Chapitre 31




En rentrant à la maison, j'étais si apeurée que la moindre ombre aurait pu me faire peur. Voir cette jeune fille se faire traquer tel un gibier n'était pas normal. J'avais l'impression que les habitants étaient aveuglés par cette maudite loi. Je me sentais seule à me rendre compte de la monstruosité de leurs actes. Il fallait que ça change au plus vite. Aucun être vivant avait le droit de se faire arrêter de la sorte. En refermant la porte de ma chambre à clé, un bruit se fit entendre. En prenant mon sac, je me rendis compte que j'avais pris le livre de Feelings avec moi. Avec tous les événements qui s'étaient passés depuis que j'ai récupéré les pages dans le casier de Protecteur, je n'avais pas eu un seul moment pour lire le livre.

En m'asseyant sur la chaise roulante de mon bureau, je saisis le livre en main et l'ouvris au sommaire. Soudain, j'entendis des secousses et la sonnette de la porte d'entrée. Étant donné que j'étais seule à la maison, je descendis afin de savoir de qui il pouvait s'agir. En ouvrant la porte d'entrée. C'était Brave. Il avait une mine assez fatiguée. Il mit ses mains dans les poches de son pantalon. En m'apercevant, il me fit un léger sourire avant de s'exclamer :

— Salut Anxieuse ! Je passais pour savoir comment tu allais ? Tu n'étais pas en forme en cours donc je suis venu pour voir si tout allait bien.

— Oui, tout va bien. Mais toi comment tu vas ?

— Oh, je ne veux pas t'embêter avec mes soucis, tu en as déjà assez.

— Tu me déranges pas du tout. Entre si tu le souhaites.

— Je ne te dérange pas ?

— Non, au contraire ! Il fallait que je te montre quelque chose.

— Très bien, je te suis.

En refermant la porte derrière Brave, je le conduisis jusqu'à ma chambre afin de lui montrer le livre de Feeling. En l'invitant à rentrer dans ma chambre, il regarda le mobilier de la pièce. Il s'attarda sur les moindres détails, des peluches sur mon lit jusqu'aux livres de mon étagère. Il passa alors près de mon bureau, où il fut attiré par une rangée de photos que j'avais accrochées au mur. Sur certaines de ces photos, se trouva Brave, à différents moments de sa jeunesse jusqu'au lycée. C'était un détail que je n'avais pas pensé à enlever. En même temps, je n'aurais jamais pensé qu'un jour, j'inviterais mon ancien coup de cœur dans ma chambre. Brave se retourna alors vers moi en prenant en main une des photos en me lançant :

— J'ignorais que tu avais tant de photos de moi dans ta chambre. Dis donc, Tu es un vrai paparazzi, s'exclama Brave en rigolant légèrement.

— C'était à l'époque où je craquais complètement pour toi. J'aurais dû enlever ces photos.

— Dis-moi, je peux garder celle-ci ?

— Celle-ci, oui bien sûr, tu peux la prendre. Mais pourquoi cette photo en particulier ?

— C'était l'anniversaire de mes dix ans, mon père avait réuni tout le quartier, il s'était donné tant de mal à préparer cette fête. Sur cette photo, on me voit souffler mes bougies. J'étais si innocent et j'avais des rêves plein la tête à cette époque. Mais surtout mon père semblait si heureux, ce qui n'est plus le cas depuis des années.

— Pourquoi la garder dans ce cas ?

— Pour me rappeler que mon père peut encore changer et pour me souvenir de cette époque où il était si fier de moi, rétorqua Brave en baissant le regard au sol.

— Brave, ton père t'aime. Pourquoi tu penses le contraire ? M'avançai-je vers mon ami en posant ma main sur son épaule.

— Depuis quelques temps, mon père a changé. Il ne voit en moi qu'un projet d'avenir. J'aimerais qu'il voit toujours en moi le gamin de dix ans un peu perdu. L'enfant qui adore l'aventure, qui aime tant aider les gens et qui a comme modèle son père, s'exclama Brave tout en s'asseyant sur le bord de mon lit.

