Chapitre 16 : Haine
Je conduis en compagnie de Joviale et Blessée à mes côtés. Elles parlent de l'annonce de Rage concernant les résistants, de la disparition de Brave et surtout de ce qu'on va devoir faire, mais franchement, je n'écoute qu'à moitié. Mes pensées sont totalement ailleurs, en plus comme si ce n'était pas suffisant, j'ai cette colère constante qui me ronge de l'intérieur.
On arrive enfin. J'ouvre la porte et les laisse entrer, sans un mot, avant de filer direct à la cuisine. J'ouvre le frigo, choppe une bière, la décapsule d'un geste sec, et monte dans ma chambre. Je prends le plan de Brave que j'avais accroché sur la porte de mon placard. De retour au salon, je l'étale sur la table et je m'assieds sur le coin d'un meuble, la bière à la main, écoutant à peine ce que Joviale raconte. Un bruit de porte attire mon attention, Rage et Curieux entrent. Je jette un regard à Curieux en le dévisageant comme à mon habitude puis je détourne les yeux vers la baie vitrée. Rage s'approche de la table en s'adressant à nous tous.
— Peut-être qu'on devrait demander à Anxieuse de venir aussi, dit-elle.
— Non, je réponds aussitôt, la voix froide et tranchante. On est déjà assez pour élaborer ce plan.
— Mais Haine, on a besoin d'elle pour planifier, elle pourrait...
Je m'approche d'elle, pas pour l'intimider, mais je veux qu'elle comprenne mon refus. Au lieu de continuer la confrontation, je prends juste mon paquet de cigarettes en lui murmurant face à elle.
— C'est non.
Je m'éloigne vers le jardin, car j'ai un besoin de m'isoler, de laisser cette colère s'exprimer dans le silence. Assis sur le muret se trouvant au fond de mon jardin, je tire sur ma cigarette, observant la fumée se dissiper dans l'air, comme mes pensées. Après quelques minutes, Rage finit par me rejoindre. Elle me prend la cigarette des mains, tire une bouffée avant de me la rendre.
— Les filles m'ont parlé de toi et d'Anxieuse. Je suis désolée, je ne savais pas.
Je serre les mâchoires, la colère et l'amertume montent encore.
— Et donc tu es venu me faire la morale ?
— Haine... Elle a fait une erreur, mais je suis sûre qu'elle le sait déjà. Où est passé ton amour pour elle pour que tu dises des choses pareilles ? Je ne reconnais pas mon frère dans ce que tu dis. Celui qui était prêt à risquer sa vie pour Anxieuse l'an dernier. Où est passé cet homme ?
Je souffle la fumée de ma cigarette et répond.
— Si j'avais su ce que ça allait me coûter, je n'aurais jamais prêté attention à elle. Elle n'était pas mon genre, et je le savais. Elle n'en valait pas la peine.
Rage est choquée riposte en me faisant des gestes de la main.
— Haine, tu vas trop loin ! Après tout ce que vous avez traversé ensemble, tu ne peux pas juste tout effacer comme ça !
— J'ai longtemps repoussé ma colère mais finalement, je n'aurais pas dû. Avec Anxieuse, j'étais vulnérable, faible. C'est ma colère qui m'a protégé et m'a fait devenir ce que je suis. Alors oui, même si ça te déplaît, c'est la réalité.
Je jette ma cigarette au sol, l'écrase avec une rage froide, puis je range le paquet dans ma poche, mais au même moment Rage me questionne à nouveau.
— Mais où est passé ton amour pour elle ? Toi aussi, tu as fait des erreurs et pourtant elle t'a pardonné !
— Certes, mais je n'ai jamais embrassé une autre fille, ça jamais, j'aurai pu. Mon amour comme tu dis ? Je ricane, mais c'est plus amer que drôle. Mon cœur s'est désormais changé en pierre. Je ne veux plus la revoir, ni lui parler.
— Et pour la quête, tu comptes faire comment ?
— On sera assez nombreux et je m'arrangerai à qu'elle ne soit pas dans mes pattes.
