Bonus #1
Deux ans et demi plus tard, mai 2022
— Nour, redresse tes épaules tu es toute bossue, Soraya plus tendue la jambe. Voilà c'est bien, allez on reprend : deuxième position, grand plié, une, deux, trois, grand battement.
Ma voix rauque résonnait dans la salle de danse toute neuve, en face de moi une quinzaine d'adolescentes en justaucorps s'appliquaient à suivre mes indications. C'était la fin du cours, je voyais bien qu'elles étaient épuisée, mais la représentation approchait et j'étais vraiment stressée. Dans quelques jours, mes petites danseuses de cité monteraient sur les planches pour leur premier ballet.
J'étais particulièrement fière de cette classe là, issues de plusieurs milieux et origines différentes, elles faisaient face à de nombreux problèmes quotidiens et la danse était devenue leur moyen d'expression et leur exutoire. Cela faisait trois ans maintenant, qu'avec mon association j'avais tout mis en œuvre pour donner à ces jeunes filles un enseignement de qualité à un prix défiant toute concurrence. Nous avions mis au point un système de parrainage et une discrimination positive permettant à celles qui n'avaient aucuns moyens, d'avoir accès gratuitement aux cours, tandis que celles issues de familles au niveau de vie plus confortable payaient leurs trimestres.
Évidemment cela avait pris du temps pour être mis en place et nous avions eu beaucoup de bâtons dans les roues. Mais le résultat était là, à trois professeurs, nous nous partagions quatre-vingts danseurs et danseuses en ballet, breakdance et moderne jazz. Et ce n'était que la première année de fonctionnement.
Je libérai mes petites ballerines et alors que je m'apprêtais à quitter l'école, l'une de mes élèves les plus douées, vint me trouver.
— Madame Akrour.
— Fanja, je t'ai déjà dit de m'appeler Maya.
Elle eut l'air gênée, cette adorable jeune malgache avait un sens très aiguë de la politesse et j'avais tout le mal du monde à la rendre un peu familière avec moi.
— Maya, se reprit-elle timidement, est-ce que je peux vous demander une faveur ?
— Ça dépend quoi, plaisantai-je.
Ses yeux noirs restaient fixés sur ses chaussons de danse et j'avais un peu envie de la secouer pour la faire parler. Mais je me contins, maîtrisant mes nerfs.
— C'est à dire que...
Ne t'énerve pas Maya, respire, elle va finir par cracher le morceau, m'intimai-je intérieurement.
Oui, clairement, la patience n'était toujours pas mon fort.
— Fanja, je suis un petit peu pressée, est-ce que tu peux venir au fait s'il te plaît ?
Elle prit une grande inspiration.
— Ma grande sœur est très fan de Nekfeu, c'est bientôt son anniversaire et je voulais lui offrir son nouvel album dédicacé, je veux bien vous payer mais s'il vous plaît est-ce que vous pouvez lui demander de le signer.
Un sourire amusé naquit sur mes lèvres, je pensais déjà à la tête de Ken, quand je lui demanderai de signer un album entre un allez-retour au studio, une crise d'Iris et les pleurs d'Arthur qui faisait ses dents. Clem et lui étaient crevés en ce moment.
— Il n'y a pas de problème, mais ne le dis pas trop aux autres, je ne souhaite pas devenir un pigeon voyageur entre Nekfeu et ses fans.
Au début j'avais essayé de cacher mon lien avec le S-Crew, mais Haks avait grogné quand j'avais annoncé vouloir conserver mon nom de jeune fille pour l'école et puis... mes élèves étaient de vraies stalkers et connaissaient très bien mon histoire avec l'opéra.
Fanja me remercia et je lui répondis par un sourire bienveillant.
Je me rendis dans mon bureau en poussant un soupir de fatigue. Au mur des photos, seules témoins de mes exploits passés en tant que danseuse étoile. Étoile filante oui... Même si toute ma vie j'aurais un pincement au cœur en contemplant celle où j'incarnais Odette, au sommet de ma grâce lors de cette terrible soirée où j'avais failli mourir, heureusement, il y avait celle qui la précédai. Celle qui me ferait toujours sourire : Giselle. Juste avant de me faire écraser par Hakim, il y avait tout juste quatre ans, j'avais l'air décidée et ambitieuse, épouvantablement insupportable.