— Pourquoi tu ne lui en parles pas ? Qu'est-ce qui t'en empêche ?

— Tu sais, depuis ces changements d'émotions et les restrictions, les charges de mon père ont été multipliées. Il passe son temps au poste de police. Sa vie de famille a disparu. On se voit plus à la maison. La loi lui est montée à la tête. Il n'a plus le temps pour personne que ce soit moi ou bien ma mère. Et quand j'essaye de lui parler, nos échanges sont froids et distants. Je t'avoue que j'aimerais tant m'imposer et lui dire ce que je pense vraiment.

— Je te comprends tellement là-dessus. C'est pareil avec le mien. Lors d'une dispute, il m'a annoncé qu'il se méfiait de moi plus que quiconque. Depuis ce jour, je n'ai plus de complicité et je n'ai plus de discussion avec lui ou bien ma mère. Je me sens si seule parfois. La relation que j'avais avec eux me manque réellement. Tant que cette loi existera, nos situations n'évolueront pas malheureusement, lançai-je en regardant Brave droit dans les yeux.

— Je me sens si impuissant si tu savais.

— Tu connais mon ressenti désormais. J'ai vu une chose horrible devant le lycée avant de rentrer à la maison.

— De quoi s'agit-il ?

— Une jeune fille un peu plus âgée que nous se faisait traquer par les autorités. La peur se ressentait sur son visage. Elle en pleurait. En courant, elle demandait de l'aide à n'importe qui. L'un des agents de police lui a envoyé une décharge électrique en plein dos. À ce moment-là, pendant une seconde, je me suis imaginée à la place de cette personne. En la voyant, j'ai ressenti sa peur, son appel au secours. J'étais si apeurée que je ne pouvais pas bouger. J'étais tétanisée, paralysée. Je n'ai rien fait pour l'aider Brave. Je l'ai regardée se faire attraper alors que j'aurais tant pu faire afin de l'aider, m'exclamai-je en sanglotant.

Brave me serra contre lui. Je l'enlaçai tout en tremblant de peur. Il me rassura à maintes reprises en passant plusieurs fois ses mains sur l'étendu de mon dos. En me redressant, il positionna ses mains sur le haut de mes épaules. Il s'exclama ensuite en me fixant droit dans les yeux :

— Tu as eu peur. Tu as ressenti son émotion qui est également la tienne. Tu n'as pas à t'en vouloir. Regarde-moi Anxieuse, ça va aller ! Personne te fera du mal, tu peux me faire confiance. On va tout faire pour mettre fin à cette loi. Je te le promets.

J'essuyai alors mes larmes et repris mon calme. Brave se leva ainsi du lit en s'asseyant sur le bord de mon bureau. Son regard fut attiré par le bouquin que j'avais emprunté aux archives. Il le prit en main pour me le montrer. Il fronça les sourcils puis me lança :

— Depuis quand tu l'as ?

— Longue histoire ! Protecteur avait les pages manquantes et j'ai pu les récupérer le soir du bal. Mais je n'ai pas encore lu le moindre mot.

— Il n'est pas trop tard, tu veux qu'on le lise ?

— Bien sûr, lisons-le !

En ouvrant le livre, nos regards furent attirés par la table des matières. Les pages du livre étaient si anciennes qu'une tonne de poussières se trouvaient au creux de chaque page. Le livre comptait plusieurs chapitres sur les six grands membres fondateurs ainsi que sur les différentes familles d'émotions périphériques de Feelings. Mais aucune page ne parlait de l'histoire de Feelings ou bien de cette loi. Je refermai alors le livre d'un coup sec. Brave me le prit des mains afin de regarder le livre dans son intégralité. En refermant le livre, mon ami remarqua quelque chose qui m'avait échappé. Au milieu de la tranchefile, se trouvait un bout de papier. Brave me fit part de sa découverte, je pris alors le livre sur mes genoux pour le sortir. Il y était écrit :

" Il y a très longtemps, Feelings était considérée comme la ville dans laquelle les habitants étaient libres et égaux. Ils pouvaient ressentir l'émotion de leur choix. Mais un jour, de nombreuses personnes avaient fait un trop-plein d'émotions comparable à des éponges émotionnelles. Une personne dite éponge émotionnelle était très facilement dépassée. Jour après jour, il y en avait davantage. Elles étaient en surcharge d'émotions. Ces personnes étaient victimes d'une tension extrême et d'un stress constant. N'arrivant plus à gérer leur quotidien, l'état de ces personnes se dégradait. Il y avait plus de conflits et cela pouvait aller jusqu'au suicide pour certains.

