Chapitre 22 « Oh j'te cause ! »
Je préparai rageusement mes affaires pour ce week-end auquel j'étais forcée de participer.
J'avais doublé mon nombre d'heures passées à m'entraîner ces deux derniers jours, furieuse de perdre un temps qui ne devait être normalement consacré qu'à la danse. Mes muscles étaient endoloris et je sentais que ma cheville restait assez faible, m'empêchant de mettre l'intensité que je voulais dans mon entraînement.
Benoît s'était inquiété pour moi en voyant ma pommette violette, il me pensait en relation passionnelle avec un type violent.
J'avais éclaté de rire, il m'avait confondu avec ma mère celui-là !
Mon portable vibra dans ma poche et je le dégageai pour lire le message qui s'était affiché sur l'écran.
Clem : Un des gars passera te prendre d'ici une heure, Ken et moi sommes partis tôt ce matin, on vous retrouve là-bas.
Avant que je n'aie eu le temps de l'enfoncer à nouveau dans ma poche, il vibra une deuxième fois.
Lucie : Je pars avec 2Zer, Judith, Idriss et Doums. Je crois que c'est Hakim qui se charge de te récupérer, on a pas la place alors il faudra que vous passiez prendre Mohammed et Camille à la gare de Rennes.
De mieux en mieux. Trois heures trente de route avec Hakim. Quelque chose me disait que la répartition ne s'était pas faite au hasard. Depuis la soirée au club, Clem ne cessait ses sous-entendus au sujet de Mékra et moi et cela me rendait dingue. Tout le monde n'était pas comme elle a tomber amoureuse du premier type un peu torturé qui la serrait dans ses bras.
Effectivement une heure plus tard, je recevais un message d'un numéro inconnu.
06********: En bas.
Toujours aussi expressif celui-là.
Je récupérai mon sac et rejoignis la rue. Reconnaissant la BM de l'autre côté, je traversai rapidement. Un klaxon résonna et je sursautai, un homme avait dû piler violemment pour ne pas m'écraser.
— REGARDE AVANT DE TRAVERSER PÉTASSE !
Je lui adressai un doigt d'honneur et m'empressai de rejoindre la berline noire qui m'attendait.
— Ça t'arrive de faire belek en traversant ? Un jour tu vas y passer.
— Bonjour à toi aussi, Tigrou.
Je m'installai sur le siège passager et clipai ma ceinture de sécurité. Hakim démarra et du rap emplit l'habitacle.
Je baissai le son, il le remonta.
Ça commençait bien.
Un coup d'œil sur le profil concentré du rappeur, me permit de le détailler : Casquette SZR sur le front, maillot du PSG et jogging noir, on pouvait dire qu'il s'était mis sur son trente-et-un.
— Tu t'es fait beau pour me voir dis donc, le chambrai-je.
— Commence pas à hebel toi.
Je baissai une nouvelle fois le son, il le remonta encore.
— Ta race t'es pas dans ta caisse, tu touches à rien, s'énerva-t-il.
Je trouvais tout ceci très divertissant en fin de compte. Sourcils froncés, Hakim avait l'air excédé d'avoir à me conduire.
Un grognement animal me fit sursauter et je me retournai violemment, me retrouvant face à un énorme molosse.
— PUTAIN C'EST QUOI ÇA !?!
Il aboya et je me terrai dans mon siège.
— Putain mais gueule pas, tu vas le zehef !
Je jetai un regard au chien qui me fixait d'un air mauvais.
— Hakim c'est quoi ce truc ? demandai-je d'une voix blanche.
— C'est mon clebs, parle mieux.
Alors autant je n'avais peur de rien, autant avoir un staff derrière moi prêt à me croquer la nuque, ce n'était pas ma vision d'un voyage serein.
— T'étais obligé de l'emmener ? demandai-je.
Hakim haussa les sourcils.
— Ouais. Ça va lui faire du bien la campagne.
Super, nous allions en plus nous coltiner un chien de seconde catégorie pendant tout le week-end. Je lançai un regard mauvais à l'animal qui jappa.
— Couché, Creed, gronda Hakim.
Le chien obéit aussitôt.
— Attends, t'as appelé ton chien Creed ? Comme Apollo Creed ?
Le rappeur hocha la tête, visiblement très satisfait du nom qu'il avait trouvé pour son toutou flippant.
— T'es pas net comme mec.
Hakim hocha la tête, je le sentais un peu énervé.
— Faut qu'on récupère Sneazzy et Camille à la gare de Rennes, l'informai-je.
— Je sais. D'ici là ferme ta gueule.
Ok, c'était ce qu'il voulait ? Et bien pour une fois, j'allais lui donner gain de cause. Tirant de mon sac mes écouteurs, je les enfonçai soigneusement dans mes oreilles, mis une playlist en route et tournai la tête vers la fenêtre derrière laquelle Paris défilait.
Chacun dans son monde, c'est ainsi que se déroula la première heure de route. Et puis...
— Oh j'te cause !
Hakim venait de tirer sur mon écouteur. Il avait toujours l'air passablement énervé.
— Quoi ? demandai-je, Je croyais que tu voulais pas m'entendre.
Il souffla et je vis les muscles de ses mâchoires se serrer.
— T'as faim ? J'vais m'arrêter pour prendre un truc à graille.
Je hochai la tête, mon estomac se manifestait depuis une demie heure déjà.
— Sors à Chartres, indiquai-je, ce sera plus sympa qu'une aire d'autoroute.
— Ouais, acquiesça-t-il, J'ai envie d'un grec.
Forcément.
Quelques minutes plus tard, nous étions dans un minuscule Kebab de Chartres et Hakim commandait pour moi qui n'avais aucune idée de ce que je voulais. Je gardai les yeux fixés sur le chien qu'il tenait en laisse.
