Chapitre 21 (partie I)
Un souvenir est la survie, dans la mémoire, d'une sensation. Une impression. Celle d'une idée, d'un événement passé. La faculté de se rappeler. Et tout est lié à notre cerveau, la plus formidable des mécaniques humaines.
Il suffit d'un son, d'une image ou d'une odeur pour que les souvenirs refassent surface, ramenant avec eux une émotion. La peau chaude et douce d'une personne sous mes doigts et mes poils se hérissent, créant un fourmillement indescriptible dans mon corps.
Mon cerveau assimile cette sensation et la reproduira dès que nos peaux entreront en contact. Une sensation de bien-être que je ne parviens pas à décrire, quand une personne me touche ? C'est parce que nos souvenirs les traversent, sans que nous n'en soyons conscients. Et tout cela, en une microseconde.
C'est une machine bien rodée qu'est le cerveau, un engrenage que nous apprenons lentement à comprendre et utiliser en grandissant. L'école nous aide à y ajouter de l'huile, ou des parties motrices. La société nous oblige à le faire travailler en permanence, ne lui laissant du répit que lorsque nous dormons.
Un proverbe latin dit que la mémoire conserve plus fidèlement le souvenir des peines que celui des plaisirs. C'est à cause de ça que les gens se suicident, se mutilent ou dépriment. Parce que dans nos têtes, le moindre contact engendre de la douleur, le moindre mot ravive la peine, le plus petit bruit cause une énorme souffrance.
L'humain est fragile, surtout ses souvenirs. C'est pour cela que la société essaye de remplacer la violence par la discussion, les coups par la parole, les moqueries par l'acceptation.
La peine est l'émotion qui génère le plus de souvenirs marquants, parce qu'elle brûle au fer rouge son passage sur notre cerveau. La maladie qui brise des familles. Les divorces qui blessent des enfants.
La mort d'être cher qui détruit une personne. La séparation d'un couple qui déchire leurs cœurs. De la violence, des coups et leurs blessures qui provoquent plus de coups et de blessures. Des cris d'êtres torturés, qui hantent nos rêves. Des cris d'être aimés, qui hantent mes rêves.
Tant de variantes, de possibilités réunies dans un seul outil. Une seule cage, avec un joli nom. Traité telle une perfection, étudiée avec respect depuis Léonard de Vinci, le cerveau humain est considéré comme un trésor, le summum de l'évolution, la raison même de l'existence humaine.
Nous n'avons que de bonnes raisons d'y croire, en voyant l'évolution des technologies, de la médecine, de la littérature. Les records du monde, les évolutions de régimes politiques, l'adoption d'une nouvelle loi ou d'un nouveau gouvernement prouvent que l'Homme évolue.
Nos capacités d'adaptation à un nouvel environnement, à survivre en terrain hostile, à agir sous la pression. Chaque action, chaque décision est vue comme une prouesse scientifique. Dans les magazines médicaux ou scientifiques, le cerveau est réellement la clé de tout.
Opérer un cerveau doit être à la fois fascinant et effrayant... Voir comment fonctionne cette machine, qui nous permet de survivre à pratiquement n'importe quoi, et parfois même d'imaginer des choses impossibles. Et parfois, cette jolie machine se plante comme le vieil ordinateur du centre informatique du collège.
Parfois, le disque formé par nos neurones se raye et tourne dans le vide, devenant au fur et à mesure une mélodie lointaine et oubliée, qui ne ressurgit que dans les plus sombres moments de notre existence.
Pour cacher ce son, on introduit un nouveau disque dans l'appareil, un disque rempli de mensonges et de trahisons, qui peut sembler agréable en surface. Et dans certains cas, les deux disques se rencontrent et se frottent, jusqu'à l'implosion. Et il a fallu que ça tombe sur moi.
Bip. Bip. Mon corps se fige, du moins autant que possible dans son état. Je ne sens que le bout de mes doigts, qui brûlent d'envie d'arracher le bout de tissu qui bloque mes mouvements et la vitesse de mon cœur qui semble battre dans mes oreilles.
Petit à petit, ma gorge se resserre doucement et je crois que ma mâchoire se contracte également. Mon corps se réveille et mes muscles se tendent à chaque fois que le bruit se fait de nouveau entendre. J'attends, le cœur battant, qu'une voix s'élève ou que quelqu'un ne bouge, mais il semblerait que je sois seule.
Je me force à garder les yeux fermés, refusant de découvrir la machine qui émet ces joyeux « bips » à côté de moi. Je ne veux pas me rendre compte que je suis à l'hôpital, encore. Que l'infirmière va une nouvelle fois faire des remarques sur de potentielles blessures. Je ne tiens pas à revoir l'infirmière.