Mon deuil de ma carrière d'étoile avait été très long, pourtant, on ne pouvait pas dire que j'avais manqué d'occupations ces dernières années. Depuis mon mariage avec Hakim, tout s'était enchaîné à une vitesse folle.
Avant d'éteindre la lumière, je jetai un dernier coup d'œil à ma grand-mère dans son cadre, juste au dessus de mon bureau.
— Continue de veiller sur moi Babcia, murmurai-je.
Dévalant les escaliers, je me retrouvais dans la rue grise, autour de moi les barres de ce quartier populaire du XVe arrondissement où avaient grandi mon mari et ses frères. Il faisait chaud, trop peut-être pour un soir de mai, ma journée était loin d'être finie, pourtant je pris le temps de m'arrêter pour savourer cette douceur brute du printemps parisien.
Quelques minutes plus tard dans le tram, mon portable sonna et je décrochai en voyant le nom de mon rappeur grincheux s'afficher sur l'écran.
— Oui.
— Nam, t'es où ? On avait dit qu'on rentrait tous les deux plus tôt.
Je souris, il n'avait pas oublié. Haks avait été absent presque toute la semaine et nous avions quelque chose d'important à fêter.
— Je me bouge, désolée j'ai eu un contretemps.
— Ouais bah t'as intérêt à être là deuspi parce qu'après tout le monde va débarquer et je serai tout seul pour gérer.
Je consultai ma montre, personne n'était censé arriver avant une bonne heure et connaissant le reste de la famille, ils ne risquaient pas d'être en avance. Hakim le savait très bien.
Mais il avait envie de me voir. Je le connaissais par cœur.
— C'est hnine, j'te manque Tigrou ?
— Ta gueule et bouge ta race, tu vas voir si j'suis hnine.
J'éclatai de rire en raccrochant, Hakim était dans ma vie depuis seulement quatre ans et pourtant j'avais l'impression d'avoir vécu dix ans avec lui tant ces dernières années avaient été denses. Il s'était passé tellement de choses.
Quelques minutes plus tard j'accrochai ma veste dans le hall de notre appartement. J'entendis aussitôt le bruit précipité des pattes des chiens sur le parquet et une seconde plus tard, tous deux jappaient joyeusement autour de moi, tournant dans tous les sens.
— Mais enfin poussez vous, je peux pas avancer ris-je en les poussant du bout du pied.
Leur maître apparut alors dans l'encadrement de la porte du salon.
— Khlass ! Creed ! Hydra ! Dehors ! gronda-t-il.
Les deux staffs quittèrent le couloir pour se précipiter vers la baie vitrée du salon ouverte sur notre petit jardin.
— C'est pas trop tôt, se plaignit ensuite Hakim alors que je m'approchai de lui pour l'embrasser.
— Heureusement qu'il y a les chiens pour avoir l'air un peu content de me voir.
Ses mains glissèrent sur mes reins et il m'attira contre lui, c'était la première fois de la semaine que je le voyais un peu plus de cinq minutes. Il était en studio quasiment toutes les nuits et comme je travaillais la journée, nous passions notre temps à nous croiser.
— Vivement que cet album soit sorti, grogna-t-il en m'embrassant.
Je soupirai entre deux baisers, après l'album, il y aurait la tournée et après la tournée, un nouvel album.
— Vivement les vacances surtout.
— En Algérie.
— En Pologne.
Il écarquilla les yeux et j'éclatai de rire, nous avions déjà passé nos vacances précédente en Pologne et Hakim avait assez peu apprécié le climat.
— Commence pas à être chiante, on a pas beaucoup de temps.
— Pauvre tigrounet à grandes quenottes.
Haks leva les yeux au ciel alors que je riais de plus belle. C'était Naël, qui lui avait sorti cette phrase magnifique tirée de l'Âge de glace, lorsqu'il m'avait entendue appeler son oncle « Tigrou », un jour où nous le gardions.
