Chapitre 28
En voyant Haine à travers la vitre arrière de la voiture de police, j'étais en état de choc. Ce ne pouvait pas être lui. Perplexe, je pris un instant afin de me remettre de cette scène. Je m'assis alors sur les marches devant l'entrée du lycée. En baissant ma tête vers le sol, le regard vide, tout se mélangeait dans ma tête sans que je puisse intervenir. Soudain, j'entendis derrière mon épaule une personne énoncer mon émotion. Je me retournai alors pour voir de qui il s'agissait:
— Anxieuse, je peux te parler ?
— Ce n'est pas le moment Curieux. Tu vois bien que ce n'est pas le moment ! Je ne veux rien savoir de toi ! Va raconter le dernier potin que tu as déniché à quelqu'un d'autre.
— Ce n'est pas un potin, c'est quelque chose que j'aimerais te dire. Mais laisse tomber, tu as raison, lança Curieux en détournant les talons.
Je repris ma place sur les escaliers lorsque je ressentis encore une présence dans mon dos. Sous le coup de la colère et en pensant qu'il s'agissait une nouvelle fois de Curieux, je m'exclamai :
— Curieux, je t'ai dit que je ne voulais pas te parler ! Ce n'est pas assez clair pour toi ?!
— T'es vraiment remontée contre Curieux ! Il s'est passé quelque chose ?
Il s'agissait de Brave qui s'avança vers moi pour s'asseoir à mes côtés :
— Je pensais que c'était Curieux, je suis navrée de t'avoir parlé de la sorte.
— Non, disons qu'on ne se ressemble pas du tout, je suis blond et il a les cheveux chatains. J'ai appris pour Haine, je n'ai pas assisté à l'arrestation, Blessée m'a retenu à l'intérieur du lycée. Ils ont trouvé le coupable, je vais passer au commissariat voir mon père.
— Tu penses que c'est possible que je vienne avec toi ?
— Je pense que oui. Mais dans quel but ?
— Je ne pense pas que ce soit Haine le coupable.
— Qu'est-ce qui te fait penser ça ?
— Ils ne nous ont pas expliqué la raison de cette arrestation et puis j'ai un pressentiment qui me dit que ce n'est pas lui.
— J'ai l'impression que depuis quelques jours, tu es devenue proche de lui. C'est bien ça ?
— Pas du tout, c'est lui qui me colle aux basques. Je ne sais pas ce que tu insinues.
— Je n'insinue rien, ne t'en fais pas ! Je sais que Drôle et toi êtes ensemble. Tu viens, on va au commissariat ?
Brave s'élança alors vers sa voiture. Il m'ouvrit la porte passager de son 4x4 gris afin de m'y installer. Une fois dedans, j'aperçus à mes pieds une photographie. Il s'agissait de la pellicule que Blessée avait fait tomber. Brave monta du côté conducteur, mit sa ceinture et démarra la voiture. Arrivés au feu rouge, je reçus un message sur mon portable. Je le pris afin de voir de qui il s'agissait.
Joviale : Haine, qui l'aurait cru ? Mais avec ce que tu m'as dit, c'est surprenant. Tu comptes le détester plus qu'avant désormais ?
Je ne répondis pas, je ne voulais pas penser au fait que Haine puisse être le possible coupable, ça n'avait aucune logique. En rangeant mon téléphone dans ma poche, je sentis le regard de Brave se poser sur moi. En s'arrêtant au feu rouge, il m'adressa alors la parole :
— C'était important ton message ?
— Oh non, ce n'est que Joviale, rassure-toi.
— Protecteur n'aurait jamais dû la quitter, c'est une superbe personne, Joviale respire la joie de vivre. C'est une fille comme elle qui lui faut..
— De toute façon, il a Gaffe à présent. Je pense que c'est réglé pour lui.
— Gaffe ne lui convient pas, elle enchaîne les erreurs. Avec son émotion, ce n'est pas étonnant. Enfin bon, toi et Drôle, comment ça va ?
— Très bien.
— C'est tout ?
