Chapitre 36-3


Là encore il avait raison. Je ne pouvais m'empêcher de m'en vouloir et ma curiosité était peut-être mal placée ; néanmoins je campais sur mes positions, tout en décidant tout de même d'être honnête avec lui.

— Tu as peut-être raison, mais je crois que ne pas savoir... est encore pire, car en ce moment c'est mon imagination qui est aux commandes et...

Je laissai volontairement ma phrase en suspens, attendant qu'il en tire les conclusions qui s'imposaient.

— Très bien, tu veux savoir ? Je vais te le dire ! me dit-il d'une voix pleine de colère, les épaules de plus en plus crispées à mesure qu'il tentait de s'assoir.

Apparemment, il ne pouvait pas me parler de cela allongé. Il devait se sentir trop vulnérable sans doute. Sachant d'avance que ça ne servirait à rien de l'en dissuader et qu'il n'apprécierait pas que je l'aide, je le laissai faire et détournai le regard pour ne pas voir sa souffrance.

— Avant la séance publique... j'ai eu droit à la séance privée. Personne n'était au courant de ses intentions, même pas moi.

Il eut un petit rire amer. Je me doutais bien de ce qu'il pensait. Il aurait dû le voir venir.

— Juste avant la flagellation, il est venu me voir seul à seul dans la salle du conseil où j'étais déjà attaché, sous prétexte de me préparer psychologiquement. Tu te doutes bien que ça a été beaucoup plus physique que psychologique ! Il m'a frappé avec une batte de base-ball, de manière à faire pas mal de dégâts mais pas de marques. Comme ça, personne ne s'est rendu compte de rien. Et si j'étais assez fou pour vouloir en parler, il n'y avait pas de preuves. Cela aurait été sa parole contre la mienne.

— Ça se saura quand on verra tes cicatrices.

— Je n'aurais aucune raison de les montrer, et ce qui est fait est fait, alors n'en parlons plus. C'est bon, tu as fini avec tes questions ? me demanda-t-il d'un ton impatient.

— Je devrais peut-être te mettre une bande ? lui demandai-je en l'aidant une nouvelle fois à se rallonger.

C'est alors seulement que je remarquai les hématomes en formation sur ses côtes. Il allait falloir que quelqu'un se décide à arrêter ce taré.

— Non, passe-moi juste une chemise et ça ira... s'il te plaît.

— Et pourquoi as-tu besoin d'une chemise alors que tu es au lit ? m'enquis-je d'un ton suspicieux.

— Comme je te l'ai déjà dit, il est hors de question que tu affrontes Charles seule... Surtout pas dans cet état. Il faut que tu te soignes ! aboya-t-il d'une voix sourde.

Il me foudroya du regard. Je crois que mes blessures lui faisaient plus de mal qu'à moi en fin de compte. Il fallait absolument qu'il arrête son numéro de chevalier blanc, ou d'homme des cavernes. Dans son état, c'était vraiment ridicule.

— Oh que si ! Je suis une grande fille et tu n'iras nulle part dans ton état. Je suis même surprise que tu ne sois pas déjà tombé dans les pommes. Tu ne me seras pas d'une grande aide si tu t'écroules en plein milieu des hostilités.

— Ça n'arrivera pas...

Je me rapprochai de lui, et ce fut à mon tour de prendre son visage dans mes mains.

— Il ne peut rien me faire, à part me menacer et me faire peur... Rien de nouveau donc. Ne m'interromps pas ! lui dis-je gentiment. Et même s'il voulait me faire payer sa petite humiliation de tout à l'heure, ce n'est pas toi qui pourrais l'en empêcher, juste me faire m'inquiéter un peu plus. Reste-là et repose-toi.

Je le lâchai et me reculai sans l'embrasser. Je ne sais pas pourquoi, mais je n'avais pas osé malgré l'envie qui me tenaillait. Je l'aidai à se rallonger sur le ventre et le recouvris du drap qui se tacha de rouge presque aussitôt. Je grimaçai et le retirai. C'est alors que mon regard se posa sur sa blessure à l'épaule, encore rouge et enflammée.

