Chapitre 14 « On dirait deux schlags. »

Petit disclaimer avant ce chapitre, Hakim révèle des choses sur sa vie que j'ai inventées de toutes pièces. Je ne cherche pas à coller parfaitement au vécu des rappeurs et je trouve plus intéressant de me servir de mon imagination, plutôt que de passer des heures à enquêter sur leur vie et à éplucher leurs textes pour trouver des indices.
(LucieG14 TMTC )
Voilà, bonne lecture !
❤️

— J'ai écouté Du vécu.

Un petit sourire en coin naquit sur les lèvres d'Hakim tandis qu'il nous servait un verre à chacun.

— T'as pas été écouter ce ceaumor par hasard non ?

J'acquiesçai.

— Clem, souffla-t-il.

Buvant une grande gorgée de vodka, je ne répondis pas, il savait très bien que c'était elle.

— T'as envie de me poser des questions, j'suppose.

— Oui.

Il haussa les épaules et termina son verre.

— Bah tant que t'as pas répondu à la mienne tu peux pas.

Je fermai les yeux, il remplit mon verre et s'adossa au placard avant de se laisser glisser pour s'assoir par terre, je l'imitai. Cette cuisine était minuscule et il n'y avait ni chaise ni table.

— On dirait deux schlags.

Je ne savais pas ce qu'était un « schlag » mais je voulais bien le croire.

— Alors, dit-il finalement, t'as toujours rien à dire ?

Tandis que j'allais ouvrir la bouche pour répondre Doums et un type avec un bob entrèrent dans la pièce.

— Wesh vous faites quoi par terre à pillave ? demanda ce dernier.

Hakim ne répondit pas, il se leva simplement.

— Viens, fit-il, on décale.

Évidemment, il n'allait pas me proposer son aide pour me relever. Quelque part, c'était très bien comme ça.

Je hochai la tête et me relevait avec souplesse sur un pied.

— Comment elle fait ça elle !?

Sans répondre je saisis mes béquilles, et suivit Hakim hors de la pièce. C'était pratique d'être dans ce genre de situation avec lui, parce que personne ne s'étonnait de son mutisme.

Il ouvrit une porte et entra en éclairant une petite lampe. C'était une pièce qui semblait servir à la fois de débarras, de bureau et sans doute aussi de chambre d'amis étant donné qu'un vieux clic-clac, à moitié enfoncé, était présent dans l'angle.

Hakim s'affala dessus, posa les bouteilles à ses pieds et me fit signe de venir m'assoir à ses côtés.

Je sautillai jusqu'à lui.

— J't'écoute, fit-il alors que je me posais à mon tour dans le canapé.

Après un long soupir, je jetai un coup d'œil vers lui, il m'observait, avec toujours ce même air impassible sur le visage.

Je n'arrivais plus à savoir si je le détestais encore.

— Mes parents ne m'ont pas élevée parce qu'ils se sont séparés quand j'avais 5 ans. Mon père a refait sa vie en Égypte, il a même oublié mon existence. J'ai sûrement une tripotée de frères et sœurs dont je ne connais ni le visage ni le nom. Ma mère...

Je cherchai mes mots, c'était très compliqué pour moi de parler d'elle. Non pas parce que je risquais d'en pleurer, mais parce qu'au contraire cela me mettait dans une colère noire.

— Ma mère a toujours fait de très mauvais choix. Elle s'est vue retirer ma garde quand j'étais enfant.

J'avais répondu, il n'avait pas besoin d'en savoir plus. Pour l'instant.

Alors que jusqu'alors mon regard était fixé sur mon verre vide, je le relevai vers lui et fus soulagée de ne lire aucune pitié sur son visage.

— Et toi ? demandai-je, Pourquoi c'est ta grand mère qui t'a élevé ?

Il passa sa main sur sa barbe. Saisit la bouteille de vodka, me la tendit et se resservit de whisky. Je buvai à la bouteille.

— Je suis né en Algérie, mes darons sont partis en France pour trouver du taff, et en attendant de pouvoir me faire venir, ils m'ont confié à ma grand-mère au bled. Sauf qu'en partant ma mère savait pas qu'elle était enceinte de mon kho, quand il est né y'avait encore moins de place pour moi, c'était la hess un truc de fou. Ils vivaient dans un truc pérave et tout petit à Grigny. Je les voyais que pour les vacances. Hassoul, je les ai rejoint en 1999, quand ils ont bougé dans le 15eme. J'avais déjà presque dix ans. Ma grand-mère est venue aussi et je suis resté plus proche d'elle que des parents.

Il se tut. Ce n'était pas une histoire de fou, mais c'était quand même pas forcément la chose la plus facile à vivre. J'étais bien placée pour savoir qu'un enfant habitué à être séparé de ses parents s'endurcit très vite.

— À moi, fit-il avant de descendre son verre.

— Vas-y, soufflai-je.

Il m'adressa un regard perplexe, cherchant quelle question pourrait être la plus efficace.

