Chapitre 39 (partie I)
Je ne sais pas ce qui m'a réveillée. Le silence. La douleur à l'arrière de mon crâne. La présence d'Ethel, assise à côté de moi sur le sol, qui fixe droit devant elle sans pour autant fixer un point précis. Peut-être les trois ? Il fait sombre autour de nous.
Seules deux lumières sont allumées et encore intactes, me permettant tout de même de distinguer les murs, Ethel, les lits et la porte close. Je porte une main à ma tête, grimaçant lorsque le souvenir des hurlements de mon I.A me revient.
Celle-ci semble s'être tue complètement, je peux à peine l'entendre ronronner malgré le silence. Je laisse échapper un gémissement de douleur lorsque mes doigts passent sur l'arrière de mon crâne, là où je suis venue taper le mur.
Ethel sort alors de sa transe, tournant la tête dans ma direction et m'observant avec une légère inquiétude. Je remarque ses yeux rouges et encore humides, ainsi que des traces de sang sur ses poings. Je fronce les sourcils et lève les yeux vers la porte, face à nous.
Est-ce qu'elle a essayé de frapper la porte pour sortir ? Je reporte mon attention sur la jeune femme, qui s'est levée pour s'approcher de moi et me penche doucement la tête vers l'avant pour regarder l'arrière de mon crâne.
— Je crois que tu vas avoir une bosse, déclare-t-elle, brisant le silence.
Lâchant ma tête, elle se laisse tomber face à moi tandis que je me redresse péniblement pour me mettre en tailleur, étirant mes muscles endoloris. Combien de temps ais-je passé allongée sur le sol ? Et pourquoi est-ce que mes jambes me font aussi mal alors que c'est ma tête qui a pris le coup ?
— On est coincées ici pour le moment. Les portes ne s'ouvrent plus, je pense que le générateur est mort, annonce Ethel, le regard vissé sur ledit objet.
Je soupire, comprenant mieux pourquoi elle est allée s'acharner dessus.
— Défaillant, si j'en crois les deux lampes encore allumées qui nous permettent de voir. Ce qui veut dire qu'il reste une possibilité de le réparer et de rouvrir cette porte. Qu'est-ce qui s'est passé ? Demandé-je.
J'observe les poings de la jeune femme se serrer tandis qu'Ethel détourne le regard. La tension dans la pièce augmente d'un cran et je sens la colère de la jeune femme commencer à bouillir. Ma main revient se poser sur ma tempe tandis que j'essaie de comprendre ce qui aurait pu pousser mon I.A à disjoncter.
Je me souviens être descendue, quasiment portée par Ethel lorsque la douleur est devenue insupportable. Une douleur qui a commencé au moment où je passais le pas de la porte... Est-ce qu'il y aurait eu une interférence entre mon I.A et celle du bunker ? Non, ce n'est pas logique, ça serait arrivé bien avant. Est-ce qu'une nouvelle I.A aurait fait surface ? Non plus, je doute qu'Ethel en approuve une de plus après moi.
— Explosion, lâche finalement cette dernière du bout des lèvres.
Je cligne des yeux.
— Quoi ? Soufflé-je, incrédule.
Ethel se passe une main dans les cheveux, sa main gauche commençant à trembler sans que je ne puisse deviner s'il s'agit de rage ou de tristesse. Je peux entendre mon flot sanguin augmenter petit à petit tandis que le silence s'étend.
Mes yeux scannent la pièce, prenant en compte les lumières éteintes qui semblent effectivement avoir été comme soufflées par quelque chose de puissant, les lits défaits, le bazar environnant, les tiroirs métalliques des armoires jonchant le sol – dont un près de moi qui me permet de comprendre l'étrange douleur dans mes jambes.
Puis je reporte mon attention sur la jeune femme enfermée avec moi, ses yeux rougies et encore humides. Ma bouche s'ouvre et je commence à avoir du mal à respirer tandis que je prends conscience que si nous sommes à un étage sous-terre – ce qui semble nous avoir sauvé la vie, Calliste, Aksel et Benny étaient encore à l'extérieur, là où de toute évidence, l'explosion semble s'être produite...
— Les garçons ?, je finis par articuler.
Ethel secoue la tête.
— Je n'en sais rien, les communications sont coupées, déclare-t-elle en pointant son communicateur du doigt.