— Qu'est-ce que fout un enfant de trois ans devant la télé aussi, mon frère est irresponsable putain.
Ça, ce n'était pas une nouveauté, heureusement que Lucie était là. Mais bon, apparement Naël était totalement fan de ce film et le réclamait tout le temps.
— Lulu m'a dit que maintenant, il pointe Diego du doigt et crie : Tonton Haks !
Un sourire finit par naître sur les lèvres de mon mari et il attrapa ma mâchoire pour rapprocher mon visage.
— Rappelle moi de jamais laisser les jumeaux trop longtemps avec Idriss, faudrait pas qu'ils finissent comme son fils, murmura-t-il avant de m'embrasser à nouveau.
— Tu m'as manqué, soufflai-je avant qu'il n'approfondisse notre baiser.
Une seconde plus tard j'étais adossée au mur, jambes croisées autour de sa taille, tandis qu'il parcourait fiévreusement mon cou. Le désir contractait mon ventre et je sentis que tout allait vite dégénérer, comme toujours.
— On a le temps ou pas ? demanda-t-il contre ma peau.
Comme pour répondre à sa question, la sonnette retentit et nous dûmes nous séparer à regret.
— On en a pas fini toi et moi, dit-il en pointant ses yeux puis les miens avant d'aller ouvrir.
Je réajustai ma chemise et mes cheveux, sachant que mon air coupable lui, ne s'effacerait pas de sitôt.
— C'est Samaras et toute la marmaille.
Je rejoignis Hakim dans l'entrée pour voir Clem et Ken avec Iris et Arthur et puis... Dans les bras du rappeur, nos deux petits monstres qu'ils avaient récupéré à la crèche avec Iris.
Ken colla aussitôt les jumeaux d'un an dans les bras de leur père en soupirant d'épuisement.
— Plus jamais quatre en même temps.
Je ris en déchargeant mon mari d'Ilyes qui tendait ses petits bras potelés vers moi.
Les Samaras entrèrent dans le salon pendant que nous embrassions notre filleule qui, pour une fois, avait l'air de bonne humeur.
— Il faut que je change Arthur, annonça Clem, c'est en haut c'est ça ?
J'opinai de la tête et alors qu'elle montait à l'étage, la sonnette retentit de nouveau.
C'était l'anniversaire des jumeaux et l'appartement allait simplement se transformer en nurserie. Mon Dieu mais qu'est-ce qui avait bien pu nous prendre de tous faire des enfants en même temps ?
Je posai Ilyes sur son tapis de jeu avant d'aller ouvrir à Idriss et Lucie, Naël me sautant au cou à peine la porte ouverte.
Mon Dieu que j'aimais cet enfant, il était sans doute l'une des seules personnes au monde dont je tolérais autant d'affection.
— Bonsoir mon crapaud, dis-je en embrassant sa joue.
Après avoir salué ses parents, je revins enfin dans la pièce à vivre où déjà les cris des petits remplissaient l'espace.
— Vous vous rendez compte que pour trois rappeurs dans cet appartement, il y a cinq enfants ? soupirai-je en me laissant tomber sur le canapé.
— Y'en aurait pas autant si vous en aviez pas eu deux d'un coup hein.
Ah ça. Je revoyais encore le drame qui avait suivi l'échographie où j'avais appris qu'il y avait deux bébés dans mon ventre. Déjà que je me sentais à peine prête pour un seul. J'étais littéralement partie en courant. Comme s'ils n'existaient que sur l'écran du gynécologue.
La grossesse avait été une expérience vraiment stressante pour moi, tout le long je m'étais demandée si j'allais être capable d'aimer mes fils comme ils le méritaient. Heureusement, j'avais ce réconfort permanent de me dire que je n'étais pas seule pour gérer cela, et que jamais je ne le serai.
Mes yeux se posèrent alors sur Hakim qui, tout en parlant avec Ken, appuyait par intermittence sur les joues d'Amir avec son pouce et son index, ce dernier riait sur ses genoux en tentant d'attraper les doigts de son père.
