Chapitre 40 (partie I)

Suite à l'explosion, les jours défilent et je perds la notion du temps. Il nous faut pratiquement une semaine pour réussir à retrouver les derniers corps, faire état de ceux qui sont manquants, commencer à soigner les blessés et rendre hommage aux disparus. 

Les noms viennent noircir les quelques écrans encore intacts que nous avions réussi à retrouver dans les décombres. Les pleurs ont envahi le bâtiment, à tel point que ceux qui ne pleurent pas sont regardés comme des bêtes de foires. 

Je croise à peine Ethel qui s'est enfermée dans une des chambres inoccupées pour réfléchir à la réorganisation du QG. Il en va de même pour Benny, qui a décidé de s'occuper de l'aile médicale, aidé par Aksel qui connaît les différentes plantes utilisées et ce qu'elles soignent. 

Heureusement pour eux, on a retrouvé les quelques affaires de Madigan dans lesquelles se trouvaient des antibiotiques en plus de certaines plantes tel que de l'écorce de saule ou des graines de pavot. Je n'ai parlé à aucun des trois depuis pratiquement deux semaines. De mon côté, je m'occupe du département « psychologique » avec Calliste. 

Un poste qui m'a été assigné par le jeune homme, selon qui mon « expérience personnelle » me rend à même d'aider ceux qui ont une nouvelle fois perdu des proches, ceux pour qui c'est la première fois, ceux qui ont perdu des membres et ceux qui entendent encore les hurlements de ceux qui ont brûlés suite à l'explosion.

Pour la première fois depuis que j'ai appris son existence, j'ai volontairement laissé le contrôle à mon intelligence artificielle à plusieurs reprises afin de ne pas vomir ou fondre en larmes avec mon interlocuteur. 

De toute façon, elle fait un bien meilleur travail que moi, trouvant toujours les mots juste et adéquat quand j'ai juste envie de pleurer de mon côté ou de songer à Ethel seule dans son bureau, Benny qui se concentre sur le travail pour ne pas penser aux morts, comme moi ou Aksel qui semble faire de son mieux pour m'éviter. 

C'est ce matin que Calliste m'apprend qu'Ethel va quitter ce soir son bureau de fortune pour présider la Soirée Noire, comme la surnomme certains Survivants. Une soirée au cours de laquelle les corps de tous ceux qui sont décédés seront enterrés dans une fosse commune, à défaut de pouvoir les brûler. 

Cette fois-ci, Ethel a été sans appel : plus aucun signal lumineux ne doit émaner depuis l'extérieur du bâtiment. D'après Calliste, elle aurait également prévu de faire quelque chose pour que l'on conserve une trace de tous ceux qui sont morts durant l'explosion. 

Une sorte de mur commémoratif, dans l'enceinte même du QG, afin que plus personne n'ai besoin d'aller à l'extérieur sauf au cas d'extrême nécessité.

— Comment tu te sens ?

Calliste me tend sa pomme tout en m'observant. Ou du moins, en regardant attentivement les cernes sous mes yeux.

— J'aurai envie de te dire « comme un lundi », mais je n'ai absolument aucune idée du jour qu'il est, réponds-je laconiquement, repoussant gentiment le fruit.

Le jeune homme échappe un petit gloussement tout en se levant, portant son plateau vers les quelques meubles sauvés des décombres. 

Je l'imite, avant de prendre le chemin de l'étage supérieur. Pour l'instant, la cellule psychologique a été mise en place au -1 dans les deux chambres les plus proches de l'escalier et donc les plus loin de l'extérieur, en attendant qu'Ethel ne donne les nouvelles affectations.

— Comment va Ethel ?, demandé-je tout en montant les marches.

Calliste grimace.

— Elle s'est renfermée depuis que...

Il laisse sa phrase en suspens et mon cœur se serre. L'image du regard brisé d'Ethel lorsqu'en branchant Risu à un ordinateur encore fonctionnel pour en extraire les données du jour de l'explosion, nous avons tous vu apparaître nettement un signal envoyé depuis l'émetteur d'Ethel vers un tour androïde non-identifiée. 