Sans attendre sa réponse, je me lève et retourne à l'intérieur. Je laisse Rage là, dans le jardin, avec les cendres de ce que j'étais. Quant à moi, je rentre dans la maison, la porte claque doucement derrière moi, et je me dirige vers Curieux, Blessée et Joviale qui sont déjà penchés sur le plan de la ville. Leur discussion est sérieuse, concentrée, comme si chaque détail pouvait faire la différence. Je m'approche à mon tour du plan étalé sur la table, et leur montre ce que Brave et moi avions préparé.
— Regardez ici, dis-je en pointant une zone sur la carte, avec Brave, on a suivi Gaffe sur les caméras de la ville jusqu'à cette forêt, près du ranch de sa famille. Après ça, plus rien. On a perdu sa trace. Et c'est d'ailleurs à partir d'ici que Brave a commencé à chercher.
Blessée lève les yeux vers moi et demande, intriguée.
— Mais c'est vers la sortie de la ville, non ?
— Tout juste. C'est pour ça que j'ai donné rendez-vous là-bas dans deux jours. Si Gaffe est partie par là, c'est notre meilleur point de départ.
Alors que j'explique cela, Rage entre dans la pièce, fermant la baie vitrée derrière elle. Nos regards se croisent brièvement avant que je ne reporte mon attention sur le plan. Curieux, qui semble préoccupé, prend la parole.
— Et pour nos parents, on va leur dire quoi ?
— On leur dira qu'on part en camping, ça devrait suffire.
Je laisse échapper un léger soupir, me concentrant à nouveau sur le plan.
— La forêt est immense, tout comme les plaines et les montagnes qui l'entourent. Si on veut retrouver Brave, ou ces soi-disant résistants, il va falloir se séparer.
Joviale, toujours pleine de bon sens, réagit aussitôt.
— Attends, tu veux qu'on fasse des groupes ?
— On couvrira plus de terrain comme ça. C'est notre meilleure chance de retrouver Brave.
— Mais tu comptes les former comment, ces groupes, interviens Blessée, intriguée.
Je sens monter en moi une vague d'irritation. J'ai déjà une idée précise en tête : je veux éviter d'être dans le même groupe qu'Anxieuse. C'est une décision que je n'ai pas encore partagée, mais qui me semble inévitable. Je soupire profondément, cherchant à ne pas laisser transparaître mon agitation. Joviale prend de nouveau la parole.
— Haine, si on doit constituer des groupes, il faut que tout le monde soit là. On ne peut pas les former sans le reste de la bande.
Je grogne intérieurement, mais je dois admettre qu'elle a raison.
— D'accord, on fera les groupes avant de partir, comme ça, tout le monde sera là.
Curieux enchaîne avec une question pratique.
— Et pour le matériel, on apporte quoi ?
— Tout ce que vous pensez nécessaire. Sachant que là où on va, il n'y aura sûrement pas de réseau.
— Dommage que Protecteur ne soit pas là. Il s'y connaît dans ce genre de choses. Lui et Brave adoraient partir en forêt, déclare Curieux avec un rire silencieux.
— Je vais voir Protecteur après son service au restaurant, ce soir. On réglera ça ensemble.
Je demande alors si quelqu'un a d'autres questions. Ils secouent la tête en silence. Je plie la carte et me dirige vers ma chambre, mais pendant que je m'apprête à monter les escaliers, Rage me rattrape. Elle pose une main sur mon épaule, et je sens son regard perçant sur moi.
— Haine, s'il te plaît, dit-elle, sa voix douce, mais ferme, ne laisse pas ta colère te contrôler. Tu es plus fort que ça, bien plus fort.
Ses mots me touchent plus que je ne veux l'admettre. Une part de moi veut croire qu'elle a raison, qu'il reste quelque chose de bon en moi, quelque chose qui peut encore être sauvé. Je la regarde, et pour un bref instant, je suis tenté de céder, de lui montrer que j'ai encore ce côté vulnérable en moi. Mais cette faiblesse, je ne peux pas l'accepter. Je ferme les yeux un instant, laissant ma colère refouler cette émotion. Mon visage se ferme, et je fronce les sourcils, repoussant cette tentation.