J'étais fière de moi, et de nous, malgré toutes les difficultés qui avaient été les miennes, les nôtres, nous avions fondé une famille. Et même si c'était très loin d'être rose tous les jours, même si sans doute la vie nous réservait encore son lot de souffrances et de déceptions, je savais que ces deux bouilles au teint mat et aux yeux lumineux étaient la plus belle chose que j'avais accomplie.
Clem reparût avec son fils de sept mois dans les bras et s'effondra à côté de moi.
— Tu pensais que t'aurais deux gosses avant d'avoir trente ans toi ?
Elle était si fatiguée ces derniers temps.
— Non, répondit Hakim pour moi, Maya tu lui aurais dit il y a quatre ans qu'elle allait avoir deux marmots avec moi, elle t'aurait hagar et t'aurait dit de fermer ta gueule avant de lui porter l'œil.
Il avait incroyablement raison.
— Tu peux parler Haks, me défendit Clem, je te rappelle qu'après l'avoir écrasée, tu l'as virée de ta voiture en la traitant de bourgeoise raciste.
Un sourire amusé au lèvres, Hakim sembla pendant quelques instants se remémorer cette soirée complètement improbable.
Nous devions beaucoup à Clémentine qui s'était imposée dans ma vie comme une forceuse, ramenant avec elle toute sa clique de sales gosses qui étaient maintenant les pères de nos enfants.
— Vous me faites bien rire les deux insensibles, l'appuya Lucie, parce que pendant des mois vous nous avez baratinés en nous disant qu'il n'y avait rien entre vous, mais en attendant une fois que vous avez été officiellement ensemble, en même pas deux ans vous étiez mariés. Et on va même pas parler des enfants.
— On peut arrêter de parler de nous, deux minutes ? Parce que Lucie, je te signale que niveau rapidité avec Idriss t'as coiffé tout le monde au poteau. T'as quand même réussi à tomber enceinte avant Clem qui était avec Ken depuis deux ans et demi.
Ce fut ainsi que la soirée se poursuivit dans les commémorations des souvenirs de chacun. Nous finîmes tout de même par fêter le premier anniversaire des jumeaux qui clairement, s'en moquaient complètement et considéraient le soudain attroupement autour d'eux d'un air blasé.
— Eh bah, Mékra, tu peux être certain que ce sont bien les tiens, rit Ken.
C'est en voyant tout le monde tomber de sommeil après quelques verres que je me dis que le temps où l'appartement de Clem se transformait en aquarium était bien loin.
— Au fait pourquoi Zer2 a pas pu venir ? demanda finalement Idriss.
— Askip' Judith l'a réquisitionné pour annoncer sa grossesse à ses parents, répondit Ken.
Ah oui, il y avait ça aussi, la nurserie de l'entourage compterait bientôt un nouvel élément.
— On est quand même tous devenus un gros cliché du « ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants », rigola Clémentine.
Cela ne me fit pas rire, peut-être parce que j'avais un peu peur que ce soit vrai.
— Dis pas ça Clem, ma femme va flipper, se barrer et me laisser seul avec les deux gosses sur les bras.
Hakim venait de dire cette dernière phrase sur le ton de la plaisanterie, mais je sentis tout de même qu'il y avait un fond d'inquiétude dans sa voix. Il me l'avait dit plusieurs fois, il ne me tiendrait jamais pour acquise parce qu'apparemment, on ne savait jamais ce qui pouvait me passer par la tête. Mais moi je le savais ce qui se passait dans ma tête. Je savais que la solution à ma peur de l'engagement, n'était certainement pas la fuite, c'était lui.
Alors que je lavais les verres dans la cuisine, pour prendre un peu de recul sur toutes nos discussions, je sentis sa paume chaude se poser sur ma hanche et ses lèvres contre mon oreille lorsqu'il chuchota :
— On les fout dehors et on couche les mioches ?
— Depuis quand c'est toi qui prends l'initiative de mettre tes frères à la porte ? plaisantai-je en me retournant pour lui faire face.
— Depuis que j'ai passé la semaine h24 avec eux et que j'aimerais bien voir ma femme.
