Chapitre 13-2






— Rrrr... Tu es vraiment impossible ! Tu le sais ça ? s'exclama-t-il d'un ton légèrement exaspéré en levant les yeux au ciel.

— Bizarre, je me disais justement la même chose à ton sujet, contrai-je presque aussitôt. Alors, vas-tu répondre à mes questions, ou pas ?

— Ça dépend lesquelles, essaie toujours...

— Tu le sais très bien, à propos de ce que tu m'as dit dans la voiture.

— Ah oui, le vieillissement, soupira-t-il en se passant les mains dans les cheveux d'un air las ou peut-être résigné. À partir de notre première transformation, le vieillissement ralentit considérablement. Nous avons une espérance de vie plutôt longue, d'autant plus que nous ne sommes plus sensibles aux maladies humaines. Certains d'entre nous sont même immunisés contre les poisons et autres toxines, m'expliqua-t-il brièvement. Voilà, pas grand-chose de plus à en dire.

— Pas grand-chose de plus à en dire ! répétai-je dans un souffle. Tu te moques de moi ? J'apprends subitement que j'ai peut-être une espérance de vie augmentée de... combien au fait ? Et ça ne devrait pas me perturber ? Mais à propos, je suis concernée ou pas ?

— Quel âge as-tu ? me demanda-t-il de but en blanc.

— Vingt-trois ans.

— Alors oui, ça te concerne, tu parais plus jeune ! dit-il en s'esclaffant comme si cela aurait dû me sauter aux yeux depuis longtemps.

C'est vrai que j'avais toujours fait plus jeune que mon âge, mais il est vrai que j'aurais déjà dû percevoir quelques changements, même mineurs.

— Donc, quelle est mon espérance de vie exactement ? Que je sache à quoi m'attendre.

— Te concernant, on ne peut être sûr de rien, me précisa-t-il en levant les mains en signe d'apaisement avant que je ne puisse monter sur mes grands chevaux. Eh, ne tire pas sur le messager ! Mais vraisemblablement, la même qu'un métamorphe « normal ».

— C'est-à-dire ?

— Tu me donnes quel âge ?

— Le même âge que moi, à peu près.

— J'en ai quatre-vingt-dix, lâcha-t-il sur le même ton que s'il m'avait annoncé le temps prévu pour demain.

Je restai bouche bée en le fixant d'un air bête. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il était bien conservé. Je gardai cette remarque hautement spirituelle pour moi et fis un rapide calcul mental.

— Ça signifie que vous vieillissez trois fois moins vite que la normale ?

— Oui. En moyenne, nous vivons environ trois cents ans.

Dire que j'étais sous le choc était encore très loin de la vérité. J'avais du mal à réfléchir correctement et même à respirer. Comment appréhender une chose pareille ? Mon cerveau n'en était apparemment pas capable, du moins pas à l'heure actuelle.

— C'est plutôt une bonne nouvelle, non ? me demanda-t-il gentiment.

— Vu comment se sont passées les vingt-trois premières années de mon existence... pas vraiment, ironisai-je d'un ton morne.

Je déglutis difficilement, puis décidai de mettre ça de côté pour le moment. Je ne pouvais rien y faire de toute façon et j'avais apparemment beaucoup de temps devant moi pour m'y habituer. Autant me concentrer sur ma deuxième question.

— Pourquoi étais-tu obligé de m'accompagner ?

En lui posant cette question, je l'avais volontairement regardé droit dans les yeux pour voir sa réaction initiale, et je ne fus pas déçue. Son visage se décomposa pendant une fraction de seconde, avant que la bonne vieille colère à laquelle il m'avait habituée fasse son grand retour. Il crispa les poings et regarda ses pieds.

— Parce que, a priori, nous sommes compatibles. Nos énergies ou nos pouvoirs, si tu préfères, le sont, ajouta-t-il précipitamment devant mon regard ahuri et sûrement pour ne pas que je me fasse de fausses idées. Tes capacités se sont débloquées lorsque nous nous sommes touchés et cela devrait avoir amorcé tes pouvoirs... enfin si tu en as. Mais je pense que oui. Ce qui signifie qu'ils doivent être assez similaires aux miens et que par conséquent, je suis le plus à même de t'aider à te familiariser avec eux.

