Chapitre 40 « Arrête toi »

Et le deuxième de la journée, bonne lecture !
❤️

Un silence de mort régnait dans la voiture. Je m'étais tassée dans mon siège. Idriss était le « Sam » et conduisait la BM d'Haks qui était installé à côté de lui.

Étant derrière le conducteur, j'avais toutes les peines du monde à ne pas jeter des regards en direction de l'aîné des deux frères. Mâchoires serrées, et yeux fixés sur la route, je connaissais cette attitude, il était sur les nerfs.

J'étais tellement mal à l'aise.

Lucie ne disait pas un mot non plus, observant par la fenêtre Paris qui défilait.

Je fis de même un petit moment, j'avais envie de pleurer, je me sentais comme Odette dans le Lac des Cygnes, qui après avoir passé une nuit libre dans son corps de femme, devait retourner à sa captivité dans celui d'un animal vulnérable.

Idriss pila violemment.

— Putain de merde mais elle est tarée celle-là ! Oh non mais regardez moi cette grosse schlag.

Passée la surprise, je détournai le regard vers le pare-brise.

Oh putain.

Hakim se retourna instantanément vers moi. Nos regards se croisèrent, il l'avait reconnue aussi.

Une jeune femme blonde se traînait au milieu de la route, une bouteille de vodka à la main. Quand elle eut traversé, Idriss commença à redémarrer.

— Arrête toi, ordonnai-je.

Il haussa les sourcils.

— Quoi ? Mais ça va pas ! Pourquoi ?

— Arrête toi.

Il secoua la tête négativement.

— On va pas secourir tous les drogués de Paname.

— Elle t'a dit de t'arrêter.

La voix grave d'Hakim fit stopper une deuxième fois son frère.

J'ouvris ma portière.

— Ne m'attendez pas, je prendrai un taxi.

Je me précipitai dehors, claquant la porte derrière moi.

— Jo ! appelai-je en me précipitant vers ma sœur qui venait de s'écrouler sur le trottoir.

Derrière moi, j'entendis la BMW redémarrer.

Elle était à quatre patte sur le macadam humide, secouée de violents hoquets.

— Jo !

Elle releva ses yeux rougis vers moi et je fermai les miens pour échapper un instant à l'image de son visage meurtri.

Elle tendit les bras vers moi et je m'accroupis pour la laisser se blottir contre moi.

— Pa... pardon, hoqueta-t-elle.

Je caressai doucement ces cheveux, elle sentait l'alcool et la came.

— Dis... moi que... que tu m'aimes, sanglota-t-elle, per... personne ne m'a jamais ja... jamais aimé.

Oh mon Dieu.

Elle me retournait le cœur.

— Je t'aime... chuchotai-je dans son oreille, tu es ma petite sœur, quoi qu'il arrive.

Je ne l'avais jamais dit à personne, une larme m'échappa, jamais je n'aurais pensé que ce serait à elle que je le dirais en premier.

Elle serra ses bras maigrelets autour de mon corps comme si j'étais une bouée de sauvetage.

Mais soudain de nouveaux hoquets la secouèrent et elle se jeta sur le sol pour vomir.

J'attrapai ses cheveux juste à temps.

Quelle horreur...

— Faut la faire marcher, tonna une voix grave derrière moi.

Un raz de marée dans mon ventre, je me retournai vers Hakim, toute tremblante.

— T'es... t'es resté ?

Il plia les lèvres et haussa les épaules.

— Faut croire.

Un moment de silence nous enveloppa, seulement perturbé par les bruits écœurants produits par Joanna.

Elle finit par arrêter de vomir et je l'aidai à s'assoir contre le mur.

C'était trop pour une seule soirée.

D'un revers de main j'essuyai l'eau qui recommençait à dégringoler mes joues.

Hakim s'accroupit à son tour et me fit me retourner vers lui, sa main se referma sur ma mâchoire.

— Pleure pas, Namira.

Sa phrase eut l'effet absolument inverse. Ce surnom m'avait tellement manqué. C'était beaucoup beaucoup trop pour un soir.

— Hé ! dit-il en resserrant sa prise sur mon visage, Il t'arrive quoi ?

J'étais incapable de dire quoi que ce soit, si j'ouvrais la bouche tout allait sortir et il fallait à tout prix éviter cela.

