Chapitre 46 « C'est quoi l'étape deux ? »
— C'est mort, tranchai-je, hors de question que je dépose plainte.
Lucie et Clem échangèrent un regard entendu, elles allaient se liguer contre moi.
— Je vous vois venir toutes les deux, c'est non. En plus là c'est dégueulasse vous êtes à trois contre un.
— Quatre, corrigea Doums, j'nique la police mais là c'est quand même mieux de traîner cet enculé en justice.
Ah ben super, si lui aussi s'y mettait.
— Tant qu'Haks est pas de retour je ne parle plus de ça.
Ils levèrent tous les yeux au ciel en même temps, sachant très bien que lui aussi serait contre.
— Maya, c'est la meilleure façon pour que vous vous en sortiez au mieux tous les deux. Il faut tout leur dire même le passage à tabac, insista Lucie.
Je ricanai.
— Ben voyons, vous voulez aussi qu'Haks aille leur demander un petit séjour en prison pour le plaisir ? Vous avez pris quelque chose ou quoi ? Vous passez votre temps à dire « fuck les keufs » dans vos sons et là vous envoyez votre frère se dénoncer ? Je leur fais absolument pas confiance. Tu vas voir qu'à la fin Benoit va sortir sans rien et qu'Hakim va prendre tarif. C'est juste mort.
Je sentais que Ken était un peu d'accord avec moi, c'était forcément une idée des filles.
— Elle a pas tort, admit-il, on va attendre Haks. Il tranchera.
Un soupir de soulagement m'échappa. Clémentine allait protester mais son rappeur lui fit signe de garder ses arguments pour plus tard.
Une demie heure plus tard, j'ouvrais la porte aux frères Akrour. Hakim avait l'air un peu plus calme.
— Ça va ? murmurai-je.
Il me répondit par un hochement de tête un peu sombre. Idriss nous dépassa pour rejoindre les autres.
— Hakim...
Le rappeur ferma les yeux quelques secondes.
— Ouais.
— Je suis désolée...
Je ne savais pas pourquoi je lui présentais des excuses mais j'avais l'impression qu'il était fâché contre moi.
— T'as pas à être désolée. C'est juste...
Sa phrase resta en suspens et je fronçai les sourcils.
— Viens m'aider à faire du café pour tout le monde, lui dis-je.
Il opina de la tête et me suivit à la cuisine. Les autres ne nous prêtèrent aucune attention, du moins ils le feignirent.
— Dis moi ce qu'il y a, s'il te plaît. J'ai l'impression que tu m'en veux encore.
Alors que je m'affairais dans les placards, je l'observais du coup de l'œil triturer fébrilement ses chevalières.
— Ça me fout le seum que tous les connards qui braillent sur les réseaux sachent que ma meuf s'est faite violer et que j'ai rien fait pour la protéger.
Hiroshima dans mon ventre.
Ses mots se bousculaient dans mon cerveau, pourtant seul deux marquaient mon esprit : « ma meuf ». Après un léger temps de réaction, je me tournai vers lui, mourant d'envie de l'embrasser. Mais je me contentai de glisser mes bras autour de sa taille et de cacher mon visage dans son cou pour y déposer un baiser.
— On s'en fout des gens. Primo ils savent pas que je suis « ta meuf » comme tu dis. Deuxio, ce n'est pas vrai que tu n'as rien fait pour me protéger. C'est ma faute parce que je t'ai exclu, d'ailleurs dès que tu as su la vérité... On peut pas dire que tu sois resté les bras croisés. Tertio, je supporte pas que tu t'en veuilles pour quelque chose qui est tout sauf ta faute.
Il referma ses bras autour de mes épaules.
— J'arrive pas à digérer ce qu'il t'a fait, murmura-t-il, Ça passe pas, toute la nuit j'ai rêvé que je le tabassais à mort.
Ses mots me touchaient directement au cœur, il avait vraiment réussi à transpercer mon armure.
Je relevai doucement mon visage vers le sien et posait mes lèvres au coin des siennes.
Mauvaise idée.
J'eus instantanément envie de plus et au soupir qu'il laissa échapper, je compris que je n'étais pas la seule. Bêtement, je reproduisis le même geste mais plus longuement.
Hakim poussa un grognement et me fit brusquement pivoter pour me coincer entre lui et le plan de travail.