— Je pense que tu devrais rejoindre Curieux à l'extérieur, dis-je, ma voix redevenue froide. On se voit plus tard.
Je me détourne d'elle, montant les escaliers sans un mot de plus. Arrivé dans ma chambre, je me dirige immédiatement vers le placard, attrapant un grand sac à dos que j'avais préparé il y a quelques jours. Je commence à rassembler des affaires, glissant des vêtements, un couteau, et quelques autres équipements dans le sac. Mais mes pensées sont totalement ailleurs. Alors que je range encore quelques affaires, la porte s'ouvre. C'est Joviale qui entre avec son sourire habituel effacé par l'inquiétude. Elle s'arrête sur le seuil, me regardant avec cette compassion que je déteste voir.
— Que fais-tu là ? Je pensais que tu étais partie avec Rage et Blessée, dis-je, sans même me retourner.
— Pas avant de m'assurer que tu vas bien, répond-elle doucement.
Je m'arrête un moment, puis je me tourne vers elle. Mon regard est dur.
— Je vais comme un mec qui vient de se faire tromper par celle pour qui il aurait tout fait, qui vient de perdre son pote en foret et qui voit tout son monde s'écrouler. Comment veux-tu que j'aille, Joviale, sérieusement ?!
Elle semble déconcertée par ma réponse, restant figée près de la porte.
— Je suis désolée, c'était une question idiote.
Je soupire, essayant de contenir cette rage qui bout en moi.
— Je m'excuse, si je te parais dur. Mais je ne suis pas le meilleur pour apprendre à gérer mes émotions.
Elle fait un pas en avant en se rapprochant de ma portée.
— Tu n'as pas à être seul dans cette lutte, Haine. C'est compliqué de gérer ses émotions, et je doute que tu veuilles suivre une thérapie ou en parler à un psychologue. Mais moi, je suis là pour toi. Je ne te laisserai pas tomber.
Ses mots sont sincères, et pour une seconde, je ressens de la gratitude. Mais cette même sincérité me met mal à l'aise. Pourquoi est-ce qu'elle s'accroche à moi alors que tout ce que je suis devenu à cause de cette rupture n'est que colère et amertume ? Je pose mes affaires et la regarde dans les yeux.
— Toi et Blessée, vous faites des choses pour moi, mais je ne comprends pas la raison. Je suis une cause perdue, et surtout, vous êtes plus proches d'Anxieuse que de moi. Alors pourquoi vous agissez ainsi ?
— Parce que tu n'es pas une cause perdue, Haine. Pas pour nous, commence-t-elle, sa voix ferme, mais à la fois remplis de douceur. Oui, je suis proche d'Anxieuse, mais ça ne change rien à ce que je pense de toi. On a traversé tellement de choses ensemble. Tu penses que je vais te laisser tomber maintenant ?
Je serre les poings, luttant contre la vague d'émotions qui menace de me submerger. Je veux me convaincre qu'elle a tort, que tout ce que je suis devenu n'est que colère. Mais quelque part au fond de moi, une petite voix murmure que peut-être, elle a raison.
— Joviale, je commence, mais les mots se bloquent dans ma gorge. Je tourne la tête, fixant un point invisible au loin, essayant de retrouver cette carapace que j'ai construite autour de moi. Je suis différent désormais. Avec l'erreur qu'à commis Anxieuse, ma colère, est tout ce qui me reste. C'est elle qui me protège, qui m'empêche de sombrer complètement. Avec Anxieuse, j'étais vulnérable. J'étais faible.
— Tu étais humain, rétorque Joviale, son regard s'adoucissant. Haine, être vulnérable ne signifie pas être faible. Ça signifie que tu avais quelque chose à perdre, quelqu'un que tu aimais. Et c'est ce qui te rendait fort.
Je ris amèrement, secouant la tête.
— Et regarde où ça m'a mené. J'ai tout perdu. Anxieuse m'a trahi et je me retrouve avec cette douleur qui ne disparaît pas. Tu parles de force, mais tout ce que je vois, c'est la destruction que ç'a laissée derrière.
Joviale s'approche encore, réduisant la distance entre nous.