Ce qui était une vertu était devenu un fardeau. En comptant le nombre de personnes ressentant trop d'émotions, beaucoup comparaient cela à des volcans en éruption impossibles à gérer. Les membres fondateurs de Feelings ont donc décidé qu'à ce jour les émotions attribuées à la naissance devraient être respectées. Toutes personne ressentant une autre émotion que la sienne sera arrêtée"

En fermant le livre, je pris un instant de réflexion avant de me tourner vers Brave qui prit également un temps avant de se remettre de cette découverte. Je pris la parole en première :

— Waouh ! Je ne m'attendais pas à cette explication qui selon moi était fausse. Ce n'est pas parce que des personnes ont réagi de la sorte que toute la population de Feelings réagirait ainsi. Tu en penses quoi ?

— Je t'avoue que je suis sceptique. Mais si c'est écrit dans un livre noir sur blanc, ce n'est pas pour rien Anxieuse.

— Certes, mais qui dit que c'est vraiment vrai ? On s'en prenait à ces personnes alors qu'on pouvait s'en occuper de différentes façons et personne n'y aurait pensé. Ce n'est pas normal !

— Comment tu veux guérir une personne qui ressent trop d'émotions ?

— Il y a des tonnes de solutions pour cela comme la médecine ou la thérapie. Le fait de pouvoir voir une psychologue et pouvoir parler de notre ressenti aurait pu changer les choses. Ils ont préféré des mesures barbares. C'est si horrible de priver l'être humain de ses émotions. Tout peut encore changer, il faut qu'on montre ce livre aux membres fondateurs. On peut leur expliquer nos propositions de changement.

— Et comment comptes-tu t'y prendre ? En allant à la mairie, en leur disant que tu as trouvé un livre racontant l'histoire de la ville et que tu veux changer Feelings en mettant des séances de thérapie publique ? C'est trop dangereux, ils ne chercheront pas à comprendre et t'attraperont.

— Vu sous cet angle, il est vrai que ça risque d'être le cas. Mais alors comment on va faire ?

— Rien.

— Rien ? On vient de découvrir l'histoire de notre ville ! La raison de la création de cette loi ! Et tu veux qu'on ne fasse rien ?

— Exactement !

— Mais pourquoi ?

—J'ai oublié de te dire quelque chose qui va te faire comprendre pourquoi on ne doit absolument rien faire.

— Et qu'est-ce que c'est ?

— Je me suis disputé avec Blessée. J'ai appris qu'elle faisait quelque chose qui ne m'a pas du tout plu.

— Mais votre dispute a eu lieu en public ? Quelqu'un vous a vu ? Mais, qu'a-t-elle fait ?

— Pas que je sache. C'était dans ma voiture, je doute qu'on nous ait entendus ou vus. J'ai appris qu'elle s'était portée volontaire pour aider la proviseure à coller des dizaines d'affiches dans les couloirs du lycée.

— Mais ce n'est pas si grave ça ! Je ne comprends pas la raison de votre dispute, lançai-je sur le ton de l'incompréhension.

— Ce n'est pas ça. Il s'agit d'un recrutement que la proviseure a lancé au lycée afin de proposer à ceux qui le souhaitent de rejoindre les forces de l'ordre pour traquer les changements d'émotions.

— Mais qui a décidé ça ?! Les membres fondateurs ?

— En partie. Mais également mon père et la proviseure.

— Dans quel but Blessée a fait ça ?

— Elle voulait simplement aider pour se rendre utile mais je suis contre cette idée.

— Tu penses que ton père te demandera de le faire ?

