Chapitre 37 (partie II)

Mes yeux se posent aussitôt sur Ethel, qui se contente de regarder le sol, deux bons mètres derrière son frère. D'ici, je ne saurais me dire ce qu'elle pense de toutes ces révélations. Est-ce qu'Evans lui avait déjà fait ce discours ?

En tout cas, je comprends pourquoi elle n'a pas voulu que d'autres personnes que nous n'entendent ça. Si les autres savaient, c'est la fin du QG. Parce que tout ce que je comprends, c'est que nous avons un compte à rebours au-dessus de la tête et qu'il n'y a aucun moyen de s'en sortir. Pas un seul.

— Ouais, une seule : si tu sais tout ça, pourquoi tu ne t'es pas rendu ? Tu sais, histoire d'accélérer le processus, selon toi inévitable, qu'est la mort ? demande Aksel, clairement énervé.

Avant qu'Evans ne puisse répondre, le jeune homme continue :

— Je pense que c'est parce qu'au fond de toi, tu sais qu'on a une chance. Tu sais qu'on a un moyen de s'en sortir et ton instinct de survie te souffle de rester là parce que sans nous, t'es un homme mort. Je ne dis pas que tu veux absolument nous déprimer, loin de là, mais admet au moins que la seule raison pour laquelle tu t'es donné la peine de rester après avoir fait le tour complet du bâtiment, c'est parce que tu sais que le double-virus a ses chances.

Je me tourne aussitôt vers lui, sourcils froncés. Pourquoi est-ce qu'il parle de ça maintenant ? Même Ethel a relevé la tête et je comprends bien vite qu'elle a mis son frère au courant. Je soupire, fermant et ouvrant mon poing droit, me retenant d'aller secouer la jeune femme tel un arbre fruitier pour lui rappeler qu'avant de livrer tous nos secrets, il faut vérifier si la personne est digne de confiance.

— Je l'admets. Je pense que vous avez une chance de survie. Mais je doute que ce soit avec ce virus que vous gagniez la partie. Je suis resté parce que je sais qu'il n'y a qu'un seul moyen que le virus marche, que vous ayez le temps de le mettre en ligne depuis les serveurs du bâtiment. Cette chance, c'est elle, avoue Evans en poignant un doigt dans ma direction.

Je cligne des yeux, sous le choc. Pardon ?

— Vous voulez avoir le temps de lancer le virus ? Il faut que quelqu'un ailler distraire R.O.B. Quelqu'un de suffisamment intelligent pour que la conversation dure plus de dix secondes, quelqu'un qui comprend les mécaniques de pensées des androïdes assez bien pour que R.O.B pense qu'elle est simplement venue essayer de le faire changer d'avis, quelqu'un de partiellement androïde, ce qui évitera qu'elle ne se fasse tirer dessus dès la porte franchie. A moins que vous ayez quelqu'un d'autre qui corresponde aux critères, Felidae est notre seule option. Il n'y a que cette seule chance que ça ne rate pas et c'est une chance minime, mais pour laquelle je peux sans problème donner ma vie, déclare Evans d'un ton si sérieux que je suis obligée de faire un pas en arrière pour accuser le choc.

A peine le premier pas effectué que je sens la main d'Aksel se glisser autour de ma taille pour venir me sécuriser et j'accepte sans ciller de trouver refuge contre lui. Il veut que j'aille discuter avec un psycho-robot ?

— C'est hors de question !

— Non !

— Même en dernière option, c'est mort !

Les trois garçons s'exclament en chœur. Seule Ethel reste silencieuse, le regard vissé sur le dos de son frère, qui accueille les cris sans broncher, presque comme s'il ne les avait pas entendu. Ses pupilles sont posées sur moi et attendent ma réaction, ou en tout cas une réponse à ces propos. Une réponse de ma part. Mes muscles semblent petit à petit retrouver de la force et je me redresse, sans qu'Aksel ne me lâche pour autant.

Mes sourcils se froncent et j'ouvre la bouche, prête à soutenir les réponses de garçons quand mon I.A se fait entendre : « Ce n'est pas idiot, comme plan. Présenté de cette façon, c'est même logique. Tu es en partie comme eux, donc ils ne sauront pas comment te classer. On peut jouer sur cette confusion pour un moment. C'est un bon plan ».

