Chapitre 42 « Je veux pas le voir... »

Un voile de colère passa aussitôt sur le visage d'Hakim. Je sentis que tout allait partir en vrille si je n'agissais pas très vite.

Il se tourna vers Benoit toujours fermement maintenu par Idriss et Ken. Et avant qu'il n'ait eu le temps de se jeter sur lui, je m'interposai entre eux.

— Arrête, Hakim je t'en supplie.

Il me regarda comme s'il ne comprenait pas.

— Pousse toi.

Mais je tenus bon, plaquant mes paumes contre son torse.

— Hakim... On s'en va, s'il te plaît.

Le rappeur tenta de me dégager du passage mais je cramponnai à lui pour gêner ses mouvements.

— Putain mais lâche moi ta race ! Zer2 emmène-la dehors qu'on en finisse.

Comme Théo s'approchait de moi pour tenter de me tirer avec lui, je me débattis violemment en hurlant.

— Hakim je t'en supplie !

— Bordel de merde j'arrive pas à croire que tu le protèges ! C'est quoi ton problème Maya ? Dégage, dégagez tous, laissez moi seul avec lui.

Framal obéit sur le champ et lâcha Benoit, Ken en revanche commençait à douter. 2zer continuait de me tirer alors j'explosai littéralement en sanglots en vociférant :

— Hakim putain je t'en supplie c'est pas lui que je protège ! Si tu le tabasses maintenant ça fait des semaines que je me sacrifie pour rien ! Pitié tu vaux mieux que lui, ne tombe pas dans son piège.

Autant dire à un muet de se mettre à parler, à un aveugle de voir, ou a un cul de jatte de courir le marathon de Paris sur ses moignons.

Néanmoins Ken comprit que c'était une erreur et s'interposa à son tour.

— Haks, elle a raison, ça sert à rien de faire une dinguerie, tu vas finir la nuit en gardav.

— Balec, tonna-t-il, je passe trois jours au hebs s'il faut tant que cet enculé est à l'hosto pendant ce temps.

Il était incontrôlable, 2zer me lâcha, comprenant à son tour que c'était trop dangereux de le laisser se venger maintenant. Je pus de nouveau me jeter sur Hakim et saisir son visage entre mes paumes.

— S'il te plaît... Écoute moi. Je t'en supplie, je t'en supplie, écoute moi, je sais que je mens tout le temps mais fais moi confiance. Juste ce soir, je te dirai tout je te promets, tout, que la vérité, et après tu pourras me rayer de ta vie si tu veux.

— Lâche moi.

Même s'il me fixait d'un regard glacial, je sentis qu'une brèche s'était ouverte.

— Hakim, écoute la. Calme toi, viens on sort, on va réfléchir. Mais il va payer ce fils de chien.

J'étais soulagée que Ken m'appuie, mais Haks releva les yeux vers lui et lui lança un regard surpris.

— On va réfléchir ? Putain mais tu crois vraiment que tu serais aussi calme si c'était Clem qu'il s'était fait ? gueula-t-il.

Un point pour le Kabyle, le Grec se renferma aussitôt comme une huître.

Je n'eus pas le temps de m'attarder sur le fait qu'il m'avait comparé à Clem, une voix froide et métallique résonna derrière nous.

— Qu'est-ce qu'il se passe ici ? Maya ? Benoit ? Lucie ? Qui sont ces gens ?

Solange se tenait dans l'encadrement de la porte. Son regard allait de Benoit et son nez cassé à moi et ma pommette abîmée, les mains toujours plaquée sur le visage d'Hakim.

Le danseur ne dit rien, sans doute parce que pour une fois, les témoins étaient plutôt en sa défaveur.

Ken dût sans doute se sentir investi d'une mission de médiateur, car il lâcha Benoit, et se dirigea vers Solange d'un pas décidé.

— Bonsoir Madame, Ken Samaras, dit-il en lui tendant la main, pouvons-nous discuter deux minutes ?

Dans un autre moment, son attitude aurait presque pu me faire sourire, on aurait dit un témoin de Jehovah.

Solange haussa ses sourcils parfaitement épilés et pinça les lèvres, puis serra la main de Ken.

— Solange Duvillard, maîtresse de ballet. Allons discuter, mais si vos amis n'ont pas disparu dans les cinq minutes j'appelle la police. Maya, Lucie, Benoit, demain 10h dans mon bureau. Je suis fatiguée par vos esclandres.

