Chapitre 29-2
Je me projetai en avant le plus rapidement possible, passai mes bras par-dessus le siège du conducteur et coinçai la chaîne de mes menottes sous son menton, avant de tirer de toutes mes forces. Le garde à l'air balourd assis sur le siège passager n'eut même pas le temps de réagir avant que la voiture ne percute violemment un arbre. C'était d'ailleurs ce sur quoi je comptais. En revanche, je n'avais pas anticipé que, sous l'effet du choc, la voiture se mettrait en travers et que l'autre véhicule nous percuterait sur le flan, dans un hurlement effroyable de métal tordu.
Le choc fut extrêmement violent et je vécus mon deuxième accident de la route en à peine quarante-huit heures. Mais contrairement à la fois précédente, celui-là c'est moi qui l'avais provoqué. Bien que n'ayant pas eu ma ceinture de sécurité, je n'avais malgré tout pas trop bougé. Heureusement ou malheureusement d'ailleurs, car d'un côté cela m'avait empêché d'être projetée n'importe où dans l'habitacle, mais de l'autre, le gros de l'impact ayant eu lieu de mon côté, ce dernier m'avait presque encastrée dans le siège. Vu les nombreux endroits d'où je sentais du liquide poisseux s'écouler, je devais avoir quelques blessures sérieuses.
Je tentai de m'éclaircir les idées et de passer outre le bourdonnement lancinant qui m'emplissait les oreilles, tandis que je cherchais Cassie. Elle était tombée entre la banquette arrière et le siège passager et s'était cogné la tête contre la vitre qui présentait un impact, du sang, ainsi que quelques cheveux blonds. Je vis rapidement sa poitrine se lever et s'abaisser et cessai de m'inquiéter pour elle, plus préoccupée par le passager qui commençait à s'agiter faiblement sur son siège. Nous devions vite sortir de cette voiture avant qu'il ne reprenne ses esprits.
J'entrepris donc de me dégager du cadavre du conducteur et de repasser mes bras par-dessus le repose-tête. La douleur fulgurante qui me déchira le flanc gauche comme un coup de poignard me coupa la respiration. N'ayant pas vraiment beaucoup de temps devant moi, je finis quand même par y parvenir mais au prix de beaucoup de sueurs et de nausées. Ma portière était complètement enfoncée et je n'eus d'autre choix que de sortir par celle de Cassie. Au moment où je me traînai lamentablement vers elle, deux coups de feu claquèrent et je me plaquai contre la banquette, mon cri de douleur heureusement étouffé par le tissu des sièges. C'est en relevant péniblement la tête que je vis le garde qui avait enfin fini par retrouver ses esprits essayer maladroitement de récupérer son arme tombée à ses pieds.
Alors que je me disais que je n'aurais jamais le temps de sortir du véhicule avant qu'il ne l'atteigne, sa vitre explosa, aussitôt suivie de sa tête. Je restai là à contempler l'horreur de la scène que j'avais sous les yeux, sans vraiment comprendre ce que je voyais, puis la portière arrière s'ouvrit et Worth me tendit la main.
— Ça va aller ? me demanda-t-il inquiet.
Je hochai doucement la tête pour toute réponse et laissai Adam m'aider à m'extraire de l'habitacle. L'inspecteur était dans un sale état. En plus des marques de coups et de ses côtes cassées qui l'obligeaient à se tenir courbé, venait s'ajouter une sérieuse blessure à la tête qui lui collait les cheveux au crâne et laissait des coulées de sang séché sur sa joue et sur le col de sa chemise. Il faisait peine à voir, mais vu la tête qu'il faisait en me regardant, la mienne ne devait pas être mieux. Malgré moi, je tournai la tête vers l'avant du véhicule, même si je savais ce qu'il s'y trouvait et n'avais nulle envie de le revoir.
— C'était lui ou nous. Ils ne nous ont pas laissé le choix, me dit Worth d'une voix autoritaire mais néanmoins douce. Christina, regardez-moi ! Grâce à vous, nous avons tous les quatre une chance de nous en sortir maintenant. Concentrez-vous là-dessus et regardez-moi.
J'arrivai enfin à détourner mon regard de la macabre scène qui m'hypnotisait et m'empêchait de réfléchir pour le fixer sur Adam qui était en train d'aider Cassie à s'extraire de la carcasse. Mon amie était en vie mais toujours à la limite de l'inconscience lorsqu'il l'adossa à la roue du véhicule.
— C'était bien joué, essaya de me rassurer Worth en avisant mon regard hanté posé sur le carnage.
Sa voix avait presque retrouvé l'intonation que je lui connaissais, mais il avait du mal à masquer complètement sa respiration laborieuse et son épuisement. Je me forçai à maintenir mon regard droit dans ses beaux yeux verts et me sentis tout de suite mieux. Il avait raison. Nous étions tous vivants, et si nous voulions le rester, il fallait que l'on bouge de là rapidement. Oui, mais pour aller où ?
— Les voitures ne risquent pas d'exploser ? lui demandai-je en regardant les carcasses fumantes.
— Je ne pense pas, non. Mais le mieux est de ne pas s'éterniser ici.
— S'il vous plaît, dites-moi que l'un d'entre vous est meilleur en géographie que moi et que vous savez où nous nous trouvons ? demandai-je d'une voix plaintive.
— Malheureusement, non. Mais le plus logique serait de rebrousser chemin pour essayer de retrouver la ferme et peut-être un téléphone, suggéra l'inspecteur.
Comme je n'avais rien de mieux à proposer, je me tus, mais au fond de moi je ne pensais pas que ce fut une bonne idée, et a priori je n'étais pas la seule. Adam se mit à s'agiter et à secouer la tête d'un air affolé.
