que je gagnai toujours à dire ce que j'avais sur le cœur, et surtout que le bon moment pour dire les choses, c'était celui où j'avais tellement envie de les dire que ça me démangeait les lèvres.
— Quand ils ont annoncé que tu allais en prison, j'ai eu plus mal que si c'était moi qu'on enfermait. Je te ferai pas de déclaration Haks, je suis nulle pour faire des phrases mignonnes et mièvres, mais j'espère que tu comprends ce que j'essaie de te dire.
Il me sourit, embrassa mon front une seconde fois et saisit ma main pour m'emmener dehors.
— Tu sais, c'est pas si horrible, murmura-t-il, je vais pas vraiment en prison, je vais être en maison d'arrêt. Et puis aussi bien ils viennent me chercher demain et je fais six mois, aussi bien ils viennent me chercher dans trois mois et j'en fais que trois. En plus la mère de Lucie dit qu'on peut essayer de négocier un aménagement de peine.
Il me bluffait, même maintenant que le procès était passé, Hakim faisait en sorte de me rassurer.
Pourtant sa condamnation était révoltante, six mois pour avoir tabassé un violeur...
Les jours passèrent et j'avais l'impression que la pilule était vraiment difficile à avaler pour les gars. Nek avait balancé un tweet assassin :
Aujourd'hui en France, un homme peut prendre six mois de prison pour avoir tapé celui qui a violé sa femme. Pendant ce temps, les flics cognent en toute impunité.
Du grand Nekfeu quoi... je n'étais pas fan avec ce genre de messages, cela faisait juste parler les gens, ne résolvait rien du tout et n'allait certainement pas changer le système.
L'Opéra de Paris m'avait reprise, je ne pouvais pas encore retourner sur scène tant que l'affaire avec Benoit n'était pas close, mais au moins j'avais retrouvé mon travail et pouvait de nouveau m'entraîner dans un cadre approprié.
Au début, cela avait été un peu compliqué de revenir, ma dernière soirée au Palais Garnier avait été épouvantable et même si Benoit en était banni depuis l'article sanglant à son sujet, je ne pouvais m'empêcher de m'attendre à le voir surgir à tout moment de derrière un paravent.
Je m'étais également réinvestie à fond dans mon association, Lucie s'ennuyant sans la danse, elle m'aidait également beaucoup, nous avions déjà visité deux écoles de danse mises en place en ZUP grâce aux fonds récoltés.
Le problème d'avoir repris mon travail, c'était qu'il était très compliqué de caler mon emploi du temps sur celui d'Hakim. Il travaillait comme un malade pour que l'album soit prêt le plus rapidement en sachant qu'il pouvait partir à tout moment en prison. C'était difficile, j'avais toujours du mal à dormir sans lui, il fallait qu'il s'occupe de ses chiens et son appartement était à l'opposé de l'Opéra. Et puis chaque soir, en fermant les yeux, je ne pouvais m'empêcher de me dire que peut-être, le lendemain je verrais mon mec embarqué par les flics.
Le mois de février passa dans cette atmosphère frustrante pour nos nerfs et aucun de nous ne voyait vraiment d'issue de secours. Et puis un soir, alors qu'on se préparait pour une soirée restaurant et bowling avec les autres, Hakim vint me trouver dans la salle de bain.
— Nam'.
Je me tournai vers lui en finissant de tresser mes cheveux.
— Oui ?
Il avait l'air un peu nerveux, je le voyais triturer ses chaînes au poignet.
— Qu'est-ce que t'as ?
— Ça fait un moment que je pense à changer d'appart, c'est chiant ici avec mes chiens. J'aimerais bien trouver un truc avec une cour ou un petit jardin tu vois. Et je me disais... Vu qu'on arrive pas à se voir... Pas tout de suite mais, quand je serai sorti du hebs par exemple. Après si tu t'as pas envie mehlich, je le prendrai tout seul.
Il fallait que je m'asseye. Je m'attendais à tout sauf à ça. Lentement, je passai devant Hakim pour rejoindre le canapé. Hydra sauta aussitôt à côté de moi.
— Putain ! Elle prend vraiment des mauvaises habitudes avec toi, Hydra descends, gronda le Kabyle.
Penaude, la chienne obtempéra en me jetant un regard malheureux.
— Désolée ma belle, c'est un vieux grognon, dis-je en lui caressant la tête.
Haks leva les yeux au ciel et s'assit à la place que venait de quitter Hydra.
— Alors ? demanda-t-il, Sah, ça changerait quoi ? On passe nos vie dans l'appart de l'autre et puis toi, t'as toujours le tien, t'es propriétaire, t'as qu'à le mettre en airbnb ou une connerie du genre. Et puis si ça marche pas, t'y retourne.
Il fallait reconnaître que le fait que mon appartement m'appartienne était une issue de secours en cas de séparation ou d'incompatibilité à la cohabitation. Mais quand même, ce n'était pas n'importe quoi comme décision. Je n'avais jamais vécu avec personne depuis la mort d'Etienne. Je fréquentais Hakim depuis six mois, ça n'avait pas toujours été facile et c'était quand même un grand pas en avant.
— T'es vraiment une poule mouillée, grogna-t-il en se levant, Khlass, on reparlera de ça plus tard, t'auras le temps de réfléchir quand je serai au hebs. Faut y aller ils vont nous attendre.
Je détestais quand il parlait de cette façon, cela me rappelait qu'il pouvait partir à tout moment.
Plus que cinq mois...
Durant le dîner, Lucie et Fram nous annoncèrent qu'ils connaissaient désormais le sexe du bébé. C'était fou comme cette grossesse qui avait été assez dure à encaisser pour tout le monde, était désormais une vraie source de joie. Seule ombre au tableau, la famille Akrour n'avait pas très bien réagi quand Idriss le leur avait annoncé. Hakim était persuadé que cela s'arrangerait quand le bébé serait là.
— T'as l'air bizarre Mayou, me chuchota Clem pendant que les garçons lançaient leurs boules de bowling en poussant des hurlements de hyènes.
Elle commençait à me connaître un peu trop bien à mon goût, je détestais que l'on lise sur mon visage.
— Hakim m'a proposé d'emménager ensemble, murmurai-je, pas tout de suite mais d'ici la fin de l'année. Ça me fait flipper.
La jeune femme écarquilla les yeux, ahurie par ce que je lui apprenais.
— Sérieux ? Hakim ? Mais tu lui as fait quoi ? Ça lui ressemble pas du tout ! Je vous imagine déjà en train de vous battre pour la déco.
Devant mon air blasé, Clem prit un air sévère et tenta d'imiter ma voix naturellement cassée.
— Hakim tu me vires ce drapeau de l'Algérie du salon ! On n'est ni au stade, ni dans une ambassade !
Je ne pus qu'exploser de rire quand, fronçant les sourcils, elle plia la bouche à la manière du rappeur et me dit de sa voix la plus grave :
— Hebel pas ou j'en fous un dans chaque pièce.
C'était tellement bien imité que l'intéressé se retourna vers nous pour nous adresser un regard sombre.
— Commencez pas à casser les couilles, grogna-t-il.
— Mleh ! lui répondit Clem avec un clin d'œil amusé, Allez détends toi Haks, elle finira par dire oui.
Alors ça, c'était pas gagné d'avance.
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