Chapitre 31 « Toi t'es mort »
— Sah avec toi faut s'accrocher, on croit commencer à cerner un peu le truc et puis paf, on découvre un nouveau truc complètement ouf.
Le pauvre, s'il savait à quel point il était encore loin de tout savoir sur moi.
— Rassure moi juste sur un truc Nam'.
Je haussai un sourcil interrogateur.
— Je vais pas découvrir que t'es mariée et que t'as quatre marmots dans la nature ?
Un petit rire m'échappa, si c'était sa plus grosse inquiétude, il pouvait être tranquille.
— Euh non ça risque pas ça, Tigrou.
J'étais toujours contre lui et je ne savais pas ce que j'étais censée faire. Nous n'étions pas ensemble, je n'étais pas amoureuse de lui, pourtant c'était l'une des seules personnes dont j'appréciais le contact physique.
Mais je me souvenai des limites que je m'imposais et décollai ma tête de son torse, avant de quitter ses genoux et de me remettre debout.
— On a pas fini de parler, grogna Haks en fronçant les sourcils.
Évidemment.
— Ok, soufflai-je, mais d'abord douche et après café.
Il hocha la tête et me suivit dans la salle de bain, comme si c'était normal.
Tandis que j'empoignai ma brosse à dents il ôta ses quelques vêtements et entra dans la douche.
— Ça va, je te dérange pas ? lui demandai-je.
Pas de réponse, après avoir consciencieusement évacué les derniers résidus d'alcool dans ma bouche, je pris une aspirine et attendis que la douche se libère.
Hakim finit par sortir et je lui tendis une serviette en essayant de rester concentrée sur son visage.
La buée recouvrait progressivement toutes les surfaces froide de la salle de bain et semblait n'émaner que d'un seul endroit : le corps d'Hakim.
J'allais prendre une douche très froide.
Mais comme si cela ne suffisait pas, après avoir enroulé la serviette autour de ses hanches, il s'approcha dangereusement de moi.
— Pas maintenant, soufflai-je en esquivant sa bouche avide.
— Pourquoi ?
— Tu t'es pas lavé les dents.
Excuse bidon, mais suffisante pour l'interloquer et me permettre de me précipiter à mon tour dans la douche.
Quand j'en sortis cinq minutes plus tard, cheveux mouillés et corps détendu, je fus surprise de ne plus voir personne dans la salle de bain. Mais ce n'était pas tout, mes vêtements et toutes les serviettes avaient également disparu.
Non mais quel con.
— HAKIM ! rugis-je.
Je me précipitai à l'extérieur de la pièce et courus dans ma chambre. Il était là, assis sur le lit, toujours avec sa serviette autour de la taille. Un air amusé et satisfait sur le visage.
— Toi t'es mort, dis-je en me jetant sur ses lèvres.
Ses grandes mains agrippèrent ma peau et je le sentis sourire contre ma bouche.
— Fais pas le malin, au moins tu t'es lavé les dents, dis-je en parcourant sa joue de baisers fiévreux.
Comme ses mains saisissaient mes hanches pour m'installer encore plus près de lui, il étouffa un petit rire en mordillant la peau de mon cou.
— Ouais, avec TA brosse à dents.
Mes griffes se plantèrent dans son dos et il grogna en revenant vers mes lèvres.
Une bonne demie heure plus tard, nous pûmes enfin prendre un café. Rhabillés et apaisés, nous étions installés dans le canapé, j'avais étendu mes jambes par dessus les siennes et il jouait négligemment avec l'ourlet de ma jupe.
— J't'écoute.
Poussant un soupir, je me résignai a raconter à Hakim la tragique existence de ma sœur.
— Jo a cinq ans de moins que moi. Ma mère l'a eue je sais pas... genre cinq mois après que mon père se soit barré. Enfin ceci explique cela. Je te parlerai de la relation de mes parents une autre fois, parce que là j'ai pas le courage. Bref.
