Chapitre 15


Les discussions avaient repris. Les échanges de regards entre les membres tournèrent lorsque Furieux prit la parole en s'adressant à l'ensemble des invités :

— Après mon fils, c'est à mon tour de m'exprimer en faveur de la famille de la peur. J'aimerais remercier Méfiant de m'avoir laissé obtenir cette promotion à sa place. Je n'aurais jamais pensé avoir cette chance.

Mon père qui était désespéré face à ma prise de parole se mit à froncer les sourcils en posant son verre à pied d'une façon brutale sur la table. Il s'exclamait alors en s'adressant à Furieux :

— Vous laisser ma place ? Je n'ai jamais adhéré et en aucun cas cela a été de mon ressort. Cette promotion devait me revenir.

— Pourtant vous m'avez légué également votre bureau. Moi qui pensais que vous étiez un homme de bon cœur, je me suis donc trompé ?

— Profitez de vos privilèges, cher membre de la colère, je doute qu'ils soient pour longtemps.

— Ce ne serait pas une menace que vous me faites par hasard, Méfiant ?

— Loin de là Furieux, très loin de là. Je suis un homme de bon cœur comparé à certains.

— Pour un homme de bon cœur, je trouve que vous me manquez beaucoup de respect.

— Du respect ? Vous êtes conscient de ce que vous dites Furieux ? Vous ne le connaissez pas le respect, vous. Prendre la promotion d'un autre, c'est du respect ?

Furieux tentait de se lever lorsqu'il se fit tenir le bras par Nerveuse. Elle lui ordonnait de rester assis et de régler ce différend à un autre moment. Furieux se reprit et s'excusait pour ce malentendu. Les assiettes se terminèrent. Quant à moi, je n'avais pas touché à mon dessert. J'étais comme paralysée, dans un état second, me remémorant les derniers instants qui venaient de se produire. Je n'osais pas répondre aux appels que je recevais de mon téléphone qui provenaient sans doute de Joviale. Après quelques instants, la plupart des membres se levèrent, ce qui marqua la fin de ce repas qui avait tourné au désastre. Pendant que tout le monde se levait et était éparpillé dans la salle, je décidai de me faufiler jusqu'à l'ascenseur le plus proche afin de descendre et de sortir loin de cette salle. En me précipitant vers l'ascenseur, je me fis rattrapée par Inquiet, qui en me tenant le bras s'exclamait :

— Anxieuse ! Qu'est-ce que tu fais ? Il faut que tu restes, tu en as déjà fait assez aux parents et tu comptes fuir ? Tu cherches à faire quoi, à dénigrer notre famille ? On t'a demandée de faire bonne figure une seule fois pour un seul repas et même ça tu n'es pas arrivée à te tenir ? À te tenir toi et tes pensées ?!

— Inquiet, lâche-moi ! Je ne peux pas rester ici. Tu as vu ce qu'il s'est passé. J'ai parlé de ce que je ressentais et j'étais à deux doigts de me faire arrêter et tu penses que je vais rester une seconde de plus ici ? Inquiet tu es avec moi ou contre moi ?

— Anxieuse, tu es ma sœur. Ne dis pas des choses aussi absurdes. Tu devrais oublier cette histoire de changement d'émotions et te tenir à la tienne uniquement. Le fils de la famille colère a sauvé tes fesses une fois. Je doute qu'il recommence, tu devrais aller le remercier.

— Donc tu n'essayes même pas de m'écouter, de me comprendre, de savoir pourquoi je ressens cette envie de ressentir d'autres émotions et tu te dis être mon frère. S'il te plaît, laisse-moi partir, je veux juste être ailleurs qu'ici.

— Non, je ne te laisserai pas y aller seule. Je t'accompagne, on y va.

Inquiet me rejoignit à l'intérieur de l'ascenseur qui venait d'ouvrir ses portes sur nous. On descendit dans un long silence au rez-de-chaussée. Une fois en bas, Inquiet chercha dans l'une de ses poches afin de récupérer ses clés de voiture. On sortit de la mairie pour se diriger vers le parking quand le téléphone d'Inquiet se mit à sonner. Il me lança ses clés de voiture m'indiquant de rentrer à l'intérieur le temps qu'il réponde à son appel. J'actionnai le bouton pour ouvrir la voiture dans le but de m'installer dedans. Au même moment, j'aperçus un sachet sur le siège passager. Un sachet d'une boutique à laquelle j'avais été avec Joviale auparavant. En regardant dans celui-ci, j'aperçus la robe qui m'avait tant plu au magasin. Sur le coup je ne compris pas ce qu'elle faisait ici. Je sortis la robe du sac pour jeter un coup d'œil sur un détail précis. Lorsque je l'avais en main, Rancunière, me l'avait tirée de l'autre côté, une déchirure s'était alors formée au niveau de la couture de l'épaule droite. Au moment où je vérifiais, la déchirure était bien présente, ce qui confirmait tous mes doutes et que la fameuse copine de mon frère n'était autre que Rancunière.

