Chapitre 36 (partie I)
Et la vie reprend son cours. Outre les regards vides et mornes de ceux qui ont perdu un proche lors du raid, les oraisons funèbres organisées par plusieurs petits groupes de Survivants, l'absence quasi-totale d'Ethel aux repas et aux regroupements que nous organisons entre nous cinq et le fait que Sasha travaille jour et nuit sur ce fameux « double » virus qui pourrait nous permettre de prendre l'avantage sur les androïdes, la vie a repris son cours.
Les nouveaux arrivants ont été pris en charge par Eloeiz dans un premier temps, Madigan préférant s'assurer de la santé physique et mentale de son frère avant de se remettre à travailler, s'attirant les foudres d'Ethel par la même occasion.
Une discorde que seuls Calliste et Adrien ont résolu, le premier en assurant à Ethel que la bonne santé d'Adrien était vitale aux éclaireurs et le second rappelant à sa sœur qu'en temps de guerre, personne n'a le temps de faire des pauses.
De son côté, Benny semble avoir perdu l'inspiration pour créer de nouvelles œuvres, alors il se contente de créer de nouveaux couverts pour les nouveaux, ou des petites statuettes commémoratives pour les disparus.
Quant à moi et Aksel, nos journées se déroulent dans le laboratoire, en évitant le plus possible le contact extérieur. Je ne me sens toujours pas capable d'affronter le regard vide d'Hillis, ni l'atmosphère pesante qui règne de façon générale dans le bâtiment. Le pire restant la cantine, dont un coin a été aménagé afin d'y déposer des petites attentions pour les morts, avec un hologramme qui projette en continu les visages des disparus.
Hier midi, j'ai pratiquement failli vomir en croisant le regard de Jule via la projection. Finalement, il a véritablement fallu six mois pour que la vie reprenne un semblant de cours et que les rires prennent le dessus des larmes.
Et c'est seulement aujourd'hui, exactement six mois et vingt-neuf jours après notre semi-échec – soit le 24 décembre 3020 –, qu'Ethel nous convoque à nouveau dans son bureau. Je sais d'avance qu'elle ne souhaite pas nous parler du virus, puisque Sasha nous a expliqué plusieurs fois que la programmation d'un tel programme sur les machines que nous avons lui prendrait des mois, entendant par-là plus de quatre petits mois.
Du moins je le suppose. Et même si le virus était prêt, je doute qu'Ethel lance une nouvelle offensive avant au moins 3021, le temps que tous les Survivants acceptent les pertes et se sentent prêt à repartir à l'offensive. Je ne peux cependant pas m'empêcher d'être nerveuse à l'idée de me retrouver dans la même pièce que la jeune femme.
Il n'y a pourtant aucune raison, si ce n'est sa longue absence auprès du groupe et le fait que j'ignore totalement ce qu'elle tient à nous dire. Un coup de patte de Risu me sort de mes pensées et je fais les gros yeux à l'animal, attrapant ma main douloureuse avec l'autre, retenant un juron de justesse. Le petit écureuil est tranquillement installé sur ma table de travail, « jouant » avec une petite boule de métal faisant deux fois sa taille qu'il a trouvé à l'arrière du laboratoire trois jours après sa dernière mise à jour en date.
Son intelligence grandit pratiquement aussi rapidement que celle d'un être humain mais il ne présente aucun signe de possible corruption des données, ce qui pourrait arriver si un androïde tentait de percer à l'intérieur de son petit crâne de métal. Je finis par lâcher mon juron lorsqu'Aksel pose une main sur mon épaule, surprise par le contact soudain.
— J'ai appuyé sur une courbature ?, demande le jeune homme, un petit sourire moqueur aux coins des lèvres.
Je pose une main sur ma cage thoracique, secouant négativement la tête. En l'absence d'Ethel, c'est Calliste qui a repris mon entraînement que je ne souhaitais pas voir s'arrêter malgré la fin officielle des raids. Officieusement, Calliste et son équipe continuent de trouver des jeunes, plus ou moins blessés ou délirants à quelques kilomètres des hôpitaux.
Certains se sont échappés, d'autres ne se souviennent pas comment ils sont arrivés jusque-là. D'autres sont parfois morts le temps d'arriver jusqu'au QG ou meurent durant la Cure, incapable d'accepter le retour de leurs souvenirs, créant une sorte de rupture des neurones. Devant ce constat, j'ai préféré demander à Calliste de continuer l'entraînement imposé par Ethel, doublé d'un entraînement physique, juste au cas où.
