Chapitre 33



Assise seule au milieu du car, dans la rangée gauche, je collais ma tête sur le plexiglass de la vitre intérieure. En fermant les yeux, je ne voyais que lui, cet être que je me devais d'oublier. Malgré toute ma volonté, cela m'était impossible. C'était comme si une force mystérieuse m'empêchait par tous les moyens de l'oublier. Je m'étais levée assez tôt, dans les environs de sept heures afin d'éviter le moindre contact avec la foule d'élèves. Le car était déjà présent sur le parking du lycée lors de mon arrivée. Le chauffeur fumait une cigarette devant le car. Quant à moi, il m'a permise de monter à l'intérieur du transport. À travers la vitre, j'aperçus deux agents de police défiler le long du trottoir qui longeait le lycée. Ils étaient alors suivis par d'autres agents qui, contrairement aux deux premiers, possédaient différentes tenues ainsi que différentes armes en main. Je pris une certaine distance en me redressant.

J'avais appris tant de choses ces derniers jours. J'avais subi tant de choses et j'avais aperçu tant de choses. Il fallait y mettre un terme. La sortie d'aujourd'hui allait être un tremplin afin de passer enfin à l'action. En me repositionnant dans mon siège pour fermer les yeux et continuer ma nuit assez agitée par mes pensées, je sentis soudainement une secousse sur le siège à ma droite. En ouvrant les yeux, j'aperçus la longue chevelure blonde de Joviale. Elle portait une veste en jeans sur un tee-shirt blanc avec un pantalon de couleur kaki. Elle me fit un grand sourire en s'exclamant d'un ton fort :

— Coucou ! Ça fait un certain temps qu'on ne s'est pas parlé.

— Joviale, j'étais en cours hier matin ! C'est juste qu'ensuite, je n'allais pas trop bien.

— Tu n'allais pas trop bien pour répondre aux nombreux messages de ta meilleure amie ?

— Je n'ai pas touché à mon téléphone pour tout te dire. Il s'est passé trop de choses, si tu savais. Mais tu fais quoi si tôt ici ?

— Je pourrais te poser la même question, que fais-tu ici ?

— J'avais besoin de fuir un peu la maison et toi ?

— J'avais besoin de voir ma meilleure amie ! Je t'ai trouvée grâce à ta localisation sur ton téléphone.

— Et bien me voici ! Lançai-je en souriant légèrement.

— Sur ton visage, je peux voir que tu n'as pas dormi de toute la nuit.

— Comment tu fais pour savoir ça ?

— Ce sont tes cernes qui me le disent ma chérie. Tu veux me dire ce qu'il s'est passé ?

— Si tu savais...

— Le temps que les autres élèves et la professeure de gestion d'émotions rappliquent, on a encore un certain temps devant nous.

— Je ne sais pas par où commencer ! Depuis le départ de Haine, rien ne va. J'ai appris que Curieux s'était intéressé également à la ville et sa loi. Il a monté toute une affiche, des photos. Il étudie ça tel un détective. Il fait équipe avec Blessée.

— Blessée ?! Comment est-ce possible ?

— Je ne me remets pas de cette nouvelle. Elle faisait semblant depuis le début. Je lui en veux, tu n'as pas idée.

— Tu m'étonnes ! Elle était une taupe depuis le début. Je ne l'ai jamais vraiment bien sentie cette fille. Et que pense Brave de cette nouvelle ?

— Il en sait rien, lorsqu'il est venu à la maison, il m'a informé d'une dispute entre lui et Blessée.

— Attends quoi ! Il est venu chez toi ?

— Plus précisément dans ma chambre, dis-je en serrant les dents tout en étant gênée.

— Quoi ! Mais qu'avez-vous fait ?

— Oh rien ! Ne va pas t'imaginer n'importe quoi voyons ! On a lu le livre duquel j'avais trouvé les pages dans le casier de Protecteur. Brave a trouvé une page cachée dans la tranchefile qui explique la loi. On est tombés de haut lorsqu'on a compris pourquoi la ville est ainsi.

— Et pourquoi la ville est ainsi ?

— Ce serait trop long à t'expliquer. Mais il faut que tu viennes à la maison pour lire le livre.