— Oui, tu sais, on n'est pas vraiment ensemble, on se fréquente juste. Mais rien d'officiel. Drôle est quelqu'un de bien.
— J'aurais pensé avoir plus de retours, il semble être quelqu'un d'agréable.
Je fis un léger sourire à Brave avant de me rendre compte que le feu était passé au vert, ce que ce dernier remarqua. Je n'étais pas très emballée à l'idée d'être en couple avec Drôle. Il fallait donc que je mette au clair cet amour non réciproque avec mon ami de la famille de la surprise. Quelques secondes après, Brave se gara entre deux voitures, en faisant un créneau. Le commissariat était si grand, deux grandes colonnes en pierre dominaient à l'extérieur et des dizaines d'escaliers étaient devant nous. Après avoir monté les marches, nous franchîmes le portique de sécurité. De nombreux agents de police se trouvaient à l'intérieur ce qui était logique vu que nous étions au cœur même du commissariat. En voyant ces agents, des flash-back m'apparurent notamment du jour du repas à la mairie. Apercevoir ces armes firent accélérer mon cœur d'une manière intrépide. Brave se mit à claquer des doigts en me ramenant à la réalité, il s'exclama alors :
— Je te laisse dans la salle d'attente, je vais voir mon père. Tu ne peux pas me suivre par contre, je reviens te chercher après. Attends-moi ici.
— Pas de soucis.
Brave s'enfonça alors dans un couloir bleu dans lequel plusieurs fiches étaient accrochées. En pleine crise de panique vis-à-vis de ces agents qui défilaient sous mes yeux, je me mis alors à remuer ma jambe droite. Quelle idée j'avais eu de venir dans la ruche des agents de police de Feelings. En un élan, je me levai pour aller me servir un verre à la fontaine à eau qui se trouvait près de la banque d'accueil du commissariat.
Soudain, j'entendis des cris. Lorsque je détournai le regard, j'aperçus alors Furieux rentrer en un coup de vent dans l'enceinte du poste de police. Ses pas étaient déterminés et rapides. Des agents de police le poursuivaient derrière sûrement dans le but de le stopper. Furieux avait probablement été appelé. Il était si en colère. Comme membre de la famille peur, il me faisait vraiment ressentir cette émotion rien qu'en apercevant les traits de son visage si froncé. Je m'assis alors à nouveau à ma place en envoyant un message à Joviale.
Anxieuse : Je ne pense pas que ce soit Haine, ce n'est pas logique. Je suis au commissariat afin d'en savoir un peu plus.
Joviale : Quoi ?! Mais pourquoi tu es allée au commissariat ?! Décidément, l'amour te fait faire de ces choses.
Anxieuse : Ce n'est pas l'amour mais la vérité que je veux faire éclater. Je suis venue avec Brave. Je tiens à savoir la vérité avant tout le monde. D'un autre côté, je n'ai pas envie que ce soit lui, je ne veux pas y croire. Pas après ce qu'il s'est passé entre nous dernièrement.
Joviale : C'est bien ce que je dis ! Du coup tu as eu du nouveau ?
Anxieuse : Non pas encore, je te tiendrai au courant.
En rangeant mon téléphone, Brave était de retour face à moi. Il s'exclama alors :
— Anxieuse, je ne sais pas comment te dire ça mais il s'agit bien de Haine. C'est Haine le responsable de l'incendie.
Au même moment, Furieux apparut derrière Brave afin de sortir à l'extérieur du commissariat. Il était suivi de Haine qui fronçait les sourcils. Je posai alors mon regard sur mon voisin ténébreux qui était surpris de me voir au poste de police. Parmi tous les agents qui se trouvaient dans la pièce, je ne voyais que lui. J'étais si concentrée vers Haine que la voix de Brave me paraissait si floue, si lointaine. Un claquement de doigt me fit sursauter. Brave posa alors une main sur mon épaule en me disant :
— Anxieuse ? Tu vas bien ? Tu as entendu ce que je disais ?
— Euh non désolée, j'ai eu une absence. Tu me disais quoi ?
