Chapitre 14-2


***

À mon réveil, mis à part mes yeux bouffis et un mal de tête lancinant dus à mon trop-plein de larmes, je me sentais beaucoup mieux physiquement que je ne l'avais été depuis des jours. De l'autre côté, émotionnellement, cela tenait plus d'une plage après un tsunami, inondée, balayée puis dévastée. Trop de chocs, d'informations, d'espoirs et de rejets. Trop de tout en trop peu de temps pour mon pauvre petit cerveau. Je décidai que prendre les choses, révélations, catastrophes et que sais-je encore, l'une après l'autre lorsqu'elles se présenteraient, était encore la meilleure, voire la seule option acceptable, si je voulais avoir encore une chance de pouvoir fonctionner normalement. Lorsque toute cette histoire serait derrière moi, je pourrais me permettre une introspection accompagnée d'un bon séjour en maison de repos.

Je me levai sans trop savoir quoi faire, ni où aller. Il faisait nuit dehors, j'avais dormi toute la journée. Pas étonnant dès lors que je me sente en forme, mais un peu déphasée. Je repassai par la salle de bain pour me rafraîchir le visage et finir de me réveiller, puis sortis de l'appartement. À peine avais-je refermé la porte derrière moi que je m'entourai automatiquement de mes bras. Nous étions au mois d'octobre et le tee-shirt que l'on m'avait prêté avait beau avoir des manches longues, il ne suffisait pas à me protéger du froid d'une nuit automnale dans cette partie du monde.

Je commençai à avoir froid au bout d'à peine trente secondes et décidai donc de me diriger vers le bâtiment du conseil, faute d'un autre endroit où aller, lorsque je vis Hannah venir dans ma direction d'un pas énergique. Je ne l'avais pas revue depuis le jour où elle m'avait accompagnée au village, il y avait de cela déjà trois jours, voire quatre peut-être maintenant. Je lui trouvais un air moins froid et imperturbable, mais peut-être était-ce dû à la pénombre ? Lorsque nos regards se croisèrent, elle s'arrêta brusquement et commença à faire demi-tour.

— Viens, suis-moi ! aboya-t-elle de son habituel ton glacial.

Mon imagination me jouait bien un tour au final ! me dis-je nullement surprise. Je la suivis le plus rapidement possible, pressée de me mettre au chaud et à l'abri de ce vent glacial. Elle ne me conduisit pas au bâtiment du conseil, mais à la maison d'habitation principale où Charles m'avait d'abord accueillie. Nous pénétrâmes dans le même salon où se déroulait une conversation, apparemment animée, entre les trois membres de leur fameux conseil et Jude qui n'avait pas l'air de l'emporter. Instinctivement, je vins me placer à côté de lui, dos à la cheminée, ce qui me valut un coup d'œil hostile d'Hannah, et essayai de m'intégrer à la conversation.

Au bout de presque une heure de discussion plus qu'houleuse où Daphnée me traita de tous les noms pour avoir osé mêler la police à leurs histoires et de les avoir, selon ses dires, presque menés à leurs portes, nous arrivâmes à nous mettre d'accord sur le fait que je devais rencontrer l'inspecteur comme prévu le lendemain matin et le conduire jusqu'à l'endroit où l'on avait découvert Martha. Peut-être qu'avec toutes les ressources dont disposait la police, ils pourraient trouver un début de piste susceptible de nous aider à comprendre ce qu'il s'était passé.

Jude leur montra ensuite les balles qu'il avait eu la présence d'esprit d'aller récupérer dans la poche de mon jean. Il s'avéra, d'après Charles, que celles-ci étaient constituées d'un alliage qu'il ne connaissait pas mais que surtout, et c'était là le plus inquiétant, le corps de Jude aurait dû les rejeter spontanément au bout de quelques minutes, comme avec n'importe quelle autre munition plus classique.

Or là, justement, les balles n'avaient pas été expulsées et Jude avait failli se vider de son sang. D'après Charles, cela devait sûrement provenir de cet étrange alliage. Ils allaient donc tenter de découvrir exactement de quoi il s'agissait. Je m'apprêtai à demander comment il comptait s'y prendre, quand Jude fit taire tout le monde en proposant que j'en donne une à l'inspecteur Worth pour qu'il puisse la faire analyser par le labo de la police. D'après lui, nous n'aurions jamais de meilleure chance de savoir rapidement de quoi il s'agissait. Visiblement, il aurait mieux fait de se taire !

— C'est hors de question, rétorqua froidement Charles. Ils vont trouver des traces de ton sang, le faire analyser et nous savons tous très bien ce qui apparaîtra.

— Seulement s'ils cherchent en profondeur. Ce qu'ils n'ont aucune raison de faire. Les différences n'apparaissent qu'au niveau de l'A.D.N et de certaines analyses sanguines très poussées, expliqua Jude à mon intention en me voyant ouvrir la bouche. Ils feront juste une recherche d'identité et je ne suis pas dans le système, enfin pas de cette façon.