Comme d'habitude, chacun paya sa part et nous sortîmes avec un sac plein.
— On se pose devant la Cathédrale, décrétai-je.
Hakim plia les lèvres et me suivit avec Creed. Un instant après nous étions assis sur un banc de pierre, face à l'édifice.
— C'est beau, soufflai-je en mordant dans mon kebab.
— Ouais, répondit-il en jetant un morceau de viande à son chien.
J'essayais de faire des efforts mais il n'avait vraiment pas l'air décidé à discuter.
Bon ben tant pis pour lui.
Alors que je décidais de rester mutique jusqu'à la fin du voyage, il se tourna vers moi.
— Ça nous représente bien, j'trouve.
Je fronçai les sourcils.
— Quoi ?
— Manger des grecs devant une cathédrale.
Euh, ouais.
Je ne comprenais pas où il voulait en venir.
— T'es un peu la cathédrale, moi j'suis le kebab. Deux choses qu'ont rien à voir, qui vont pas ensemble. Mais pourtant, grailler un grec aussi bon devant un truc aussi beau c'est cool.
Je n'avais aucun mot pour lui répondre, n'arrivant pas à savoir si ce qu'il venait de dire était gentil, bizarre, insensé ou complètement débile.
Cet homme était un mystère à lui tout seul.
— Ce que tu veux dire c'est que parfois c'est cool quand on est ensemble ? demandai-je.
Hakim plia encore une fois les lèvres vers le bas.
— Ouais, j'te supporte pas mais en fait si.
C'était exactement ça.
Nous finîmes de déjeuner en silence puis regagnâmes la voiture. Cette fois il mit le son un peu plus bas en redémarrant, le chien était attaché et couché à l'arrière. J'observai mon conducteur discrètement tandis qu'il gardait les yeux fixés sur la route, sourcils froncés, mâchoire serrée, il était si concentré que cela me fit sourire.
— T'as quoi à me mater ? grommela-t-il.
— Rien, t'es marrant quand tu conduis.
Il plia la bouche.
C'était vraiment sa réponse à tout, je trouvais ça insupportable.
— On en était où du jeu des questions ? demandai-je finalement.
— T'as jamais répondu quand j't'ai demandé pourquoi t'avais peur du noir.
Je n'avais toujours pas l'intention de répondre à cette question.
— J'ai pas peur du noir. Et de toutes façons je pouvais difficilement répondre avec ta langue au fond de ma bouche.
Le rappeur eut un petit sourire lubrique qui réveilla un peu de désir en moi.
— J'peux changer de question si tu veux.
Je hochai la tête et il parut réfléchir un instant, puis, me jetant un coup d'œil, il jaugea rapidement mon humeur.
— La dernière fois ta pote, Lucie là, elle a dit que t'avais juré de plus te battre. Pourquoi ?
Bon, c'était quand même bien moins intime comme question, je pouvais faire l'effort d'une réponse.
— Je suis assez impulsive. J'ai failli être virée de l'Opéra quand j'étais ado, parce que je me suis battue avec des filles ou des types qui se croyaient plus fort que moi. Et puis dans la rue aussi, et chez moi. Bref, quand j'ai été menacée d'être virée, Lucie m'a fait promettre de ne plus me battre.
Hakim m'adressa un signe de tête, il avait l'air satisfait par ma réponse.
— Est-ce que t'en veux à tes parents de t'avoir laissé en Algérie quand t'étais petit ?
Un long silence se fit entre nous, simplement perturbé par le rap américain qui émanait des enceintes.
— Non, finit-il par dire, quand j'étais tipeu ouais. Maintenant je sais qui pouvaient pas faire mieux. Et toi ? T'en veux à tes darons d'avoir divorcé ?
Aïe, ma question s'était retournée contre moi comme un boomerang.
— Ils ont jamais été mariés. Ils n'ont pas divorcé. J'en veux à mes parents pour tout un tas de raison, mais leur séparation, non pas trop.
Hakim me détailla un instant avant de se focaliser de nouveau sur la route. Je me tus un moment également, pour tenter de mettre de l'ordre dans mes pensées, réfléchissant à quelle question je pourrais poser au rappeur.
— T'as déjà aimé quelqu'un ? Je veux dire pas quelqu'un de ta famille ou un ami, mais une femme.
— Non, répondit-il aussitôt, j'ai été attaché à des meufs, j'suis resté un moment avec, mais pas de sentiments.
Il allait avoir trente ans cette année, trente ans, et il n'avait jamais aimé quiconque, si je n'étais pas moi-même aussi insensible que lui, sans doute aurais-je trouvé cela dingue.
— Ta grand-mère, elle est morte ? demanda-t-il, Elle était vieille ?
— Oui elle est morte et non elle était pas vieille, elle avait 52 ans.
Un froid glacial s'insinua alors dans mon corps. Répondre par l'affirmative à cette question était toujours extrêmement douloureux.
Elle était ma seule faiblesse.
Si Hakim le découvrait, il saurait alors comment m'atteindre pour me faire du mal et je refusais de lui laisser cette porte ouverte.
Je fermai les yeux un instant, tentant pendant quelques secondes de reprendre mes esprits. Cela ferait bientôt dix ans qu'elle était partie et mon deuil n'était toujours pas achevé.
— T'inquiète, fit Hakim, on arrête.
La paume de sa main droite se posa sur ma cuisse, à la limite de l'ourlet de ma jupe en jean. Je la fixai un instant et sans réfléchir, glissai mes doigts entre les siens.
Nous ne parlâmes plus du trajet et chacun s'appliqua à ne pas croiser le regard de l'autre, seul ce contact étrange nous liait.
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