Chapitre 7 : Anxieuse
Mon premier cours du matin prend fin et en sortant du bâtiment de la fac, je me retrouve face à Charmeur, planté là comme s'il m'attendait depuis des heures. Son sourire disparaît dès qu'il me voit, remplacé par une moue déçue.
— Alors, as-tu décidé de me faire faux bond hier soir ? Commence-t-il, le ton légèrement accusateur.
Je me souviens soudainement de l'invitation, mais je fais de mon mieux pour ne rien montrer.
— Je t'avais prévenu, les fêtes, ce n'est pas mon truc.
— Je suis sûr que tu finiras par aimer, si tu me laissais te montrer. Donne-moi une chance, la Sauveuse.
Le surnom qu'il utilise me fait bouillir intérieurement, je n'arrivais plus à le tolérer et je sens une pointe de colère monter en moi.
— Arrête de m'appeler comme ça.
Charmeur ne perd rien de son sourire, il se rapproche de ma portée en me murmurant tout bas.
— Je vais en organiser une autre, ce soir. Viens et je te promets d'arrêter de t'appeler ainsi.
J'ignore pour quelle raison, il veut à tout prix compter sur ma présence, je ne suis pas un super élément en termes de fête. Je le regarde, pesant le pour et le contre, mais je sais déjà que Charmeur n'abandonnera pas si facilement. Sans lui répondre, je continue mon chemin, me faufilant entre un groupe de filles qui se tiennent devant moi. Elles sont tellement absorbées par Charmeur qu'elles ne remarquent même pas mon passage. Je gagne enfin mon cours de littérature, mais Charmeur me suit toujours de près.
— Écoute, je ne veux pas te forcer, mais ça me ferait vraiment plaisir si tu venais. Amène tes amis aussi.
Je plonge mon regard dans le sien, hésitante.
— Je vais y réfléchir.
Il se rapproche, vraiment près que je pourrais presque sentir son souffle contre mon visage, puis il me murmure à l'oreille.
— Alors réfléchis bien.
Il m'offre un sourire avant de s'éloigner, les mains dans les poches, se dirigeant vers un escalier. Je le regarde partir, troublée, puis me détourne et entre en classe. L'après-midi, après une matinée chargée, je décide d'étudier à la bibliothèque du campus. Même si je m'installe, mes pensées dérivent inévitablement vers la fête de Charmeur ce soir. Y aller ou non ? Mes réflexions sont interrompues par la vibration de mon téléphone. Je me lève rapidement, laissant mes livres derrière moi, et sors pour vérifier l'appel. En arrivant dehors, je remarque une accumulation de filles devant moi, toutes en train de parler en même temps et de regarder dans une direction précise. Je ne fais pas attention au début, jusqu'à ce que j'entende une voix que je reconnaîtrais n'importe où, celle de Haine. Mon cœur fait un bond. Je bouscule les filles pour me frayer un chemin, et là, je le vois. Haine sort de sa voiture en veste en cuir, qu'il retire pour rester en tee-shirt noir, ses bras musclés bien en évidence. Je ne peux m'empêcher de sourire, mais je fronce aussi les sourcils en remarquant que toutes les filles le dévorent des yeux. Je m'apprête à me diriger vers lui quand je sens une main sur mon bras. Je me retourne et fais face de nouveau à Charmeur, mes livres dans ses mains.
— Je vais commencer à croire que tu es dans cette université dans le seul but de me suivre ?, dis-je, un peu amusée.
Il rigole, et je dois admettre que son rire est contagieux.
— Suivre la Sauveuse ? J'aurais bien voulu, mais non. Je t'ai vue partir brusquement de la bibliothèque et tu as oublié tes livres. Je voulais simplement te les rendre.
Je le remercie en souriant, reconnaissante. Il s'éloigne, mais pas sans se retourner une dernière fois pour me regarder avant de disparaître dans le bâtiment parmi la foule d'étudiants. Je reste là un instant, le sourire aux lèvres, avant de détourner mon regard. Le groupe de filles s'est dissipé, et je décide de retrouver Haine. En arrivant vers lui, le sourire aux lèvres, mes livres pressés contre ma poitrine, je remarque qu'il fixe quelque chose au loin, les sourcils froncés. Il a sûrement assisté à ma discussion avec Charmeur, car je le vois serrer les dents en dévisageant ce dernier. Haine s'assoit sur le capot de sa voiture sportive, me fixant du regard, un éclat amusé dans ses yeux. Lorsque j'arrive devant lui, il se permet de me siffler. Je le regarde, mi-surprise, mi-amusée.