— Non, il ne faut pas retourner là-bas. Vous ne savez pas les horreurs qu'ils gardent enfermées dans la seconde partie de la grange.
Ses yeux exorbités et apeurés le faisaient encore paraître plus jeune qu'il ne l'était réellement.
— Laisse-moi deviner ? répondis-je d'un ton las en essayant de sourire mais sans en trouver la force. Des sortes de gros chiens avec des têtes de hyène ?
Worth me lança un regard ébahi mais je ne relevai pas. Je n'avais ni l'envie, ni la force de m'expliquer.
— Je... je ne sais pas, bredouilla Adam, l'air de plus en plus dépassé par les évènements. On ne les a jamais vus, mais nous entendions leurs hurlements et leurs grognements... Nous n'avions jamais rien entendu de pareil et je sais que si nous retournons là-bas, ils les lâcheront sur nous. Ils nous l'ont dit, finit-il dans un murmure apeuré.
— De toute manière, ils ont dû laisser des hommes en faction. Ce serait une mauvaise idée d'aller par là.
J'essayai de donner un minimum d'autorité à ma voix, ce pauvre gosse en avait déjà assez bavé comme ça et il était mort de peur. C'était donc à nous de prendre les choses en main.
Un gémissement plaintif nous détourna tous de la conversation et je me précipitai aussi vite que me le permit mon corps meurtri vers Cassie. Elle commençait à reprendre ses esprits et tentait de se relever pour ne parvenir qu'à s'écrouler maladroitement au même endroit qu'auparavant. Je tentai de l'aider à se redresser en la prenant sous les aisselles, mais dus vite déclarer forfait lorsque mes côtes se rappelèrent à mon bon souvenir. Me voyant en difficulté, Adam vint m'aider et nous l'assîmes plus confortablement, pour lui permettre de reprendre ses esprits.
Elle regarda un moment autour d'elle d'un air hébété, puis son regard s'arrêta sur moi et ne me lâcha plus, comme si j'étais son phare dans la nuit. À cet instant précis... elle était le mien. Je pris enfin réellement conscience que je l'avais retrouvée et qu'elle était en vie, chose à laquelle au fond de moi je ne croyais plus. Je laissai les larmes couler le long de mes joues, traduisant mieux que des mots tout ce que j'aurais pu exprimer. Elle se mit à pleurer à son tour et nous tombâmes dans les bras l'une de l'autre. Je me dégageai doucement de son étreinte et fixai son visage comme si j'avais peur que ce ne soit qu'un mirage et qu'elle disparaisse subitement. Elle était ma seule famille, enfin ce qui s'en rapprochait le plus et je ne savais pas ce que je ferais sans elle.
— Tu m'as retrouvée ! dit-elle d'une voix pâteuse et voilée comme si elle avait trop crié. Je n'arrêtais pas de dire à Adam... que s'ils ne t'avaient pas attrapée... tu ferais tout ce que tu pourrais pour me retrouver.
Je ne trouvai rien à répondre et me contentai de lui laisser voir l'immense gratitude que je ressentais à l'entente de ses paroles. Elle, au moins, avait confiance en moi.
— Tu aurais fait la même chose pour moi, dis-je d'une voix émue en lui caressant doucement la joue. Qu'est-ce qu'ils t'ont fait pendant tout ce temps ? lui demandai-je avec appréhension.
— Il faut que l'on parte d'ici, on a déjà perdu trop de temps...
Worth n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'un silence de mort tomba subitement sur la forêt, à moins que je ne m'en rende compte que maintenant. Mais une chose était certaine, nous ne pouvions pas nous permettre de perdre plus de temps... Nous devions bouger ! Nous faisions des proies idéales, éclairées par les phares des voitures restés allumés.
— Ce silence ne me dit rien qui vaille. Il faut que nous nous débarrassions de ces menottes, dit-t-il précipitamment en secouant mollement une paire de petites clefs ensanglantées au bout de son index.
Adam aida Cassie à se lever mais dut la soutenir pour qu'elle arrive à effectuer quelques pas, l'effet des drogues n'étant pas complètement dissipé. Elle n'arriverait jamais à fuir dans la forêt, il fallait trouver une autre solution. Nous nous débarrassâmes rapidement de nos menottes et quittâmes le lieu de l'accident avant de nous enfoncer dans les sous-bois, trop lentement et en faisant beaucoup trop de bruit à mon goût. Ils allaient nous repérer sans aucune difficulté si nous continuions ainsi ! L'inspecteur et moi échangeâmes un regard. Il était peut-être mal en point, mais c'était le seul d'entre nous qui savait tirer correctement. Et soyons clairs, les trois tireurs restants, Blondinet, Shaw et son fils, en avaient clairement après moi ; c'était donc à nous de jouer.
— Adam, tu te rappelles ce que je t'ai dit tout à l'heure à propos des arbres ? Toi et Cassie, vous allez vous cacher et attendre que l'on vienne vous chercher, d'accord ?
Il sembla un instant sur le point de refuser, puis hocha finalement la tête quand Worth lui remit un pistolet ainsi qu'un chargeur de rechange et lui dit qu'il comptait sur lui pour protéger Cassie. Ils se cachèrent dans un grand chêne et Worth et moi nous enfonçâmes plus profondément dans la forêt où nous nous séparâmes. L'idée était que je serve d'appât pendant que l'inspecteur me suivait à distance pour prendre les tireurs par surprise. S'il n'y en avait qu'un à la fois, ça irait, mais s'ils étaient plusieurs ?
Il me confia aussi une arme et me montra sommairement comment m'en servir sans me tirer dans le pied. Puis, bien trop tôt à mon goût, je me retrouvai seule au milieu des bois.
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