— Je ne dis pas que ce que tu ressens n'est pas valable, Haine. Je dis juste que tu ne dois pas laisser cette douleur te définir. Ne laisse pas ta colère te dévorer. Pas maintenant, pas alors qu'on a encore une chance de tout réparer.
Je la fixe, ses mots résonnants en moi plus que je ne l'aurais voulu. Elle me regarde non pas avec de la pitié, mais avec inquiétude comme si je comptait réellement pour elle.
— Je comprends ce que tu ressens, Haine. Mais sache juste une chose, peu importe à quel point tu essaies de t'endurcir, on sera toujours là pour toi. Parce qu'on tient à toi, même si tu ne t'en rends pas compte.
Je hoche la tête, sans vraiment accepter ses paroles. Je la vois s'éloigner lentement vers la porte, le cœur lourd, mais je ne dis rien pour la retenir. La porte se ferme doucement derrière elle, et je me retrouve seul dans ma chambre, mon sac à dos presque prêt. Je m'assois sur le bord du lit, le poids de tout ce qui vient de se passer s'abattant sur moi. Malgré tous mes efforts pour repousser Joviale, pour maintenir cette façade d'indifférence et de froideur, ses mots continuent de résonner en moi. Peut-être qu'elle a raison. Sûrement qu'il reste encore quelque chose à sauver en moi. Mais je n'en suis pas encore convaincu. Pas maintenant. Pour l'instant, il ne me reste que cette colère, cette amertume qui me ronge de l'intérieur. Et c'est avec ça que je devrais continuer à avancer, coûte que coûte surtout pour devoir faire face à nouveau à Anxieuse.
***
Plus tard, à la fin de l'après-midi, je me rends sur le parking du restaurant des parents de Blessée. C'est là que je retrouve Protecteur. Je termine de fumer ma cigarette, les yeux perdus dans le vide. J'attends Protecteur, sachant qu'il sort bientôt de son service. Quand je le vois enfin s'avancer vers moi, j'écrase le mégot sous ma chaussure et le fixe du regard. Ce dernier d'un air étonné m'adresse à vive voix.
— Haine ? Que fais-tu ici ?
— Je t'attendais, car on a besoin de ton matériel pour la quête. Et je me suis souvenu que tu avais ce qu'il faut.
— Tu t'es souvenu de ça ? Je t'avoue que ça me fait plaisir de le savoir, ça tombe bien que tu sois là, je devais prendre le bus. Mais si tu es là, ça m'arrange. Merci, mec.
— Ouais, je suis ravi de te rendre service, dis-je avec sarcasme
Je regarde Protecteur monter dans ma voiture en fronçant les sourcils, je n'aurai jamais imaginé ce scénario possible, l'an dernier. Je monte à mon tour, et on roule en silence jusqu'à chez lui. Sa maison est une grande bâtisse avec des colonnes imposantes, un peu comme si elle essayait de montrer une certaine puissance. Mais je sais bien que ce n'est que de l'apparence. Quand il ouvre la porte du garage, c'est le chaos total : des cartons partout, des outils qui traînent. Je pose mon sac à terre, observant le désordre tandis que Protecteur commence à fouiller dans les cartons.
— Bon, voyons voir... j'avais deux talkies-walkies, j'espère les avoir gardés. Ah, tiens ! Ils sont là. On en aura besoin pour rester en contact si on se sépare.
Je prends les appareils sans un mot, hochant la tête pour qu'il continue.
— Là, des cordes. On pourrait s'en servir si on doit grimper ou se sortir d'un trou boueux. Et une lampe torche, toujours utile en pleine forêt, lance Protecteur avec fierté. Des tentes et des sacs de couchage. Et tiens, des feux de détresse. Si jamais on se perd...
Je prends ce qu'il me donne, déposant certains objets à côté de moi, car ce sont des objets inutiles la quête qui nous attend.
— Et voilà un téléphone satellite. S'il n'y a pas de réseau, ça nous permettra de rester en contact, ou au moins de prévenir quelqu'un en cas de pépin.
— Tu as vraiment tout ce qu'il faut, j'ai bien fait de venir te voir.