Ken suivit Solange dans le couloir. Je pensais que son intervention aurait calmé tout le monde, mais pas du tout, Benoit profita du fait d'être libre pour se diriger vers la sortie et m'échappant brusquement, Hakim se jeta sur lui.

— NON !

Il était vraiment incontrôlable ce soir, j'avais toujours su que sa réaction serait violente s'il apprenait ce que Benoit m'avait fait, mais cela dépassait ce que j'avais pu imaginer.

Cette fois, le danseur réagit et se défendit, il esquiva le poing d'Hakim et lui adressa à son tour une bonne droite que le Kabyle reçut dans le ventre. Cela dut décupler sa force car il sembla encore plus déchainé, sans que je comprenne vraiment qui faisait quoi, dans un enchaînement de mouvements je les vis s'écrouler par terre et cette fois Benoit en prit pour son grade.

— Putain mais arrêtez les ! hurlai-je à Idriss et 2zer qui étaient plantés comme des i devant la baston.

Lucie était totalement pétrifiée elle aussi, la main sur la bouche.

Les deux rappeurs se regardèrent un instant et échangèrent un signe de tête, puis sans que je réalise quoi que ce soit, 2zer nous saisit toutes les deux par la taille et nous entraina avec force à l'extérieur de la pièce. Il ne tint pas compte de mes protestations et des coups que je lui assénais dans le bras.

Quelques minutes plus tard nous étions dans la rue pendant que je vociférais et luttais contre mes amis qui me retenaient.

— Laissez-moi remonter, laissez-moi je vous en supplie.

— Maya calme toi, laisse le gérer.

2zer essayait de me calmer sans succès.

— Il va le tuer putain ! Comment vous pouvez le laisser !

— Si Fram est resté c'est pas pour rien, Mékra a besoin de ça. Pour une raison qui m'échappe t'as fait ça pour le protéger, alors laisse le te protéger lui aussi.

Lucie me prit dans ses bras, j'étais terrifiée à l'idée que la situation empire. Les nerfs à vif, je tombais assise par terre sur les marches de l'opéra. 2zer mît son bras sur mon épaule, Lucie fit de même et ils m'entourèrent en me murmurant des paroles apaisantes.

— J'ai tel... tellement peur pour lui, geignis-je.

— Haks en a vu d'autres Maya, bien pire qu'un danseur de ballet, tenta de me rassurer le rappeur.

— Tu n'as aucune idée de ce dont Benoit est capable, tu crois vraiment que je me serais laissée manipuler s'il n'avait pas de très lourds arguments pour me faire chanter ? Et le pire, c'est que j'ai fait tout ça pour rien...

Lucie soupira, je savais ce qu'elle pensait, si j'en avais parlé à Hakim dès le début, nous n'en serions peut-être pas là.

Les minutes d'attentes étaient interminables, je rongeais mon frein, terriblement angoissée.

Et puis soudain, des vociférations, des insultes en arabe retentirent, nous nous retournâmes brusquement pour voir Idriss et Hakim se faire sortir par la sécurité.

2zer se leva d'un bond pour rejoindre ses frères.

— Oh mon Dieu ! s'exclama Lucie en mettant sa main sur sa bouche, Idriss mais vous êtes tellement con !

Je ne voulus pas voir dans quel état ils étaient et enfouis ma tête dans mes mains. Lucie se leva et je l'entendis courir vers eux.

— Maya ! m'appela la voix de Ken.

Je ne répondis pas, je ne voulais pas les voir.

— Maya, putain ramène toi !

Mon mutisme se prolongea et je refusai de me retourner.

Finalement, deux mains se posèrent sur mon épaule pour me secouer. Je levai les yeux vers Ken.

— Je veux pas le voir...

— Si, répondit-t-il, tu veux le voir. Parce qu'on arrive pas à le calmer et que tu lui dois une putain d'explication. J'ai récupéré une meuf dans le couloir, il paraît que c'est ta reus, j'ai eu Clem au tel, elle peut crécher chez elle. Toi, tu te bouges le cul et tu vas voir Mékra et lui expliquer pourquoi il a l'arcade pétée et du sang plein les phalanges.

Il était injuste, si Haks m'avait écoutée, il ne serait pas blessé.

— Bouge toi ! Et si tu lui en veux c'est que t'es trop conne, parce que s'il a agi comme ça, c'est parce qu'il est dingue de toi ! Il t'a comparé à Clem putain de merde !

Lui aussi avait remarqué cette incroyable comparaison.

— Allez là ! Dépêche avant qu'il se tape avec le premier blond qu'il croise dans la rue.