— Pourquoi t'as un nom français et pas arabe ou polonais ?

Il avait vraiment un don pour trouver les questions les plus emmerdantes.

Je bus une longue gorgée de vodka, l'alcool commençait à faire son chemin jusqu'à mon cerveau.

— Mon père ne m'a jamais reconnue légalement, un de mes beaux-pères l'a fait pour lui.

Je sentis que cela éveillait encore plus la curiosité d'Hakim. Mais c'était à mon tour.

La lumière s'éteignit brusquement.

Des cris énervés retentirent dans l'appartement.

Je sentis aussitôt tous mes muscles se tendre. J'avais horreur du noir complet, surtout lorsqu'il me surprenait.
Ma respiration s'accéléra, et mon corps se raidit violemment.

Hakim grogna et se leva pour voir ce qu'il se passait.

Je fermai les yeux, tentant de calmer les souvenirs et les peurs irrationnelles qui se réveillaient lorsque je me trouvais dans un espace clos et noir.

— Coupure générale dans tout l'immeuble, maugréa le rappeur en revenant.

Je ne répondis pas. Il sembla prendre conscience que je n'étais pas bien et éclaira la lampe torche de son portable qu'il pointa vers moi.

— Ça va ?

Je hochai la tête, n'ayant pas envie qu'il sache qu'il m'arrivait d'avoir peur. Mais son regard me sondait et je n'aimais pas cela. Il se rassit sur le canapé et sa main se posa sur mon genoux. Je la fixai, perplexe.

— Oh ! fit-il, T'as quoi ? T'as peur du noir ?

Jamais de la vie.

— Non. J'ai peur de rien, articulai-je, J'ai des mauvais souvenirs associés aux coupures de courant.

Ma réponse parut le satisfaire car il m'adressa son mouvement de bouche vers le bas. Dans le salon le vacarme s'était calmé et les gens riaient, de la musique retentissait de nouveau, sans doute grâce à une enceinte sur batterie.

— Tu veux décaler ? me demanda Hakim.

J'allais répondre par l'affirmative, mais des voix devant la porte attirèrent notre attention.

— Clem, j'ai pas envie d'en parler.

— S'il te plaît Deen, on s'est pas vus pour de vrai depuis des mois.

J'entendis le gars souffler et au moment où la poignée de la porte se baissa, Hakim éteignit la lumière de son portable.

Sérieusement ? Mais quelle fouine celui-là !

— Y'a quelqu'un ? fit la voix de Clem, lorsque la porte s'ouvrit.

Sentant que j'allais signaler notre présence, le Kabyle plaqua sa main sur ma bouche, m'attirant contre lui, son autre bras enserra mes épaules.

— shht, souffla-t-il dans mon oreille.

Son souffle contre ma peau m'arracha un frisson.

— Deen je ne comprends pas pourquoi tu m'évites, t'avais dit que tu ne voulais pas me perdre... dit Clémentine d'une voix plaintive.

Je sentais le torse d'Hakim se soulever lorsqu'il inspirait. Ma propre respiration se cala sur la sienne.

— Clem... J'y arrive pas ok ? Je sais pas comment ça s'est fait, mais c'est devenu pire encore depuis que tu t'es remise avec Feu. On en a parlé lui et moi, il est d'accord sur le fait que ce soit mieux comme ça.

— Attends. Tu vas pas me dire que Ken a participé à cette décision ?

Hakim se tendit contre mon dos. Sa main quitta mes lèvres et se posa sur mon bras. Son souffle dans mon cou me perturbait toujours et des effluves de whisky parvenaient à mes narines. Pourtant lentement je laissais ma nuque s'assouplir et appuyai mon front contre sa joue.

— Ken n'a pas participé à cette décision mais il l'a comprise et appuyée, répondit Deen.

— J'y crois pas, ça fait des jours qu'il me voit à moitié en pleurs quand on parle de toi et qu'il me dit que ça finira par s'arranger ! Alors qu'en fait il valide tout ça ! Tu te rends pas compte à quel point tu me manques Deen... Il a pas le droit de décider pour moi.

Le grand brun souffla bruyamment.

— Tu comprends rien Clémentine, t'es vraiment trop égoïste sur ce coup là. Je souffre quand j'te vois d'accord ? Alors si ça te plaît de me torturer c'est un autre problème, mais c'est à toi de le régler.

Il quitta la pièce en claquant la porte et j'entendis un sanglot fendre le silence.
Hakim ne bougeait pas d'un poil, moi non plus.

La porte finit par s'ouvrir et la silhouette fluette de Clémentine se détacha dans l'encadrement quand elle sortit.

Les bras d'Hakim se relâchèrent lentement autour de mes épaules et presque à regret, je me détachai de lui pour lui faire face.

Mes yeux s'étaient à peu près acclimatés à l'obscurité mais je ne parvenais pas à distinguer les traits du rappeur.

Il y avait une sorte de tension entre nous et j'ignorai si celle-ci provenait de ce que nous venions d'entendre, ou de notre récente proximité physique.

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