— Oui, tu as bien fait ! D'ailleurs, en parlant de cette quête, ces pseudo-résistants dont Rage nous a parlé... Je t'avoue que j'ai du mal à y croire. Et si tout ça n'était qu'une fausse piste ? Ou pire, un piège...
Je reste silencieux, les yeux toujours fixés sur le chaos autour de moi, mon esprit loin de cette conversation. Protecteur s'arrête dans ses recherches, et s'exclame en tenant un carton en main.
— Et si on allait voir Dégoût en détention ? Peut-être qu'il sait quelque chose sur ces résistants.
Ses mots me frappent de plein fouet. Je tourne enfin la tête vers lui, concentré.
— Répète ça.
— Hein ? Que j'ai du mal à croire à ces résistants ?
— Non, pas ça. Ce que tu as dit sur Dégoût.
— Qu'on devrait aller le voir en détention. Il a brûlé le livre de Feelings pour une raison. Et si c'était pour plus que la création de la loi ? Sûrement qu'il voulait cacher quelque chose, un secret que personne ne devait découvrir ?
Je prends un moment pour réfléchir à ce qu'il vient de dire, hochant lentement la tête en réalisant que c'est peut-être une bonne piste.
— Ce n'est pas une mauvaise idée. On va faire ça.
Il sourit, visiblement content d'avoir été utile. Après avoir rassemblé tout le matériel, on décide de ne pas perdre de temps. Il est déjà tard dans la soirée, mais chaque minute compte. Avec Protecteur, on monte dans la voiture, direction le centre de détention. Sur le chemin, je reste silencieux, mon esprit embrouillé par ce qui m'attend. L'idée de revoir Dégoût me donne des frissons, mais je sais qu'on n'a pas le choix. En arrivant devant le centre de détention, je ralentis, scrutant le bâtiment gardé de partout par des agents de police. Le lieu est lourd de tension, et ça ne fait qu'augmenter la mienne. Je gare la voiture un peu plus loin, les lumières des projecteurs éclairant les murs gris et imposants du centre. Je me tourne vers Protecteur, mes mains crispées sur le volant.
— On va faire comment pour rentrer ?
— Fais-moi confiance.
On sort de la voiture et on s'avance vers l'entrée. Un des agents en poste nous arrête, levant la main pour nous barrer le passage.
— Désolé, accès interdit au public.
Protecteur, sans perdre son calme, affiche un air sérieux, presque hautain.
— C'est l'agent Brave qui nous envoie. Il enquête sur une affaire concernant Dégoût, ment Protecteur avec une certaine assurance.
L'agent plisse les yeux, visiblement en train d'évaluer la situation. Il hésite, ses sourcils se fronçant, alors Protecteur enfonce le clou en faisant monter la pression.
— Vous ne voudriez pas vous opposer au fils du commissaire Courage, n'est-ce pas ?
L'agent blêmit légèrement, sa posture se relâchant un peu. Il semble soudain nerveux, comme s'il avait peur de faire une grosse erreur.
— Oh, non, bien sûr que non... En plus, je viens tout juste de commencer ici ! Vous savez quoi, je vais vous emmener directement à sa cellule. Mais dépêchez-vous, je ne voudrais pas qu'on me demande ce que je fais ici alors que je suis censé m'occuper de l'extérieur.
— Merci, on fera vite.
Je suis surpris par le talent de Protecteur pour ce genre de bluff. On le suit à travers les couloirs du centre, le silence pesant lourdement sur mes épaules. Plus on s'approche, plus un mauvais pressentiment grandit en moi. Des flashbacks me reviennent en mémoire, des images d'Anxieuse, de ce jour où Dégoût l'avait utilisé telle une marionnette, en lui injectant ce sérum de dégoût. Je serre les poings, mes nerfs tendus à l'extrême. L'agent finit par nous conduire devant une cellule, s'arrêtant devant la porte métallique.
— Je reste ici devant la cellule. Vous n'avez qu'à toquer quand vous avez fini.