— Je rêve ou tu viens de me siffler ?
Haine, un sourire joueur aux lèvres, réplique.
— Tu es une perle rare, je ne fais que manifester ma joie.
Je pose mes livres sur le capot de sa voiture, un éclat malicieux dans le regard.
— Eh bien, je connais un meilleur moyen pour manifester ta joie. Je peux te montrer si tu veux ?
Haine ne perd pas de temps et pose ses mains sur ma taille, me rapprochant de lui.
— Hum, je veux bien que tu me montres, murmure-t-il, son regard brûlant planté dans le mien.
Je prends doucement son visage entre mes mains, mon souffle se mêlant au sien.
— Alors regarde ça, dis-je avant de l'embrasser longuement, me laissant emporter par l'instant, un sourire se formant au coin de mes lèvres.
Notre baiser est brusquement interrompu par une petite toux discrète derrière nous. Joviale, bras croisés, nous regarde avec un sourire amusé pour manifester sa présence. Haine et moi échangeons un regard complice avant de sourire face à elle. Je me sépare de mon copain à contrecœur et m'avance vers Joviale, un sourire radieux sur le visage. Sans hésiter, je l'enlace chaleureusement.
— Tu m'as tellement manquée, je lui murmure, serrant un peu plus fort.
— Oh si tu savais à quel point toi aussi. C'est compliqué de ne plus avoir ma meilleure amie près de moi.
Je me recule légèrement, toujours souriante, et je les regarde tous les deux.
— Avant, j'aimerais savoir que faites-vous là ?
Joviale me répond avec enthousiasme, sa voix résonnant joyeusement.
— Pour te faire une surprise !
— Merci, ça me fait vraiment plaisir d'être là avec vous !
Joviale, toujours débordante d'énergie, s'exclame alors.
— Il faut immortaliser ça ! Prenons une photo !
Haine, quant à lui, commence déjà à s'éloigner, agitant la main en signe de refus. Je ne lui laisse pas le temps de s'échapper que je le rattrape en riant, l'attrapant par la main pour le ramener près de nous.
— Oh non, toi aussi, tu dois être sur cette photo !
Il soupire, mais je vois bien le sourire qui se dessine malgré lui. Je lui chuchote à l'oreille.
— Allez, juste un sourire, pour moi.
Haine cède, se plaçant à côté de moi. Joviale se met en place, brandissant son téléphone devant nous.
— Prêts ? Un, deux, trois... dites Feelings !, dit-elle avec un grand sourire.
La photo est prise et je sens une chaleur envahir mon cœur. Mes amis étaient certes restés au centre-ville de Feelings, mais je savais qu'au fond, ils seraient là pour moi. C'est dans ces moments-là que je réalise à quel point ils comptent pour moi. Joviale me montre la photo qu'elle vient de prendre, et je ne peux m'empêcher de sourire en voyant nos visages côte à côte. Elle me l'envoie rapidement sur mon téléphone avant de commencer à me raconter ses aventures à l'école de vétérinaire. Je l'écoute tout en jetant un coup d'œil vers Haine qui marche légèrement en retrait. Je sens son regard sur moi, mais je remarque aussi son attention qui dérive vers un groupe de filles un peu plus loin. Elles lui font un petit signe de la main, et il leur répond d'un signe de tête, appréciant visiblement l'attention. Je sens un petit picotement de jalousie naître en moi, mais je n'en montre rien. Tandis que Joviale continue de parler, je ralentis légèrement pour attraper la main de Haine, lui faisant comprendre ma jalousie silencieuse.
Il serre ma main un peu plus fort. Nous continuons alors à marcher, main dans la main, tandis que Joviale parle sans arrêt, ses paroles flottant autour de nous comme une douce mélodie. Le parc à côté du campus est paisible, seulement des joggeurs et quelques étudiants s'y trouvent.