Devant tout de même gérer ses équipes, les entraînements de Calliste se déroulent généralement le samedi et le mercredi, ses seuls jours de pause. Le reste du temps, je suis dans le Laboratoire afin de vérifier l'état de Risu et aider Aksel avec ses sérums et créations de diverses substances sensées éliminer les robots en quelques secondes. Jusqu'ici, rien de concluant. Quant à Benny, il se charge d'évaluer mon mental, je pense.
A chaque fois que nous passons du temps ensemble, il s'adresse majoritairement à mon I.A ou pose des questions à ce sujet. Cela me permet de devenir plus à l'aise avec la petite voix dans ma tête, bien qu'elle reste relativement sporadique.
— Tu m'as fait peur, je réponds finalement au jeune homme à mes côtés.
Aksel hoche la tête, pensif, la bonne humeur semblant se dissiper avec ma remarque.
— Tu pensais à notre rendez-vous avec Ethel aussi ? questionne-t-il.
Je soupire, comprenant que l'ambiance était ruinée. Aksel et moi avions déjà discuté de cette réunion et du potentiel sujet hier soir avant de s'endormir. Et malgré tout, je n'ai pas pu penser à autre chose depuis.
— Entre autre. Disons que mon esprit n'est pas vraiment capable de se focaliser sur une seule pensée à la fois. Il se disperse en permanence. Je pense à Ethel, puis à mes entraînements avec Calliste, puis à Benny, à Risu, à toi, à Noël, si ça veut encore dire quelque chose, je grimace.
Aksel étouffe un début de fou-rire, ce qui lui vaut un léger coup de poids dans l'épaule de ma part. Un petit sourire naît sur mes lèvres.
— Aïe ! Tu as clairement gagné en force grâce à Calliste, ça fait mal, proteste Aksel.
Il marque une pause le temps de vérifier que son épaule fonctionne, me faisant lever les yeux au ciel. Aksel la diva est de retour ! Suite à cela, il y a un moment de flottement, de silence, pendant lequel nos pensées se tournent à nouveau vers Ethel.
— Je t'avoue que je suis inquiet pour E'. La dernière fois qu'on l'a vu, elle avait des cernes pratiquement aussi terrifiante que sa cicatrice, souffle Aksel et je dois me mordre les lèvres pour ne pas rire malgré le sérieux de la situation.
Mais il a raison. La dernière fois que la jeune femme est venue dîner avec nous, elle portait une capuche afin que personne d'autres que nous ne puisses voir les cernes qui grandissaient sous ses yeux. Maintenant que j'y repense, elle n'avait pratiquement rien mangé et Calliste avait dû lui porter une assiette directement dans son bureau plus tard dans la nuit, selon ses dires.
Nous avons tous essayé, mais seul Calliste parvient à lui arracher plus de trois phrases, même lorsque nous lui avons porté de la nourriture ou des nouvelles sur l'évolution de l'état d'esprit du QG. Je crois que la seule personne qui ne semble pas être préoccupé par l'état de la jeune femme et qui n'a pas essayé de lui parler, c'est Benny. Et je ne sais pas vraiment quoi en penser.
— En même temps, après les raids ratés, je peux comprendre qu'elle ait décidé de porter le poids des pertes et forcément, elle s'est sentie obligée de travailler plus pour ne pas que les morts de Jules et des autres aient été vaines, je réplique à voix basse.
J'échange un regard lourd de sens avec Aksel avant de baisser la tête. J'entends le jeune homme soupirer avant de glisser sa main dans la mienne. La mort de Jule a pesé lourdement sur nos épaules – certes, majoritairement celles d'Aksel – et j'ai toujours autant de mal à prononcer son prénom à voix haute. Comme si je ne méritais pas de le faire.
Ce n'est pas comme si j'aurai pu l'empêcher ou faire quelque chose pour essayer de l'aider. Je ne savais pas où elle se trouvait et je n'ai remarqué son absence qu'après les faits. Mais elle était avec nous, dans notre groupe et je ne peux m'empêcher de me dire que j'aurai pu, et du, faire quelque chose.
— Je sais qu'elle se pense entièrement responsable puisqu'elle dirige le QG, mais techniquement, nous avons tous eu notre rôle à jouer dans ce fiasco, soupire Aksel en passant une main dans sa tignasse noire.
Je hoche la tête avec un soupir.
