Je sors de la mairie, le cœur lourd. Je n'arrive pas à passer à autre chose de ce que je viens de voir. Haine... mon Haine... Il est méconnaissable. Il n'est que colère, crachant son mépris à cet homme d'entretien qui ne méritait rien de tout ça. Ce n'est pas lui, ce n'est pas l'homme que j'aime. Un pincement au cœur se fait ressentir dans ma poitrine, tout est ma faute. C'est moi qui l'ai poussé dans cette spirale. Je m'en veux tellement...

Je dois faire quelque chose, avant qu'il ne soit trop tard. Joviale a raison, Haine n'arrive plus à gérer ses émotions, et si je ne l'aide pas, il va se détruire. Je ne peux pas rester là, les bras croisés. Je suis venue à la mairie pour rencontrer ma mère, pour cette inauguration des séances de psychologie pour les employés. Alors que celui qui a le plus besoin d'aide en ce moment, c'est Haine. En sortant, je tombe sur l'homme d'entretien. Il est un peu plus âgé que ce que j'avais remarqué plus tôt. Je m'approche de lui, mal à l'aise, prête à m'excuser pour Haine.

— Bonjour, je souhaite vous présenter des excuses pour le comportement de mon copain, je commence, sans mentionner son émotion.

L'homme me regarde avec un sourire fatigué, mais bienveillant.

— Oh, ne vous en faites pas, j'ai l'habitude, avec ma fille. Les jeunes, vous savez ce que c'est !

— Vous avez une fille ?

Il acquiesce avec un sourire fier.

— Oui, d'ailleurs, elle ne va pas tarder à venir pour le déjeuner. Vous voulez la rencontrer ? Je pourrais lui dire que j'ai discuté avec la sauveuse en personne. 

Je soupire intérieurement. Encore quelqu'un qui me reconnaît pour ce que j'ai fait.

— Oh, je ne voudrais pas vous déranger, je n'ai pas vraiment le temps... 

— Ce ne sera pas long, en plus, elle arrive, je l'aperçois au loin.

L'homme insiste avec un tel enthousiasme que je n'ai pas le cœur de refuser. En me retournant, je l'aperçois alors. Une jeune fille rousse, de la même tranche d'âge que moi à peu près, une démarche assurée, entre dans la mairie. Son père se dirige vers elle, la serrant dans ses bras.

— Ah, voilà ma fille ! Malice, viens par ici. Je veux te présenter Anxieuse, la sauveuse de Feelings.

Je salue cette dernière, d'un signe de la main et d'un sourire un peu figé.

— Salut, je m'appelle Anxieuse. 

Elle me rend mon sourire, mais il y a quelque chose qui me semble faux dans son expression.

— Enchantée de te rencontrer, Anxieuse. Donc, tu es la sauveuse de cette ville. Bravo pour tout ce que tu as accompli. 

Je la remercie poliment, mais une partie de moi se méfie déjà. Quelque chose ne va pas, mais je n'ai pas le temps de m'attarder sur cette impression. Je fais un signe de tête à Malice et son père avant de les quitter, sentant leurs regards sur moi. J'espère juste que Malice n'est pas du même genre que Gaffe, la dernière fille que j'ai croisée à la mairie. Je retourne au campus, encore plus perturbée. Quand j'entre dans ma chambre, Rêveuse me saute presque dessus, tel un lièvre.

— Anxieuse ! Tu m'as tellement manqué ce week-end, tu sais ! J'ai imaginé des tonnes de trucs en ne te voyant pas revenir ce matin. 

Je souris faiblement en la serrant contre moi.

— Tu imagines vraiment n'importe quoi, Rêveuse.

Elle rit doucement avant de me regarder plus sérieusement.

— Tu sembles un peu plus joyeuse que la semaine dernière. Ça s'est arrangé entre toi et ton copain ? 

Mon sourire vacille légèrement. Je referme la porte du placard après avoir rangé quelques vêtements.

— Non, pas encore, mais j'ai réglé quelques trucs avec mes amis. C'est déjà un bon début. Maintenant, il faut que je réfléchisse à me rattraper auprès de lui. Et ça, ça risque d'être la partie la plus difficile...

— Eh bien, tu auras tout le temps pour y réfléchir en cours, on a psychologie générale avec Rigide, me dit Rêveuse avec son éternel optimisme, un sourire aux lèvres.