Nous nous asseyons sur un banc, Joviale, toujours aussi passionnée, continue de parler de son école vétérinaire. Elle me montre fièrement des photos des animaux dont elle s'est occupée, évoquant même son projet de stage au zoo de Feelings. Pendant ce temps, Haine est absorbé par son téléphone, passant d'une application à l'autre. Mais je remarque son regard qui semble lointain. En pleine discussion avec ma meilleure amie, Curieux passe près de nous. Joviale, le reconnaissant, s'illumine instantanément. Elle se réjouit de le revoir et le salue avec enthousiasme. Curieux, toujours charmé par la joie communicative de Joviale, répond avec un sourire. Il vient également saluer Haine, mais celui-ci le dévisage brièvement avant de lui lancer un simple salut. Depuis l'an dernier, Haine avait du mal avec Curieux surtout parce qu'il sort avec sa sœur. Joviale, tout sourire, se tourne vers nous.
— Je vous laisse en amoureux, je vais faire un tour du campus avec Curieux, dit-elle, malicieuse.
Je souris en la regardant partir avec Curieux, puis je me rapproche de Haine, remarquant son air soucieux.
— Dis-moi ce qui ne va pas, Haine. Pendant toute la conversation avec Joviale, tu n'as pas dit un seul mot. J'ai l'impression que tu es totalement ailleurs.
Haine range son téléphone en me souriant et répond en arquant un sourcil.
— Sache que quand je suis avec toi, je suis totalement ailleurs, c'est vrai. Mais je vais bien, rassure-toi.
Je le fixe, cherchant à lire dans ses yeux.
— J'espère... Tu n'imagines pas à quel point tu me manques. Que ce soit nos regards insistants qu'on se lançait au lycée, ou cette façon que tu avais de me provoquer.
Haine ricane, plongeant ses yeux verts dans les miens.
— Si tu veux, je peux recommencer à te regarder de manière insistante, dit-il, collant son front au mien, me fixant intensément.
Je ris, puis me calme en sentant son sérieux revenir. Finalement, il pose la question qui semblait le travailler.
— Dis-moi, c'était qui le type de tout à l'heure ?
— Je me demandais quand est-ce que tu allais poser la question.
— Rien ne m'échappe, répond-il.
— C'est un étudiant de deuxième année, il s'appelle Charmeur. C'est juste une connaissance, rien de plus.
Haine éclate de rire avec une pointe d'ironie dans sa voix.
— Charmeur, hein ? Sympa son émotion, il doit plaire à beaucoup. Pourquoi il ne tourne pas autour d'autres filles ? Je suis sûr qu'il sait qui tu es et ce que tu as fait pour Feelings et ça se trouve il se rapproche de toi que pour cette raison.
Je tente de répondre, mais il ne me laisse pas l'occasion. Alors, je l'embrasse soudainement, coupant court à sa jalousie.
— Eh, Haine, tu n'as pas à t'inquiéter. Il peut m'approcher autant qu'il veut, je m'en fiche. Tu sais déjà que mon cœur t'appartient. C'est toi que j'aime, Haine.
Il ouvre la bouche pour rétorquer, mais je pose un doigt sur ses lèvres.
— Chut. Enlève cette colère et fais-moi confiance.
— J'ai toujours eu confiance en toi, Anxieuse.
— Alors continue à le faire.
Je pose ma tête sur l'épaule de Haine, appréciant la chaleur de sa présence, tandis qu'une légère brise passe, agitant doucement mes cheveux. Haine regarde autour de nous, en me serrant la main. Soudain, mon téléphone vibre. C'est un message de Rêveuse qui me rappelle que mon prochain cours avec le professeur rigide va bientôt commencer. Je me redresse, jetant un regard à Haine.
— Je ne vais pas tarder à rejoindre mon prochain cours, tu veux m'accompagner en classe ?
Haine hoche la tête avec un sourire, me tendant la main. Je la prends, sentant sa force et son soutien dans ce simple geste. Ensemble, nous nous dirigeons vers le bâtiment. En chemin, Haine aperçoit Joviale au loin avec Curieux, je lui fais un signe de la main et cette dernière me répond joyeusement.