Inquiet avait fini son appel et se rapprocha de la voiture lorsque je m'approchai à mon tour en sa direction en tenant le sac à la main. Il ne comprit pas l'intérêt de ma possession de ce sachet :

— Que fais-tu avec ce sac ? Il appartient à ma copine, je dois lui rendre.

— Ta copine à de très bons goûts dis donc. J'avais vu la même robe en magasin. Au moment où je l'ai prise, quelqu'un tirait la robe de l'autre côté du présentoir et tu veux savoir ce qu'il s'est passé Inquiet ?

— En quoi ça va m'intéresser de savoir ça ?

— Il s'est passé que je me suis retrouvée à tirer cette robe face à Rancunière. Finalement un trou s'est formé au niveau de l'épaule et devine quoi le trou est présent sur cette robe. Comment expliques-tu ça ?

— C'est une coïncidence, c'est tout. Et puis je n'ai pas à te demander avec qui je dois sortir ou non.

— Alors tu reconnais sortir avec Rancunière ?

— Tu te fais des films Anxieuse. C'est juste une pure coïncidence.

— J'espère que c'est seulement une coïncidence, comme tu le dis.

— Tu veux que je te dépose quelque part ?

— Non, ça ira, je vais aller me balader. Bye Inquiet.

Inquiet n'essaya pas de me retenir. Je m'éloignai de lui en gagnant le long du trottoir qui longeait la mairie. Je marchais pendant quelques minutes, le regard vide de sens, avec pour compagnie la sensation qu'une chose de grave allait se produire pour moi. Je me mélangeai à la foule qui m'absorbait telle une éponge. Au milieu de tous ces visages, je baissai la tête tout en accélérant le pas. Je levai la tête et aperçus le restaurant des parents de Blessée qui se trouvait à l'entrée du Centre commerciale. Je me rapprochai de celui-ci. En rentrant dans le restaurant, un grand silence régnait. Les seuls bruits qu'on entendait étaient le café qui sortait de la machine. Près des fenêtres, la rangée de sièges était vide. Seule une personne âgée s'y trouvait au bout occupée à lire le journal du jour. Je m'installai au milieu de cette rangée, je pris le menu et jetai un coup d'œil sur les milk-shakes. Je fouillai dans les poches de ma veste et remarquai que j'avais tout juste pour un milk-shake. Au même moment, Blessée m'aperçut et s'avança vers moi en me saluant d'un signe de la main :

— Hé Anxieuse, comment tu vas ?

— Hum... Je vais bien et toi ? Tu n'es pas avec tes parents à la mairie ?

— Tu es sûre ? Tu as l'air pâle, il s'est passé quelque chose ? Mes parents y étaient mais m'ont demandé de garder le restaurant ouvert.

— Non, ne t'inquiète pas.

— Tu m'as l'air vraiment pas bien, je finis mon service dans deux minutes. Si tu veux on pourrait parler ?

— Oui, je vais te prendre un milk-shake au chocolat s'il te plaît.

— Très bien, je t'amène ça.

Blessée était habillée d'une salopette en jeans sur un tee-shirt noir, accompagné d'un tablier blanc avec un badge où était inscrit son émotion. Elle avait attaché ses cheveux bruns en un chignon et avait maquillé ses yeux vairons d'une fine couche de fard à paupière orangé. Blessée avait une voix calme et douce. Malgré le fait qu'on n'ait pas davantage parlé ensemble, elle faisait partie des gens avec qui je pouvais prendre plaisir à discuter des heures. Elle s'en alla en tenant un plateau à la main. Elle disparut derrière le comptoir en préparant ma boisson. Soudain, mon téléphone se mit à vibrer. En le prenant j'aperçus des dizaines de messages qui provenaient de mes parents. Je mis mon portable en silencieux et le rangeai dans ma poche. Blessée apparut en posant mon milk-shake sur la table. Elle me lança un léger sourire en s'asseyant face à moi. Sur un air inquiétant, elle s'exclama :

— Tu veux me raconter ce qu'il se passe ?

— J'étais à la mairie pour un repas d'affaires, enfin un repas avec les membres fondateurs et ils ont parlé de différents sujets, dont un, qui a retenu toute mon attention et auquel je m'oppose.

— Lequel ?

— Ils souhaitent infliger de la peur à tous les habitants de Feelings afin de repérer les changements d'émotions parmi les habitants. Ils ont prévu de poster des agents de police un peu partout en ville et des caméras de surveillance. C'est abusé.

— Mais c'est de la folie. Que va devenir Feelings ?

— Je t'avoue, je n'en ai aucune idée.

— T'es-tu énervée ?