Un émetteur court-porté amplifié afin de transmettre un message, précédant l'explosion de dix minutes. Le seul regard d'Ethel m'avais permis de comprendre ce que Calliste a confirmé quelques heures plus tard : Evans était un traitre. Une révélation qui n'a pas manqué de s'ébruiter et de faire des ravages, certains demandant même l'expulsion de la jeune femme qu'ils considèrent comme complice.

— Elle va devoir en parler ce soir, je souffle, intégrant l'information par la même occasion.

Calliste hoche la tête.

— Elle le sait. Et même si elle ne l'avouera pas, elle aura besoin de notre soutien, répond le jeune homme à voix basse avant de saluer d'un geste de la tête deux Survivants qui descendent vers la cuisine.

Après cela, la journée passe en un éclair. Encore une fois, je suis obligée de laisser mon intelligence artificielle prendre le relai. Mon cerveau est trop encombré entre imaginer les différentes réactions des gens au discours d'Ethel, comment la défendre au mieux face à ceux qui ne voient en elle que la sœur d'un traitre, mais aussi la joie de revoir Benny, Ethel et Aksel pour la première fois depuis longtemps. 

Et avec cette joie arrive également l'angoisse, la peur de la confrontation avec le jeune homme que je n'ai pas revu depuis nos retrouvailles au Labo. Lorsque la dernière personne quitte notre « bureau » à dix-sept heures, je retrouve le contrôle de mon corps et de mon cerveau, lâchant un énorme soupir. Mon rythme cardiaque commence à accélérer tandis que j'entends Calliste faire de même, bien que ce soit sans doute pour une raison différente.

— Prête ?

Je hausse les épaules.

— Pas vraiment.

Je me lève, étirant mes jambes avant de me mettre en route vers la surface, probablement pour la dernière fois avant un long moment. Dans le hall, je suis frappée par le vide qui s'y trouve. Là où, lors de notre attaque contre les hôpitaux, cet endroit était plein, il y a aujourd'hui pratiquement la moitié peuplée par des fantômes. 

Tous regardent devant eux. Certains froncent les sourcils, murmurant dans leurs barbes. D'autres préfèrent carrément se parler entre-eux, ignorant totalement les autres. Quelques-uns se contentent de regarder droit devant eux. Ils regardent Ethel, qui leur tourne le dos. J'entends quelques insultes fuser dans la pièce, juste assez pour que Calliste les fusille du regard, sans pour autant les recadrer ou les reprendre. 

Je me mords la lèvre sans lâcher Ethel des yeux. Je finis par échanger un regard avec Calliste avant d'avancer vers la jeune femme, l'entendant renifler juste avant de se tourner vers nous. Le jeune homme vient aussitôt glisser sa main dans celle d'Ethel, qui m'offre un sourire triste avant de s'essuyer les yeux. 

Je me tourne vers la foule, espérant y voir Aksel et Benny, mais ils semblent encore manquer à l'appel. Alors je me concentre de nouveau sur Ethel, qui se masse les tempes. Elle observe la foule d'un œil inquiet. Je pose ma main sur son bras.

— Tu es sûre de vouloir faire ça ?, demandé-je.

La jeune femme baisse les bras avant de hocher la tête.

— Que ce soit aujourd'hui ou dans trois semaines, leurs questions seront les mêmes. Autant y répondre maintenant pour leur laisser le temps d'accepter la réponse, déclare-t-elle d'une voix plus ferme que je m'y attendais.

Je confirme d'un bref signe de tête, avant d'entendre la voix grave de Benny reprendre un des survivants assez hardi pour s'avancer vers la jeune métisse en crachant des injures. Derrière lui se trouve Aksel, qui se contente de nous rejoindre sans un mot, allant directement prendre Ethel dans ses bras, lui murmurant quelque chose à l'oreille qui la fait sourire. 

Finalement, la jeune femme souffle un bon coup et s'avance vers la foule, qui s'est tue. Je me rends alors compte d'exactement combien de personnes s'y trouvent : une vingtaine. Pas plus. Sur la cinquantaine de départ...