— Mais tu as laissé le bouquin chez toi ? Sans surveillance ?

— Qui pourrait le prendre ?

— Je ne sais pas, tes parents peut-être, vu qu'ils font partie des membres fondateurs.

— Ne t'en fais pas, je l'ai bien caché ! Il est sous une pile de livres. Mes parents ne feront pas la différence.

— J'espère, vu que tu as l'habitude de perdre les choses. Tu n'as toujours pas retrouvé ton carnet de notes, n'est-ce pas ?

— En effet, tu as raison ! Tu me connais vraiment bien, lançai-je à ma meilleure amie en la regardant. Et pour couronner le tout, j'ai appris que Haine avait une sœur disparue.

— Alors ça, c'est réellement le scoop de l'année ! Comment ça une sœur ? Mais personne sait ça !

— Mon père m'avait dit qu'il y a quatre ans, une fille se renseignait afin de percer le mystère de la ville. Après s'être fait pourchasser par les forces de l'ordre, elle a fui et personne ne l'a retrouvée. Et si cette fille était la sœur de Haine ?

— Mais tout le monde aurait appris que c'était la sœur de Haine, ça semble illogique ! Et puis c'était, il y a quatre ans. Haine est ici que depuis cette année. Depuis quatre ans, je pense qu'il l'aurait retrouvée depuis.

— C'est ce que je me dis ! Mais surtout, il serait de retour depuis si longtemps. Si à l'heure actuelle il est en train de la chercher, vu le nombre d'années qu'elle a disparu, je doute qu'il revienne un jour.

— Je suis désolée pour toi Anxieuse.

— J'ai l'impression que je suis condamnée à être seule. Je tombe amoureuse de la mauvaise personne ou bien ce n'est pas réciproque comme avec Drôle. Et lorsque je commence à tomber amoureuse d'une personne, celle-ci décide de fuir.

— Tu ne peux pas dire ça ! Haine est parti car il a eu une dispute avec son père. Il n'est pas parti à cause de toi. Ne pense pas ça Anxieuse ! s'exclama Joviale en me prenant dans ses bras.

— Je ne sais plus comment faire ou que penser. Je mets mes sentiments de côté parce qu'on doit s'occuper de cette loi. Je dois accepter le fait que Haine soit parti et qu'il ne reviendra pas. Je veux juste l'oublier, mais je n'y arrive pas. Il ne veut pas sortir de ma tête, de mon cœur ou de mes pensées.

— Peut-être parce qu'il ne doit pas en sortir. Je t'avoue que ça me fait pareil avec Protecteur. La raison me dit de l'oublier mais mon cœur pense autre chose. Et je t'avoue que pour le moment, je lui en veux énormément pour le mal qu'il t'a causé, qu'il m'a causé. Mais j'ai une part de moi qui me dit qu'il ne faut pas que je l'oublie. Il y a une part de moi qui me dit que Protecteur aurait besoin de moi pour une raison que j'ignore.

— Ton instinct dit vrai. Protecteur est un vrai crétin mais il a besoin d'aide en ce moment. Il change d'émotion et il ne s'en rend pas compte. Il faut que quelqu'un lui dise car il risque de se faire attraper par les agents de police.

— Il n'a qu'à demander à Gaffe ! Après tout, c'est sa copine.

— Toi comme moi savons qu'elle ne sert à rien à part semer la zizanie. Je n'ose pas croire ce que je vais te dire mais il faut que tu parles à Protecteur, que tu sois là pour lui.

— Il s'est inscrit pour être agent de traque envers les changements d'émotions et tu veux que je l'aide ?

— Oui, avant qu'il soit trop tard.

— Je ne sais pas quelle mouche t'as piquée mais je vais essayer.

Je décidai de me lever des sièges afin d'aller me dégourdir les jambes devant le car. Joviale me suivit. J'aperçus de nombreux élèves attendre devant le transport. Parmi eux, se trouvait Brave qui se tenait près de la soute du bus. Ce dernier était vêtu d'un tee-shirt bleu azur légèrement froissé mais qui allait si bien avec la couleur de ses yeux. Il avait opté pour un pantalon à poche noir, dont dépassait son téléphone de l'une de ses poches. Joviale croisa alors le regard de Brave. Je fis mine de regarder ailleurs afin d'éviter tout contact avec ce dernier. Brave rappliqua ensuite près de Joviale pour nous saluer. Il s'exclama :

— Salut les filles, vous êtes prêtes pour cette fameuse sortie ?