Je grimace, ma bouche se refermant par la même occasion, entraînant un soulèvement de sourcil de la part d'Evans. Je sens la main d'Aksel se resserrer doucement autour de ma hanche.

— Si cela n'en tenait qu'à moi, c'est un refus net. Mais on parle ici d'un plan pouvant nous permettre de gagner assez de temps pour quitter ce pays et trouver refuge ailleurs, pas seulement pour nous, mais pour les trente autres qui vivent dans le bâtiment, je réponds, gagnant une approbation de la tête de la part du jeune adulte tandis que Calliste, Benny et Ethel me fixent sans comprendre.

La main d'Aksel me broie pratiquement la hanche à cet instant et je suis obligée de poser une main calme sur son biceps pour le sentir se décontracter imperceptiblement, mais assez pour que je puisse de nouveau respirer normalement et me concentrer pleinement sur le groupe qui me fait face.

— Mais je tiens à être très claire sur un point : je le fais uniquement parce que mon I.A pense que c'est une bonne idée et que ses arguments font sens. Frère d'Ethel ou pas, je ne te connais pas Evans et je ne mettrais pas ma vie en péril pour la tienne, je termine d'une voix ferme malgré la terreur qui me retourne l'estomac.

« Merci pour le soutien », lâche l'I.A en question. En réponse, je me mords la lèvre inférieure en signe de stress. Des deux côtés, les arguments sont logiques et je sais que ce plan peut fonctionner. Mais mon instinct de jeune femme de « seulement » vingt ans ne peut s'empêcher de hurler à m'en vriller les tympans.

Derrière moi, j'entends Aksel lâcher un soupir et sa main se retire de ma hanche pour venir se glisser dans la mienne et la serrer gentiment. Ethel hoche la tête et m'offre enfin un petit sourire en me regardant dans les yeux, tandis que le visage de Benny s'assombrit et il quitte la pièce sans un mot, dans le plus grand des silences.

Calliste ne dit rien non plus, les bras croisés sur le torse, un œil inquiet dirigé vers sa compagne, qui n'a toujours pas bougé. Evans suit la sortie de Benny des yeux, un petit sourire sur les lèvres que je ne peux m'empêcher de trouver terrifiant et une nouvelle fois, mes boyaux font un looping.

Finalement, Ethel s'avance et murmure quelque chose à l'oreille d'Evans, qui acquiesce avant de quitter la pièce sans un mot de plus, nous laissant dans un silence oppressant, tous les regards posés sur la jeune femme. Cette dernière soupire et se passe une main sur son crâne tressés.

— Je sais que vous ne faites pas confiance à Evans, commence-t-elle, aussitôt interrompue par son compagnon.

— On a passé le stade de la méfiance Ethel ! La première chose qu'il nous dit depuis qu'il est arrivé, c'est que nous n'avons aucune chance de vaincre les androïdes sauf si nous acceptons de sacrifier Felidae ?

Je cligne des yeux devant l'accès de colère de Calliste. Même Ethel semble surprise de se faire couper avec une telle véhémence dans la voix du jeune homme, d'ordinaire si calme et posé. Elle ouvre la bouche pour rétorquer mais il prend la parole de nouveau :

— Je suis ravi que tu aies retrouvé ton frère, vraiment. Mais pour moi, les « coïncidences » sont trop grosses pour être crédibles. Il a plus de trente ans mais a survécu comme par miracle grâce à un androïde assez défectueux pour le sauver, mais encore assez fonctionnel pour être autoriser à gérer une prison ? Et la première chose qu'il demande, c'est que l'on envoie la seule personne à avoir une intelligence artificielle –donc un androïde- dans le cerveau, la seule personne que les androïdes n'ont pas réussis à comprendre et corrompre correctement malgré de nombreux essais, directement chez leur boss ? Sachant qu'il n'a encore rien fait pour prouver qu'il était de notre côté hormis être ton frère, c'est trop pour que je puisse croire ne serait-ce que le moindre mot qui sort de ses lèvres, termine-t-il avant de quitter la salle dans la même direction que Benny, laissant une Ethel sidérée et pantoise.