Je hoche la tête, m'approchant de la jeune femme pour la serrer dans mes bras, ce qu'elle accepte sans hésitation. Je peux sentir ses larmes imbiber mon haut, alors je me contente de serrer un peu plus fort. Mon cerveau refuse de traiter l'information, imagine déjà des scénarios dans lesquels ils ont eu le temps de descendre, ou peut-être était-il déjà en bas.
Mais ils ne peuvent pas être... Non. Ils ne peuvent pas. Je ferme les yeux, posant mon front sur l'épaule d'Ethel tandis que celle-ci se laisse aller contre moi, évacuant probablement tout le stress, la peur et l'angoisse de ces dernières semaines.
Lorsqu'un petit « clic » retentit dans ma tête, je me fige. Petit à petit, je peux entendre le ronronnement familier de mon I.A reprendre.
« Le générateur ne répond plus, je vais devoir ouvrir les portes manuellement. Cela risque de causer une désagréable sensation. Dois-je procéder ? », déclare ma petite voix et dans d'autres circonstances, j'aurai probablement éclaté de rire.
Je me contente simplement de donner mon accord et grimace aussitôt, sentant la pointe de douleur à l'arrière de mon crâne se répartir à l'ensemble de l'occipital. Cela dure seulement une à deux minutes avant que tout s'arrête.
— Feli' ?
Je cligne des yeux, remarquant qu'Ethel me dévisage, ses mains tenant fermement mes épaules.
— Je crois que la porte est ouverte, je réponds.
La jeune femme fronce les sourcils.
— De quoi tu parles ? On est là depuis six heures, je t'assure qu'elle est fermée, proteste-t-elle.
Je pointe du doigt ma tête en fermant les yeux, esquissant un demi-sourire. Ethel ouvre de grands yeux et se rue aussitôt vers l'issue, laissant échapper un cri de victoire lorsque la poignée s'abaisse et que l'air frais envahit la pièce.
La laissant à son euphorie, je prends appui sur mes bras pour me relever. Je grimace en essayant de remettre un peu de poids sur mes jambes. C'est désagréable, certes, mais au moins elles ne sont pas cassées. Endolories et contusionnées, oui.
Je sens un bras passer autour de mon torse pour me redresser et lève la tête pour découvrir Ethel, qui s'éloigne en me voyant debout. Sans un mot, nous quittons la chambre pour s'engouffrer dans le couloir.
Ethel marche clairement plus vite que moi, s'arrêtant régulièrement pour ne pas me perdre. On avance à tâtons dans la semi-obscurité provoquée par l'explosion d'une grande majorité des lampes, jusqu'à l'escalier.
Aucune de nous n'entends quoi que ce soit, comme s'il ne restait que nous dans le bunker. Ethel avance et commence à descendre, avant de se raviser et revenir vers moi. Baissant les yeux vers mes jambes, elle me demande :
— Tu vas être capable de marcher ?
Je hoche la tête, tendant un bras vers les marches.
— Tu devrais aller voir le générateur pour remettre le courant, je doute qu'on soit les seules à être coincées dans une pièce depuis six heures. Il y a forcément d'autres personnes dans ce bunker ! Je vais remonter pour voir ce qui s'est passé, je déclare.
Le visage grave et fermé d'Ethel contraste avec ses yeux rouges, mais elle n'en reste pas moins troublée. Je sens qu'elle redoute autant que moi de remonter à la surface et découvrir le carnage.
— Tu es sûre de vouloir voir ça ?, souffle-t-elle.
Je hoche une nouvelle fois la tête, posant une main juste en dessous de son épaule. Ethel reste indécise, mais finit par accepter la proposition et se diriger vers les étages inférieurs après un dernier câlin, tandis que je lève les yeux, aveuglée momentanément par la lumière du soleil. J'essaie de lever une main pour la mettre devant mes yeux, mais ça m'est impossible.
C'est comme si tous mes muscles avaient fondu en l'espace de six heures. Comme si je méritais cette nouvelle douleur, qui me rappelle que moi, je suis en vie. Mon cœur se contracte et je manque de choir sur le sol, ravalant un sanglot par la même occasion. Je pose un pied sur la première marche et me pousse à aller de l'avant quand tout mon corps me hurle de reste où je suis.
Chaque marche est un vrai calvaire, réveillant des douleurs que je pensais enfouies à jamais. Le chemin me paraît interminable, comme si de nouvelles marches se rajoutaient à chaque fois que j'en passais une. Une sorte de cycle sans fin. Je finis par tomber à genoux en arrivant à l'étage supérieur, les yeux brouillés par les larmes.