— Oui, c'est probable malheureusement.

— Décidément, on ne connaîtra jamais un jour de répit à Feelings.

— Je crois bien, me lança Brave en se postant devant la fenêtre de ma chambre.

Brave fixa la maison voisine avant de se retourner vers moi en s'exclamant :

— Toujours aucune nouvelle de Haine ?

— Non, plus rien depuis son départ.

— Tu penses qu'il y a un lien ?

— Un lien ?

— Haine serait parti car les autorités auraient vu un changement d'émotion en lui ?

— Je ne crois pas, Haine a peut-être agi d'une façon des plus inattendues. Mais au fond, je ne crois pas qu'il soit parti pour cette raison.

— Au lycée, c'est devenu calme sans lui.

— Ne me dis pas qu'il commence à te manquer ?

— Je n'ai pas dit ça ! Je dis juste que je vois bien que t'es affectée par son départ. J'espère qu'il reviendra pour toi. S'il t'aime vraiment, il reviendra.

— Je doute qu'il aime une autre personne que lui-même. Pourquoi il n'est pas revenu avant dans ce cas ?

— Certaines personnes ont besoin de temps et de réflexion avant de revenir. Je vais y aller Anxieuse, j'ai mon entraînement de football.

— Et du coup pour le livre, on fait quoi ?

— Rien, comme je t'ai dit. Avec ce recrutement au lycée, on agit comme si de rien n'était. Et surtout, tu montres ce livre à personne !

— C'est promis, on fait donc ça.

— Super, j'y vais !

— Je te raccompagne !

J'ouvris la porte d'entrée et tombai nez à nez avec mon père en pleine discussion avec Drôle. Ce dernier fut surpris de me voir aux côtés de Brave. Il jeta un regard sur Brave puis sur moi. Mon père serra la main de Brave en lui demandant de ses nouvelles. Je me glissai alors sur le côté afin de laisser passer mon père et Drôle. Brave s'en alla tout en me faisant un signe de la main. En rentrant à nouveau dans la maison, je m'élançai vers ma chambre lorsque je me fus interpellée par mon père :

— Anxieuse, pourquoi tu n'es pas au lycée ?

— Je ne me sentais pas bien, l'infirmière a préféré me renvoyer à la maison.

— Hum, très bien. Tu veux bien servir une limonade à Drôle ?

— Bien sûr.

Je me dirigeai vers la cuisine en compagnie de Drôle. Ce dernier était debout près de l'îlot. Je lui tendis le verre de limonade, qu'il prit pour ensuite le relâcher dans la seconde d'après. Le verre se mit à exploser au sol. Les morceaux s'éparpillèrent dans différents endroits de la cuisine. Je jetai mon regard droit dans les yeux de Drôle en lui lançant :

— Tu l'as fait exprès !

— Je n'ai pas fait exprès de briser le verre.

— Tu te venges ! J'espère que tu prends un malin plaisir à le faire.

— C'est drôle comme la situation se retourne ! Tu n'as pas fait exprès de briser mon cœur aussi.

Je pris le balai pour rassembler les morceaux de verre tout en ignorant les paroles de Drôle. Mon père arriva subitement en s'exclamant :

— C'était quoi ce bruit ? Anxieuse ! Je t'ai dit de lui servir un verre de limonade, pas de casser la vaisselle !

— Ce n'est rien monsieur, votre fille a deux mains gauches. Il faut l'excuser, elle ne sait pas vraiment prendre soin des choses ou des personnes.

— Je vais te servir un verre, ce sera plus judicieux.

En ramassant les morceaux de verre avec la pelle, je jetai un regard des plus noirs en direction de Drôle qui me lança un grand sourire narquois. Il n'était pas le frère de Gaffe pour rien. Il avait de grandes similitudes avec elle. Comment j'ai pu fréquenter un crétin comme lui. Je quittai la cuisine pour retourner dans ma chambre. En y accédant, je reçus un message sur mon téléphone d'un numéro inconnu :

" Il faut que je te parle ! Retrouve-moi à notre endroit au lycée dans une heure... "

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