Je suis la sortie du jeune des yeux, ne sachant quoi ajouter. Lorsqu'il finit par disparaître de ma vue, je reporte mon attention sur Ethel, qui fixe l'endroit où se trouvait Calliste plus tôt. Devant ce monologue intense, je serre la main d'Aksel, lui indiquant qu'il vaut mieux laisser Ethel seule pour le moment, pour éviter qu'elle ne nous demande si nous sommes plutôt d'accord avec elle ou avec Calliste.

Le jeune homme a su trouver les bons mots, mais je crains que si elle me questionne, je ne sois un peu plus directe en qualifiant son frère d'espion. Heureusement, mon partenaire semble comprendre le message et nous nous éclipsons discrètement de la salle, tandis qu'Ethel paraît toujours plongée dans son monde.

En quittant le hall, je ne trouve aucune trace de Benny ou de Calliste, presque comme s'ils avaient décidés de courir pour se réfugier ailleurs. Du coup, Aksel et moi prenons le chemin du Laboratoire, le seul endroit où il nous sera possible de discuter sans risque d'être interrompu par quelqu'un d'autre. La descente se fait en silence.

Plongée dans mes pensées, je ne remarque que je suis arrivée que lorsqu'Aksel m'attrape par les épaules pour éviter que je ne me prenne la porte, ce qui nous fait brièvement sourire. Une fois à l'intérieur, je me laisse choir à même le sol et prend ma tête entre mes mains, accusant le choc de tout ce qui a été dit plus tôt. Je suis à deux doigts de fondre en larmes tant la quantité d'informations est grande, mais je me retiens.

— Je refuse que tu prennes ce risque, même si ton I.A pense que c'est une bonne idée, lâche finalement Aksel, brisant le silence vingt minutes après notre arrivée.

Lâchant mon crâne, je lève les yeux vers le jeune homme, qui est planté devant sa table de travail. Ses yeux quittent la surface métallique pour venir trouver les miens, comme s'il avait senti mon regard sur lui. Je soupire, fermant les yeux quelques secondes.

— Evans est peut-être un traître, ça n'empêche pas son idée d'être logique. Et c'est potentiellement la seule bonne idée que nous avons, je réponds, à moitié convaincue.

Mes yeux trahissent sûrement mes pensées car Aksel hausse un sourcil et grimace avant de continuer :

— Felidae, si Evans est un traître, cette idée n'est rien de plus qu'un piège pour te ramener dans un hôpital et faire de toi un nouveau pion dans leurs jeux.

Je soupire et passe une main dans mes cheveux. Je sais qu'il a raison. Mais je ne peux m'empêcher de voir plus loin, de comprendre peut-être plus de choses à ce niveau. Et rien que d'y penser... Je peux presque sentir les larmes me monter aux yeux, sentant mon cœur se serrer dans ma poitrine. Avant que mes glandes lacrymales ne se rompent, je me force à dire ce que je pense depuis les révélations du plan d'Evans :

— Et si c'était ça, la seule solution qui marcherait ? Me sacrifier pour permettre aux autres de survivre et trouver refuge ailleurs ?

Aussitôt, mon regard quitte le visage du jeune homme pour trouver le sol. Je ne veux pas voir ses yeux lorsqu'il comprendra que j'ai raison. Que la seule raison de ma survie, c'est que je puisse ensuite donner ma vie pour tous les sauver.

Que c'est ici que ma vie s'arrête, à vingt ans. J'entends Aksel se déplacer avant de sentir une de ses mains sous mon visage, me forçant à plonger dans l'azur de son regard. Etrangement, j'y retrouve la même terreur que dans le mien. Pas d'acceptation ou de sympathie, mais une pure terreur qui me broie les entrailles et me donne envie de le prendre dans mes bras pour le réconforter.

— Ton sacrifice n'est pas une solution, martèle-t-il à quelques centimètres de mon visage, me faisant frissonner.

Il me lâche ensuite le menton pour venir s'installer face à moi.

— Et je doute que Benny te laisse mettre ta vie en danger sans rien dire, termine-t-il.

Je laisse échapper un bref rire.