— J'aurais tellement voulu qu'on soit tous à l'université, dis-je en regardant Haine.
— Ç'aurait été bien, répond-il. J'aurais toujours gardé un œil sur toi, au moins.
— C'est vrai, et tu serais toujours venu à mon secours. Mais aujourd'hui, je dois me sauver moi-même. Après tout, je suis la Sauveuse.
— Pour moi, tu resteras toujours la parano.
Nous avançons vers l'amphithéâtre, et je sens les regards se poser sur nous, ou plutôt sur Haine et sa musculature. À l'entrée des portes, il s'arrête en s'adressant à moi.
— C'est ici que nos chemins se séparent.
— Je t'appellerai ce soir après les cours, ou je t'enverrai un message si je suis trop absorbée par mes devoirs.
Haine m'attire à lui, plongeant son regard dans le mien.
— Privilégie l'appel. À défaut de ne pas pouvoir te voir, je veux au moins entendre ta voix.
— Et après, tu oses me dire que je ne te manque pas ?
Alors que je m'apprête à entrer, Haine me retient par le bras, me tire vers lui et m'embrasse passionnément. Entre deux baisers, il murmure tout bas.
— Tu as ta preuve maintenant.
Puis, il s'éloigne, me tournant le dos et s'avance vers la sortie tout en ignorant les personnes autour de lui. Il quitte le bâtiment en claquant les portes, comme s'il était seul au monde, ce qui me fait rire intérieurement. Je lève les yeux au ciel avant de pénétrer dans l'amphithéâtre, qui commence à se remplir. À l'intérieur, je repère Rêveuse, déjà installée et souriante. Elle a visiblement assisté à toute la scène. Dès que je m'assois à côté d'elle, elle me lance, d'un ton taquin.
— Ah lala, votre couple est si mignon, mais ton copain est tellement sexy et musclé. Tu l'as pêché où ?
Je m'apprête à lui répondre, mais le professeur entre à cet instant et commence son cours sans perdre une seconde. Je souris, repoussant ma réponse à plus tard.
Après le cours, je range mes affaires dans mon sac. Je repense à Haine, à la façon dont il m'a attirée à lui, au baiser intense qu'il m'a donné avant de partir. Une partie de moi est encore perdue dans ce moment, mais je me concentre sur l'instant présent. Rêveuse, toujours curieuse, se tourne vers moi alors que nous sortons de l'amphithéâtre.
— Alors, tu ne m'as toujours pas répondu. Comment vous êtes-vous rencontrés, Haine et toi ?
Je souris en me rappelant notre première rencontre.
— C'est mon voisin, il s'est installé en face et il est aussi devenu mon camarade de lycée. On s'est rencontrés lors d'une dispute. Haine était déjà si... intense. On se provoquait sans cesse tout en s'envoyant des piques, mais au fond, il y avait toujours une attirance. Je ne sais pas comment expliquer ça, mais c'était comme s'il y avait quelque chose entre nous depuis le début.
— Votre relation me fait tellement rêver. Ça se voit, vous avez une connexion spéciale. Et pour ce qui est de Charmeur... il te plaît, non ?
Je m'arrête un instant, surprise par sa question.
— Charmeur ? Non, pas du tout. Il est sympa et très beau, je dois le reconnaitre, mais c'est tout. Haine est le seul qui compte pour moi.
— Cela me rassure, je peux essayer d'avoir une chance avec lui !
— Dis-moi, tu fais quelque chose ce soir ?
— Hum, à part la tonne de devoir et de révisions qui m'attend, non, pourquoi ?
— Eh bien, Charmeur donne une seconde soirée, ça te dit de t'y rendre ?
— Oh, mais avec grand plaisir ! D'autant plus que c'est le gars de mes rêves !
— Regagnons notre chambre pour s'y préparer.
En arrivant dans notre chambre, j'ouvre mon placard afin de choisir une tenue à mettre pour ce soir et je file me préparer dans la salle de bain. J'opte pour une jolie robe blanche que je complète avec une veste en jean et des baskets blanches. Je me maquille légèrement puis sors de la salle de bain et découvre Rêveuse habillée en rose, l'air un peu incertaine. Elle m'aperçoit et s'exclame doucement.