— Haine est coupable de l'incendie, ils ont trouvé sa veste en cuir. Enfin, ce qu'il en restait. À l'intérieur se trouvait un briquet. Il est le présumé coupable. La proviseure a décidé de ne pas porter plainte mais il va payer les dommages et intérêts concernant ce terrible incendie.
— Je n'y crois pas, ce n'est pas possible...
— Je vais te ramener. Je sais que tu ne pensais pas que c'était lui. Mais il faut revenir à l'évidence.
Tout se mélangeait dans ma tête, je ne savais plus quoi répondre. Et si Brave avait raison, j'avais tellement pensé que je comptais pour Haine. Que ces rapprochements voulaient dire quelque chose entre nous, que ces échanges de regards étaient importants. J'étais naïve d'avoir cru qu'il était quelqu'un de bien. Les larmes me montèrent petit à petit. Il fallait absolument que je sorte du commissariat avant d'être arrêtée pour changement d'émotions. Je descendis les marches du poste de police en silence avec Brave. En arrivant à la voiture, il m'ouvrit la portière du côté passager. Lorsque j'arrivai à proximité de la voiture de Brave, je tournai instinctivement la tête vers le véhicule de Furieux qui était garé à quelques mètres. Haine ouvrit la portière arrière en m'adressant un regard arrogant. Je lui rendis réciproquement un regard en fronçant les sourcils. À vrai dire, je ne savais plus quel trait de caractère faire ressortir sur mon visage. J'étais perdue, blessée, en colère, triste. J'avais de la rancœur envers lui. Je m'installai au côté passager, Brave rentra alors de son côté et démarra le moteur de son véhicule. Le trajet se fit en silence lorsque mon ami blond me fit une remarque :
— Tu sais, il ne faut pas que tu te mettes dans un sale état pour une personne comme lui. Il t'a blessée. Je pense qu'il va être viré du lycée. Il est allé trop loin, je pense que l'on sera ça demain. Repose-toi bien, tu en as vraiment besoin.
— Merci Brave.
Après quelques minutes de trajet, Brave arriva devant ma maison. Il me déposa alors en me faisant un signe de main en guise d'au revoir. En rentrant à la maison, ma mère me salua tout en passant devant moi. Je n'y prêtai pas attention et montai les escaliers pour rejoindre ma chambre. En y arrivant, je refermai alors ma porte en me laissant glisser au seuil de celle-ci telle une goutte d'eau qui dégoulinerait le long d'une fenêtre. Je mis ma tête entre mes deux genoux, tout en repensant à ces moments passés avec Haine dernièrement. Je voulais vraiment y croire. Je voulais vraiment croire qu'il était quelqu'un de bien, qu'il n'était pas celui qu'il paraissait être, qu'il était plus qu'un haineux. Je pris une longue respiration puis décidai de me lever et de changer de vêtements afin de mettre mon pyjama. En mettant mon short rose et mon débardeur gris, j'aperçus devant mon miroir mes plaies. En les touchant, une légère douleur se fit ressentir mais cette douleur n'était rien face à celle que je ressentais concernant l'acte commis par Haine.
Je ne voulais pas rester dans ma chambre, il fallait que je sorte. J'avais grandement besoin de réconfort et je savais exactement qui voir pour remédier à ce besoin. En plus, ma chambre donnait sur celle de Haine. Rester ici me ferait déprimer davantage. Je décidai alors de me rhabiller d'un sweat-shirt et d'un jogging en prétextant à mes parents que j'allais courir afin de me changer les idées. Ma mère laissa son stress l'emporter en me donnant une tonne d'indications avant de sortir. J'acquiesçai puis sortis en refermant la porte derrière moi. Le soleil était en train de se coucher, les rues commençaient à se vider ce qui était le moment opportun pour sortir et prendre un bol d'air. En courant, je souhaitais sortir tout ce que je gardais enfoui au fond de moi. Je désirais sortir cette colère qui résidait en moi depuis si longtemps. Je pris le chemin du centre-ville. Après avoir couru une bonne dizaine de minutes, j'arrivai devant une façade d'appartements assez luxueux. L'intérieur était en marbre blanc ainsi que l'ensemble du mobilier. Je pris l'ascenseur. En y rentrant, il était vide, chose que j'appréciais. J'indiquai l'étage numéro sept à l'ascenseur. En atteignant cet étage, je me baladai dans le couloir, le long des dizaines de portes pour enfin atteindre la porte en particulier. Je toquai à cette dernière en deux coups. Après quelques secondes, la porte s'ouvrit, je m'exclamai alors :
— Salut, je suis désolée de venir un peu tard mais il faut que je te parle. J'en ai vraiment besoin, tu veux bien ouvrir à ta petite sœur ?