— Non, Benny préférerait probablement prendre ma place plutôt que de me laisser faire quoi que ce soit. Si mon sacrifice est la seule solution, il n'y a personne qui pourra m'en dissuader. Pas même cette fichue I.A. Aksel... Imagine, dans un autre pays, Ethel et Calliste pourront avoir une famille ! Madigan pourra travailler dans un véritable hôpital ! Benny pourra probablement se refaire une vie aussi. Et tu pourras avoir un travail dans un laboratoire, rendre tes parents fiers, je déclare, un sourire vacillant sur mes lèvres.

C'est au tour d'Aksel d'émettre un rire bref, sans qu'une seule fois son regard ne quitte le sol.

— Mes parents seraient tout sauf fier si je laissais la fille que j'aime mourir pour moi, murmure-t-il, le regard vissé sur le sol.

Mon cœur rate un battement.

— Quoi ?

Vu le regard paniqué d'Aksel, il ne pensait pas que j'avais entendu sa phrase. Il ferme les yeux, se plaque la main contre le visage et je l'entends marmonner quelque chose avant d'émettre un petit gémissement qui me fait sourire. Je crois qu'après avoir manqué son battement, mon cœur fait désormais du cent battements par minute, attendant qu'Aksel répète ce qu'il a murmuré.

— Aks' ?

Le jeune homme soupire longuement avant de finalement retirer sa main et me faire face. Il me sourit et se gratte le crâne, tandis que je me rapproche lentement de lui, le cœur battant. C'est alors que la porte du Laboratoire s'ouvre à la volée, laissant apparaître une très heureuse Madigan, un sourire géant sur le visage et les bras en l'air :

— Le double-virus est prêt ! On va gagner la guerre ! On va ga-gner !

Son cri retentit dans l'espace tandis que j'observe la danse de la joie de la jeune femme, avant qu'elle ne s'arrête, sourcils froncés, quelques instants. Je sens Aksel couler un regard dans ma direction et j'en fais de même, nos regards emplis d'incompréhensions. Après toutes les révélations d'aujourd'hui, je ne vois pas en quoi le double-virus nous permettrait de gagner la guerre.

Mais Madigan ne sait pas, elle n'était pas là. Et sa joie de vivre est communicatrice. Très vite, je me surprends à sourire aussi amplement qu'elle alors que j'étais prête à pleurer il y a peine cinq minutes. Finalement, la jeune femme frappe dans ses mains, me faisant sursauter et se tourne vers nous, réalisant seulement à cette seconde nos positions.

— Pardon, où sont mes manières. Ethel m'envoie vous dire que pour fêter cette super nouvelle, elle organise une petite fête ce soir avec tout le monde. C'est à partir de dix-neuf heures. Et Aksel, tu es attendu par Calliste dans la cantine. Voilà, c'est tout, débite la jeune femme d'une seule traite.

Avec un soupir, le jeune homme se met debout, non sans avoir une nouvelle fois serré ma main dans la sienne et m'avoir adressé un regard me confirmant tout ce que je devais savoir. Madigan émet un dernier petit cri de joie, faisant lever les yeux au ciel à Aksel, avant de fermer la porte derrière eux, me laissant seule, le cerveau en ébullition.

Et malgré les discussions autour de mon potentiel sacrifice, les suspicions concernant Evans et la dispute entre Calliste et Ethel, mon cerveau tourne en boucle sur une seule chose : la fille que j'aime.

Heyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyy ! 
Oups ?
On dirait qu'Aksel a oublié de tourner sa langue 7 fois dans sa bouche avant de parler... Comment va réagir notre très intelligente Felidae ? 
Et vous, qu'en pensez-vous ?

J'ai toujours eu un faible pour les conversations à coeur ouvert, on est toujours surpris du résultat en plus (dans ce cas, c'est vrai aussi). Les aimez-vous ?
Que pensez-vous de cette idée de double-virus ?
Pensez-vous que Felidae ait besoin de se sacrifier pour les autres ?
Pensez-vous qu'il y aura un sacrifice et si oui, qui ? Et pourquoi ?
Dites-moi tout ! 

De mon côté, je vous retrouve comme toujours mardi prochain (sauf si vous me suivez sur Instagram ou que vous êtes dans la convo' Messenger, dans ce cas je vous retrouve dès la fin de la lecture de ce chapitre pour me faire taper dessus) ! 
Bonne fin de semaine à tous & bon 11 novembre !

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