— Oui, j'aime beaucoup trop les voyages en car, s'exclama Joviale de bonne humeur.

— Dis, je peux te parler Anxieuse ? Me lança Brave en tournant son regard vers moi.

— Oui, bien sûr.

— En privé, s'il te plaît.

Je jetai un regard vers ma meilleure amie qui acquiesça d'un coup de tête et s'éloigna un peu plus loin. Brave concentra alors toute son attention sur moi tout en soupirant. Je décidai à ce moment-là de prendre la parole en première :

— Je sais ce que tu vas me dire. Tu as des sentiments envers moi, c'est bien ça ?

— Euh non, pourquoi je dirais ça ? Je suis avec Blessée, c'est elle que j'aime ! Tu le sais bien.

— Tant mieux dans ce cas ! Mais hier, je t'avoue avoir eu un doute lorsque tu m'as attrapé le bras. Je veux que tout soit clair entre nous. Je suis amoureuse de Haine. Je ne ressens plus rien pour toi.

— T'es à côté de la plaque ! Je sais que tu aimes Haine, je suis content pour toi. C'est peut-être exagéré de le dire mais malgré le fait que je ne l'apprécie pas, j'ai accepté ça. Si je me suis rapproché de toi hier, je m'en excuse déjà, c'est parce que je t'ai fait mal et ce n'était pas mon intention. Je t'avoue que j'ai envie de retrouver la fille que je considère désormais comme ma meilleure amie. J'ai envie de repasser du temps avec toi. Et puis qui sait, un jour, si ça marche avec Haine, enfin s'il revient, je pourrais peut-être devenir son ami. J'ai vu qu'apparemment, il lui en manquait.

— Je pense que tu aurais beaucoup de mal. Déjà, il ne me laissait pas l'approcher, alors un ami, je ne sais pas. Après, je me dis que tout est possible. Regarde, j'ai bien réussi à tomber amoureuse de lui alors que je le détestais. Il faut croire que les miracles existent, m'exclamai-je en souriant timidement.

— Je crois bien. Tout est ok entre nous désormais ?

— Je confirme.

— C'est beau de te voir sourire !

J'acquiesçai d'un signe de tête. Au même moment, la professeure de gestion d'émotions arriva près du car afin de faire l'appel parmi les élèves. Au fur et à mesure, l'ensemble de la classe répondait présent hormis une personne. Joviale me jeta alors un coup d'œil lorsque je compris quelle personne manquait à l'appel. Il s'agissait de Protecteur. La professeure commença à faire rentrer les élèves dans le car, un par un. Je récupérai ainsi ma place près de la vitre dans le bus. Joviale s'installa à ma droite. Quant à Brave, il s'installa dans le fond du bus en rejoignant deux autres amis à lui. Une fois que tout le monde était installé, la professeure demanda au chauffeur de bus de fermer les portes afin de démarrer. Alors que le bus venait de démarrer, Joviale ressentit un pressentiment. Elle se retourna alors sans cesse. Puis soudain, elle fit un bond de son siège jusqu'au devant du bus en s'exclamant à la prof d'un ton assez fort tout en n'oubliant pas de montrer sa joie vivre :

— Madame ! Arrêtez le bus ! Protecteur est là ! s'écria joyeusement ma meilleure amie.

— Mais que dites-vous ! J'ai fait l'appel et il était pas là !

— J'ai reçu un message de sa provenance, madame ! Il est en train de courir après le bus ! S'il vous plaît, arrêtez-le !

— Bien, on va stopper le bus.