Je pousse un soupir discret tout en prenant mes livres, essayant d'afficher une fausse joie. Rigide... génial. Ce prof est tout sauf agréable, et plus les jours défilent, plus je n'apprécie pas ses cours. Pourtant, il va bien falloir faire avec. Je jette un coup d'œil à Rêveuse, qui se dépêche de rassembler ses affaires de cours puis décide de sortir de la chambre. Je la suis en refermant la porte derrière moi. En chemin vers l'amphithéâtre, nous croisons Curieux. Il nous rejoins, mais son attention est attirée sur une affiche rose qu'il détient en main. Dans la seconde qui suit, il la plie et la glisse dans son sac bandoulière. Je n'y prête pas trop attention, mais il finit par nous prendre la parole tout en se tournant vers moi.

— À ce qu'on raconte, Drôle est parti à la recherche de Gaffe ce matin.

Je lève un sourcil, un peu étonnée, mais je n'ai pas vraiment la tête à ça.

— Tu m'en diras tant, je réponds simplement, sans grand intérêt.

Curieux semble perplexe devant mon manque de réaction, mais je m'en fiche un peu. Ma tête est ailleurs, bien loin de cette histoire tout en sachant que demain, nous allons partir pour une nouvelle aventure, pas des plus joyeuses. Pendant les cours, je sens l'angoisse monter à l'idée de repartir pour cette fois, retrouver Brave. Je fais une brève pause dans mes pensées pour me concentrer sur le cours dès l'entrée du professeur dans la pièce. Quand la pause arrive, Rêveuse et moi nous installons sur une table près de la cafétéria. Curieux nous rejoint, une carte de Feelings à la main. Il dessine quelques cercles avant de lever la tête et nous dire, d'un air sûr.

— Selon Rage et Haine, Brave aurait commencé à chercher Gaffe par ici, près de la sortie de la ville, pas loin de la forêt derrière le ranch de la famille Surprise. On devrait commencer à chercher là-bas.

Je sens Rêveuse un peu perdue. Elle nous regarde tour à tour, visiblement en train d'essayer de comprendre de qui on parle, et surtout ce qu'on est en train de planifier. Finalement, elle demande.

— C'est quoi, ce qui est prévu ? Vous parlez de quoi ?

Je croise le regard de Curieux, et je vois bien qu'il se demande si on doit vraiment tout lui dire. Je prends les devants et me tourne vers Rêveuse.

— L'un de nos amis a disparu. Il faut qu'on parte à sa recherche.

— Et pourquoi vous ne laissez pas la police s'en occuper ?

Avant que je ne puisse répondre, Curieux réplique.

— Eh bien, Brave est lui-même un agent de police. Et puis...

Je le coupe avant qu'il n'en dise trop.

— Et aussi, il a toujours volé à notre secours, notamment au mien. C'est à nous de lui rendre la pareille et de le retrouver.

— Donc, vous partirez demain ? Pour combien de temps ? S'intéresse Rêveuse.

— Aucune idée. Quelques jours, peut-être... On ne sait pas où il est, et plus on attend, plus on perd du temps pour le retrouver.

Curieux intervient.

— Ce serait bien qu'on rentre avant de manquer trop de cours. Il ne faudrait pas gâcher l'année comme l'an dernier.

— Oui, c'est ça qui m'agace. On vient à peine de commencer l'année en plus...

Rêveuse me regarde avec sérieux et me dit doucement.

— Vu comment vous vous démenez, il doit être bien plus qu'un simple ami pour vous.

Je sens mon cœur se serrer à cette remarque. Je la regarde droit dans les yeux et je réponds.

— C'est mon meilleur ami.

— Encore une raison de plus pour que tu ailles le chercher. Je m'occuperai de vos cours si vous voulez.

Curieux et moi, échangeons un regard reconnaissant avant que je ne demande.

— C'est gentil, mais tu ne voudrais pas venir avec nous pour le retrouver ? Enfin, si l'aventure te tente ?

Rêveuse semble touchée par notre proposition, presque surprise.

— Vous êtes sérieux ? Vous voulez vraiment que je vienne avec vous ?

— Ce serait super et puis tu es notre amie, une personne de plus pour nous aider sera toujours la bienvenue, pas vrai Anxieuse ?

— Exactement, mais si tu ne veux pas, ce n'est pas si grave...

Elle réagit rapidement, un peu précipitée.

