À l'abri des regards, résonnaient les plaintes sourdes de la jeune vampire. Hermès lui asséna un coup de pied qui la fit chavirer sur le sol de terre battue. Cet endroit n'avait rien d'attrayant contrairement à l'arrière jardin de Felesia, là où elle avait l'habitude de se battre. Ici, il faisait sombre, la seule lumière était celle de flambeaux accrochés au mur de pierre. L'odeur n'était pas des plus agréables non plus, le seul avantage à cette pièce était que personne ne s'y aventurait. 
S'apprêtant à recevoir un nouveau coup, Malia se releva aussitôt, prête à contrer un coup de poing et en profita pour le frapper à son tour. L’impact du choc sur la joue d’Hermès le fit reculer de quelques pas mais c’était bien trop peu pour le mettre K.O. 

— Je t’ai dit que j’étais désolée !

Hermès se frappa le front à présent tâché de sang. 

— Penses-tu sincèrement que le problème est cette fichue morsure ? Bon sang Malia réveille-toi, tu es une vampire ! Quoi de plus normal que de boire à la source ! Moi-même il m’arrive de me nourrir sur un être humain, mais la différence est que moi je me contrôle et je ne les tue pas. 

Rien n’allait, et rien n'irait jamais bien ! se dit-elle en fronçant les sourcils, le regard baissé. 
À quoi bon s'acharner à se surpasser puisque ses décisions n'étaient jamais bonnes. Il y avait toujours une personne dans sa vie pour intervenir sur ses choix et lui dicter quoi faire. Malia en avait assez, mais le plus déroutant était que sans ces personnes, elle serait probablement morte aujourd'hui. Ces personnes étaient sa famille, prêtes à donner leur vie pour elle et la cause pour laquelle ils se battaient, et en échange qu'avait-elle fait ? Douter, oui elle doutait encore et toujours sur les intentions de son roi et sur sa véritable destinée. 
La vampire s’adossa contre l’un des murs en pierre et déversa toute sa peine dans une avalanche de larmes silencieuses. 

Peiné de la voir ainsi, Hermès s’approcha à pas feutrés jusqu’à elle afin d’essuyer quelques perles d’eau salée et sous son geste, Malia ferma les yeux profitant de ce moment de bienveillance. 

— Le monde dans lequel nous vivons laisse peu de place à la tendresse, n’est-ce pas?

Malia esquissa l’ombre d’un sourire. Sa vie n’était faite que de sang, de combat, de mort et lorsqu’enfin l’amour avait frappé à sa porte, rien ne s’était passé comme elle l’avait imaginé. De zéro prétendant, elle passait à deux hommes et pas des moindres, l’un était un roi, l'autre un Alpha suprême, la vie avait un drôle d’humour. Lenzo représentait la sécurité, la passion et l’avenir. Alban lui, était l’interdit, l’homme à abattre dont elle ressentait tout un tas de sentiments contradictoires. 

— Penses-tu que même la plus mauvaise des personnes puisse changer pour le meilleur ? 

— Certains vivent des traumatismes, et par la suite deviennent malveillants. Je pense que ces personnes-là, avec de l’aide, peuvent changer. Pour répondre plus précisément à ta question, ma réponse en ce qui le concerne est non. Alban est un être malfaisant et d’une cruauté sans nom, si je te disais tout ce que je savais, ton regard ne serait plus le même et ta haine infinie. 

Elle le savait, mais pourquoi s'obstinait-elle à se persuader du contraire ? Il était mauvais, avait commis des choses affreuses et malgré tout, Malia espérait toujours le faire changer. Plus le temps passait et plus le moment fatidique était sur le point d'arriver, seulement elle n'était pas prête. C'était dur de se l'avouer, mais ôter la vie à cet homme lui semblait insurmontable lorsqu'elle se trouvait loin de lui. En revanche, son instinct mortel se réveillait lorsqu'elle se trouvait à ses côtés. Malia sentait cette attirance, mais elle était mortelle et lorsque son Ultime apparaissait, un venin s'immisçait dans chacune de ses veines, la poussant dans ses retranchements les plus sombres. L'Ultime voulait assouvir sa supériorité, quitte à le tuer si cela était nécessaire.  Était-il possible que leurs sentiments ne soient basés que sur la noirceur ? Non, il devait y avoir une autre explication. 

Malia pesta et mit ses deux mains derrière la tête en marchant. C'était incompréhensible, sa vie tout entière était incompréhensible, elle comprenait à présent pourquoi chaque Ultimes avaient fini par perdre la raison. La vampire était elle-même à deux doigts de s'arracher les cheveux tant son esprit était torturé par d'inlassables interrogations.