— Elle reste malgré tout la dirigeante de ce QG, donc elle considère cette responsabilité comme étant la sienne. Il faut dire que certains Survivants n'ont pas forcément eu des mots tendres envers elle après les raids. Je sais que la perte d'un être cher peut avoir des conséquences plutôt violentes sur l'esprit humain, mais de là à imputer toutes ces morts à Ethel... Ce n'est pas comme si c'était elle qui avait appuyé sur la détente non plus, je grommelle, sentant une colère froide poindre en moi.
Aksel tire sur ma main pour m'attirer près de lui et instinctivement, je plaque ma tête sur son torse tandis qu'il referme ses bras autour de moi.
— Garde ta colère pour plus tard, Ethel nous attend dans quinze minutes, lâche-t-il finalement, me forçant à lever la tête pour le regarder dans les yeux et constater à quel point nous sommes proches.
Je me racle la gorge et recule d'un pas, lâchant sa main pour ensuite me replacer de l'autre côté de ma table de travail, me plaçant ainsi face au jeune homme. Nous continuons de travailler en silence pendant plusieurs minutes avant que je ne vérifie l'heure et presse Aksel de se mettre en route.
Nous grimpons les escaliers rapidement, sans pour autant courir comme des dératés, afin d'être à l'heure, voire en avance. Le temps d'arriver jusqu'au bureau de la jeune femme, en saluant les Armuriers sur notre passage, nous sommes en réalité les premiers à pénétrer dans la petite pièce.
Ethel s'y trouve évidemment déjà, les bras croisés sur la table et la tête par-dessus, immobile. Je lève les yeux vers Aksel, qui hausse les épaules en réponse. Il tire en silence une chaise et je fais de même, n'osant pas réveiller la jeune femme qui doit probablement prendre sa première sieste depuis six mois.
Un bruit de pas nous fait tourner la tête et je découvre Calliste dans l'encadrement de la porte, observant Ethel avec un mélange de satisfaction et d'adoration. Finalement, la tête de Benny semble apparaître d'un seul coup derrière Calliste malgré l'importante différence de taille entre les deux garçons.
Le jeune co-dirigeant s'approche alors de sa petite-amie et pose simplement sa main sur son épaule, regardant la jeune femme relever la tête d'un seul coup, alerte et un peu perdue de nous voir tous dans son bureau.
— C'est une intervention pour me pousser à faire une pause ?, demande la jeune femme, la voix enrouée par le sommeil.
J'entends Aksel lâcher un petit rire relativement discret, tandis que Benny fronce les sourcils, clairement inquiet pour la santé mentale de la jeune femme. Calliste lève les yeux au ciel et je me contente d'hausser un sourcil, ne sachant pas si Ethel plaisante ou si elle est réellement perdue quant à notre présence dans son petit bureau.
Calliste semble le prendre à la légère, ce qui indiquerait qu'elle s'essaye à l'humour. La jeune femme finit par glousser et lever les mains en l'air, nous permettant d'apercevoir la marque de sa manche de pull sur sa joue, ce qui me fait sourire encore plus.
— Je rigole, je rigole. Tout le monde va bien ?
Je souris et hoche la tête.
— C'est plutôt à nous de te demander ça. La dernière fois qu'on t'a vu, tu avais des cernes énormes sous les yeux qui semblent s'être résorbées un petit peu. On en parlait avec Aksel tout à l'heure, on était plutôt inquiet, répliqué-je, soutenue par un sourire et un bref hochement de tête du concerné.
Ethel sourit moqueusement.
— Vous étiez inquiet pour moi, c'est adorable ! Tout le monde n'a pas la chance de dormir neuf heures toutes les nuits Fel'. Le QG a besoin que je supervise les actions de tout un chacun, lâche la jeune femme avec reconnaissance, malgré son ironie palpable.
Aksel lève les yeux au ciel.
— Le QG ne va pas s'arrêter si tu dors une heure de plus, je t'assure. Et si besoin, on peut se relayer. Benny se lève à quatre heures tous les matins à cause de ses insomnies, Felidae et moi ne dormons jamais avant deux heures du matin et Calliste a probablement les même horaires de sommeil que toi parce qu'il n'aime pas dormir seul. Tu peux largement nous laisser gérer les problèmes de nuit et prendre une pause E'. On connaît l'endroit aussi bien que toi. A moins que tu ne nous fasses pas assez confiance pour ça, propose-t-il.