On entre, et je vois Dégout, en tenue de détention, menotté aux poignets et aux chevilles, assis sur un banc miteux. Il n'est plus que l'ombre de lui-même. Celui qui autrefois se pavanait en costard-cravate, toujours élégant, méprisant tout et tout le monde autour de lui, n'est plus qu'un déchet ambulant. Ses cheveux, jadis soigneusement coiffés et lustrés, sont maintenant grisonnants, sales, et en désordre. Sa barbe, auparavant inexistante, a poussé de manière irrégulière, épaisse par endroits, clairsemée à d'autres. Mais c'est son regard qui a le plus changé. Ses yeux qui autrefois scintillaient d'arrogance et de contrôle, sont désormais glacés, froids comme l'acier. On y lit un dégoût profond, non seulement envers les autres, mais aussi envers lui-même. Ce regard, perçant et inhumain, semble traverser son âme, comme s'il n'avait rien à perdre, comme s'il était déjà consumé par sa propre haine et son mépris. Sa posture est avachie, mais son sourire narquois reste intact, comme un masque grotesque qu'il refuse de retirer malgré la situation. Il lève la tête vers nous en nous méprisant.
— Tiens donc, Haine... Quelle bonne surprise. Je ne m'attendais pas à te voir ici. Qu'est-ce qui t'amène, l'envie de me porter compagnie ? C'est touchant, j'apprécie.
Je serre les dents, mes poings se crispant davantage à chaque mot qu'il prononce. Son ton suffisant, ce sourire que je déteste, tout chez lui me donne envie de le frapper, mais je me retiens. Je sais qu'on est là pour autre chose.
— Ne te fait pas d'illusions, Dégout. Si je pouvais t'enterrer ici, je le ferais. Répond à ma question et on s'en ira ensuite. Es-tu au courant de résistants ayant fui la ville autrefois ?
Je lui crache ces mots avec une rage à peine contenue. Dégoût éclate de rire, un rire noir et tordu, rempli de plaisir malsain.
— Pourquoi je te dirais quoi que ce soit, Haine ? Tu ne me croirais pas de toute façon, venant de moi, répond-il en me fixant de ses yeux froids.
Protecteur s'avance, essayant de garder son calme.
— Parle ! Dis-nous ce que tu as à dire, insiste-t-il, sa voix plus ferme.
Dégout nous regarde tous les deux, un sourire de pitié tordant ses lèvres, comme s'il voyait notre désespoir.
— Si vous êtes devant moi, c'est que vous avez usé toutes vos cartes ! Vous me faites pitié, murmure-t-il, ses yeux glissant de l'un à l'autre.
— Laissons ce déchet pourrir ici. Il n'a rien à dire, dis-je à Protecteur en serrant le poing.
Ma patience atteint sa limite, je suis prêt à tourner les talons et à sortir de cette cellule infecte, mais alors que nous faisons demi-tour pour quitter la cellule, Dégout lâche soudainement.
— Vous avez fini par trouver le second livre à ce que je comprends. Je me demandai si Anxieuse le trouverait un jour, mais il faut croire que tu as été plus rapide que ta copine.
— Que sais-tu sur ce livre ?! Dis-je en m'avançant des barreaux.
— Je sais tout plein de choses comme le fait que vous pourriez fouiller chaque recoin de cette ville et des forêts alentour, mais tant qu'Espoir ne le voudra pas, vous ne le trouverez jamais, lui comme le reste de son groupe de résistants.
Je m'arrête net, le souffle coupé par cette révélation inattendue.
— Qui est Espoir ?! Réponds-moi, vieux fou !
Dégoût rigole en me regardant d'un sourire narquois, Protecteur me retient en me disant qu'il était temps d'y aller avant que l'on se fasse attraper pour notre fausse présence en détention. Alors que je m'apprête à franchir la porte, Dégout ne peut s'empêcher de continuer, sa voix mielleuse résonnant dans la cellule.
— Anxieuse... elle, aurait sûrement été plus perspicace que toi, mais il a dû se passer quelque chose entre vous pour que ce soit toi qui prennes les devants.
Je me fige sur le pas de la porte, mon regard se tournant lentement vers lui, un regard noir et menaçant. Mon souffle est lourd, et je sens la colère bouillir en moi. Dégout, loin de se sentir menacé, semble prendre un plaisir malsain à appuyer là où ça fait mal.