— Maya... souffla-t-il en essuyant mes larmes de sa main libre.

C'était tellement frustrant de l'avoir en face de moi, aussi proche, et de ne pas pouvoir me blottir contre lui, lui confier ce que j'avais sur le cœur.

Ma sœur poussa un gémissement et je me rappelai de sa présence.

— Il faut l'aider Haks, murmurai-je, on va la ramener chez moi.

Il hocha la tête et me lâcha avant de se redresser et de saisir ma sœur sous les épaules pour la mettre sur ses pieds.

— On va la faire marcher un peu, dit-il.

J'acquiesçai et l'aidai à la soutenir.

— Allez Jo, on y va.

Elle était un peu décontenancée par la présence du rappeur. Il fallait dire que la dernière fois qu'elle l'avait vu, il l'avait sortie manu militari de chez moi.

Une grosse demie-heure plus tard, ma sœur paraissait un peu plus gaillarde. Hakim m'aida ensuite à l'amener jusqu'à mon appartement et à l'allonger sur le canapé. À peine l'avais-je recouverte d'un plaid qu'elle s'endormit sans demander son reste.

Alors que je dégageais doucement les cheveux blonds collés sur le visage de Jo, je sentis deux mains fermes et chaudes se poser sur mes épaules.

Mon estomac se contracta violemment à mesure qu'elles glissaient sur mes bras pour me forcer à me retourner.

C'était tellement irréel de le voir chez moi, j'aurais voulu que le temps s'arrête, que Benoit ne rentre jamais, qu'Hakim reste toujours.

— Pourquoi tu t'es enfuie ? murmura-t-il.

Je savais qu'il parlait du moment où je m'étais échappée de sa voiture. Encore une fois, je ne voulus pas répondre, de peur que ma franchise ne m'emmène trop loin.

— Hakim...

— Ouais.

— Est-ce que tu veux bien me prendre dans tes bras ? dis-je d'une voix à peine audible.

J'étais bien consciente que je n'aurais pas dû dire ça, que c'était trop égoïste, mais cette nuit était totalement hors du temps, pour la première fois depuis des semaines je me sentais en sécurité.

Il m'attira violemment contre son torse et ses bras entourèrent mes épaules, le nez dans son cou, je m'agrippai à son sweat, il posa sa joue piquante contre mon front. J'essayais de m'imprégner de cette étreinte pour m'en rappeler plus tard, quand je serais revenue à la réalité, que tout irait à nouveau mal.

Soudain il se baissa et son bras passa sous mes genoux pour me soulever. Je restai blottie contre lui alors qu'il m'emmenait dans ma chambre. Le rappeur me déposa sur la couette, se déchaussa et s'assit contre la tête de lit avant de m'attirer de nouveau dans ses bras.

— On n'a pas le droit de faire ça, murmurai-je, Je peux pas être avec toi...

— Chut, Namira. On se quittera demain. Cette nuit on est ensemble.

C'était à la fois les mots les plus doux et les plus durs que je n'avais jamais entendu. C'était reculer pour mieux sauter. Mais j'avais besoin de lui.

Ses doigts couraient le long de mon dos, décrivant des formes abstraites. Lentement, ils passèrent sous mon pull et un violent frisson me parcourut quand ils entrèrent en contact avec ma peau nue. Sa main remonta le long de mes côtes, j'avais la chair de poule et tous mes muscles se tendaient les uns après les autres.

Je relevai imperceptiblement mon visage vers le sien, il me fixait.

Son regard me coupa le souffle, je ne savais que trop bien ce qui allait suivre et cela me terrifiait. Pourtant je ne fis rien pour empêcher ses lèvres de s'unir aux miennes, au contraire, je les accueillis avec ferveur et répondit instantanément à leur assaut. Bientôt nos langues se rencontrèrent à leur tour et je sentis mon corps s'embraser violemment.

C'était tout ce dont je rêvais depuis presque deux mois et je peinais à croire que c'était réel.

Sa paume se fit plus insistante contre ma peau et il finit par détacher ses lèvres des miennes pour faire passer mon pull par dessus ma tête.

Je l'imitai aussitôt et laissai mes doigts parcourir son torse et son dos comme pour m'assurer qu'il s'agissait bien de son corps à lui, et non pas celui que je haïssais, celui qui me salissait.