Sous l'incompréhension, la professeure demanda au chauffeur de s'arrêter. Je ne compris pas comment Joviale était si sûre. Les portes du bus s'ouvrirent pendant quelques secondes. Joviale, toujours debout, fixait l'entrée. Après quelques secondes à attendre, aucun signe de Protecteur. La prof dévisagea alors Joviale. Elle s'apprêta à donner l'ordre de repartir. Soudain, une ombre masculine franchit l'entrée du bus. Il s'agissait de Protecteur qui reprit son souffle. Il s'excusa de son retard et dans la même inspiration remercia la professeure. Cette dernière lui indiqua Joviale du doigt en s'exclamant :

— Si vous devez remercier quelqu'un, ce n'est pas moi, mais Joviale ! Elle a demandé qu'on arrête le car pour vous attendre.

Protecteur fila dans l'allée des sièges en fixant Joviale du regard. Il avança pas à pas vers ma meilleure amie. Une fois devant elle, pas un mot, pas un trait de visage. Mais juste un coup de tête en guise de remerciement. Ma meilleure amie lui sourit légèrement puis décida alors de s'asseoir. Protecteur quant à lui s'installa dans un des sièges du fond près de Gaffe. Le car redémarra et je dressai mon regard sur ma meilleure amie en ne comprenant pas ce qu'il venait de se passer. Cette dernière sentit mon regard. Je m'exclamai ainsi :

— Tu m'expliques ?

— Expliquer quoi ?

— Ce qu'il vient de se passer ? Ce qu'il t'a pris d'agir ainsi ?

— C'est toi qui m'as dit d'être là pour lui donc c'est ce que j'ai fait.

— Mais comment tu as su ? Tu dis qu'il t'a envoyé un message. Or, je ne t'ai même pas vu lire tes messages.

— Il ne m'a rien envoyé ! Je ne sais pas, j'ai eu comme un pressentiment. C'est assez étrange, je peux pas l'expliquer.

— Mais qui êtes-vous ? Et qu'avez-vous fait à Joviale, ma meilleure amie ?

— Je suis toujours là ! S'exclama Joviale.

Le car avait quitté le centre-ville de Feelings. Il roulait à présent entre champs et verdure. Plus de bâtiments, de maisons ou de devantures de magasins. Seulement des plaines avec des vaches et des chevaux. Durant le trajet, je fixai le paysage qui défilait sous mes yeux pour m'évader. En plongeant mon regard dans ce décor naturel, je me demandais où était passé Haine. Était-il toujours à Feelings ? Pensait-il encore à moi ?

Je me fis sortir de mes pensées par Joviale qui avait enlevé ses écouteurs pour me prévenir que nous étions proches du centre. Sans m'en rendre compte, je n'avais pas vu que nous étions proche d'un immense portail battant motorisé de couleur noir. Ce dernier entourait une énorme superficie qui donnait la sensation que l'on ne voulait pas qu'on découvre ce qui se cachait à l'intérieur. Des agents de l'ordre avec des chiens de garde se trouvaient devant l'entrée du centre. Après avoir été autorisés à rentrer, les portes s'ouvrirent donnant accès sur un immense parking sur lequel plusieurs fourgons noirs aux vitres teintées étaient garés. Le car se gara sur une place réservée. En sortant du bus, je fis face à un immense bâtiment. Chaque personne qui en sortait était soit un agent de police, soit une personne portant une blouse blanche. Sans doute des chercheurs ou scientifiques. En jetant un œil sur l'environnement, mon stress n'avait jamais été aussi fort. Cela me rappelait ma mésaventure à la mairie. Mon cœur battait à cent à l'heure. Je sentis des transpirations, des tremblements lorsque soudain, je sentis une main se poser sur mon épaule. C'était Brave qui avait sans doute remarqué mon angoisse. La professeure nous mena à l'entrée du bâtiment où un homme en blouse blanche se tenait devant la porte. Il avait les cheveux courts et grisonnants. Sous son habit de parfait scientifique, il portait une simple chemise blanche sur un pantalon à pince noir. Il s'agissait sans doute du chef de service. J'ignorais de quelle famille d'émotion il appartenait. Il semblait si content de nous voir. Il s'exprima alors :

— Bienvenue ! Je me prénomme Épaté. Je fais partie de la famille de la surprise. Pour ceux qui veulent savoir, je vois qu'il y a ma nièce parmi vous. Pour l'ensemble de la journée, vous serez avec moi. Allez suivez-moi, il y a tant de choses à voir !