— Mais bien sûr, rentre Anxieuse, me répondit Inquiet en m'ouvrant la porte de son appartement.
Inquiet vivait dans un duplex. Les murs étaient restés dans leur état initial, laissant apparaître les briques ce qui donnait un certain style. Le séjour était assez grand et lumineux. Une grande cuisine donnait sur la salle de séjour. Une grande baie vitrée donnait sur un balcon si grand qu'Inquiet avait fait installer un jacuzzi. La vue était incroyable. Prendre un bain de minuit devant l'étendue de Feelings devait être magnifique. Inquiet était assez mal en point que ce soit sur l'aspect de son visage comme de son duplex. Des dizaines de bouteilles de bières vides se trouvaient sur sa table basse, la vaisselle n'était pas faite depuis au moins deux ou trois jours, des dizaines de débris de verre éparpillés sur son parquet. Je fis mine de ne rien voir et me tournai alors vers mon frère afin de l'interroger :
— Comment tu vas Inquiet ?
— Je pense que la question ne se pose pas. Mais toi comment tu vas plutôt ? J'ai appris pour l'incendie. Je n'ai pas pu venir te voir à l'hôpital. Je n'avais pas le moral à sortir à vrai dire.
— Je comprends, ne t'en fais pas. Écoute, je vais nettoyer un peu ici avant qu'on marche sur un bout de verre. Et puis toi va prendre une douche, je me demande depuis combien de temps tu as ces vêtements.
— Je pense que tu ne voudrais pas savoir depuis combien de temps je les porte, me lança Inquiet. Mais ne t'en fais pas, je vais t'aider. Je ne veux pas que tu te fasses mal, je vais le faire.
— Non, Inquiet, je sais que c'est ton émotion. Mais je t'en prie, arrête de t'inquiéter sans cesse, je vais le faire. Prends-toi une bonne douche.
Inquiet acquiesça de la tête tout en la baissant dans la seconde d'après et s'en alla à la salle de bain. Quant à moi, je pris le balai et passai un coup dans l'ensemble de sa pièce à vivre, traînant les poussières et les débris de verre ainsi que des centaines de bouts de photos déchirées. Sur ces derniers, j'aperçus des visages visibles malgré les papiers éparpillés, celui de Rancunière près de mon frère. Je pris l'ensemble de ces déchets afin de les jeter. Je fis ensuite la vaisselle qui restait dans l'évier depuis quelques jours. J'en profitai également pour faire des pâtes à la bolognaise en guise de dîner. Inquiet, sortit de la salle de bain avec une serviette autour de la taille. Il me fit un léger sourire en s'apercevant du repas qui était en train de cuire sur les plaques de cuisson. Il passa en un coup de vent dans sa chambre afin de mettre un jogging noir et un tee-shirt blanc. Une fois le plat prêt, Inquiet s'installa sur son canapé. Je pris des assiettes que je disposai sur sa table basse et les remplis. Une fois assise, je remuai ma fourchette dans mon assiette de pâtes, sans avoir vraiment l'envie de manger quoi que ce soit. Je m'adressai alors à Inquiet tout en lui murmurant :
— Inquiet, je suis si désolée.
— Comment ça ?
— C'est ma faute si tu en es là ! C'est moi qui ai brisé ton couple avec Rancunière !