Je déglutis difficilement avant de sentir une pression sur ma main. Je tourne la tête pour y trouver Aksel, qui semble tout aussi préoccupé que moi, voire même plus stressé que moi. Benny se place à ma droite, échangeant un regard avec nous, l'air grave. Calliste, lui, va directement au-devant des Survivants aux côtés de sa compagne.

— Je sais que beaucoup d'entre-vous me tiennent responsable de l'explosion. Et ils ont raison. J'ai laissé Evans nous rejoindre. J'ai accepté ce risque par pur égoïsme, en oubliant mon rôle. Je nous ai laissé faire la fête, sans penser une seule seconde aux répercussions. Tous les noms qui ont été inscrits sur le mur d'entrée du bunker sont le résultat de mes erreurs. Je ne vous demande pas de me pardonner, je ne vous ferais pas non plus d'excuse. A partir d'aujourd'hui, je ne serais plus la seule à prendre des décisions pour le groupe. Désormais, Calliste et Benny seront à mes côtés, d'égal à égal, pour assurer votre survie, commence la jeune femme.

Elle fait une pause, lançant un regard à Benny, qui acquiesce d'un mouvement du menton. Je souris au jeune homme, ravie de le voir monter en grade, après tout ce qu'il a pu faire pour moi ou les Survivants.

— Il y a deux semaines, nous perdions trente-cinq des nôtres. Parmi eux, se trouvaient vos amis, votre famille. Et je les ai trahis. J'ai trahi ma promesse, celle de leur offrir une vie meilleure. Ce mur de nom est mon seul moyen de leur rendre hommage, pour le moment. Alors j'aimerai que nous honorions nos disparus une nouvelle fois. En disant leurs noms, ici, dans ce hall, nous honorons leurs combats, continue-t-elle, sa voix craquant sur les derniers mots.

Elle fait une nouvelle pause et je vois plusieurs personnes commencer à renifler, ou au bord des larmes. Ethel inspire bruyamment et je remarque sa mâchoire contractée. Lentement, d'une voix cassée, mais ferme, elle commence à réciter les prénoms. 

Le fait de la voir nommer toutes ces personnes, sans fiches, sans papier, je prends conscience qu'elle connaissait chacun d'entre-eux. Qu'avant que je n'arrive, ils avaient eu une vie, elle les avait côtoyés, ils s'étaient tous côtoyés. Certains noms me sont inconnus, mais j'entends Aksel retenir un sanglot, ou je vois Calliste baisser la tête et mon cœur se serre. 

Puis il se brise lorsque les noms de Madigan Miriais, Eloeiz Lyroe, Adrien Miriais et Hillis Damnur sont prononcés. Lorsque je réalise pourquoi est-ce que la baie médicale paraissait si vide ces dernières semaines. Les larmes coulent lentement, sans bruit. Une nouvelle fois, les sanglots ayant bercé nos journées ces dernières semaines se font entendre, plus fort. 

Je ne me rends même pas compte qu'Ethel s'effondre en plein discours, soutenue par Calliste, qui termine à sa place. Le temps semble s'être figé tandis que le dernier nom retentit dans le silence. Je renifle et pose ma tête sur l'épaule d'Aksel, qui enserre ma taille avec le bras. Je remarque alors Ethel, le visage caché dans le pull de Calliste, qui prend la parole à sa place :

— Nous ne sommes plus que dix-neuf. Je ne vais pas vous mentir, nos chances de survie sont minces. A vrai dire, jusqu'à ce matin, nous pensions même que nous étions terminé. Qu'il n'y avait plus aucune chance. Que pouvons-nous faire, à dix-neuf ? Notre seule chance était ce fameux virus, qui aurait pu nous permettre de « suggérer » aux infirmières d'inverser le processus de robotisation des internés, pour permettre une révolution venant de l'intérieur des hôpitaux... Et heureusement pour nous, Sasha a réussi à retrouver une grande partie du code ! Il lui faudra probablement deux semaines de plus pour le terminer, mais le virus est toujours une option.

Quelques murmures surpris s'élèvent, tandis que d'autres se contentent d'applaudir le jeune homme. Ce dernier lève les bras, me faisant réaliser qu'il n'en a en réalité plus qu'un seul. Aux côtés de Calliste, Ethel s'écarte et sèche ses larmes, scannant la foule pour jauger les réactions.