Que ce soit la même ou une nouvelle d'ailleurs, je ne veux pas revoir un androïde. Je ne tiens pas à découvrir que Benny est bel et bien mort, ou qu'il n'a jamais existé et que ce n'était qu'un nouveau test, que j'ai probablement raté. Ou pire encore, apprendre que j'ai dormi quinze ans et que j'ai désormais passé la trentaine. Que je n'étais peut-être même jamais réveillée. Ces « bips » sont toujours mauvais signe.
Mes doigts se replient doucement pour former des poings de chaque côté de mon corps immobile, jusqu'à ce qu'une masse épaisse, chaude et ferme bloque ma main gauche. Mon corps déjà tendu semble se figer tandis que ma respiration se bloque également. Qu'est-ce que j'ai dans la main ?
Qu'est-ce que je viens de toucher ? Je lutte contre l'ouverture de mes yeux, mais mes oreilles se détournent du bruit de la machine pour se focaliser sur ce qui se trouve à ma gauche lorsqu'une sorte de cri étouffé se fait entendre.
La chose contre ma main bouge lentement et je sens des doigts effleurer ma peau ainsi qu'un corps se lever, presque d'un bond. La personne à mes côtés émet un drôle de bruit, presque un rire, mais sans avoir ouvert la bouche visiblement. Comme s'il avait juste soufflé du nez.
Je ne peux retenir ma curiosité plus longtemps et mon œil gauche s'ouvre pour découvrir le visage, un peu flou, de Benny. Son autre main vient toucher mon front et tout mon corps se détend, ma main gauche enserrant la sienne aussi fort que je le peux. Je ne sais pas s'il a remarqué mon œil ouvert, alors je le referme, soulagée.
Ma respiration redevient posée et je ne retiens pas le sourire qui pointe sur mes lèvres tandis que le bruit de la machine s'éteint après quelques secondes. Les deux mains de Benny enserrent la mienne, mais aucun de nous ne dit quoi que ce soit.
Le silence règne quelques minutes avant qu'un claquement se fasse entendre un peu plus loin, trouvant son écho lorsque la porte de la pièce dans laquelle je suis s'ouvre d'un coup, allant pratiquement frapper le mur.
Sous le choc, mes yeux s'ouvrent et je découvre un plafond sale, oscillant entre gris et une sorte de rouge virant au marron que mon cerveau veut nommer « rouille ». Les murs sont de la même couleur, avec plus ou moins de rouille. Est-ce que c'est voulu ?
La couleur est assez jolie, même si elle tranche vraiment avec le gris foncé qui couvre le reste des murs et du plafond. Mon train de pensées est interrompu lorsque je me rends compte que les « bips » de la machine ont repris, que Benny m'a lâché la main pour se mettre debout et que la personne qui vient d'entrer dans la pièce peste à voix basse de manière inintelligible.
Je tourne la tête vers ladite personne et me fige, confuse. À ma droite, tripotant une machine qui semble sur le point de rendre l'âme, se trouve une jeune fille. Je ne saurais lui donner un âge, mais elle est bien plus jeune que Benny.
Ses cheveux sont orange foncé, presque rouges, attachés en chignon avec des mèches folles allant dans tous les sens. Avec la faible lumière de la pièce, ils semblent même luisants. Elle est habillée d'une tenue probablement colorées, mais je ne saurais deviner lesquelles tant elles sont pratiquement effacées.
Il y a même des trous à divers endroits et le pantalon est clairement trop court pour elle. Seules ses chaussures semblent relativement neuves. Finalement, son monologue cesse et elle donne un coup de pied à la base de la machine, qui émet un nouveau « bip » contrarié avant de retrouver son rythme.
- J'avais arrêté la machine, annonce Benny, me faisant tourner la tête vers lui.
Il est debout, les bras croisés sur la poitrine et le regard fixé sur la fille de l'autre côté. Je réprime un sourire, tant cette posture contraste avec sa voix calme et posée.
Mais je sais que ce ton dissimule une colère froide qui peut exploser à tout moment. Lentement, je tends mes doigts pour essayer de lui attraper le bas de son pull, pour le calmer, mais il est trop loin. Il me manque quelques centimètres.
Alors je laisse retomber ma main et lève de nouveau les yeux sur le jeune homme. Il est habillé d'un pull gris assez épais et d'un pantalon bleu foncé avec des trous au niveau des genoux. Le seul tatouage visible est celui qui remonte le long de sa gorge et ceux qui descendent sur ses poignets, car le pull s'arrête au milieu de ses avant-bras.
Ses cheveux semblent propres et je distingue même une barbe qui pousse sur son menton. Mes yeux s'attardent là-dessus malgré moi et je sens mon cœur rater un battement. Quelque chose me dit qu'une barbe prend plus que quelques heures pour pousser. J'ai dormi combien de temps ?