— Tu vas enfin me dire ce qu'est cette blessure sur ton épaule ? lui demandai-je doucement.

Je le vis fermer les yeux et soupirer. Le silence s'éternisa et je crus même qu'il s'était assoupi. Je venais de me mettre à genoux près de son lit quand il me répondit enfin d'une voix très basse, presque comme un chuchotement.

— C'est le prix à payer lorsqu'on trahit son chef de clan... et c'est une partie de ce que Charles avait exigé de ma part pour son aide.

Non... Trop c'était trop ! Ce type était un malade et il allait bien falloir que quelqu'un se décide à faire quelque chose. C'était l'information de trop et je ne pus plus empêcher mes larmes de couler.

— Tu vois, je n'aurais pas dû t'en parler, dit-il d'une voix lasse et résignée. Je ne le voulais pas, mais je l'ai fait pour que tu comprennes à quel point il est dangereux et sans pitié. Alors n'y va pas.

— Ne t'inquiète pas, je le savais déjà, et tu sais que je n'ai pas le choix, lui répondis-je en essuyant mes larmes du revers de ma main.

— Pas toute seule !

— Il ne me fera rien. Il sait que tu es au courant et s'il te déteste tant, je pense que c'est en partie parce qu'il a peur de toi.

— Il faut que tu te soignes, me coupa-t-il d'une voix angoissée. Pourquoi as-tu fait ça ?

Ses yeux cherchaient les miens, mais, consciente que je ne pourrais pas soutenir son regard et lui répondre en même temps, je me contentai de fixer le sol.

— Je ne sais pas vraiment... L'instinct, la bêtise ? dis-je avec un petit sourire.

Sa main vint se poser doucement sous mon menton et il me releva la tête.

— Regarde-moi, pourquoi fuis-tu mon regard ?

— Je... je ne supportais pas qu'on te fasse du mal, lâchai-je dans un souffle, mes yeux dans les siens.

Je vis ses yeux s'écarquiller d'étonnement, vite remplacé par... de la tendresse, de l'exaspération ? Sentant les larmes monter au créneau une nouvelle fois, je me dégageai brusquement de son étreinte et commençai à me diriger tranquillement vers la porte.


— Attends ! Ne pars pas comme ça.

Au même instant, on frappa violement à la porte. Hannah.

— Il faut que j'y aille, dis-je d'une voix tendue.

Voyant qu'il essayait une énième fois de se lever, je me rapprochai pour limiter les dégâts.

— Je suis tellement désolé, dit-il tous bas en effleurant doucement l'estafilade en voie de guérison sur ma joue. Merci...

Les yeux qu'il leva vers moi étaient pleins d'interrogations et de doutes. Je levais les miens au ciel pour détendre l'atmosphère et plaquai mon plus beau sourire sur mon visage.

— Ça va aller. Toi, il faut que tu te reposes et que tu guérisses.

— Promets-moi de revenir me dire comment ça s'est passé.

Sa voix était faible et il n'allait pas tarder à sombrer dans un profond sommeil réparateur.

— Promis, lui dis-je avec un sourire rassurant.

Mon sourire disparut bien vite dès que je me retrouvai devant la porte. J'avais eu beau le rassurer, je ne savais pas du tout ce qui m'attendait. Peut-être le même traitement que lui. Si c'était le cas, je ne pensais pas être en mesure de le supporter. Je ne lui avais rien dit, mais ce seul coup m'avait déjà pas mal éprouvée et j'avais encore sacrément mal. Je ne voulais même pas savoir ce qu'il pouvait ressentir en ce moment.

À l'instant où je posai ma main sur la poignée de la porte, des coups impatients retentirent sur le battant et la charmante voix d'Hannah m'ordonna de me dépêcher, si je ne voulais pas qu'elle me sorte de là par la peau du cou. J'essayai de ne penser à rien, de ne pas laisser transparaître ma peur et mon appréhension légitime, ouvris la porte et sortis d'un pas décidé. 

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