— Oh, mais tu es magnifique !
Je lui souris, touchée par le compliment.
— Merci beaucoup, toi aussi, tu es splendide.
Rêveuse regarde sa tenue avec un petit sourire en coin.
— Tu rigoles ? Je ressemble à une barbe à papa, je ne savais pas quoi mettre.
Je secoue la tête en riant doucement.
— Tu es plutôt un nuage rose d'amour. L'essentiel, c'est que tu te sentes toi-même dans ce que tu portes.
Elle me sourit un peu plus rassurée.
— Tu sais autrefois on ne m'invitait presque jamais à des soirées. C'est un peu nouveau pour moi.
Je ressens parfaitement ce qu'elle peut éprouver. En m'avançant vers elle, je prends mon téléphone en main et lui dis.
— Ne t'en fais pas. Je te promets qu'on va essayer de s'amuser. Et puis, si l'ambiance n'y est pas, on s'en va et on trouvera autre chose à faire.
Rêveuse semble soulagée, et nous nous mettons en route pour la soirée. La fête se trouve dans l'une des maisons proches du parc, cette dernière est facile à repérer avec toutes les voitures garées autour, la musique qui résonne au loin, et les jeux de lumières illuminant les environs. En arrivant, nous nous faufilons parmi les étudiants, observant cette immense maison dont nous ignorons même le propriétaire. On rigole ensemble en se demandant à qui elle peut bien appartenir. Nous finissons par atteindre le jardin, où une immense piscine trône au milieu. Plusieurs jeunes plongent dedans, dont Curieux, qui nous fait signe avant de sauter. Rêveuse et moi éclatons de rire à vive voix. Rêveuse part chercher des verres pendant que je l'attends dans un coin du jardin, me laissant entraîner par le rythme de la musique. Mes pensées vagabondent vers les soirées auxquelles je participais pour faire plaisir à Joviale. Mais ce soir, l'atmosphère est différente. Je ressens une nouvelle émotion, une étrange liberté. Ici, personne ne me connaît vraiment, même s'ils connaissent la "Sauveuse", il ne connaissent pas Anxieuse. Et c'est ce qui compte.
Soudain, la voix de Charmeur se fait entendre, et je lève les yeux pour le voir sur le toit, s'adressant à toute la foule.
— Je veux qu'on fasse tous un tonnerre d'applaudissements pour la sauveuse de Feelings ! Veuillez applaudir Anxieuse !
À cet instant, mon sourire devient timide alors que je croise les bras sur ma poitrine. C'est officiel ce gars est complètement fou. Tout le monde applaudit, et Charmeur continue.
— Allez, les gars, applaudissez-la bien fort ! Grâce à elle, nous pouvons tous ressentir les mêmes émotions ! Je suis sûre que toi, là, tu n'aurais pas pu, ni même toi là-bas ! Allez, faites du bruit pour Anxieuse !
Les applaudissements redoublent d'intensité, et avant que je ne puisse protester, deux grands gaillards robustes me soulèvent dans les airs comme un trophée. Ça me fait rire malgré moi, même si je trouve toute cette attention un peu démesurée. Charmeur a déjà disparu du toit, et je remarque Rêveuse qui arrive avec nos verres en main, éclatant de rire en me voyant portée dans les airs. Finalement, je demande à être reposée, ce que les gars font avec obéissance. Ils me déposent près de l'entrée de la terrasse, non loin de Rêveuse. Elle me tend mon verre avec un sourire amusé.
— Eh bien, je pars quelques secondes, et te voilà déjà en l'air !
Je rigole en prenant mon verre de ses mains.
— Je ne m'y attendais pas, c'est Charmeur qui est à l'origine de tout ça. Je n'ai rien demandé, mais je dois avouer que ça m'a surprise.
— Encore un truc qui montre que cet homme est incroyable.
Soudain, en prenant une gorgée de mon verre et reculant légèrement, je sens un corps derrière moi. En me retournant, je fais face à Charmeur, vêtu d'un t-shirt blanc sous une chemise à carreaux bleu marine. Il relève ses mèches de cheveux avec nonchalance, un sourire éclatant sur son visage.