— Non, tu m'as juste permis d'ouvrir les yeux, j'étais aveuglé. Je n'aurais jamais dû sortir avec elle. Elle était néfaste pour toi et pourtant je croyais vraiment qu'elle serait différente, qu'elle serait...
— Autre chose qu'elle paraît être, c'est bien ça ?
— Exactement, comment tu sais que j'allais dire ça ?
— C'est exactement ça que je vis en ce moment. Mais je ne veux pas en parler, je suis venue pour te présenter mes excuses et puis mon frère me manquait.
— C'est vrai qu'en sortant avec elle, j'en ai oublié ma petite sœur. C'est à moi d'être désolé.
— J'ai une question Inquiet, elle te rendait heureux ?
— Quand on était ensemble, elle était si différente, elle faisait attention à moi, elle prenait de mes nouvelles sans cesse, elle cuisinait, elle m'écoutait, elle me comprenait, elle me faisait penser à autre chose quand je n'allais pas forcément bien, elle m'aimait. Mais elle faisait semblant. Je n'arrive pas à comprendre comment on peut être aussi méchant et le pire c'est que je n'ai rien vu venir.
— Rancunière est rancunière et ça ne changera pas malheureusement. Il faut que tu essaies d'avancer maintenant.
— Je sais bien et toi alors qu'est-ce qui te chagrine ?
— Je pensais connaître une personne. Enfin connaître est un grand mot mais j'avais des rapprochements. Nos échanges de regard, nos moments complices, nos disputes sans cesse, nos provocations, nos rencontres constituaient un socle si important à mes yeux. Je pensais que ce qu'on vivait signifiait quelque chose pour cette personne mais finalement il s'est avéré qu'elle ne changera pas et elle restera telle qu'elle est, un crétin.
— Tu parles de Haine ?
— Bien vu, qu'est-ce qui m'a trahie ?
— Je l'ai constaté depuis un certain temps. À vrai dire depuis le jour où tu es passé à la salle de sport et ensuite ça s'est confirmé avec le repas à la mairie. Je vois bien qu'il y avait quelque chose entre vous. On ne regarde pas un inconnu de la façon dont vous vous regardez. Même si vous ne voulez pas le reconnaître, vos échanges de regard le font à votre place. Je pense que depuis ça a dû évoluer, je pense même qu'il serait possible que tu ressentes quelque chose de fort pour lui.
— Tu me lis tel un livre ouvert, c'est hallucinant, m'exclamai-je en fixant mon frère avec de gros yeux.
— Je connais ma petite sœur. Mais que s'est-il passé ?
— Il s'est passé qu'il s'est fait arrêté par la police pour l'incendie au lycée. Il est bel et bien le coupable de cet incident.
— Mais ce n'est pas possible, vu que tu me dis que vous vous êtes rapprochés. Pourquoi il aurait fait ça ? Peut-être que c'est quelqu'un d'autre qui aurait fait porter le chapeau à Haine ? Tu n'aurais pas vu un détail ou entendu quelque chose ?
— Rien me revient. Attends, quoique...
Au moment où j'essayais de me souvenir du moindre fragment d'images que j'avais du voir de l'incendie, un flash-back m'apparut à l'esprit. Soudainement, il s'agissait de la discussion que j'avais entendue dans les toilettes des filles. Ce soir-là, on y entendait Rancunière dire à Gaffe qu'il leur fallait un appât pour effectuer le plan. Et si le plan était de mettre le feu à la salle dont je tiens le plus au lycée afin de mettre Haine de côté pour pouvoir m'atteindre. Cette idée paraissait si réelle. Il fallait que j'en parle à Drôle immédiatement. Je posai alors mon assiette sur la table basse et m'adressai alors à mon frère, en lui disant de vive voix :
— Je pense avoir une piste. Lorsque j'étais aux toilettes le soir du bal, j'ai entendu Rancunière et Gaffe tenir une discussion où elles parlaient d'un plan à mettre à exécution pour essayer d'éloigner Haine de ma portée. Il faut que j'aille parler à Drôle, il m'écoutera et je pense qu'il pourrait essayer de comprendre pourquoi sa sœur a fait ça.
