Chapitre 4 « Tu as cinq minutes ? »

J'écrasai violemment mon doigt contre l'écran de mon portable lorsque celui-ci sonna l'heure du réveil.

Quelque chose me disait que cette journée ne valait vraiment pas la peine que je me lève pour la vivre. Pourtant il fallait que j'aille à Bastille.

Ignorant la douleur dans ma cheville lorsque je posais le pieds par terre, je récupérais dans mon appartement tout ce dont j'avais besoin pour m'entraîner et danser.

Quelques heures plus tard je travaillais avec insistance les mouvements que je maîtrisais moins bien pour la représentation du soir. Dominik me rejoignit en fin d'après midi pour revoir quelques scènes.

À 21h30, j'étais sur les planches, me laissant imprégner par le personnage de Giselle.

À 23h50, je ravalai une larme de douleur en quittant la scène. Ma cheville avait souffert de la représentation.

Encore une fois, Solange me félicita pour ma prestation, elle n'y avait vu que du feu.

En sortant des loges avec Lucie, je fus extrêmement surprise de tomber sur Clémentine. Elle était seule.

— Salut Maya, fit-elle.

Je fronçai les sourcils, que faisait-elle ici ?

— Euh salut.

Après les événements de la veille, je ne pouvais pas dire que j'avais spécialement envie de la voir. D'autant plus qu'elle me rappelait que ma douleur à la cheville n'était pas le fruit du hasard.

— Tu as cinq minutes ? demanda-t-elle.

Je me tournais vers Lucie, comme si j'espérais qu'elle me sauve, mais la jolie brune m'adressa un sourire adorable et me fit la bise.

— On se voit demain en répète, Maya.

Coincée.

— Ok, dis-je à Clémentine, si tu viens pour hier... je suis désolée de m'être énervée comme ça sur Hakim mais...

— Arrête, me coupa-t-elle, ne t'excuse pas.

Je fus surprise par sa réponse, je m'attendais à ce qu'elle me fasse des reproches.

— Tu as le temps de boire un verre ?

Clémentine m'étonnait, de prime abord, elle avait l'air d'une fille timide et sensible mais j'avais l'impression qu'une force de caractère insoupçonnée se cachait derrière sa façade incertaine. Elle ne lâchait pas l'affaire facilement.

— Ok, fis-je.

Elle me sourit, je compris qu'elle était venue en paix.

Nous trouvâmes un bar sympa, et après s'être affalée sur sa chaise, elle commanda deux cocktails.

— Le ballet était magnifique, t'es incroyable. Ça faisait longtemps que je n'étais pas venue en voir un, Ken est plus branché théâtre et concerts, mais mon ex fiancé m'emmenait souvent à l'opéra.

La jeune brune saisit un élastique autour de son poignet et percha son épaisse chevelure au sommet de son crâne. Elle m'intriguait, parlant de sa vie comme si j'étais censée la connaître.

— Merci, fis-je, ton copain est donc un rappeur cultivé ?

Elle sourit, tirant sur sa paille de longues gorgées.

— Ouais, on peut dire ça, il lit beaucoup et il s'intéresse à tout. Nek est pas du genre fermé d'esprit, il est très sensible à l'art. Faut que je l'emmène voir le ballet, il va faire genre ça le saoule mais je pense que ça va lui plaire. Il fait un peu le mec mais c'est un romantique au fond.

Sans blague, j'avais compris au premier coup d'œil que ce type avait de grosses fragilités.

La sonnerie de portable de Clémentine retentit et elle extirpa l'objet de sa poche.

— Quand on parle du loup, tu permets ?

D'un hochement de tête, je lui fis signe de décrocher et goûtait à mon tour à mon cocktail.

— Oui mon chat.

Beurk.

— Je suis dans un bar, oui j'ai mangé.

C'était sa maman ou son copain ?

— Oui je te promets. Sneazz est passé à l'appart avec des grecs.

« Sneazz » encore un surnom de rappeur à tous les coups.

— Avec Maya.

Salut !

— Oui je lui dis.

Dire quoi ?

Elle devint tout à coup rouge comme une tomate, je n'entendais pas ce que disait Ken mais visiblement c'était peut-être mieux comme ça.

— Oui d'accord, chez toi. À toute, bisous.

Elle raccrocha et fourra son portable au fond de sa poche.

— Il dit qu'il est désolé pour hier. En fait c'est pour ça que je suis là... Je voulais m'excuser pour l'attitude d'Hakim. Il est très carré sur certaines choses.

À vrai dire, Hakim était un peu le cadet de mes soucis, si ce n'était qu'à cause de lui j'avais une cheville abîmée qui m'handicapait pour danser.

— Y'a pas de mal Clem, c'est vraiment pas très grave. C'est pas à toi de t'excuser pour lui de toutes façons.

Elle soupira, l'air vraiment embêtée.

— Oui je sais, mais en fait j'ai adoré la façon dont tu l'as remballé. Il a plus desserré la mâchoire du trajet, je crois que tu l'as vraiment rendu ouf. Hakim a besoin de personnes qui lui tiennent tête, parce que vu qu'il est impressionnant, les gens ont tendance à un peu baisser les yeux devant lui. Et de manière générale, les gars de la bande n'ont pas l'habitude de se faire recadrer par des femmes.

Hakim était peut-être impressionnant pour les autres, mais sûrement pas pour moi, je n'avais peur de personne, et surtout pas d'un faux voyou en jogging.

— Pour que tu réagisses comme ça, il a dû toucher à des trucs profonds non ? me demanda finalement Clémentine.

Je souris, la psychologie à deux balles, c'était pas mon truc. Cette fille avait l'air très gentille, je pourrais sûrement m'entendre avec elle, à condition qu'elle n'essaie pas de m'analyser.

— Ouais non, c'est juste que tu peux pas te baser sur une adresse ou un métier pour juger quelqu'un. Ça me rend dingue les gens qui font ça.

Clémentine acquiesça et changea de sujet.

— C'est spécial le milieu de la danse non ? Tu dois bosser comme une folle !

— Oui, faut faire toujours plus. Viser le plus haut, se battre pour être la meilleure, il n'y a pas de secret il n'y a qu'un travail acharné qui peut payer.

Clémentine sourit et aspira bruyamment les dernières gorgées de son cocktail.

— Y'a que quand j'suis premier que j'reste à ma place, marmonna-t-elle ensuite.

— Quoi ?

Elle me lança un regard perçant, elle avait presque l'air amusé.

— T'as plus en commun avec les rappeurs que tu ne le penses Maya. Tu devrais regarder un peu ce qu'ils font, je te conseil d'écouter Jusqu'au bout. Regarde le clip t'aura une bonne surprise.

Un peu dubitative, je lui promis tout de même de jeter un coup d'œil.

Nous nous séparâmes après avoir parlé un long moment. Je devais avouer que je commençais à réellement apprécier la jeune femme. Elle était aussi sensible que j'étais blindée, aussi douce que j'étais rentre dedans, mais nous avions deux points communs : Premièrement, le mot « soumission » ne faisait pas partie de notre vocabulaire, deuxièmement nous avions toutes deux un sens de l'humour piquant.

Elle me laissa son numéro en partant, m'annonçant qu'elle avait vraiment envie de me revoir.

Après tout, pourquoi pas ?

J'avais l'impression de revenir d'un rancard Tinder qui s'était bien passé.

En rentrant chez moi, la douleur dans ma cheville me rappela de détester Hakim jusqu'à la fin de ma vie.

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