Elle avait déjà perdu ma garde et j'avais été confiée à ma grand mère. Mais clairement, Babcia n'avait ni la place ni les moyens de nous accueillir toutes les deux. À cette époque on vivait dans une pièce. Quand ma sœur est née elle a quasiment tout de suite été confiée aux services sociaux. Elle a enchaîné les foyers et les familles d'accueil. Ma mère a jamais voulu lui dire qui était son père. Très vite, Jo a commencé à developper une agressivité et une révolte assez excessives, ado elle se battait tout le temps, elle a toujours eu de très mauvaises fréquentations et ça a empiré quand elle a rencontré Carl. Elle avait quinze ans, il en avait cinq ou six de plus, il l'a entraînée dans toutes les histoires les plus pourries. Trafic de drogue, cambriolages, petits braquages. Jo, c'est l'inverse moi, elle est à fleur de peau tout le temps, elle pleure, elle se scarifie, elle fume comme un pompier, elle se drogue. Elle se détruit, comme si elle se punissait d'exister. J'ai essayé de l'aider, je te jure Hakim. Je l'ai accueillie, je l'ai soignée, je lui ai donné des milliers d'euros. Mais à chaque fois elle y retourne. Et puis elle revient me voir en pleurant, en m'accusant d'avoir réussi contrairement à elle, en me disant que c'est parce que j'ai tout eu qu'elle en est là aujourd'hui.
Ma voix atteignait des records de gravité et je n'osais pas regarder Hakim. De peur que lui aussi me juge coupable de l'épouvantable violence dans laquelle ma sœur vivait au quotidien.
— Chaque jour, je me dis que je risque de la trouver morte dans un caniveau. Je te raconte pas le nombre de fois où mon sang n'a fait qu'un tour quand la police m'appelait à son propos. J'avais toujours peur qu'ils m'annoncent son décès, mais non, Joanna Lewandowska était simplement en garde à vue.
Je me tus et le silence s'installa entre le Kabyle et moi. Il avait laissé retomber sa main sur ma cuisse et son pouce décrivait des petits cercles sur ma peau.
— T'as bien fait, fit-Il au bout d'un moment.
Je levai mes yeux vers les siens, il me fixait avec attention.
— J'ai bien fait de... ?
— La tej, y'a des gens tu peux pas les sauver, faut qu'ils se cassent la gueule une bonne fois pour toute pour pouvoir remonter. Les trois quart des reufs, ça s'est passé comme ça pour eux. On les a vu partir en vrille, on pouvait pas faire grand chose à part prier pour eux. Y'en a qu'ont cané, mais t'en as plein qui se sont mangé une bonne claque de la vie et qui se sont calmés ensuite. À ta place je lui aurais même pas filé de maille à ta reus.
J'eus un petit sourire.
— Oui mais toi t'es un gros radin.
Hakim rit mais ne démentit pas mon propos. J'étais soulagée qu'il m'appuie dans ma décision, même si je n'avais pas besoin de son approbation, je me sentais toujours coupable avec Jo, je m'en voudrais surement toute ma vie d'avoir eu plus de chance qu'elle.
— Hakim ?
— Ouais.
— Est-ce que t'en as voulu a ton frère d'être avec tes parents et pas toi.
Le rappeur haussa les épaules, la relation entre lui et Idriss était difficile à concevoir pour moi, ils étaient si soudés.
— Non, j'ai toujours voulu qu'il se mette bien. J'suis peut-être un peu crevard sur les bord mais jamais avec mes khos.
C'était ce qu'il me semblait.
— Hakim ?
— Ouais.
— Est-ce que toi aussi t'es parti en vrille à un moment de ta vie ?
Ses yeux qui étaient posés sur mes jambes depuis quelques minutes, revinrent vers les mien et il me détailla quelques instant. C'était étrange comme cette discussion calme, était apaisante pour moi. Bien plus que ce stupide jeu des questions qui impliquait toujours une sorte de duel.
— Ouais. Enfin j'ai jamais pris de drogues dures ou ce genre de conneries. Mais c'est vrai que quand on était jeunes on a un peu enchainé les plans foireux. Pas mal de bagarres, pas mal de racket, pas mal de gardav'. Des vols de merde, un peu de bicrave, on cassait des trucs aussi. On s'est plusieurs fois mis dans la demer avec des types qui faisaient pas rire, sah y a eu des moment on a flippé pour notre peau. Mais vu qu'on était grave soudés, bah on s'en est toujours sortis.