— Tu penses que Drôle irait dénoncer sa sœur à la police ? C'est un peu risqué Anxieuse, tu devrais peut-être pas porter une accusation directement. Si tu veux, je peux t'amener à son domicile, mais je ne souhaite plus faire affaire à Rancunière.
Au moment où mon frère énonça son émotion, son téléphone se mit à sonner puis bascula sur sa boîte vocale. Une voix que je connaissais bien s'exclama tout en sanglotant ce qui coupait la discussion avec mon frère :
— Inquiet, c'est moi, s'il te plait il faut que l'on parle, ça fait la vingtième fois que je te laisse un message. Il faut absolument que je te parle. On ne peut pas se laisser ainsi. Tu comptes tellement à mes yeux, j'ai tant besoin de toi, je t'en prie. Rappelle-moi.
Je me retournai alors face à mon frère et en restant bouche bée de ce que je venais d'entendre, je m'exclamai aussitôt :
— On est d'accord que Rancunière change d'émotion là, en faisant preuve de tristesse au téléphone ?
— Laisse, elle essaye de me joindre depuis le jour de l'incendie, que ce soit par mail, par téléphone ou bien à la salle. Je ne veux plus la voir, elle finira bien par arrêter un jour, elle a clairement changé d'émotion en ma compagnie, mis à part pour réaliser son plan.
— Tu penses que durant son jeu, elle aurait pu développer de vrais sentiments pour toi ?
— Vu l'étendue de son piège, je doute qu'une personne ressentant autant de rancœur en elle, puisse ressentir un quelconque sentiment. Enfin bon, je vais m'habiller, prendre mes clés de voiture et je t'accompagne chez ton ami.
Inquiet prit son pick-up dans son garage souterrain. J'ouvris la porte du côté passager. Quant à lui il monta au volant. Je guidai mon frère afin qu'il puisse trouver le chemin de la maison de Drôle. J'avais pu trouver son adresse grâce à la localisation de son téléphone. Après une longue heure à rouler dans les rues de Feeling, Inquiet s'arrêta devant une jolie petite maison à l'entrée d'une rue. Celle-ci, bien qu'elle paraissait petite, avait un assez grand jardin, ce qui lui donnait un charme. En m'en rapprochant, deux grands parterres de fleurs se trouvaient de chaque côté de la maison. Une fois sur le seuil de la porte, j'aperçus un paillasson où était inscrit " Une journée sans rire est une journée de perdue", ce qui correspondait tout à fait à la famille de la surprise. Dans un élan de courage, je m'avançai afin de toquer à la porte d'entrée. La porte s'ouvrit de l'intérieur faisant place à Drôle qui m'ouvrit avec un grand sourire sur son visage. Il s'exclama alors :
— Anxieuse ! Comment tu as fait pour trouver ma maison ? Ça tombe bien que tu sois là, je pensais justement à toi ! Tu as changé de coupe, ça te va si bien !
— Ah bon ? Je voulais te parler justement, merci du compliment.
— À ce que je vois, tu es venue avec ton frère, lança Drôle tout en agitant le bras afin de saluer mon frère resté dans la voiture.
— Oui, je peux te parler, Drôle ?
— Bien sûr, mais avant, dis-moi comment tu vas ? As-tu mal depuis ce terrible incendie ?
— Je vais un peu mieux. Je suis en voie de guérison.
— Bon super dans ce cas, lança Drôle tout en me souriant. Tu voulais me parler de quoi ?
— Ça va peut-être te paraître un peu fou mais il faut que je t'avoue quelque chose. Je pense que c'est ta sœur qui a mis le feu au lycée et non Haine. Je sais que tu vas sûrement trouver ça bizarre mais je l'ai entendue discuter avec Rancunière. Elles envisagaient de prévoir quelque chose en trouvant un appât. Sûrement que Gaffe a pris le briquet de Haine dans la salle de musique et a mis le feu.
— Attends, quoi ? Donc si je comprends bien, tu penses que ce n'est pas Haine qui a mis le feu, mais que c'est ma sœur qui aurait fait ça ?