— Salut les filles, lance-t-il avec aisance.
Rêveuse répond presque instantanément, les yeux pétillants d'admiration, tandis que je le regarde, une lueur de surprise et de légère irritation dans mon regard.
— Tu sais, tu n'étais pas obligé de faire cette acclamation devant tout le monde.
Charmeur me fixe un instant, son sourire ne faiblissant pas.
— Je sais, mais j'en avais envie. Tu es quand même importante, Anxieuse. Enfin, je peux mettre un visage sur une émotion tant entendu.
Ses mots me touchent plus que je ne voudrais l'admettre, mais je me contente de hocher la tête, essayant de dissimuler le léger trouble qu'ils provoquent en moi. Rêveuse, quant à elle, semble complètement sous le charme, ses yeux passant de Charmeur à moi, comme si elle attendait quelque chose de plus. Je prends une respiration, essayant de garder un ton léger et sérieux.
— Eh bien, j'imagine que c'était une bonne façon de démarrer la soirée, dis-je en lui souriant.
Charmeur rit doucement, un éclat malicieux dans les yeux puis disparait pour rejoindre un groupe de garçons se trouvant un peu plus loin. La soirée bat son plein à l'intérieur de la maison, je me laisse emporter par la musique, dansant d'abord avec Rêveuse, puis avec Curieux qui s'est joint à nous. Je me sens bien, même si quelque chose en moi reste distant. Mon regard se pose sur Charmeur, entouré sûrement de ses amis, et je ne peux m'empêcher de remarquer qu'il me regarde aussi. Nos regards se croisent brièvement avant qu'il ne s'éclipse, disparaissant parmi la foule. Quelques minutes plus tard, je remarque que Rêveuse et Curieux sont plongés dans une discussion, je prête une attention particulière, à leurs duos. Me donnant l'impression que Curieux découvre un nouveau intérêt pour elle. Je décide de les laisser et de prendre un moment pour moi et sors de la maison, cherchant un peu de calme pour envoyer un message à Haine. Je lui demande simplement comment il va, espérant une réponse rapide, quelque chose qui me rassure.
Soudain, je sens une présence se rapprocher de moi.
— Tout va bien ?
Je lève la tête et vois Charmeur. Son sourire a disparu et ce dernier semble sincèrement préoccupé. Je lui réponds en rangeant mon téléphone dans la poche de ma veste.
— Oui, tout va bien, je suis sorti pour prendre un peu d'air, je ne suis pas vraiment soirée. Je préfère rester chez moi à bouquiner plutôt que de me mêler aux gens.
Charmeur observe la maison en pleine effervescence, puis reporte son regard sur moi.
— Je partage ton avis, dit-il, j'adore faire la fête avec mes amis, mais c'est vrai que je préfère les moments calmes, parfois, je me sens mieux le soir, je me sens comme apaisé.
— Tout comme moi. J'aime beaucoup la nuit comparé au jour.
Il s'approche un peu plus, son regard plongé dans le mien.
— Ça te dit une petite balade jusqu'au campus ? Propose-t-il.
L'idée d'une balade me séduit. J'accepte, mais avant de partir, j'envoie un message à Rêveuse, lui expliquant que je ne me sens pas très bien et que je rentre à la chambre. Elle me répond rapidement.
Rêveuse : Pas de problème, je rentrerai avec Curieux.
Je rejoins Charmeur qui à déjà commencé à s'avancer. Nous marchons côte à côte dans la nuit, la fraîcheur de l'air me fait du bien. Je remarque alors que Charmeur a une autre facette, plus calme et réfléchi. Le silence entre nous est confortable, puis il brise la glace avec une question qui me surprend.
— Alors, Anxieuse, qui es-tu à part être une Sauveuse ?
Je le regarde, intriguée.
— Je vais te répondre par une autre question, dis-moi Charmeur, pourquoi tu t'intéresses autant à moi ?
— Parce que tu es une Sauveuse et...
Je soupire un peu agacée et de façon légèrement agressive.
— Arrête de m'appeler ainsi ! Je sais que je suis une sauveuse, j'en suis même fière, mais je t'avoue que parfois, c'est épuisant de l'entendre à longueur de journée. Les gens ne m'acceptent plus pour ce que je suis réellement.