— Ah, ça y est, j'ai touché un point sensible...
Il rit doucement, savourant sa victoire temporaire. Je le foudroie du regard, la rage me dévorant de l'intérieur, mais je ne lui accorde pas la satisfaction d'une réponse. Mon poing se serre à nouveau, mais je me contente de tourner les talons en suivant Protecteur. Nous quittons la cellule, et je fais claquer la porte avec une force qui résonne dans tout le couloir. En m'éloignant, le cœur battant, je me répète ses mots, tentant de ne pas laisser la colère obscurcir mon jugement. Dégoût a peut-être voulu jouer avec moi, mais il a aussi laissé échapper quelque chose d'important. L'émotion d'un certain Espoir, c'est déjà ça de gagner, mais trouver ces résistants ne sera pas aussi simple que je l'avais imaginé.
En regagnant la voiture, je sens la tension qui monte en moi. Protecteur commence à parler, probablement pour briser le silence pesant, mais je ne l'écoute pas vraiment. Mon esprit est ailleurs, en train de décortiquer chaque détail, chaque insinuation de ce vieux fou.
— Haine ? Tu m'entends ?
Je ne réponds pas, perdu dans mes pensées. Il insiste plus fort cette fois.
— Haine ?! T'es avec moi ?!
— Oui ! Je réfléchis juste !
Ma voix résonne dans la voiture, plus dure que je ne l'avais voulu. Je prends une grande inspiration, essayant de me calmer.
— Je pensais qu'en allant voir ce vieux fou, on aurait plus d'indices, mais je n'arrive pas à discerner le faux du vrai dans ses paroles.
— Je pense que ces résistants existent réellement, dit-il calmement. Quand tu as commencé à lui parler d'eux, j'ai vu dans son regard quelque chose... comme s'il avait peur qu'on découvre la vérité.
Je me tourne vers lui, surpris par la perspicacité qu'il montre.
— Je n'aurais jamais pensé que tu étais du genre à remarquer ce genre de détails.
Il esquisse un léger sourire.
— Je l'ai toujours été, mais j'en parle rarement.
— Même pas à Joviale ? Je demande un brin curieux.
— Même pas à elle, on a tous des secrets, répond-il, son regard s'assombrissant légèrement.
— Allez, viens, je te ramène chez toi.
Lorsque nous arrivons chez lui, Protecteur s'apprête à sortir de la voiture, mais il se retourne une dernière fois vers moi.
— Mec, je suis désolé d'avoir été un connard avec toi l'an dernier. T'es un bon ami, et si je t'avais prêté attention plus tôt, je suis sûr qu'on se serait bien entendus.
Je serre le volant, touché par ses mots, et acquiesce avec un sourire sincère.
— Cesse tes compliments mielleux, on se voit le jour du départ, Protecteur.
Il sort de la voiture, je démarre à nouveau et prends la route pour rentrer chez moi, mais une fois arrivé, je remarque que la voiture d'Anxieuse est garée devant son allée. Je lève les yeux et aperçois la lumière allumée à la fenêtre de sa chambre. Je fronce les sourcils, cela veut dire qu'elle est restée pour la nuit chez ses parents. Mais avant que je puisse faire quoi que ce soit, un bruit derrière moi attire mon attention. Je m'avance pour voir ce qui se passe, et c'est là que je l'aperçois à nouveau. Cette brunette, cette fille que j'avais failli renverser une fois, se tient à l'ombre, m'observant. Je tente de traverser la rue pour l'approcher, lui demander ce qu'elle veut, mais un camion surgit de nulle part, me forçant à attendre qu'il passe. Quand je lève à nouveau les yeux, elle a disparu. Je reste là, cherchant dans tous les coins, mais aucune trace d'elle. Est-ce qu'elle est bien réelle, ou est-ce que mon esprit commence à me jouer des tours ? Et si elle existe vraiment, que veut-elle ? Je retourne chez moi, encore secoué par cette étrange rencontre. Quelque chose ne tourne pas rond, et je ne peux m'empêcher de me demander ce que tout cela signifie...
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