— Tout à fait.
— Et où sont tes preuves ? Mais pourquoi ma sœur aurait fait ça ?
— J'ai un enregistrement dans mon téléphone. Mais il a plus de batterie. Je l'ai entendue échanger avec Rancunière. Elle aurait fait ça afin de m'atteindre ! Elle est amie avec Rancunière et cette dernière ne m'apprécie pas tellement.
— Je ne te suis pas là Anxieuse ! Tu viens jusqu'ici pour accuser ma petite sœur ! Tu as carrément enregistré un audio ! Tu cherches à faire quoi ?! lâcha Drôle en rigolant ironiquement.
— S'il te plaît, crois-moi !
— Ils ont arrêté Haine ! C'est lui le vrai coupable !
— Ce n'est pas lui ! Je ne pense pas.
— Tu n'es même pas sûre ! Pourquoi tu prends sa défense ?! Après tout ce n'est qu'un crétin !
— Je me dis que non, ça ne peut pas être lui !
— Tu ressens quelque chose pour lui ?
— Pourquoi tu me dis ça ?
— Je vois que tu prends sa défense. Il s'est jeté dans les flammes pour venir te sauver, il est resté à ton chevet à l'hôpital, il t'a défendue durant le repas à la mairie, il t'a défendue devant moi. Alors je me pose la question. Tu l'aimes ?
— Drôle, je ne sais pas ce que je ressens !
— Je pense que c'est déjà une réponse. Je pensais vraiment que tu ressentais quelque chose pour moi. Je voulais vraiment être avec toi. J'imagine que le soir du bal lorsque tu as esquivé mon baiser, c'était voulu ?
— Drôle, s'il te plaît écoute-moi. Je souhaiterais que tu restes mon ami et uniquement mon ami. Je ne te vois pas plus que ça. Pardonne-moi, je t'en prie.
— Non, je ne te pardonne pas, je comprends à présent pourquoi les agents de police ont voulu t'arrêter désormais. En traînant avec moi, tu es réellement devenue marrante, tu viens te servir des gens, leur faire croire que tu les aimes. Mais finalement non. Tu viens accuser les gens sans preuves ! Ce sera quoi la prochaine fois ? Disparais de chez moi Anxieuse ! Disparais de ma vie !
— Très bien, je m'en vais ! Un jour où l'autre tu apprendras la vérité sur ce que cache ta sœur.
En m'en allant, j'entendis la porte se claquer fortement et en montant à bord du pick-up de mon frère, des larmes me vénèrent. Mon frère les remarqua et en essuya quelques-unes. Il s'exclama tout en posant une main sur la mienne :
— Tu lui as dit la vérité, c'est bien ça ?
— Oui, murmurai-je en baissant la tête vers mes chaussures.
— Tu as fait ce qu'il fallait Anxieuse. C'est mieux qu'il apprenne la vérité maintenant que plus tard lorsque ses sentiments seront grandissants. Allez, viens, je te ramène à la maison, il est temps de rentrer.
Je collai alors ma tête contre la vitre du côté passager en fermant les yeux. J'étais fatiguée. Je fermai délicatement les yeux quelques secondes. En les ouvrant à nouveau, la voiture s'était arrêtée devant mon allée de maison. Mon frère me dit que je m'étais endormie durant tout le trajet. Il sortit pour m'ouvrir la porte. En sortant, il remonta à bord de son véhicule, me fit un signe de la main et s'en alla dans le noir profond de la nuit. En jetant un coup d'œil sur la maison voisine, je soupirai alors tout en me dirigeant vers ma porte d'entrée. Soudain, j'entendis une voix qui me fit sursauter :
— Tu n'aurais jamais dû venir au commissariat.
Je tournai les talons pour me diriger vers cette voix qui n'était autre que mon voisin ténébreux. Il était assis sur le capot de sa voiture, il serra alors ses bras sur le haut de son sweat-shirt noir tout en fronçant les sourcils comme à son habitude. Je n'y prêtai pas attention et fis demi-tour. Il se leva d'un bond et se rapprocha de moi en me suivant. Je me retournai pour discuter avec lui.