J'avais levé les yeux au ciel devant Brave lorsque Épaté a parlé de sa nièce qui n'était autre que Gaffe. Brave haussa ses épaules en suivant la classe. Une fois à l'intérieur, une grande banque d'accueil était devant l'entrée. Deux jeunes femmes en blouse y étaient. Dans les moindres coins étaient postés des agents de police armés jusqu'aux dents. Mais aucune personne ressentant un changement d'émotions n'était visible. Épaté nous montra l'ensemble du lieu avec fierté, de son histoire jusqu'à aujourd'hui. Je n'avais pas l'oreille attentive, trop concentrée à regarder les moindres recoins de ce centre. En suivant la classe, je sentis du courage et de la colère. Il me fallait des réponses à tout prix. Je me faufilai au milieu du groupe d'élèves afin de prendre la parole devant Épaté. Une fois devant ce dernier, je croisai alors mes bras sur mon buste en m'exclamant :

— C'est bien beau de nous parler du passé mais où ils sont les gens que vous attrapez ? Vous en faites quoi des changements d'émotions ? Tout ce qu'on voit ici ce sont vos collègues et les agents de police.

— Tu es ?

— Anxieuse.

— Ne t'en fais pas, c'est prévu au programme. Je n'allais pas vous montrer directement le devant de la scène. Il faut d'abord passer par les coulisses, jeune fille de la peur.

— Dans ce cas, je vais attendre. J'avais juste peur que vous ne nous montriez pas ce côté qui est le plus intéressant.

La professeure me tirailla alors du regard. Épaté, s'exclama ainsi en faisant un signe de la main à mon enseignante :

— Ce n'est rien voyons ! Cela prouve qu'elle est vraiment intéressée.

Le chef de service reprit la visite. Je restai à ce moment-là figée sur le sol. Lorsque Brave arriva à mon niveau, il s'exclama :

— Décidément, tu ne fais pas les choses à moitié.

— J'en avais marre qu'il parle pour rien dire. Il me faut des réponses.

— Justement, il faut que tu fasses comme si rien n'était jusqu'à qu'on trouve la moindre chose qui nous éclairerait. Il faut que tu te tiennes tranquille Anxieuse ! Fais cet effort, je t'en prie.

— Je vais essayer, grommelai-je.

Brave rattrapa le groupe qui commença à s'en aller de mon champ de vision. Je les suivis un peu plus loin. En regardant autour de moi, je ne m'étais pas rendue compte que je m'étais heurtée à une personne. Cette dernière était une scientifique qui portait une tonne de documents avant qu'ils ne tombent. Je m'agenouillai alors afin de l'aider à ramasser les quelques feuilles qui lui avaient glissé des mains. Cette dernière me remercia et se leva ensuite. Je me rendis compte que la scientifique avait fait tomber son badge d'accès. Je le saisis, me levai dans le but de le lui rendre avant de me retenir. C'était peut-être un signe. Quelque chose me disait qu'il fallait que je garde ce badge. De toute évidence, la scientifique était déjà trop loin pour que je lui rende. Je mis alors le badge en poche tout en regardant autour de moi afin de m'assurer que personne n'avait aperçu la scène. Je m'en allai ensuite dans la direction de ma classe.

Après avoir retrouvé la classe qui se dirigeait vers un jardin intérieur du bâtiment. Une sorte de yourte contemporaine assez grande se trouvait au centre de la salle. Une partie du jardin avait été délocalisée afin d'être installée dans le bâtiment ce qui donnait l'impression d'être à l'extérieur tout en étant à l'intérieur. Épaté nous fit rentrer dans la yourte, où se trouvaient des citoyens en pleine relaxation. Sans doute des changements d'émotions. Épaté s'exclama tout en s'approchant de l'un des patients :

— Je vous présente Ravi. Il est un de nos patients depuis plus de deux mois. Ravi a fait un changement d'émotion où il a exprimé de la colère plus d'une fois. Ce n'est pas son émotion naturelle. Du coup grâce aux soins de notre centre, Ravi est en train de revenir à son émotion initiale. Tout ça, avec beaucoup de relaxation et de remise en forme mentalement. Ravi est sur la bonne voie pour revenir à son émotion. Pas vrai mon cher ?