Charmeur m'écoute attentivement, puis me sourit, mais cette fois, c'est un sourire sincère, sans malice.
— Je comprends ce que tu veux dire, mais je n'ai pas fini de parler. Tu n'es pas que la Sauveuse de Feelings. Tu es aussi la mienne.
Je suis tellement fatiguée d'être réduite à ce surnom que je n'entends même pas ce que répond Charmeur. En faisant quelques pas plus loin, je m'arrête soudain et me retourne sur lui.
— Attends, tu as dit quoi ?
Il s'avance vers moi et me regarde avec un sérieux qui me prend au dépourvu.
— Tu es ma Sauveuse, et je ne sais encore comment te remercier.
Je fronce les sourcils, ne comprenant pas ce qu'il veut dire. Nous continuons à marcher, cette fois dans le parc auquel le silence est à peine troublé par le bruit lointain des voitures et quelques promeneurs de chiens. L'altitude de Charmeur est totalement différente de ce qu'il montre en journée, je sens qu'il cache quelque chose de lourd. Sa sincérité me touche, et je réalise que sous son apparence insouciante, il y a une profondeur que je n'avais pas encore vue. Il s'arrête soudain et me regarde droit dans les yeux.
— Anxieuse, il y a quelque chose que je n'ai jamais dit à personne. Et certes, je te connais à peine mais je sens que je peux me livrer à toi. Après tout, si tu es dans cette faculté, tu dois sans doute adorer écouter les autres. Tu sais, tout le monde pense que je suis juste le gars sympa, celui qui organise des fêtes, qui fait rire les autres. Mais ce n'est qu'une façade.
Je sens que ce qu'il s'apprête à dire est important et que cela pourrait même changer ma perception de lui. Charmeur se tourne vers moi.
— Je n'ai jamais vraiment eu une bonne relation avec mes parents. Ils étaient assez absents et ont manqué la moitié de ma jeunesse. C'est ma grand-mère qui a pris le relais et nous a élevés.
— Nous ? Je demande doucement.
— Oui, répond-il, moi et mon grand frère, Dévotion.
Je hoche la tête, essayant de relier tout ce qu'il dit à moi.
— Permets-moi, mais je ne comprends pas où est le rapport avec moi ?
Il baisse le regard, son expression se faisant plus sombre.
— La loi ne nous a jamais permis de ressentir et de pouvoir montrer ce que l'on ressentait réellement. Mes parents m'ont toujours dit de charmer les gens, de les séduire pour réussir dans la vie. Mais j'ai toujours trouvé ça injuste, et ça, mes parents ne l'ont jamais compris.
À son altitude, je sens la profondeur de son malaise. Ce qu'il partage avec moi va au-delà de ce que les autres voient. Sous son apparence de jeune homme populaire, se cache une tout autre personnalité
— J'ignorais totalement que d'autres personnes étaient dans le même cas que moi. Dans mon lycée ou dans mon entourage, j'avais l'impression d'être complètement seule.
Charmeur me regarde avec une compréhension profonde.
— On était plusieurs, dit-il doucement, mais on l'ignorait.
Il s'arrête un instant, comme pour rassembler ses pensées, puis continue.
— Ma grand-mère était au courant de mon ressenti. Et surtout, mon grand frère, il a tout fait pour que je ne montre jamais mes émotions, par peur que je me fasse attraper comme ces pauvres gens dans la rue. C'était monstrueux. Il ne voulait pas qu'on m'emmène loin de la maison, en détention ou pire. Mais je ne l'ai pas écouté. Je lui ai dit que ressentir des émotions était ce qui nous rendait humains. Personne n'a le droit de nous interdire nos émotions.
Sous ses mots, j'acquiesce en silence. Puis, une question brûle mes lèvres.
— Pourquoi tu parles de ton frère au passé ?
Charmeur baisse la tête, et relève les yeux pour me parler avec tristesse.
— Mon grand frère avait un an de plus que moi. Aujourd'hui, je m'apprête à avoir deux ans de plus que lui. Il est décédé dans un accident de voiture.