Je laissai échapper un soupir, Ken avait raison, je le savais bien. Il me tendit la main pour m'aider à me relever. Je la saisis.

— Je sais que tu voulais pas en arriver là...

Une larme m'échappa, j'étais tellement fatiguée.

— Hé, désolé je voulais pas te mettre encore plus mal. On est tous sur les nerfs, ça nous rend ouf qu'il t'ait... enfin qu'il s'en soit pris à toi.

Ken posa son bras sur mon épaule pour m'entraîner vers le petit groupe. Lucie était visiblement en train de se prendre la tête avec Fram, ma sœur était assise dans un coin, 2zer et Hakim étaient de dos, il me sembla que l'un essayait d'empêcher l'autre de s'en aller.

— Allez, vas le voir, me souffla Ken.

J'avais mal au ventre, quelque chose me retournait les entrailles.

M'approchant prudemment, je me postai derrière les deux rappeurs.

— Hakim... dis-je timidement.

2zer se retourna.

— Je vous laisse, murmura-t-il.

Haks ne bougea pas d'un poil et je n'osais pas m'approcher de peur de me faire refouler.

— Hakim... répétai-je.

Un grand blanc s'installa entre nous et puis...

— Ouais.

— Est-ce que je peux venir près de toi ?

Nouveau temps de silence, j'avais l'impression de devoir apprivoiser un fauve.

— Ouais.

Timidement je le rejoignis et me postai à côté de lui, sans oser regarder son visage.

— Tu me détestes ? demandai-je alors, un sanglot dans la voix.

Il soupira.

— Je sais pas, je suis encore là, vois-le comme tu veux.

J'osai alors un coup d'œil discret dans sa direction.

Mon Dieu.

— Oh non...

Il comprit que je le regardai et lui aussi détourna les yeux vers moi. Il avait la lèvre fendue en deux, du sang à peine coagulé s'échappait de son arcade et plusieurs marques de coups abîmaient son visage.

— C'est rien à côté de c'qu'il a pris ce fils de pute.

— Pourquoi tu m'as pas écoutée...

Il me jeta un regard de biais, comme si j'étais totalement débile.

— T'as cru que j'allais me barrer au calme après avoir appris ce qu'il t'a fait ? Putain mais j'aurais dû le tuer, il a pas pris assez. J'aurais eu un schlass je le plantais je te jure.

— Hakim...

Tout doucement, je tendis la main pour effleurer sa joue blessée.

Il ferma les yeux quelques secondes et sa main rejoignit la mienne. Je vis alors l'état de ses phalanges et cela accrut mon malaise.

Hakim entrelaça nos doigts et m'attira plus près de lui.

— T'imagines pas ce que ça me fait.

— Quoi ? demandai-je.

Il serra si fort mes doigts que c'en fut presque douloureux.

— J'ai des images, dit-il, de toi, de lui. Ça me donne envie de béger, et de le hagar à mort et de pisser sur son cadavre.

Violent.

Finalement, nous en tirions à moindre mal.

— Haks... arrête tu te fais du mal.

Il laissa échapper un ricanement.

— C'est lui qui t'a fait du mal. Sah mais je comprends pas comment t'as pu me cacher ça. Putain mais si c'est pour sauver ta carrière que tu m'as planté puis que t'as accepté de te laisser salir par cet enculé, franchement tu me dégoûtes !

Il aurait pu me mettre un coup de poing dans le ventre, je n'aurais pas eu plus mal. Je dégageai brusquement mes doigts des siens et lui tournai le dos. Il avait le droit d'être sur les nerfs mais insinuer des choses pareilles, sûrement pas.

— Tu crois, murmurai-je, que j'aurais pu passer des années et des années à travailler comme une forcenée pour ne rien devoir à personne d'autre qu'à moi, pour finir par accepter d'être l'esclave sexuelle d'un mec pour garder ma place à l'ONP ? Tu crois ça Hakim ? Ça me ressemble ?

Je l'entendis soupirer.

— Je sais pas. T'es du genre a bien cacher ton jeu. Tu mens tout le temps. Sah pourquoi ce serait pas ça ?

Me retournant brusquement vers lui, je le fixai intensément.

— Si t'y crois vraiment, t'es tellement à côté de la plaque que je me demande pourquoi je suis encore en train de te parler.

Il s'approcha et sa main se referma sur ma mâchoire.

— Alors putain de merde, dis moi la vérité.

— J'en avais rien à foutre de ma carrière, je voulais juste te protéger.

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