J'aurais dû interrompre Hakim lorsqu'il m'allongea sur le dos, je ne méritais pas son étreinte. Mais cette nuit j'étais égoïste, je voulais juste oublier, me sentir respectée et désirée par celui pour qui je me sacrifiais depuis plusieurs semaines.

Son regard s'ancra au mien et je m'accrochai à son cou pour attirer de nouveau sa bouche contre la mienne. J'étais avide de ses baisers, chaque fois qu'il posait ses lèvres sur ma peau, c'était comme une réparation, un pansement sur les blessures invisibles laissées par celles de Benoit.

Pendant qu'il parcourait les moindres recoins de mon corps, j'eus encore envie de suspendre temps. Je voulais passer le reste de ma vie entre ses bras ou y mourir sur le champ.

Presque inconsciemment, ma main se posa contre son cœur, pour vérifier qu'il battait aussi vite que le mien, que la connexion si particulière que je ressentais à son contact n'était pas le fruit de mon imagination.

Surpris par mon geste, il me sourit, pour la première fois de la nuit.

— Oui, souffla-t-il simplement comme pour répondre à ma question tacite.

C'est le moment qu'il choisit pour prendre pleinement possession de mon corps. Une vague me renversa l'estomac et, je me forçais à garder les yeux ouverts pour graver dans ma rétine l'image de son visage au dessus du mien.

Au bout de quelques minutes, je plaquai mes paumes sur ses joues.

— Ne t'arrête jamais, murmurai-je.

Il m'embrassa violemment et intensifia notre échange. C'était trop, trop de sentiments mélangés, trop de tristesse, trop d'espoir, je me demandais comment mon cœur n'explosait pas à force de cogner si fort dans ma poitrine.

Chacun de nous fit durer le plus longtemps possible ce moment volé à la vie, nous jouions avec les minutes et les secondes, mais finîmes par nous abandonner, vaincus par l'intensité de l'instant.

— Putain y'a que toi qui me fais ça, grogna-t-il en s'écroulant sur moi.

Je cachai mon nez dans le creux de son épaule, laissant mon souffle en déroute s'écraser contre sa peau.

Puis il se détacha de moi quelques instants et revint sur mon lit.

— Pleure pas s'te plaît.

Je me passai la main sur la joue, n'ayant pas senti les larmes couler. Le Kabyle s'allongea à mes côtés.

— Hakim...

— Ouais.

— J'ai froid.

Il comprit instantanément et ses paumes vinrent trouver mes hanches pour m'attirer dans ses bras.

— Merci, murmurai-je.

Il posa ses lèvres sur mon front.

— Si seulement tu mentais pas autant.

Je fermai les paupières, si seulement je n'avais pas besoin de mentir.

— Je suis tellement désolée...

Ses yeux ne quittaient pas les miens, j'aimais qu'il me regarde ainsi, cela me faisait sentir tellement unique, j'ignorais ce que cela signifiait, aucun homme n'avait jamais posé un tel regard sur moi.

La main contre ma joue, il caressa doucement ma lèvre inférieure avec son pouce.

— Hakim...

— Ouais.

— Il y a que moi qui te fais quoi ?

Le rappeur sourit, m'embrassa doucement puis saisit ma main dans la sienne et la plaqua contre son torse. Je sentis alors son cœur battre fort contre mes doigts, comme quelques minutes auparavant.

— Ça, dit-il.

— C'est à cause de l'effort physique, soufflai-je.

Il eut un petit rire silencieux.

— Ouais, c'est comme toi qui a froid, c'est à cause de l'effort physique.

Je me sentis rougir et, fuyant son regard pénétrant, je cachai mon visage dans le creux de son cou.

— Tu devrais dormir un peu, Nam.

Je ne voulais pas, je voulais profiter de chaque seconde à son contact. Mais ses caresses dans mon dos me berçaient, j'étais si bien entre lui et la couette bien chaude, que mes yeux se fermaient tout seuls.

— Hakim, murmurai-je contre sa peau.

— Ouais.

— Je... euh...

Mais ses lèvres cherchèrent doucement les miennes pour m'empêcher de livrer la fin de ma phrase.

— Je sais, chuchota-t-il.

Je finis par sombrer, non sans avoir étouffé un sanglot en songeant à quel point il allait me manquer quand il serait de nouveau sorti de ma vie.

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