— Malia regarde-moi, lui dit le vampire en saisissant ses mains. Tu es une jeune femme incroyable, ton Ultime fait de toi une vampire unique et ta destinée d'autant plus. Les réponses sont là sous tes yeux, mais ta bonté et cette attirance malsaine t'empêche de voir Alban tel qu'il est. Je ne peux pas t'en vouloir, tu es la première femme Ultime et peu d'entres nous pouvaient imaginer que la situation tournerait ainsi. 

Hermès esquissa un sourire et du dos de sa main, caressa sa joue. Ce geste surprit Malia qui n'avait pas pour habitude de le voir se dévoiler ainsi. 

— Mais je sais que tu feras les bons choix, tout te semble difficile mais fais moi confiance, je sais que tu y arriveras. Messone avait raison, tu es surprenante, parfois agaçante mais tellement attachante. 

Malia esquissa un sourire à l'entente de son mentor. Cet homme si cher à son coeur qui avait péri sous ses yeux. 

— Cette nuit sera la dernière que tu passeras au château. Demain, si tout ce passe comme prévu, tu seras à nouveau auprès des tiens mais cela veut aussi dire que la guerre commencera enfin. 

Malia écarquilla les yeux. Avait-elle bien entendu ? Alban allait-il la laisser retourner chez elle ? Non, bien sûr que non. Ce regard attendrissant, cette main posée sur sa joue et cette déclaration cachait quelque chose. 

— Je suis très heureux et même honoré d'avoir vécu assez de temps pour te servir Malia.

— Hermès, dit-elle dans un sanglot. 

— Chut ma reine, je n'ai aucun regret et sache que ma vie a été longue et belle mais celle-ci doit s'achever. Je suis las de vivre dans ce monde où l'amour de ma vie m'a été arraché voilà quelques années. Ma mort sera ta liberté, mais aussi celles de beaucoup d'autres surnaturels. Tu n'as aucune idée de ce qui se trame dehors mais je suis convaincu que tu seras celle qui mettra un terme à toute cette folie et cette injustice. 

Malia l'écoutait avec attention, mais son cœur meurtri de chagrin la faisait affreusement souffrir. Il allait mourir, cet homme qui l'avait accompagnée durant ces longues semaines, allait payer de sa vie pour lui offrir la chance de suivre son destin. Un sacrifice bien trop dur à ses yeux et Malia ne put s'empêcher de le serrer dans ses bras pour lui exprimer toute sa tendresse. 

— Ce soir le roi organise une scène de théâtre, sur scène sera joué le plan qu'il compte mettre à exécution. Ensuite il t'amènera dans la grande salle de bal où il te résumera tout ses projets. Tu découvriras alors qui il est réellement et c'est à ce moment que nous, nous interviendrons. 

— Je suis sûr qu'ensemble nous pouvons trouver une solution pour que tu restes en vie.

Le vampire sourit, attendri par ses larmes. Son existence touchait à sa fin et même cette Ultime au grand cœur ne pourrait rien y changer. Il ne ressentait aucune tristesse, bien au contraire, ce moment, il l'avait attendu depuis si longtemps qu'il en était presque excité de pouvoir enfin le mettre à exécution. Mais ayant vécu depuis de nombreuses années, il ne pouvait que comprendre la peine de la jeune femme. La mort pour un immortel était une épreuve que même le temps ne parvenait pas toujours à soigner. 

Hermès s'approcha et embrassa son front avant de s'éloigner de quelques pas. 

— Dis-lui qu'il avait raison et que j'avais tort. Cette phrase le fera sourire car il sait à quel point je ne supporte pas avoir tort. 

Malia fronça les sourcils, confuse. Il ne parlait certainement pas d'Alban, mais alors de qui parlait-il ?  

— Tu le sauras le moment venu. À présent nos routes se séparent, sache que tu as été pour moi une belle rencontre. 

Malia serra les poings pour ne pas se jeter à son cou à nouveau, mais la peine qu'elle ressentait en ce moment même était comparable à des milliers de coups de couteaux. 

— Tu es forte Malia, je crois en toi alors maintenant contrôle ta tristesse afin de pouvoir la transformer en rage lorsque le moment se présentera. 

L'Ultime releva son regard embué de larmes et laissa sa noirceur l'aider à surmonter cette épreuve bien trop douloureuse pour elle. Le regard noir, elle lui adressa le peu de mots qui reussirent  à franchir la barrière de ses lèvres:  

— Je jure de ne pas te décevoir et merci pour tout Hermès, jamais je ne t'oublierai. Jamais. 

Voyant qu'elle était sur le point de s'effondrer, Malia tourna les talons et quitta la pièce la tête haute et les poings serrés. 

Hermès quant à lui observa la jeune femme s'éloigner. Le poids qu'elle devait porter sur ses épaules devait être un véritable fardeau, mais si son instinct se révélait exact, ce qui était bien souvent le cas, Malia allait tous les surprendre. La lune n'était pas entrée dans sa vie par hasard, elle était la clé et cela depuis le début.