— Je suis ravi de vous entendre dire cela.

— C'est bien Ravi, continuez ainsi !

Le patient était si différent. Je ne connaissais pas cette personne mais l'aspect qu'il dégageait était si anormal. Il me donnait l'impression que quelque chose ne tournait pas rond. C'était comme si on lui avait injecté un sérum afin qu'il s'exprime ainsi. Cela me paraissait si irréel. Tout en fronçant les sourcils, je dévisageai l'ensemble des personnes de la yourte. J'aperçus Brave se frayer un chemin parmi les élèves afin de venir me rejoindre dans le fond de la salle. Il me chuchota :

— Qu'en penses-tu ?

— Je trouve ça irréel. Ce n'est pas normal, j'ai l'impression qu'on nous cache quelque chose de plus terrifiant. On traque ces personnes comme du gibier et là on nous dit qu'ils font juste des séances de relaxation. C'est impossible...

— J'ai le même pressentiment. Vu l'atrocité de leurs arrestations, je n'y crois pas une seconde. J'ai l'impression que tout est illusoire. Sa façon de s'exprimer me donne la sensation qu'on lui a fait du mal jusqu'à le vider de toute émotion. Mais comment on peut faire pour savoir la vérité ?

— Ce n'est sûrement pas en restant parmi le groupe qu'on aura nos réponses.

— Et comment tu comptes t'y prendre ?

— Avec ceci, lançai-je à Brave en sortant légèrement de ma poche le badge d'accès.

— Où t'as trouvé ça ?! M'interrogea Brave en me jetant des gros yeux.

— Je n'ai pas vu où j'allais et je me suis pris une scientifique qui a fait tomber son badge.

— Il fallait lui rendre, c'est un vol !

— Tu vas me passer les menottes ?

— Non, mais mon père l'aurait fait.

— Tu n'es pas ton père Brave ! Et puis c'est grâce à ça que l'on aura nos réponses. Il suffit de trouver la porte correspondante.

— On a une pause déjeuner dans pas longtemps, on prétextera qu'on doit aller aux toilettes et on se rejoindra.

— On se rejoindra devant hein, pas à l'intérieur des cabinets ?

— Bien sûr, qu'est-ce qu'on irait faire là-bas ensemble ? Ricana silencieusement Brave.

Je haussai les épaules face au propos de Brave. Le groupe d'élèves se dirigea ensuite vers un espace déjeuner. La salle débouchait sur un extérieur où se trouvait des petits arbustes ainsi qu'une grande fontaine en pierre. Au milieu de cet espace aménagé, il y avait des tables en bois. La professeure s'installa avec Épaté pour partager son déjeuner et continuer de lui parler. Quant à moi, je m'installai près de l'une des tables en bois. En pleine réflexion, je guettai le moindre scientifique mais surtout le signal de Brave. Ce dernier avait rejoint une table voisine. Après quelques secondes à réfléchir au pourquoi du comment, Joviale fit son apparition en s'asseyant face à moi. Elle s'exclama :

— Toi, tu as appris quelque chose ! Je me trompe ?

— Bien vu ! Enfin, c'est une supposition. J'ai l'impression qu'il y a quelque chose qui se trame de plus dangereux ici. Tu n'as pas ressenti ça lorsque Épaté est venu parler à son patient ?

— Je t'avoue que je n'ai pas vraiment écouté. J'étais trop occupée à autre chose.

— Que faisais-tu ?

— Je parlais avec Protecteur.

— À propos de ?

— Oh de tout et de rien.

— Je n'ose pas y croire une seconde ! Dis-moi tout.

— Tu sais quoi ? Je vais aller chercher de quoi manger au distributeur, s'exclama Joviale en s'éloignant de la table.

— Reviens, Joviale ! Lui criai-je en me levant.

