Chapitre 3 « Il a une tête de rappeur ? »

Hakim conduisait un peu trop vite pour moi. Même si les rues étaient quasiment désertes, ce n'était pas rassurant.

— Elle est vraiment chouette cette caisse, s'extasia Clémentine, tu nous la prêteras encore un de ces jours Haks ?

Ken se retourna et adressa un clin d'oeil à sa brune.

— J'la prête à Ken, répondit Hakim, après s'il veut faire monter des meufs casse-couilles dedans c'est son problème.

Clémentine éclata de rire, elle n'avait pas l'air trop susceptible. La jeune femme avait un joli timbre de voix lorsqu'elle riait et son visage s'éclairait. Je la trouvais vraiment belle, quoi qu'un peu maigrichonne.

— Tu fais quoi dans la vie Maya ? demanda Ken.

— Elle a dit qu'elle était danseuse, t'as pas écouté à l'hôpital ? répondit pour moi ma voisine.

Il était difficilement possible d'en placer une avec ces deux là. C'était peut-être pour cela qu'Hakim restait silencieux.

— Oui je suis danseuse, je fais partie des premières danseuses du corps de ballet de l'Opéra de Paris.

Je vis Hakim hausser une nouvelle fois un sourcil dans le rétroviseur, très rapidement, mais il ne broncha pas. Clem avait l'air de trouver ça incroyable. Ken m'adressa un regard impressionné.

— Ah genre t'es un p'tit rat de l'opéra ? Fort !

Je souris, ce n'était pas exactement ça.

— Les petits rats ce sont les enfants et jeunes adolescents, après il y a plusieurs stades.

— T'es danseuse étoile alors ? T'as quel âge ? demanda encore le jeune homme.

Les gens ne connaissaient vraiment rien au ballet, je ne comptais pas le nombre de fois où on m'avait posé cette question.

— J'ai 25 ans et non, ça c'est la distinction suprême, mais j'espère bien l'être un jour. En ce moment je remplace une étoile qui s'est blessée.

— J'ai vu qu'il y avait Giselle à Bastille en ce moment, c'est toi qui a le premier rôle ?

Clem avait l'air de s'y connaître un peu plus que son copain. Il fallait dire que l'un comme l'autre, les deux gars n'avaient pas des têtes de types qui passent leur vie à l'Opéra. Mais au fond, un look, ça ne voulait pas dire grand chose.

— Oui, c'est moi. Et vous vous faites quoi ?

Les deux gars se jetèrent un regard amusé.

— Au moins on sait qu'on a pas écrasé une groupie, rit Ken, on fait du rap. Enfin nous deux, Clem écrit des bouquins.

Je haussai les sourcils, du rap ? Hakim à la limite j'aurais pu y penser, mais Ken ? Il ne correspondait pas vraiment à l'idée que je me faisais d'un rappeur. Comme quoi, ne jamais se fier aux apparences.

— Vous êtes rappeurs ?

— Oui, répondit Clem, ils sont super connus, mais t'inquiète moi non plus avant de les rencontrer je voyais pas vraiment qui ils étaient. Nekfeu ça te dit rien ? L'entourage ?

Je hochai la tête, cela ne m'impressionnait pas vraiment, et je ne voyais pas de quoi elle parlait.

— D'accord, non désolée je ne sais pas ce que c'est. Je ne suis pas trop branchée rap. Enfin pour moi c'est plus du bruit que de la musique...

Clémentine se pinça les lèvres réprimant un hoquet de rire. Ken roula les yeux et Hakim fronça les sourcils.

— C'est parce que tu connais pas vraiment que tu dis ça, je pense.

Je répondis à Clem par un haussement d'épaules, le peu de musiques rap que l'on m'avait fait écouter parlaient uniquement d'armes et de femmes de façon rabaissante. Le rythme me déplaisait, je préférais le classique et la folk.

— C'est marrant, dis-je à Ken, j'aurais pas pensé que tu sois rappeur.

La voiture approchait de chez moi, Hakim commençait à griller les feux rouges.

— Pourquoi ? Parce que j'ai pas de chaînes en or et que je suis blanc ? Tu m'aurais vu faire quoi ?

Je réfléchis un instant, c'était difficile de le cerner. Je détaillais un instant son apparence, entre la veste en jean, le t-shirt floqué, le jean, la casquette et les baskets, il n'avait clairement pas l'apparence d'un avocat ou d'un médecin.