— De vraies petites frappes, résumai-je avec un sourire.
Il hocha la tête et se passa la main sur la barbe, Haks était le genre de personne qui avait l'air de ne rien regretter du passé, je n'avais pas cette chance.
— Une fois tu m'as dit que c'était un de tes beaux pères qui t'avait reconnue, genre c'est pour ça que t'as son nom. Pourquoi il a pas reconnu ta reus aussi ?
Je fermai les yeux, encore une histoire très compliquée à expliquer.
— Ma sœur a refusé. Après la mort de ma grand-mère, ma mère a rencontré Etienne, il était militaire, partait tout le temps en mission. Mais c'était vraiment quelqu'un de bien, qui voulait souder la famille, sortir ma mère de ses problèmes. J'étais très proche de lui, les services sociaux ont accepté que lui et ma mère récupèrent ma garde. Ils ont aussi obtenu celle de ma sœur. Etienne ramenait un salaire, il était stable, contrairement aux précédents mecs de ma mère. Ça a duré deux ans, deux années pendant lesquelles j'ai cru à une vie de famille, même si ma mère lui faisait vivre un enfer, même si ma sœur commençait à enchaîner les conneries, même si j'avais toujours mes problèmes d'agressivité. Quand j'ai eu dix-huit ans, il m'a proposé de me reconnaître légalement et j'ai accepté, même si pour moi il était plus comme un grand frère. Il est mort deux mois plus tard en mission au Mali. J'ai hérité de tout ses biens, y compris cet appartement. Depuis ma sœur me hait encore plus. Ce qu'elle comprends pas c'est que j'aurais préféré n'avoir pas un sou et qu'Etienne ne soit pas mort.
Hakim fronça les sourcils.
— T'as vraiment eu une vie de merde.
C'était bien résumé. Je souris de la façon pragmatique qu'il avait de conclure les choses.
— On peut dire ça ouais.
— Y a un truc que je déteste dans la vie, c'est les gens qui passent leur temps à s'apitoyer sur eux même. J'trouve ça ouf que toi, ce soit jamais le cas.
Je haussai les épaules, ce n'était simplement pas dans mon caractère et dans mon éducation. Ma grand-mère avait horreur des geignards.
— Y a quand même des trucs positifs dans ta vie ?
— Oui, la danse, répondis-je sans réfléchir.
Hakim allait poser une nouvelle question mais fut interrompu par la sonnerie de mon portable. C'était Clem, j'avais besoin d'une pause dans les confidences et je décrochai.
— Oui ?
— Maya ! Ça va ? J'ai un truc à te proposer.
Elle avait l'air très enthousiaste.
— Je t'écoute.
— Mets en haut parleur, Mékra doit entendre aussi.
J'allais obéir sans poser de question et puis je réalisai.
— Attends, comment tu sais que...
— Je savais pas, mais maintenant j'ai la réponse, rit-elle dans le téléphone, bande de petits cachotiers !
Je levai les yeux au ciel et appuyai sur le haut parleur. Hakim avait l'air blasé au possible.
— Bon, on t'écoute, sale peste.
— Ken propose une semaine en Grèce début septembre, avant que tout le monde reparte au charbon. En fait c'est pas une proposition, vous êtes obligés d'accepter. Promis on fera pas cramer la baraque.
Je lançai un regard à Hakim qui haussa les épaules.
— Ok, fis-je, mais j'ai une condition.
— Laquelle ? demandèrent-ils en chœur.
— le 30 août, vous venez au cocktail organisé par l'Opéra pour soutenir une association. On est censés ramener du beau monde bien friqué. Il y aura tout le gratin de la culture parisienne, ça va leur faire du bien de se confronter à un autre milieu. Propose à Mohammed, 2zer et Judith, je crois que Lucie a déjà invité Framal. Dites moi rapidement qui vient, j'ai besoin de donner vite les noms.
Hakim tira une tête de six pieds de long. Pendant que Clémentine approuvait à grand cris dans le téléphone.
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