Il posa sa grande main sur ma joue et son pouce tira imperceptiblement sur ma lèvre inférieure. J'étais totalement impatiente, ne sachant s'il allait céder malgré la douleur de sa blessure ou me faire languir encore.
Finalement il nous libéra tous les deux en comblant le vide entre nos bouches. Je m'efforçai d'être la plus délicate possible en recevant son baiser, même si je me doutais que cela devait tout de même être inconfortable pour lui. Il finit par rompre notre échange et malgré sa douceur, je vis qu'il saignait.
— Eh les gars pendant que vous vous battez pour savoir ce qu'on graille, y a Mékra qui pécho Maya dans la cuisine !
Nous nous retournâmes brusquement vers Doums qui nous observait avec un air amusé. Je me mordis la lèvre, un peu gênée par la situation. Des rire retentirent dans le salon.
— Sans blague ! gueula Clem, Doumams reviens ici, on avait dit de les laisser tranquille !
Le dreadeu haussa les épaules.
— Désolé, je voulais juste savoir si un grec ça vous allait, y a Ken qui casse les couilles pour des sushis.
Machinalement, nous hochâmes la tête à l'unisson.
— Bah voilà, au moins vous vous êtes d'accord entre vous. Causette tu devrais pécho ton mec, peut-être qu'il serait moins chiant à vouloir des trucs différents de tout le monde ! cria-t-il à l'intention de Clémentine, Bon j'vous laisse tranquille, on va chercher de la bouffe. Protégez vous les jeunes.
Il quitta la pièce et, mal à l'aise, je laissai retomber ma tête sur l'épaule d'Haks.
— Grillés, murmurai-je.
— Ça va, ils étaient tous au courant.
Je me détachai de ses bras pour saisir une feuille d'essuie-tout que j'humidifiai, puis revins contre lui pour éclipser le sang sur ses lèvres. Il me fixait sans rien dire, suivant le moindre de mes mouvements.
— Quoi ?
Hakim ne répondit pas et saisit mon poignet pour récupérer le papier absorbant, il attrapa mon menton et reproduisit mon geste sur ma propre bouche.
— J'ai envie de toi, souffla-t-il finalement.
Mon ventre se contracta et je sentis une douce chaleur se répandre dans mes joues, c'était réciproque. Mais nous n'aurions pas pu choisir pire moment pour céder à nos pulsions. Soupirant, je laissai quelques secondes mes ongles courir sur sa barbe et déposai un long baiser sur sa joue.
— On se rattrapera plus tard, viens on va rejoindre les autres.
Il hocha la tête et me suivit dans le salon, Doums, Idriss et Lucie avaient disparu, sans doute pour aller chercher à manger.
— Bah alors, nous chambra Clem, Vous étiez pas censés faire du café ?
Ah merde, oui.
Haks lui lança un regard sombre qui l'invita à garder ses commentaires pour elle et je l'imitai. Il était hors de question que ce genre de plaisanterie devienne monnaie courante, ce qu'il se passait entre nous ne regardait que nous.
La jeune femme leva les yeux au ciel devant nos mines patibulaires.
— Vous êtes vraiment les mêmes, j'ai jamais vu ça de ma vie.
Aucun de nous ne releva sa phrase, Hakim se remit dans le fauteuil et je m'assis par terre entre ses jambes.
— Bon, j'espère qu'au moins vous avez discuté de l'étape deux ? demanda Ken pour changer de sujet, Parce que nous on a déjà plein de réactions sur ton thread Maya, la ministre de la culture, celle du droit des femmes ont été mentionnées par plein de gens. Ça va bouger.
Pas exactement...
— C'est quoi l'étape deux ?
Je soufflai, toujours totalement opposée à cette idée et levai la tête vers le Kabyle.
— Ils veulent qu'on aille voir les flics et qu'on balance tout. Même le fait que t'as éclaté Benoit. Clem dit que je dois déposer une plainte contre lui pour abus sexuel et expliquer le chantage qu'il m'a fait. Je suis contre, il va réussir à leur retourner le cerveau avec ses mythos, toi tu vas au moins prendre un truc pour coups et blessures sur lui, et il va sortir blanchi parce que derrière il connait du monde.
— Oui mais s'il y va d'abord ce sera bien pire Maya ! s'énerva Clem, Tu le sais très bien, dans tous les cas vous allez vous retrouver au commissariat, donc autant y aller en premier et donner spontanément votre version de l'histoire.