Il ne fallait pas se méprendre, ce genre de phrase était totalement rarissime. Et c'était ce qui les rendait si précieuses.
Sans attendre que je lui réponde, il expliqua aux autres qu'il était temps qu'ils couchent leurs enfants et que le lendemain était journée off au studio. Ah oui, Hakim donnait les ordres, comme toujours.
Après les grandes accolades et embrassades, nous pûmes enfin déposer Amir et Ilyes dans leur lits. Nous avions de la chance, l'un comme l'autre avait hérité du sommeil de plomb de leur père et, hormis lorsqu'ils étaient malades, ils ne nous réveillaient pas la nuit.
— Hakim...
— Ouais.
— Tu sais que je m'enfuirai pas, hein ? Vous êtes mon seul but dans la vie.
Un sourire mi amusé mi attendri fendit son visage.
— Namira...
Mais je n'avais pas terminé, sa phrase m'avait vraiment marquée.
— Je sais que parfois t'as peur que je prenne un coup de flippe, mais si ça arrive, où veux-tu que j'aille à part dans tes bras, bordel de merde...
— Nam.
— Attends putain, Hakim t'as pas seulement changé ma vie, tu l'as reconstruite avec moi. Si je te laisse, tout s'eff...
Sa main plaquée sur ma bouche m'empêcha de finir ma phrase.
— Maya, gronda-t-il, t'es niaise, à moitié pétée et tu parles mal devant mes fils.
Il avait raison, il valait mieux que je me taise. L'alcool me rendait toujours bien plus bavarde que je ne l'étais naturellement.
Je déposai un dernier baiser sur le front de mes deux petits mecs.
— J'assume pas du tout ces bodies PSG, dis-je en refermant la porte de la chambre derrière nous.
— C'était le deal, ils ont dit « papa » en premier.
Cette histoire me laissait dubitative, étrangement Amir aurait prononcé le mot « papa », un jour ou la grand-mère d'Hakim les gardait. Depuis je ne les avais pas entendus le répéter mais Ilyes gazouillait « mama » toute la journée.
— Allez admets ta défaite Nam', c'est juste un pyjama.
Si encore c'était « juste » un pyjama. Mais les garçons avaient tous deux une panoplie de vêtements à l'effigie des passions de leur père.
— Ils feront du ballet, pas du football.
Les yeux d'Hakim se révulsèrent en même temps qu'il se laissait tomber sur notre lit.
— Le jour où je vois mon fils en collants je lui fous deux tartes dans la gueule.
Ce qu'il pouvait être intolérant et macho par moment...
Je lui jetai un regard amusé en me préparant à aller au lit, et alors que je déambulais dans la chambre pour ranger un peu ses affaires qui traînaient partout il grogna :
— Sah Maya, tu peux pas laisser tout ça et venir au lit là, j'ai pas viré tout le monde pour te regarder ranger notre piaule.
— Si tu semais pas tes fringues partout...
— Ta gueule, viens là.
Il y avait une chose qui ne changerait jamais, j'adorais le faire mariner. Alors ce fut avec une lenteur exaspérante que je rangeais chaussette après chaussette, casquette après casquette.
— Je suis à deux doigts de jurer sur la vie de ma mère que si t'es pas là dans une seconde, je dors, s'énerva-t-il.
— Jure sur la vie de la mienne, ça m'arrangerait.
Hakim étouffa un petit rire, mais comme je mettais toujours plus de temps à me déshabiller. J'entendis un nouveau grognement provenant du lit.
— Toute ta vie tu vas me casser les couilles.
Je décidai de mettre fin à son supplice et une seconde plus tard, je me glissai sous les draps en murmurant :
— Ça dépend si tu me gardes toute ma vie.
Il m'attira entre ses bras et le contact de sa peau brûlante m'arracha un soupir de satisfaction.
— J'verrai, murmura-t-il contre mon oreille.