Le poids de ses mots tombe comme une pierre entre nous, je sens mon cœur se serrer pour lui. Au-delà du masque de séducteur, j'aperçois l'homme brisé par une perte qu'il n'a jamais vraiment surmontée. Je reste silencieuse pendant un moment, je ne savais comment réagir face à cette annonce des plus terrible. Je pose alors ma main sur la sienne, tentant de lui offrir un soutien rassurant tandis que je cherche les mots justes. Mon esprit est inondé par l'ampleur de ce que Charmeur vient de me confier. Je finis par murmurer, d'une façon presque hésitante.
— Je suis réellement désolée pour ton frère, pour tout ce que tu as traversé seul...
— Tu n'as pas à te sentir désolée. Tu ne pouvais pas le savoir. Mais sache que lorsque tu as aboli cette loi et arrêter le membre de la famille du dégoût, mes parents ont pu ressentir de la tristesse librement. Ils essayent tout comme moi de faire le deuil de mon frère. Aujourd'hui, je suis plus proche d'eux et ça, c'est grâce à toi. Anxieuse, tu devrais être fière de toi. Ce que tu as fait, c'était... incroyable. Tu as changé la vie de tellement de gens, y compris la mienne. Je ne sais pas si tu réalises réellement l'impact que tu as eu.
Je souris timidement, encore sous le choc de ce qu'il vient de dire.
— Je ne faisais que ce que je pensais être juste... Mais c'est vrai que je ne réalise pas toujours tout ça. Parfois, j'oublie à quel point c'était important.
Charmeur serre doucement ma main en réponse.
— Ne l'oublie pas. Ce que tu as fait a donné à des familles une seconde chance. Tu as donné à des gens, comme moi, l'opportunité de ressentir, de vivre pleinement. C'est quelque chose d'inestimable.
Totalement touchée au plus profond de moi-même, je me sens dépassée par l'intensité de ce moment. Ne savant plus quoi dire de plus, malgré mon regard, qui s'accroche à celui de Charmeur. Soudain, je décide de retirer ma main et m'exclame.
— Je pense qu'il est assez tard, je vais regagner ma chambre.
— Pas de soucis, je te raccompagne.
Arrivés devant la porte, Charmeur se tourne vers moi avec un sourire.
— Merci de m'avoir écouté ce soir, Anxieuse. Ça m'a vraiment fait du bien. Tu feras une bonne psychologue !
— Je suis contente que tu te sois confié à moi, Charmeur. Parfois, parler de ce qu'on ressent aide réellement à alléger le cœur.
Il hoche la tête, et un silence s'installe, lourd de non-dits. Charmeur semble soudainement hésitant, un éclat incertain dans ses yeux. Puis, sans prévenir, il fait un pas en avant et m'enlace doucement. Le contact de ses bras autour de moi est à la fois réconfortant et surprenant. Un peu déstabilisée par ce geste, je reste figée un instant avant de lentement l'éloigner avant que ce soit trop tard. C'est alors que, dans une impulsion qui m'échappe, Charmeur se penche pour m'embrasser. Ses lèvres frôlent les siennes, mais prise de court, je recule immédiatement, avec une expression d'excuse dans le regard.
— Je suis désolée, Charmeur... J'ai déjà quelqu'un, et je tiens réellement à ce qu'on reste simplement amis.
Charmeur se fige un instant, le regret passant dans ses yeux. Il se passe la main dans les cheveux, visiblement embarrassé.
— Oh... je comprends. Je ne savais pas. Désolé, je me suis laissé emporter.
Il tente un sourire maladroit et reprend en s'éloignant.
— Il doit être très chanceux de t'avoir. J'espère le rencontrer un jour.
— Oh, crois-moi, tu ne voudrais probablement pas le rencontrer. Il a un sacré caractère, mais... je suis tellement amoureuse de lui.
— C'est beau de voir à quel point tu parles de lui avec tant de passion, même en son absence. Eh bien, j'espère un jour trouver quelqu'un qui parlera de moi de la même manière.
Il se recule prêt à partir et m'annonce.
— Bonne nuit, Anxieuse. Merci encore... pour tout.
Je lui souris timidement en le regardant s'éloigner dans le couloir...
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