— Les androïdes nous ont arrachés trente-cinq personnes. De notre famille, celle des Survivants. Vous êtes en colère ? Vous en avez assez ? Vous êtes fatigués ? Nous aussi. C'est pourquoi je pense qu'il est temps de passer à l'action. Bien sûr, le plan original est à revoir, nous ne sommes plus assez pour nous permettre d'envoyer un petit groupe dans les hôpitaux pour s'assurer du fonctionnement du virus. Laissez-nous deux semaines et nous aurons un plan. Est-ce qu'il va fonctionner ? Je n'en sais rien. Est-ce que nous allons gagner ? Rien n'est moins sûr. Mais je sais que nous ne pouvons plus nous terrer et attendre que ça passe. Attendre un meilleur moment. Nous avons attendu assez longtemps. Il n'y aura pas de meilleur moment que celui-ci. Ce soir, nous pleurons nos disparus. Demain, nous les vengeons, termine-t-il d'une voix forte et grave.

Je frissonne devant l'intensité de sa voix et de son discours. Les réactions sont partagées : certains crient leur approbation, d'autres se lancent des regards apeurés ou perdus. Personne ne sait vraiment comment réagir. Calliste et Ethel reviennent vers nous, la mine grave.

— Vous pensez que ça peut fonctionner ?, demande Benny, songeur.

Je hausse un sourcil, surprise. Avant l'explosion, il aurait été le premier à sauter sur l'occasion de retourner sur le terrain et maintenant qu'on lui en donne l'opportunité, il hésite ? Visiblement, Ethel a suivi mon chemin de pensée, rétorquant :

— Je suis surprise, je pensais que tu serais le premier à approuver.

Benny soupire et passe une main dans ses cheveux, qui ont énormément poussé en deux semaines. Il les a désormais en une petite queue de cheval, sans parler de sa barbe un peu négligée.

— En tant qu'individu, j'approuve le plan et tu le sais. En tant que groupe... La plupart des Survivants restant sont des gamins, entre dix-sept et vingt ans. Est-ce qu'on peut vraiment leur demander ça ?

Je grimace en l'entendant me traiter, certes indirectement, de « gamine », tandis qu'Ethel réplique assez sèchement :

— On ne leur demande rien. C'est une guerre Benny. Soit on se bat pour une chance de réussir, soit on attend la mort au QG. Nous sommes pratiquement à court de nourriture, les sérums d'Aksel ne pourront bientôt plus suffire pour nous alimenter ! J'ai déjà perdu trente-cinq « gamins », comme tu dis, de la main des androïdes. Je refuse de laisser les autres mourir ici. Dans deux semaines, on part vers le centre de commande. Si certains veulent rester, ils sont libres de le faire et en accepteront les conséquences.

Bonsoir tout le monde !
What's up ?
Comment allez-vous ?

Vous l'avez peut-être vu passer sur Instagram... "Felidae", c'est terminé. Deux ans de boulot (une réécriture et restructuration commencée en septembre 2018), pratiquement 120 parties plus tard sur Wattpad, nous voici arriver à la fin du récit. Bien sûr, il reste une grosse correction, un peu de réécriture et de la mise en forme, et "Felidae" pourra débarquer dans vos salons d'ici quelques mois/années... Je ne sais pas quoi en penser. 

Sinon, ce chapitre ! 
Qu'en pensez-vous ?
La tension ?
La fin approche ?
Que va faire R.O.B ?
Que vont faire nos bébés survivants ?
Selon vous, fin heureuse ou malheureuse ?
Combien vont survivre ?
Qui va mourir ?

Dites-moi toutes vos idées et théories ! 
J'ai hâte de lire tout ça, comme tout les mardis ^^ ! Je dois avouer, je stresse un petit peu. Jusqu'ici, j'étais sereine... Mais je ne sais pas, j'ai l'impression que la fin pourrait ne pas vous plaire... Mais il y a des bons passages... Et des trucs qui peuvent ennuyer... Je ne sais pas. Vous me direz/dites ! Vous êtes mes bêta-testeurs pour le moment hahaha x)  
Gros bisous à tous !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top