— Si, si, ça me tente ! C'est juste que... on ne m'a jamais invité à partir en expédition comme ça.

Curieux, toujours joyeux, range la carte avec enthousiasme.

— Eh bien, ce sera une première pour toi. Et puis tu verras, la bande est sympa !

Je soupire, pensant à tout ce que cela va impliquer, surtout le fait de devoir affronter Haine. Curieux vérifie sa montre avant de se lever.

— Bon, les filles, je dois retourner à ma chambre pour préparer mes cours de l'après-midi On se retrouvera demain à six heures trente sur le parking ?

Je hoche la tête avec un sourire qui s'efface aussitôt. Je m'apprête à me lever également quand Charmeur arrive, deux sodas à la main. Il s'installe avec nous sans invitation et nous lance joyeusement.

— Salut les filles ! J'ai pensé à vous, alors je vous ai pris à boire.

Je me retiens de lever les yeux au ciel et Rêveuse me regarde avec amusement. On prend les boissons, un peu gênées. Charmeur se tourne soudainement vers Rêveuse.

— Donc, c'est toi la camarade de chambre de la sauveuse ? Enfin, d'Anxieuse.

Je sens l'agacement monter, et avant qu'il ne puisse continuer, je lui dis en m'imposant.

— Ça tombe bien que tu sois là, Charmeur. Je te présente Rêveuse, et je suis sûre que vous aurez plein de choses à vous dire. Moi, je dois retourner à la chambre pour préparer mes affaires.

Charmeur me regarde partir sans insister, me laissant enfin tranquille. Je traverse le campus, soulagée de lui avoir échappé, mais mon esprit est ailleurs. En entrant dans le bâtiment, je suis frappée par les dizaines de papiers roses accrochés un peu partout, sur lesquels on peut lire.

" Disparition de Gaffe "

J'en arrache une au passage, le regard fixé sur l'avis. Mon cœur se serre. J'ai l'impression que je suis en train de devenir folle. Et si Gaffe était derrière tout ça ? Peut-être qu'elle a trouvé un moyen de capturer Brave pour m'attirer dans un piège.

Une fois dans ma chambre, je referme la porte derrière moi, le souffle coupé, la respiration saccadée. Les images de l'année dernière me reviennent en pleine face, comme un coup de poing. Cette course-poursuite infernale que Gaffe m'a fait vivre avec les agents de traque tout comme ces brûlures qui marquent encore ma peau, souvenirs indélébiles de l'incendie que Gaffe a déclenché. Je revois les flammes qui m'encerclaient, le feu dévorant tout autour de moi. Si Haine n'était pas intervenue ce jour-là, si je n'avais pas senti ses bras m'arracher des flammes, je ne serais certainement plus là aujourd'hui. Il m'a sauvée, à ce moment-là, mais à quel prix ? Les brûlures me rappellent sans cesse ce cauchemar, et Gaffe en est la cause.

J'ai beau essayer de me calmer, c'est un traumatisme qui me ronge encore. J'essaie de chasser ces souvenirs, mais une idée me traverse soudain l'esprit, une pensée si horrible que je frissonne rien qu'en y songeant. Et si c'était Gaffe derrière tout ça ? Derrière la disparition de Brave, cette histoire de résistant, et toutes les autres bizarreries récentes ? Et si elle avait monté tout ce scénario uniquement pour m'attirer et me faire tomber dans un piège ?

Je secoue la tête, essayant de reprendre mes esprits. Non, je vais trop loin... Ça semble tellement énorme que ça en devient ridicule. Pourquoi Gaffe irait-elle si loin, après tout ce temps ? Je reviens à la réalité et me force à me concentrer. Je décide de préparer mon sac à dos pour demain et commence à y ranger des vêtements chauds : une couverture, des gants, tout ce qui pourrait être utile. Au moment où je termine de préparer mon sac, mon téléphone vibre. Un message de Joviale s'affiche à l'écran

Joviale : J'ai hâte qu'on se retrouve demain pour une nouvelle aventure !

Je ne peux m'empêcher de sourire. Rien que l'idée de revoir ma meilleure amie et le reste de mes amis me fait chaud au cœur. Ils m'ont tant manqué, et même si cette aventure s'annonce difficile, savoir que je ne serai pas seule me donne un peu de réconfort. Je prends une grande inspiration. Demain sera une longue journée, mais au moins, je serai entourée de ceux qui comptent.