— Mmmh, je sais pas, t'aurais pu bosser comme vendeur dans une boutique de baskets ou de vêtements pour homme, genre concept store, ou être le genre de type qui gagne sa vie en faisant des vidéos sur internet et des pubs sur Instagram.

Clémentine explosa de rire à côté de moi, Hakim sourit également et l'intéressé afficha un air amusé.

— Alors la boutique de fringues il peut carrément l'ouvrir avec tout ce qu'il a ! Tu vois Ken, ta reconversion est toute trouvée.

Il fronça les sourcils et secoua la tête.

— Je vends déjà des sapes, Beauté.

Est-ce qu'il venait vraiment d'appeler sa copine « Beauté » ? J'eus envie de vomir par la fenêtre, c'était beaucoup trop niais, ou beauf, ou les deux.

Les joues de Clem rosirent, elle avait l'air gravement attachée à ce type. Ils échangèrent un regard horripilant. Heureusement que nous étions presque arrivés parce que tout cet amour entre eux m'écœurait au plus haut point.

— Et Mékra ? Il a une tête de rappeur ? demanda finalement Ken.

— Mékra ?

De quoi parlait-il ?

— Hakim, son blase, son surnom quoi, c'est Mékra.

Ah.

— Euh ouais, enfin plus que toi.

Bizarrement cela eut l'air d'agacer l'intéressé.

— Pourquoi ? J'ai l'air d'un mec de tess ? Parce que j'm'appelle Hakim ? Tout de suite ça fait plus ghetto ? J'ai plus l'air d'un chômeur c'est ça ?

Oh la la mais mon petit gars, faut pas se sentir agressé pour si peu, avais-je envie de répondre.

J'avais très bien compris pourquoi il réagissait comme ça, il me prenait pour une petite fille à Papa pleine de fric pour qui tout homme qui ne portait pas des fringues de luxe était forcément un raté.

J'avais un très gros défaut, quelque soit mon interlocuteur, lorsque je me trouvais face à une personne susceptible, il fallait toujours que j'aille plus loin dans la provocation.

— Oui, ça doit être ça, et surtout parce que tu portes un jogging et un maillot du PSG, t'as une tête de type pas net qui deal du shit en bas des blocs.

La voiture pila instantanément. Clem porta la main à sa bouche, elle avait compris que je jouais la provoc' mais visiblement pas les garçons.

— Ok toi tu sors de ma gov et vite. J'suis sah. Les p'tites bourgeoises qui croient tout savoir avec leurs clichés racistes elles dégagent. Tu diras à ton papa qu'y a un bicot qui t'a agressé il te filera 500 balles.

— Haks c'est bon, plaida Clem.

C'était bien ce que je pensais, les hommes comme lui étaient bien trop prévisibles.

Je secouai la tête, récupérant mon sac à mes pieds. Mais je ne comptais pas sortir sans placer mon petit couplet.

— Tu vois, quand t'as réagi direct après que j'ai dit que tu avais davantage une tête de rappeur, je savais déjà que tu m'avais mis dans la case « bourgeoise raciste ». Tu t'es basé sur quoi ? Je fais du Ballet, j'habite dans un beau quartier et j'aime pas le rap. Ça fait beaucoup de clichés hein ? Bah tu vois, j'ai fait comme toi, j'ai sorti les clichés. Maintenant tu peux penser que je suis ce genre de personne, qu'est-ce que ça peut me faire ? Mais tu ne connais absolument ni mon vécu, ni qui je suis. Viens pas faire des leçons sur les clichés alors que tu fous les gens dans des cases sans même avoir parlé plus de dix minutes avec eux. Tu peux me traiter de bourgeoise, mais en attendant, c'est pas moi qui roule en BM. Bonne nuit.

Je sortis en claquant la porte derrière moi. Je n'étais qu'à une centaine de mètres de chez moi, mes nerfs étaient à vif.

J'étais hors de moi, il n'y avait rien que je supporte moins que l'on me traite de bourgeoise ou de fille à papa. Ni l'un ni l'autre n'était vrai, j'avais tout accompli seule et si j'arrivais un jour au plus haut niveau, ça ne serait certainement pas grâce à mon père.

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