Je sens le vent venir caresser mes cheveux, le soleil réchauffer ma peau, mais je n'entends rien. Pas le moindre cri, le moindre rire, le moindre pleur. Seulement moi et mes sanglots silencieux. Je dois encore traverser le hall, affronter la scène.
Mais je n'arrive pas à me relever. Je ne veux pas y aller. Je ne veux pas voir les corps, ou pire, leur absence. Alors je fonds en larmes. Je me roule en boule sur le sol sale et froid, secouée par la tristesse, les cheveux dans les yeux, chacun de mes muscles criant de douleur. Je me laisse submerger et j'en oublie le reste pour un instant.
Au bout d'un moment, je renifle et essuie mes yeux à l'aide de mes manches, m'agrippant à un meuble renversé pour me remettre droite. Le hall vide ne semble attendre que moi. Alors lentement, j'entame ma progression vers l'extérieur, le cœur battant.
Je ferme les yeux lorsque je pose le pied dans le hall, inhalant fortement, laissant une nouvelle larme glisser sur ma joue. Je ne peux pas regarder. Je fais un nouveau pas sans ouvrir les yeux. Un de plus. Encore un autre. Un énième. J'arrête de les compter, j'avance. Je ne m'arrête pas. Je n'ouvre pas les yeux. Un nouveau pas. Et c'est la chute.
Je ne sais pas sur quoi j'ai trébuché. A cet instant précis, la pensée ne me vient même pas. Mes yeux, ouverts pendant la chute, ne voient qu'un mélange de gris, de blanc et de noir. Mes mains sont posées sur ce mélange qui semble avoir amortis ma chute, comme pour mes genoux. Le hurlement est coincé au fond de ma gorge et je reste tétanisée, jusqu'à ce que mon cerveau semble réaliser.
Alors je me redresse, m'époussetant d'un mouvement frénétique, les larmes revenant de plus belle, les sanglots secouant une nouvelle fois mon corps. Des cendres. Ce sont des cendres. Je recule jusqu'à me retrouver dans le hall, les cendres restant malgré moi collées sur mon pantalon et mes manches, découvrant pour la première fois le sinistre spectacle.
Il n'y a plus que des cendres à perte de vue, ainsi que des troncs d'arbres calcinés et des bouts de verre brisé. La terre est mise à nue, les dernières touffes d'herbe ayant résistées à l'hiver soufflées par l'explosion. Je peux voir l'endroit de l'impact, le trou béant dans le sol, dans lequel il n'y a pas de cendre ou de bout de verre.
Tremblante, je fais un pas en avant, marchant vers le cratère, espérant y trouver un bout de l'engin, pour comprendre. Je déambule dans les décombres, le regard vide, le corps secoué de spasmes réguliers, jusqu'à ce que mes yeux tombent sur une tâche colorée au milieu des cendres. C'est une fleur.
La première que je vois depuis mon réveil. Elle est jolie, avec ses pétales rouges et ses fines épines qui semblent pointer vers le ciel. C'est une vue étrange, cette fleur solitaire au milieu des cendres qui recouvrent le sol. Pour je-ne-sais-quelle-raison, je souris. Elle a survécu, sans que personne ne sache vraiment pourquoi.
Elle est seule au milieu du carnage. Comme moi. Je n'ose la toucher, de peur de la voir se flétrir sous mes doigts. Je passe un doigt le long de sa tige, jusqu'à ce que je sente l'une de ses épines me piquer. Alors je recule et reprend ma route, jusqu'à arriver à l'épicentre de l'explosion.
Je ne sais pas exactement ce à quoi je m'attendais, en y arrivant. Ce n'est pas comme si j'allais retrouver l'engin intact, ou un petit mot courtois avec l'explication du pourquoi du comment. Mais ne rien retrouver hormis un morceau fondu d'une sorte de plastique nauséabond me fait l'effet d'une gifle.
A cet instant, je prends surtout conscience que c'est fini. Je ne sais pas combien de personnes va retrouver Ethel, mais les Survivants n'en sont plus. Nous n'avons plus aucune chance de nous en sortir face à une armée d'androïdes qui, clairement, s'amusent à nous prendre pour cible quand bon leur semble.
Ils auraient pu envoyer cet engin bien plus tôt, pourquoi maintenant ? Est-ce que quelqu'un les aurait prévenus, pour les virus ? Est-ce qu'ils ont vu qu'on célébrait alors ils nous ont envoyés des feux d'artifices ? Rageusement, je frappe le sol de toutes mes forces, ignorant le cri de mes genoux heurtant le sol de plein fouet.