— Oui et du coup, ils ont pris ça pour un changement et ils ont fait rentrer des agents de police pour venir m'arrêter.

— Mais comment ça s'est passé ? Tu fais un changement ?

— Non, je ne fais pas de changement. En tant qu'anxieuse, avoir des excès de colère, c'est normal, c'est ce que leur a dit Haine d'ailleurs.

— Haine ? Il t'a défendue ? Je ne savais pas qu'il était un de tes amis.

— Non, il n'est pas mon ami. Justement je ne comprends pas pourquoi il a agi ainsi. C'était inattendu.

— Ma pauvre, ça a dû te faire vraiment peur. Le fait qu'ils viennent s'en prendre à toi, c'est violent. Et tes parents n'ont rien fait contre ?

— Ils étaient gênés. Je leur ai fait honte et les voir ne pas réagir à cette arrestation des plus folles, ça m'a vraiment...

— Blessée?

— Oui, exactement.

— Bienvenue dans mon quotidien. Tu sais je te comprends. Je trouve que c'est idiot de ressentir une seule émotion. Mes parents m'ont toujours inculquée que le fait de ressentir d'autres émotions était vu comme un crime.

— C'est pareil mais j'aimerais comprendre pourquoi.

— Je suis d'accord avec toi mais tu sais, j'ai déjà ressenti autre chose que de la tristesse. J'ai tenté d'être joyeuse et ça m'a réellement fait une sensation assez étrange, comme si j'avais franchi une limite qu'il ne fallait pas, l'impression d'avoir trahi mes valeurs.

— Je vois ce que tu veux dire, mais je trouve ça si normal, juste être humain. Je ne vois pas où est le mal.

— Il faudrait que tu essayes de faire des recherches à la bibliothèque ou bien trouver une personne qui sache ce qui s'est passé à Feelings pour que cette loi rentre en vigueur.

— Oui, c'est vrai. J'irai à la bibliothèque demain. Merci à toi.

— Je t'en prie, mais Anxieuse, il faut que tu sois prudente. Tu as évité une arrestation mais Haine ne sera pas toujours présent pour toi. Les gens ne sont pas tous tes amis.

— Je sais bien. D'ailleurs j'aimerais que tu gardes ça secret entre nous deux.

— Je te le promets.

— Merci. Je te donne la monnaie pour le milk-shake.

— Non, c'est pour moi. Ne t'en fais pas. Je ne vais pas te faire payer. Avoir une amie à qui parler, c'est tellement rare pour moi.

— Tu n'arrives pas à te faire des amis au lycée ?

— J'ai du mal à aller vers les gens. Les seuls amis que j'ai sont toi et Brave, que d'ailleurs j'apprécie beaucoup.

— Oui, Brave, est un gars bien, toujours volontaire afin d'aider son prochain.

— Je t'avoue que je l'apprécie bien avec son teint toujours lumineux et ses cheveux blonds, sans parler de son regard qui me fait craquer, le bleu de ses yeux si réconfortant.

— Oui, bon, je reconnais qu'il m'a toujours plu ce regard aussi.

— Tu l'aimes plus qu'un ami ?

— Non, c'est un ami.

— Ça me rassure. J'ai cru qu'on allait rentrer en compétition toutes les deux.

— Hum... Je vais devoir y aller Blessée. Je ne me sens pas trop bien, je vais rentrer me reposer. Merci encore pour le milk-shake.

— C'est avec plaisir, à bientôt et fais attention.

En sortant du restaurant, je pris la direction de la maison, mis mes écouteurs et me laissai bercer par les tonalités de sons différents. Arrivée à la maison après avoir traversé des dizaines de rues à pied, j'insérai la clé dans la serrure et remarquai que la voiture de mes parents n'était pas rentrée. Mon père avait dû continuer sa dispute avec le père de Haine. Je rentrai, je déposai mes chaussures blanches devant la porte d'entrée et filai à la salle de bain pour prendre une douche. En me déshabillant, je jetai un regard sur mon reflet dans le miroir, j'avais des flash-back de cette matinée des plus atroces. Ces regards pointés vers moi, ces jugements, ces chuchotements en ma direction, je fus étonnée de ne pas avoir eu de malaise suite à autant de stress ressenti. En montant dans ma baignoire, j'allumai l'eau, je m'asseyai sous les jets d'eau chaude qui dégoulinèrent sur mon dos froid. La tête posée sur le haut de mes genoux, mes cheveux bruns qui caressèrent le long de mes jambes, une émotion nouvelle apparut, celle de la tristesse. Une émotion que je n'avais jamais ressentie auparavant. Mes larmes se mêlèrent à l'eau de la douche et coulèrent le long de mes joues. Je n'avais jamais ressenti cette sensation d'avoir la gorge serrée, d'avoir des bleus à l'âme. Baigner dans la tristesse n'avait jamais autant pris de sens qu'à ce moment.

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