A côté de moi, Benny hoche la tête, souriant à Aksel, tandis que Calliste exprime oralement son soutien à cette proposition. Je peux voir quelques larmes de reconnaissance couler le long des joues de la jeune femme et tend mon bras pour lui prendre la main, la serrant avec un clin d'œil amical qui la fait rire.
Pendant quelques minutes, la jeune femme prend le temps d'accepter cet élan de générosité et d'affection avant de reprendre ses esprits et un ton plus sérieux, tandis que je ramène ma main sur mes genoux, en tapotant l'épaule d'Aksel au passage, une sorte de « merci » silencieux.
— Aksel, tu sais très bien que ce n'est pas une question de confiance mais de responsabilité. Mais je te promets d'y réfléchir, d'accord ? Vous n'êtes pas venu ici simplement pour ça, nous avons plus sérieux et urgent à discuter, explique la jeune femme.
Aksel ouvre la bouche pour protester mais est heureusement coupé par Benny:
— Est-ce que tu as trouvé un nouveau plan d'attaque contre les androïdes ? On va pouvoir remettre les raids au goût du jour ?
Ethel grimace tandis que je lance un regard confus à Benny. Il veut repartir sur le terrain ? Pourquoi ? Je vois du quoi de l'œil que Calliste est tout aussi surpris par la question que moi.
— Ce n'est plus vraiment la priorité. Je ne compte pas envoyer de nouvelles personnes sur le terrain, pas avant d'être certaine que le plan marche et permette un minimum de perte. Disons que Sasha a enfin réussi à décoder quelques fichiers que Risu a trouvés lors de son petit tour de passe-passe avec les câbles, avoue la jeune femme en posant ses yeux sur moi.
Je fronce aussitôt les sourcils, pensive. La dernière fois que j'ai parlé à Sasha de Risu, c'était il y a six mois en revenant de mon raid. Nous avions découvert ce qu'avait réellement fait le petit écureuil et surtout la théorie du double-virus qui devrait, normalement, nous permettre de prendre l'avantage.
Mais il y avait également de nombreux fichiers cryptés, assez lourdement. Sasha avait été horrifié de voir ça d'ailleurs, pensant qu'avec une technologie moderne, il en aurait probablement pour un an de décodage, « alors avec nos vieux ordinateurs, il ne faut pas s'attendre à un miracle ! ».
Je ne m'attendais donc pas vraiment à ce qu'il parvienne à nous donner quelque chose, en tout cas pas avant la fin de l'année 3021, comme il le prévoyait. Et puis depuis, j'ai fait quelques mises à jour sur le cerveau de Risu, donc peut-être que ça a aidé au décryptage ?
— Il a trouvé quoi ?, demande Calliste, brisant le silence.
Ethel allume le petit appareil placé au centre de la table, qui affiche aussitôt un hologramme plutôt volumineux. Au départ, les détails sont assez flous, ne cessant de buguer.
Il me faut plusieurs minutes pour comprendre ce qui va s'afficher et mon corps semble se rigidifier d'un seul coup. Aussitôt, j'ouvre de grands yeux tandis qu'un plan du bâtiment central se dévoile à nos yeux ahuris.
Risu a trouvé ça tout seul ? Aux fils des secondes, des couloirs et portes se dévoilent, présentant un énorme bâtiment avec une sécurité numérique et physique impressionnante. Et un petit point rouge s'allume au dernier étage de ce monstre technologique.
— Le point, c'est R.O.B, souffle Ethel à voix basse.
Coucouuuu !
Comment ça va ?
Ça va, l'histoire vous plaît encore ?
Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais j'ai cette impression d'aller trop vite sur des éléments et pas assez sur d'autres.
Pourtant, maintenant que la division est faite, je pourrais largement écrire des chapitres en plus sur des raids, ou sur la vie des Survivants en dehors des éléments clés de l'intrigue...
Peut-être passer plus de temps à développer leurs relations... Mais en même temps, j'ai l'impression que si je le fais, ça n'est plus un roman de survie mais une sorte de chick-lit post-apo 😂
Vous en pensez quoi ? C'est juste moi ?
Sinon, votre avis sur ce chapitre ? 🤔
L'amitié entre nos cinq amis ?
La volonté de Benny de vouloir se battre ?
La culpabilité d'Aksel, Felidae, Ethel et Calliste ?
Quelque chose à ajouter ?
Dites-moi tout, je lis tout !
Je vous dis à mardi, merci d'avoir lu et merci de continuer à lire malgré mon manque de confiance en moi et mon gros blocage d'écriture depuis quatre mois 👍😂
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