Plusieurs regards se posèrent alors sur moi. Prise de honte, je n'y prêtais pas attention. Lorsque soudain, Épaté avança jusqu'à ma table en posant une pomme rouge. Il s'exclama en me regardant avec insistance :

— Tu es la seule qui n'ait pas pris d'encas ? Je t'offre la pomme de notre si beau pommier ! S'exclama le chef de service en désignant du doigt un arbre.

— Merci, mais je n'ai pas vraiment faim. J'ai plutôt faim de connaissance et de savoir.

— J'ai cru comprendre que tu étais très intéressée par ce centre. Je peux savoir pourquoi ?

— Je ne sais pas. Peut-être parce qu'on enferme des innocents qui demandent juste à vivre.

Il me sourit d'un air narquois :

— Que sais-tu des changements d'émotions, Anxieuse ?

— Que c'est mal, affirmai-je tout en pensant le contraire.

— Et bien voilà ! Sache qu'on n'enferme pas les individus, on prend soin d'eux. On les conseille, on les aide à rester eux-mêmes. Il n'y a pas de méchanceté dans nos actes.

— Alors pourquoi la plupart de vos agents sont armés jusqu'aux dents ? Vous avez même des chiens de garde qui font vraiment peur.

— Pour garantir notre sécurité, la sécurité de tous. Il faut bien protéger ces personnes-là qui sont à risque, n'est-ce pas ?

— Bien sûr, répondis-je droit dans les yeux de ce dernier.

Il décala la pomme pour la positionner devant moi. Il me lança ensuite un regard tout en s'en allant vers d'autres tables. Je le regardai avec mépris tout en jetant un regard vers la table voisine où Brave s'était installé. Celui-ci n'y était plus. Je compris alors qu'il s'agissait du signal de mon ami. En me levant, je m'orientai vers l'intérieur du bâtiment en passant devant Joviale qui était en pleine discussion avec Protecteur. Je ne fis pas attention et continuai mon chemin vers les toilettes des femmes qui étaient à côté de celles des hommes. En m'approchant de celui-ci, j'aperçus Brave sortir des cabinets, il s'exclama alors :

— Tu en as mis du temps !

— Épaté est venu me parler ! Je ne pouvais pas faire autrement.

— Il t'a dit quoi ?

— Il m'a dit que ce qu'ils faisaient ici était bon pour les habitants de Feelings, du moins pour les changements d'émotions.

— Oui, il dirait pas le contraire. J'ai regardé les alentours des cabinets. Il n'y a aucune porte, mis à part le débarras.

— On finira bien par la trouver cette porte.

Après un certain temps à faire le tour des portes, en essayant de pas se faire voir par les dizaines de gardes et de scientifiques, on se rendit dans une salle qui n'était autre qu'un vestiaire. Brave décida alors de prendre des blouses qui trainaient. Il en enfila une et me tendit l'autre. On enfilait ses blouses lorsque Brave s'exclama :

— On a l'allure du parfait scientifique.

— Je n'aurais jamais pensé à cette idée. Il faut maintenant trouver la moindre chose qui pourrait nous servir.

— En vitesse ! S'exclama Brave en sortant son téléphone.

— Qu'y a-t-il ?

— Protecteur m'a envoyé un message. La professeure me cherche. J'ai demandé à ce qu'il dise que je suis sorti fumer.

— Mais tu ne fumes pas ?

— Non mais ça la prof le sait pas.

— Astucieux ! répondis-je à mon ami.

Il acquiesça d'un signe de tête en me souriant. On prit la fuite du vestiaire afin de rejoindre le couloir principal. Après quelques minutes de recherches intensives, Brave décida alors de revenir sur nos pas pour retourner avec la classe. En soupirant, je pris le chemin inverse lorsque soudain deux portes coulissantes s'ouvrirent à nous. Le badge dans ma poche avait sûrement actionné l'ouverture. En rentrant dans la salle, le néant total. La salle était très lumineuse. Il y avait des murs blancs, aucun meuble, aucune porte. C'était à se demander l'utilité de cette pièce. Brave s'exclama suite à cette découverte futile :

— Une ouverture par badge pour une salle vide, ça n'a aucun sens ! Ne restons pas là ! On perd notre temps ici !

— Attends ! Je doute que cette salle ne serve à rien. Je pense que c'est juste un sas pour passer à une autre salle.