Je me rendis compte qu'en une semaine, il avait vraiment eu le temps de me manquer. Surtout moi qui détestais m'endormir toute seule et qui, encore aujourd'hui était hantée par des cauchemars. Benoit ne serait jamais complètement oublié, d'autant plus maintenant que mon instinct de protection s'étendait à mes enfants. J'avais toujours la crainte, même en le sachant mort, qu'il s'en prenne à eux.
— Hakim...
— Ouais.
— J'arrive pas à croire que ça fait un an qu'on a les jumeaux.
L'une de ses mains quitta ma taille pour se faufiler sous ma nuisette et son pouce caressa doucement la cicatrice de ma césarienne.
— Moi non plus.
Et alors que ses phalanges remontaient sur mon corps, je plongeais mon regard dans le sien, c'était un peu notre anniversaire à nous aussi.
— Hakim.
— Tu veux vraiment qu'on discute maintenant ? Ou tu peux attendre une petite demie-heure.
Je savais très bien qu'après cette petite demie heure, comme il disait, il s'endormirait comme une masse et que je resterais avec toute mes interrogations. Nous avions si peu le temps de parler ces derniers temps. Cela me manquait, j'avais besoin de son avis.
Devant mon air un peu déçu, il attira mon visage contre ses lèvres.
— Nam, si j'ai pris la journée de demain, c'est pour être avec vous trois, tu crois que j'sais pas que t'as pas cours le jeudi.
Un soupir de soulagement m'échappa et je l'embrassai à mon tour.
— J'ai pas mal réfléchis, dit-il encore, les gars aussi. On va mettre la pédale douce sur le stud pour le prochain album, mehlish s'il met plus de temps à sortir, le public est habitué à c'qu'on se fasse désirer. Ken en peut plus il arrive pas à tout mener de front, mon frère ça va parce que Naël est plus grand, mais il aimerait bien lui faire un p'tit frère. 2zer va avoir un gosse et moi bah... J'ai pas vu passer cette année et ça m'fait flipper parce que j'ai pas envie de tout louper, t'as vu comme ça grandit vite ?
Mon Dieu merci de m'avoir donné un mari qui sache lire dans mes pensées.
— C'est bon je peux l'avoir ma petite demie-heure ?
Je hochai la tête en souriant, ravie par cette nouvelle décision.
— Et puis j'peux pas te laisser les éduquer toute seule, bsahtek les gosses en tutu à douze ans.
Levant les yeux au ciel, je lui pinçai les côtes, désormais j'étais celle qui était impatiente et il était celui qui parlait trop.
Un peu plus tard, alors que je sentais Hakim s'assoupir à côté de moi, je me lançai dans une rétrospective de ces quatre dernières années.
— Hakim.
— Hmmm.
— Est-ce que si tu avais su ce qui allait arriver après, tu m'aurais quand même renversée ?
Son visage endormi se retourna vers moi.
— Ouais, mais j'aurais roulé plus vite.
Connard de rappeur.
Je voulus répondre mais son bras m'attira fermement contre lui.
— Arrête de réfléchir, tu me casses les couilles avec tes questions. Tu connais très bien la réponse en plus.
Je souris contre sa peau et ne pus m'empêcher de lever les yeux au ciel lorsqu'à peine quelques minutes plus tard, je l'entendis ronfler.
Ce que j'aimais profondément dans notre mariage, c'était que nous ne risquions jamais de nous idéaliser l'un l'autre.
Vieillir avec quelqu'un m'avait longtemps terrifiée, de même qu'avoir des enfants et mettre en péril ma carrière. Je croyais que la famille m'avait brisée, que l'amour ne servait qu'à faire souffrir. Mais j'avais découvert, que ce qui m'avait rendue à la fois si forte et si malheureuse pendant des années, c'était au contraire, l'absence de ces deux entités parfaitement liées l'une à l'autre. Aujourd'hui, même si tout n'était pas parfaitement réglé, que ce soit ma frustration par rapport à la danse ou l'absence de mes parents dans ma vie, j'avais trouvé la personne qui me complétait parfaitement, mon pilier au quotidien.
Vous trouverez sans doute mes pensées très niaises, pourtant, et Dieu sait que j'ai une exigence élevée dans le domaine, je crois que c'est simplement la vérité.
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