— Donc là, tu vas me dire que tu m'attendais depuis tout à l'heure ?
— Non, je ne suis pas le prince charmant à attendre sa princesse. Ne te fais pas d'idées.
— Alors que veux-tu ? Tu as gagné, c'est bien, tu peux en sourire comme tu as l'habitude de le faire.
— J'ai gagné le fait que tu t'intéresses à moi, c'est vrai.
— Tu rêves, tu n'es rien pour moi, tu n'es qu'une ordure, un déchet. Ton père a peut-être payé les dommages de l'incident mais les plaies que j'ai, le traumatisme que tu m'as infligé, les séquelles que j'aurai, peu importe avec tout l'argent que tu as, cela ne suffira pas à me les enlever. Tu as réussi ta mission Haine, je te félicite. Tu as réussi à faire de ma vie un enfer, jusqu'à vouloir me tuer, m'exclamai-je tout en m'en allant.
— Jamais j'aurais pu faire une chose aussi horrible, jamais j'aurais pu m'en prendre à toi dans le but de te tuer. Attends, lança Haine en m'attrapant le bras subitement.
Ce dernier s'approcha vers mon visage, posant les paumes de ses mains sur mes joues. Je ne réagissais pas, son regard si proche du mien, ses yeux étaient à présent à quelques centimètres des miens. Nos deux corps étaient si proches, qu'il m'était possible de sentir sa respiration chaude tout d'un coup. Il se mit à poser délicatement son front contre le mien. Il ferma alors ses yeux tout en tenant mes bras délicatement. Au fond de moi, je ressentis une sensation si forte comparable à une connexion. Le voisin insolent me donna alors l'impression qu'il ne voulait pas que je m'éloigne de lui. Pendant un instant, je ne réalisai pas notre action. Soudain, je déposai mon index sur sa lèvre inférieure tout en le regardant avec douceur. Ce gars qui depuis son arrivée me méprisait, m'humiliait, me jugeait, faisait de ma vie un réel enfer, était à cet instant si proche dans tous les sens du terme. Je connaissais Haine depuis peu et pourtant il me connaissait mieux que des personnes qui m'avaient vu grandir. Tête contre tête, cœur contre cœur, je ne cessais de penser à cet incendie auquel je venais d'échapper de justesse, à cette douleur que je ressentais, mon piano si cher à mon cœur. Mais soudain, je repoussai d'un geste brusque Haine tout en lui hurlant :
— Lâche-moi ! Laisse-moi, vas-t'en loin de moi !
— Non, je ne pars pas ! Je sais que tu penses encore à cet incendie. Mais toi comme moi, savons que je n'y suis pour rien. Tu le sais au fond de toi que ce n'est pas moi. Je n'aurais jamais brûlé ton piano, je sais à quel point il avait de la valeur pour toi. Je ne suis pas un monstre, s'exclama Haine en plongeant son regard dans le mien.
— Si, t'en es un ! Tu es un monstre à mes yeux ! Je n'aurais jamais dû venir au commissariat ! Tu as raison et toi tu n'aurais jamais dû entrer dans ma vie ! Lançai-je au bord des larmes.
Haine resta alors sans voix face aux propos que je venais de tenir. Je ne m'étais pas rendue compte sur le moment du poids de mes propos, de l'impact qu'ils pouvaient avoir. Mon voisin, ténébreux, baissa alors sa tête vers le sol. En me retournant, j'aperçus alors un tout autre Haine. Il était comme dévasté, vide de son émotion, à bout, à deux doigts de s'écrouler. Je sentis une douleur si forte dans ma poitrine, me donnant l'impression que mon cœur venait de se détruire en mille morceaux sans que je puisse faire la moindre réparation. En prenant la poignée de la porte d'entrée en main, je jetai un dernier regard en direction de mon voisin qui s'apprêta à rentrer dans sa voiture. Dans nos regards se cachait la vérité qui nous était impossible de s'avouer...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top