— Où tu vois une autre salle ici ?

Je me mis alors à observer la salle dans les moindres détails. Rien d'apparent. J'avais l'intuition de toucher l'un des quatre murs que contenait la pièce. Quand tout d'un coup, je me rendis compte qu'il ne s'agissait pas d'un mur mais d'une porte qu'il fallait faire coulisser sur le côté. Cette découverte était des plus étonnantes. En coulissant la porte, Brave m'interrogea :

— Comment tu as fait pour savoir qu'il y avait une porte ?

— Aucune idée, j'ai eu une petite intuition.

— Je t'ai toujours admirée pour ça ! Tu abandonnes jamais.

L'endroit sur lequel débouchait la porte coulissante était si sombre. Rien à voir avec la clarté qu'était le sas. La porte donnait sur un long couloir étroit dont les murs étaient en pierre. Rien à voir avec l'architecture du bâtiment. L'ambiance était assez macabre. Des toiles d'araignées étaient logées sur l'ensemble des murs, les ampoules commençaient à rendre l'âme. Certaines étaient grillées. Il n'y avait aucun bruit. Je décidai alors de combler le silence :

— Ce couloir n'a pas à être ici. Je me demande ce qu'il y a au bout de ce tunnel. L'ambiance me fait penser à un film d'horreur. Tu n'imagines pas à quel point j'en ai peur. C'est la catégorie de film que je suis autorisée à voir mais c'est la pire pour moi.

— Je n'ai jamais vu de film d'horreur. Je suis abonné aux films d'action et d'aventure où le courage est omniprésent. Mais l'ambiance de ce couloir me donne une drôle de sensation.

— C'est de la peur que tu ressens. Bienvenue dans mon quotidien. Rassure-toi, je suis tout aussi effrayée que toi. Si ce n'est que le couloir qui nous fait peur alors, je n'ose pas imaginer ce qui nous attend au bout.

Brave décida ainsi de me prendre la main et de la serrer. En regardant ce geste des plus inattendus, je lui serrai la main en lui souriant. Brave se stoppa et prit la parole :

— Au moins, on est ensemble ! Je ne te laisserai pas avoir peur toute seule. Et puis on ne se perdra pas, main dans la main.

On reprit la marche, pas à pas et main dans la main, quand subitement des hurlements de douleurs se faisaient entendre. Prise par la peur, je serrai si fort la main de Brave qu'il devait sans doute ressentir une douleur. En marchant vers ces hurlements, nous pouvions apercevoir une porte avec un accès badgé. En regardant Brave, je passai le badge que j'avais en poche sur l'émetteur. Celui-ci s'alluma d'un vert éclatant tout en ouvrant l'accès. La peur me monta si vite dans le corps que je ne contrôlais plus mes faits et gestes. Je pris l'initiative de déposer mes mains sur mes oreilles afin d'étouffer les hurlements. Dès l'ouverture de cette porte, Brave décida de prendre son courage à deux mains et de passer le premier. Ce dernier s'avança ensuite dans l'inconnu. Durant quelques secondes, les cris avaient disparu. J'enlevai ainsi mes mains de mes oreilles. Je m'inquiétai pour Brave qui m'avait donné aucun retour depuis quelques secondes. Soudain Brave réapparut en affichant une mine troublée. Il me donnait l'impression qu'il venait de voir un fantôme. Ce dernier s'exclama tout en bégayant :

—Anxieuse... il... il faut que l'on quitte cet endroit au plus... vite... vite.

— Mais qu'est-ce qu'il te prend de parler en bégayant. Qu'y a-t-il Brave ? Tout va bien ?

— Il... Il ne faut pas que tu vois ça ! Il faut s'en aller au plus vite !

Je ne compris pas pourquoi mon ami agissait ainsi. Brave me bloqua le passage afin que je fasse demi-tour. Il était hors de question qu'après tout ça, je rebrousse chemin. En bousculant Brave afin de rentrer dans la salle, je pus accéder à ce que mon ami souhaitait me cacher. J'étais prise d'effroi. Si j'avais su, j'aurais fait demi-tour en écoutant les conseils de Brave...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top