À la fin de son explication, sa voix n'était plus qu'un murmure rauque.

— Oui, et alors ? demandai-je d'un air perplexe, une fois ma surprise retombée.

Je ne comprenais pas l'intensité de sa réaction. Son explication paraissait logique, mais sa réaction ne l'était pas. Il me cachait quelque chose. Au lieu de m'expliquer ce qui semblait le tracasser réellement, il se contenta de poursuivre ses explications.

— Non, tu ne comprends pas, soupira-t-il en secouant la tête. En plus de notre capacité à nous transformer en animal, nous pouvons acquérir des « pouvoirs » spécifiques, qui n'ont pas forcément de liens avec notre forme alternative. Tout le monde n'en a pas, mais pour ceux chez qui c'est décelé dès la puberté, une cérémonie spéciale est organisée. Elle a pour but de trouver une personne avec des pouvoirs, ou à défaut des énergies, les plus similaires possibles, afin que cette personne devienne son tuteur. Il devient ainsi responsable de lui, au même titre que ses parents ou sa famille, pendant environ cinq ans, le temps qu'il parvienne à l'âge adulte et à la pleine maîtrise de ses aptitudes. Enfin en théorie, finit-il avec une petite grimace.

Quand il se tut, il releva la tête et me regarda d'un air résigné.

— Tu comprends ce que ça veut dire ?

J'essayai d'enregistrer tout ce qu'il venait de m'apprendre, mais j'avais un peu de mal à dire vrai. Lorsque tout à coup, la connexion se fit brusquement, sans que j'en comprenne tous les tenants et aboutissants.

— Ça veut dire que...

— En ce qui te concerne, bien sûr c'est un peu différent, continua-t-il sans même se rendre compte qu'il m'avait interrompue. Tu n'as pas de famille, tu ne fais partie d'aucun clan, et merde ! Personne n'aurait imaginé que tu puisses développer un pouvoir quelconque. Tu ne te transformes même pas ! s'exclama-t-il en secouant la tête d'un air incrédule. Quand je t'ai touchée l'autre jour, j'ai établi une connexion entre nous et, sans le vouloir, j'ai activé tes pouvoirs. Ce qui signifie, pour les miens en tout cas, que je suis le plus à même de t'aider à les appréhender et à les contrôler. Tu es un peu âgée pour que l'on puisse encore parler de tuteur, mais tu peux me voir comme une sorte de guide ou de mentor, termina-t-il sur un ton lugubre agrémenté d'un sourire sarcastique.

— Je suis ton boulet personnel pour les cinq prochaines années... terminai-je d'un ton consterné comme s'il ne m'avait pas interrompue en plein milieu de ma phrase. Consternée je l'étais, autant pour lui que pour moi, à vrai dire. À tel point que je n'avais pas écouté un traître mot de ses explications alambiquées. Je comprenais mieux son comportement ambivalent et agressif à mon égard. Soyons honnêtes, j'aurais certainement eu la même réaction à sa place, en me retrouvant subitement nounou d'une anomalie telle que moi et qui plus est totalement ignorante de leurs us et coutumes.

— Eh bien, je comprends que ça ne te fasse pas plaisir, murmurai-je d'une voix sourde tandis que j'essayais de contenir


les larmes qui menaçaient de me trahir à tout moment, car même si je comprenais sa réaction, elle me blessait malgré tout.

Tout un tas d'émotions se succédèrent brièvement sur son visage avant qu'il ne le détourne. Néanmoins, j'eus le temps d'y voir de la colère, de la culpabilité et de la honte.

Que me cachait-il à la fin ? Son explication sonnait juste et éclairait bien des choses, mais je sentais qu'il devait y avoir autre chose derrière son comportement. J'étais tentée de profiter de mon avantage tant qu'il semblait encore vulnérable, quand j'entendis des bruits de pas venant du couloir.

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