— Trop risqué. S'ils analysent quand même l'A.D.N, on ne sait...

— Oh, arrêtez tous les deux ! intervint Carla pour la première fois de la nuit. Est-ce plus risqué que de perdre encore l'un des nôtres ? Même s'ils trouvent quelque chose, ils ne pourront pas l'expliquer et n'auront rien pour le comparer. Ils se diront que l'échantillon a été contaminé et puis c'est tout. C'est notre meilleure chance, dit-elle avant d'aller s'adosser au mur d'un mouvement agacé.

— Il a toujours été hors de question d'impliquer des humains dans nos affaires ! s'emporta une nouvelle fois Daphnée en revenant à la charge. Et là vous voudriez faire appel à un flic ? Mais vous avez perdu la tête ! Faisons là parvenir à Jerry à Seattle, il pourra faire l'analyse en toute discrétion...

— Et nous faire perdre au moins une semaine que nous n'avons pas, contra Carla sèchement en lui lançant un regard dur.

— Charles ! Tu sais que j'ai rais...

— Oui, tu as raison Daphné, mais je pense aussi, malheureusement, que nous n'avons pas vraiment d'autres choix. Ce serait plus sûr, mais nous ne pouvons pas nous permettre de perdre plus de temps. Envoyons-en une à Jerry et essayons l'autre option également...

— Tu es fou ou quoi ?! rugit-elle outrée et folle de rage.

— Je te prie de ne pas oublier à qui tu t'adresses, lui répondit-il d'une voix sourde et intimidante, qui mit efficacement fin à la discussion.

Finalement, lorsque tout le monde fut d'accord, Charles me remit une des balles qu'il avait préalablement nettoyée pour qu'il n'y ait plus de trace de sang visible. Jude et moi devions maintenant trouver un scénario crédible pour que je puisse faire passer la balle à Worth sans éveiller ses soupçons. Nous retournâmes donc dans son studio pour plus de calme et aussi pour que je puisse me reposer. Étonnamment, nous nous mîmes rapidement d'accord sur la manière de procéder. Peut-être parce qu'il n'y en avait qu'une de facilement réalisable. Une fois à la grotte, je déposerai discrètement la balle sur le sol et le laisserai la trouver lui-même. C'était la meilleure solution et celle qui amènerait le moins de questions. Quand ce problème fut réglé, nous restâmes tous les deux silencieux. Il y avait tant de questions que je voulais lui poser, mais j'en avais marre des disputes et j'avais eu ma dose de révélations pour le moment. De plus, lui ne voulait apparemment pas en discuter.

— Comment suis-je censée retrouver la grotte ? lui demandai-je. Comme les deux cerbères ne veulent pas que nous nous approchions de la propriété...

— Pour une fois, je suis d'accord avec eux, c'est trop risqué, me répondit-il sans faire de commentaire sur le surnom désobligeant dont je les avais affublés.

— Ça ne me dit pas comment je vais m'y prendre. Je n'ai plus la piste de Martha pour me guider maintenant, terminai-je doucement, un peu gênée de raviver de mauvais souvenirs.

Il se contenta de fixer le vide sans me répondre pendant de longues secondes. Je commençai à craindre d'être allée trop loin. Avec lui, on ne savait jamais. Lorsque son regard se focalisa à nouveau sur moi, je lui souris, gênée. N'importe quoi, je ne savais même pas pourquoi j'étais gênée.


— Ne t'inquiète pas... Tu la trouveras, dit-il subitement avant de se lever.

— Mais comment ? insistai-je, réellement inquiète à l'idée d'être livrée à moi-même sans personne pour me guider.

— Tes sens et tes perceptions se sont affinés depuis trois jours, je le sens. Tu n'auras aucun problème, crois-moi. Fais-toi confiance et fais-moi confiance.

Le ton amer sur lequel il me dit ça me surprit, mais je laissai couler. Je crois que je ne comprendrais jamais ses sautes d'humeurs.

— Maintenant, repose-toi un peu, il ne te reste plus beaucoup de temps.

Et sur ces quelques mots, il sortit.

Jeregardai ma montre. Effectivement, il était déjà plus de cinq heures du matin.Ce qui me laissait trois ou quatre heures de repos maximum. Je m'allongeaitoute habillée sur le lit et tentai de trouver le sommeil. Malheureusement,entre ma grande sieste de l'après-midi et le stress accumulé pendant ladiscussion plus qu'houleuse avec le conseil, j'étais agitée et le sommeil mefuyait. Je ne sais à quel moment je m'endormis, mais mon sommeil fut chaotiqueet peuplé de cauchemars effrayants où il était question de balles, de sang etde monstres.

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