Hakim se passa la main sur la barbe et me lança un regard paternel du genre "écoute ta mère, elle a raison" et cela ne me plut pas du tout.
— J'y ai pensé aussi, soupira-t-il, Je pense qu'ils ont raison. Faut qu'on aille voir les keufs.
Je n'arrivai pas à croire qu'il ne me soutienne pas sur ce coup là. Me levant brusquement, je quittai la pièce pour m'enfermer dans ma chambre. J'entendis Clem m'appeler, la sonnette retentir et les voix des autres dans le salon.
Il était absolument hors de question que je me lance dans une entreprise judiciaire maintenant. Quand bien même j'aurais été écoutée par la police, que se passerait-il ensuite ? Un long procès, des frais énormes, je n'avais même pas d'avocat. Non c'était vraiment la pire idée du siècle.
On toqua à la porte et je vis Haks passer la tête dans l'entrebâillement.
— Fais pas ta gamine qui boude dans sa chambre, Namira.
— Je ne boude pas, j'ai pas envie de discuter avec des gens qui se liguent contre moi.
Il leva les yeux au ciel et vint s'assoir à côté de moi.
— On se ligue pas contre toi. Tu crois que ça me plaît d'aller chez les keufs ? Je préférerais large faire justice moi même.
Clem toqua et entra dans pièce à son tour.
— Maya, c'est vraiment important. Si Haks est prêt à faire ce sacrifice pour toi, il faut que tu y ailles. Si tu le fais pas pour toi fais le pour lui éviter encore plus de problèmes.
Je serrai les dents. Quand est-ce que les gens arrêteraient de me faire du chantage en se servant d'Hakim. C'était vraiment usant et douloureux.
— Non, trancha-t-il, Tu le fais pas pour moi. C'est bon Clem, elle a déjà fait assez de conneries pour « me protéger ». Tu le fais pour montrer à tout le monde que cet enculé mérite de subir le même chose que toi en prison. Et c'est aussi pour ça que j'y vais. Pas pour moi.
Je levai des yeux reconnaissant vers lui, il avait compris mon malaise avant même que je ne l'aie exprimé. C'était incroyable cette faculté qu'il avait de lire en moi comme dans un livre ouvert.
Clem acquiesça, elle avait l'air de se sentir un peu coupable alors je lui adressai un petit sourire rassurant.
— J'ai tellement pas envie de me lancer dans une longue entreprise judiciaire, murmurai-je, ça coûte cher, je n'ai pas d'avocat, pas vraiment de famille. Ça va être compliqué.
— Hé ! Nous on est ta famille Maya ! s'exclama Clem, tu crois que les connards qui bouffent leur kebab dans ton canap sont là pour quoi ? On te soutient tous, pas seulement Hakim. Ken a un très bon avocat, enfin c'est celui de Seine Zoo mais peut-être qu'il en connaîtra un qui pourrait t'aider, et surtout pour Mékra. On va l'appeler. Il faut y aller cet après-midi, de toutes façons, Benoit a peut-être des vidéos et des photos, mais toi et Hakim vous avez une armée de témoins.
D'un regard, le Kabyle me signifia qu'il était d'accord avec elle.
— Ok... me résignai-je, on va manger et puis on y va.
Je savais très bien que tout cela était très mal parti. Mon mec avait tapé mon violeur qui avait de sérieux arguments contre lui. De plus, c'était un rappeur qui ne se privait pas de crier son amour inconditionnel pour la police dans tous ses sons, en bref il y avait peu de chances que cette histoire tourne en notre faveur.
— En parlant de témoins, dit Clem avec un air amusé, Peut être que ça pourrait aider si vous vous faisiez un petit bisou devant moi. Je pourrais dire aux flics qu'il n'y a que de la gentillesse et de l'affection entre vous. Je peux même prendre une photo si vou...
— Ta gueule.
Nous avions répondu en cœur et Clem leva les mains en signe d'abandon, puis elle quitta la pièce non sans nous avoir adressé un petit clin d'œil mutin.
— Quelle peste, grognai-je en me levant, bon on va manger ?
Hakim ajusta sa casquette sur son front et avant de sortir de ma chambre, il murmura.
— Je suis pas contre un « petit bisou ».
Son visage totalement impassible et son ton grognon contrastaient fortement avec ses mots. Levant les yeux au ciel, je m'empressai d'accéder à sa demande. L'après midi allait être difficile, alors autant faire des réserves de douceur.
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