Je laisse ma rage me submerger et je crie. Il n'y a plus personne pour m'entendre, de toute façon. Les larmes ne viennent pas, il n'y a que de la colère. Une pure férocité que je ne me connaissais pas. Un trop-plein. Une sensation amère dans la bouche quand je pense à tous les corps que je laisse derrière moi.
Ma mère, mon père, mon frère, Benny, Aksel, Calliste et qui sait combien d'autres... Et quand la colère se retire, c'est le vide. Le néant. L'envie d'abandonner, d'arrêter. Le « à quoi bon ». Je suis en pilotage automatique, mes pieds me dirigeant vers le hall sans que ma tête ne percute. A moins que ça ne soit dû au fait que mon cœur soit resté au milieu des cendres, petite tâche rougeâtre au milieu du désastre.
Je m'arrête cependant à mi-chemin en entendant des bruits de pas et sort de ma torpeur en découvrant Ethel dans le hall avec Calliste sur les talons. Je souris aux jeunes gens, qui sont trop occupés à regarder avec horreur ce qui était, quelques heures plus tôt, une clairière, pour le remarquer.
— Feli' !
L'exclamation de Calliste me fait réaliser que je me tiens toujours au milieu du champ de cendres. Alors je rejoins le couple pratiquement en courant, ne m'arrêtant qu'en sentant les bras de Calliste se refermer dans mon dos.
Ethel pose également une main sur mon omoplate et je tourne la tête vers elle, lui rendant son sourire soulagé. Au moins, Calliste s'en est sorti. Le jeune homme se recule et je lui offre un sourire à son tour, remarquant la coupure sur sa joue et les quelques contusions sur ses bras.
— Content de te voir en un morceau, lâche le jeune homme avec un rire nerveux.
J'émets un son étranglé entre rire et larme avant de simplement hocher la tête, ce qui suffit au jeune homme. Trois sur cinq. J'échange un regard avec Ethel, avant de finalement réussir à articuler une question :
— Combien ?
— J'en ai compté une dizaine en remontant, mais nous sommes partis avant que tout le monde ne soit sorti. Je pense qu'on aura un chiffre exact dans la soirée, le temps que tout le monde soit retrouvé, annonce Ethel d'une voix grave.
Calliste acquiesce d'un simple mouvement de tête. Je grimace. Le chiffre est bas, bien plus que ce que je ne pensais. Combien de personnes étaient présentes à l'extérieur lors de l'explosion ?
— On a eu de la chance. Coincés sous terre, le souffle nous a moins touchés... Mais beaucoup ont été blessé par l'effondrement de certains murs ou de fournitures. On risque d'avoir pas mal de jeunes à soigner prochainement, déclare le jeune homme.
Je fronce les sourcils suite au discours du jeune homme. Je croyais avoir entendu Ethel me dire qu'il était dehors lorsque nous sommes rentrées ?
— Tu étais sous terre ? Je pensais que vous étiez tous dehors, je questionne.
Le jeune homme se passe une main dans les cheveux, le regard fuyant. Je lève un sourcil tandis que Calliste hoche la tête.
— Benny et moi avons quitté la soirée peu après vous, il n'avait pas envie de rester. Il semblait...distant. Il parlait tout seul, je pensais qu'il était ivre alors je voulais être sûr qu'il aille bien avant de remonter. Je suis descendu avec lui jusqu'à la cuisine et je lui ai donné un peu de pain. Je suppose que ça m'a sauvé la vie, raconte-t-il, sa voix diminuant au fil des mots.
Je rebondis sur ses révélations.
— Benny est en vie ?
Salut salut !
Comment ça va ?
Comment vous vous sentez ?
Pas trop stressés ? [allez j'arrête].
Bon, alors.
UNE BOMBE ?! MAIS WHAT ?!
Pourquoi, qui, comment ?
BENNY EST VIVANT ?
Z'êtes sûr ?
CALLISTE EST VIVANT YEEEAAAAAH !
Aksel est mort ? Oui ? Non ?
Qu'en pensez-vous ?
Selon vous, belle fin ou fin triste ?
Les robots vont-ils gagner ?
Petite alerte, la prochaine partie contient des descriptions un peu trahs. J'essaye généralement d'éviter tout ce qui est trop graphique, mais bon là je n'avais pas trop le choix. Donc voilà, je préviens. Mais sinon, vous avez aimé le chapitre ? xD
A mardi prochain les coco(tte)s !
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