- J'ai remarqué ! Est-ce que tu sais combien de temps il m'a fallu pour la faire démarrer ? Elle est super fragile, c'est un modèle qu'on ne fait plus dans le commerce ! Une seule mauvaise manipulation et tu aurais pu la briser à jamais et dans ce cas, comment ferait-on pour surveiller les signes vitaux de nos patients ? Sans parler du fait que si ton petit oisillon endormi venait à faire un arrêt cardiaque, personne ne l'aurait su ! Franchement, pour quelqu'un qui voulait à tout prix qu'elle s'en sorte, tu agis vraiment de manière tellement idiote, désolé de te le dire Bébé-ny. Et en plus, si jamais la machine plante, c'est moi qui dois aller faire un rapport à Eth -, s'interromps la jeune femme lorsque nos regards se croisent.
Je cligne des yeux, hésitant entre lui sourire ou simplement détourner le regard. J'ai la certitude qu'elle est humaine, mais il y a quelque chose à propos d'elle qui m'intimide.
Finalement, c'est elle qui choisit pour moi et s'approchant du lit, ignorant totalement Benny, déjà à mes côtés. Elle pose une main froide sur mon front qui me fait frissonner, tandis que son autre main attrape un stylo sortant de sa poche.
Elle recule quelques secondes pour sortir une tablette et tapoter dessus, me jetant de temps à autre des petits regards que je ne comprends pas. Tout comme l'infirmière, elle doit noter des choses sur mon état de santé.
La jeune fille se tourne vers la machine une nouvelle fois, continuant de noter. Une fois dans ma vie, j'aimerais savoir et voir ce que les gens notent dans ces choses. Savoir comment je vais vraiment. Finalement, elle pose le stylo sur le bout de mon nez et le recule, sans dire un mot.
Je suis le stylo des yeux sans comprendre et elle m'offre un sourire triomphant, frappant dans ses mains, ce qui me fait sursauter. Je me tourne vers Benny, définitivement perdue. Ce dernier lève les yeux au ciel et hausse les épaules, avant de se tourner vers l'autre fille.
- Sinon, on peut éteindre la machine maintenant ? Les bruits me rendent dingue et je suis certain que Felidae les déteste autant que moi, soupire Benny.
Je souris, décidée à soutenir le jeune homme sur ce point -la machine me rappelant beaucoup trop d'hôpital -, mais je ne m'attendais pas à la réaction de celle que je compte nommer « infirmière humaine ». La jeune femme lève son stylo vers lui et lui frappe le nez trois fois avec, les sourcils froncés, sous nos regards surpris.
- Nu-uh Bébé-ny ! Pas touche à la machine, peste-t-elle entre chaque coup.
Elle éclate de rire devant nos yeux ouverts et d'un coup, je ne saurais dire ce qui me surprend le plus : son rire ou sa manière d'évoluer dans la pièce. Il y a quelque chose à propos de cette fille qui la rend attachante.
Peut-être ses yeux bruns qui pétillent quand elle rit ou qu'elle regarde la machine, ou alors son visage qui me paraît bien plus jeune que ceux que j'ai pu voir auparavant. De façon assez surprenante, elle ne semble pas avoir de blessures où que ce soit, ni rien qui puisse indiquer qu'elle vienne d'un hôpital ou qu'elle ait croisé des androïdes.
Finalement, c'est peut-être ça qui la rend attachante, l'idée qu'elle puisse ne pas savoir ce que ça fait d'être enfermée dans une pièce et d'entendre ce bruit et uniquement ce bruit toute la journée.
J'aimerais pouvoir dire la même chose, ou savoir ce que cela fait de ne pas entendre ce bruit. Mais je n'ai pas de souvenirs de la période préhôpital. Pas que ce soit une surprise, finalement.
- Madigan, s'il te plaît ? demande Benny avec un petit sourire sur le visage.
Quelque chose passe dans les yeux de la jeune fille -Madigan - lorsqu'elle pose le regard sur Benny, puis moi, puis la machine. Une sorte de compréhension qui me broie le cœur, même si je ne saurais dire pourquoi. Elle tripote quelques boutons et la machine s'arrête, rendant le silence de la pièce beaucoup plus pesant.
🎶 GUESS WHO'S BACK 🎶
Salut tout le monde !
Comment ça va ?
Quoi de neuf depuis l'an dernier ?
Que me racontez-vous ?
Bienvenue dans cette nouvelle partie ! Vous et vos commentaires m'avez manqué, vous ne pouvez pas savoir à quel point. En tout cas, je suis RAVIE d'être de retour sur Wattpad ! Je suis en train d'écrire la partie IV mais ça va, j'ai pas mal d'avance 😏
Qu'avez-vous pensé de cette reprise ?
Selon vous, où est Felidae ?
Est-ce réel ? Ou pas du tout ?
Que se passera-t-il dans la suite ?
Lâchez vos théories en commentaire, je lis tout 😎😎 !
Je vous dis à mardi prochain 🧡
Bonne semaine à tous !
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