8 🍂 Une question de vie ou de vie
° Faire de quelqu'un son ennemi, c'est lui donner une place dans sa vie. °
Jungkook
Je suis venu ici mais en réalité, je n'ai aucune idée de comment procéder. Appuyé contre un casier près de la classe de monsieur Bow, ma culpabilité est flagrante. Voilà qui est marrant car je n'ai encore rien voler. Comment le faire ? Il est en pleine classe et devant, le monde afflue. Très peu de gens ont cours le vendredi après-midi. En temps normal, on termine à quatorze heures environ, alors ce n'est pas au moment de rentrer chez nous qu'ils vont nous garder longtemps.
La chance avec le père de Maya, c'est qu'il donne des cours de soutien d'analyse en après-midi. L'idée était de les prendre dans son sac mais qui le distraira ? Moi ? J'ai la main qui tremble à la simple pensée d'être dans le couloir. J'ai beau avoir manipulé mon objet anti-stress et pris mes médicaments, ça ne change rien.
J'ai peur.
L'ironie du sort est que le jeu s'appelle Fearless. Sur le portail d'inscription, une phrase a retenu mon attention.
Le plus dangereux ce ne sont pas vos peurs mais l'importance que vous leur donnez.
Il est dit que le jeu nous aidera à surpasser cela. C'est amusant. Une peur ne se décide pas alors elle se contrôle encore moins. Je ne sais pas si j'ai une phobie à proprement parler. Je suis effrayé par un tas de choses. Un rien m'angoisse. Je suis angoissé par l'heure, par la date, par mes actes, par les réactions des autres à mes actes. Je suis angoissé lorsque l'on élève la voix sur moi, lorsque la sonnerie de l'école sonne, quand je vois une pile de dossiers sur le bureau de papa. Tout est une source d'angoisse. Une fois que l'on vit dans ces conditions, on ne parvient plus vraiment à distinguer la peur du quotidien. Tout est une peur en soit alors c'est comme si nous n'en avions aucune.
Je ne sais pas à quoi je m'attendais en m'inscrivant à Fearless en étant comme je suis. Ma main a tremblé à la soirée au moment de verser l'alcool. On m'a démasqué. Si ma main tremble à nouveau, c'est peut-être que je n'arriverais jamais aucun défi.
— Mon pote !
Au bout du couloir, j'aperçois Jamal entouré de ses coéquipiers. Ils tiennent entre les doigts des rafraîchissements et à des kilomètres, leur sueur se fait ressentir. Je me remets sur pieds et m'efforce d'afficher un sourire décontracté. Ils s'arrêtent à mon niveau. L'un d'eux passe son bras mouillé autour de mon épaule. Je me crispe mais ne m'insurge pas.
— Tu veux te poser avec nous ? Le coach nous a donné une pause, propose l'un de ses amis.
Je jette un coup d'œil inquiet à la porte derrière laquelle se trouve monsieur Bow. Mon attention dévie sur mes doigts qui peinent toujours à se stabiliser.
Je ne vais jamais y arriver.
— Ok, je viens. Pourquoi pas !
Seul, je ne vais jamais y arriver.
🍂
Il n'y a qu'en sortant de l'internat avec ma valise que je réalise à quel point, la semaine a été crevante. J'ai besoin de refaire le point. Je n'imaginais pas les choses se produire comme ça. J'avais imaginé un moment de joie à l'idée de retrouver Maya et Jamal, au lieu de ça, je n'ai pensé qu'à une personne.
Faire de quelqu'un son ennemi, c'est lui donner une place dans sa vie.
Je pense à Taehyung autant que je pense à ma famille ou à mes meilleurs amis. C'est cette semaine que cette réalité m'a percuté. S'il n'était pas là, je ne saurais pas qui haïr. J'aimerais le rendre indifférent à mes yeux. L'oublier, lui et tout le mal qu'il a fait. Malheureusement, je n'y arrive pas. Je n'arrive pas à passer à autre chose et je sens que cette année n'a pas fini de me mettre à l'épreuve à son sujet.
— Ah on va enfin pouvoir souffler dans cette chambre, plaisante Jamal dans l'entrée de l'internat.
Liam et lui restent ici étant donné qu'ils n'ont pas de proches au Canada chez qui aller le week-end. Parfois, je me dis que j'aimerais ne pas rentrer aussi et être à l'internat à plein temps. Jamal me répondrait alors que je ne mesure pas la chance que j'ai d'avoir une famille à proximité. Ma seule motivation pour rentrer c'est Yuna. Sans ma petite-soeur, je n'aurais aucune raison de m'infliger mon père et le climat froid en sa présence.
— Ouais ouais, profite pas trop. Je reviens lundi.
On se tape dans la main et Jamal rentre au chaud. Valise à la main, je descends les quelques marches qui mènent au parking. Les limousines affluent pour récupérer les élèves. Je refuse toujours que notre chauffeur vienne me chercher ici. Disons que les transports ne me dérangent pas. Pour remonter à West Point Grey, j'en ai pour environ une heure et seize minutes en métros et en bus. Je lance mon podcast du jour qui porte sur les influences de la religion dans l'esclavage. C'est un thème qui m'intéresse énormément. J'enfile les deux bretelles de mon sac et rejoins la bouche de métro. À l'arrêt Canada Line, je croise Taehyung. Sur ce point, je ne suis pas surpris. Je le croise toujours lorsque je rentre à la maison. Je connais même son trajet.
Je reste au bout du quai pour ne pas qu'il me remarque. S'il me demande comment s'est déroulée la mission, je vais avoir l'air débile. Je ne veux pas lui parler de mon angoisse ou de mes tremblements. Je peux encore rattraper le coup lundi discrètement.
Le métro arrive. Je prends place au fond du wagon, Taehyung un peu plus loin, s'accroche à une des barres. Il reste des sièges vides, je ne comprends pas pourquoi il persiste à rester debout pour dix-huit longues minutes. Je baisse la tête et me reconcentre sur mon podcast afin de ne pas me faire remarquer. L'introduction passe avec lenteur mais par la suite, le débat commence et parvient à faire taire mon cerveau quelques minutes.
Je ne pense pas que la religion soit le moteur principal de l'esclavage. Le responsable est l'Homme. L'Homme blanc. Cependant, je pense que la plupart se sont cachés derrière cela pour justifier leurs actes déplorables. La religion a fait énormément de ravages dans ce monde. Je ne cesse de me demander où sont ces gens ? Ces gens qui ont colonisé, tué, propagé l'homophobie, la haine, ont-ils rencontré le Dieu qu'ils pensaient connaître ? Je suis persuadé que non. Pas parce qu'il n'existe pas mais parce qu'ils n'ont pas mérité de le rencontrer. Quoi que ? Enfaîte, la question est floue. Je me perds moi-même dedans. Je crois que j'en veux aux religieux et non aux religions pour tout ce mal.
Et si le train s'arrêtait maintenant et que les wagons se séparaient brutalement ? Combien de temps les gens mettraient avant d'intégrer que nous sommes en danger ? Qui deviendrait mon allié pour sortir de cette situation ? Peut-être cette jeune femme voilée près des portes ? Ou alors ce vieux monsieur à la barbe grise surprenante ? Le petit aux joues joufflues deviendrait en l'espace d'une heure le petit-frère que je voudrais protéger à tout prix. La fille là-bas nous trahirait, j'en suis sûre ! Et celui au casque serait le premier à mourir. La femme noire habillée en jaune aurait dans son sac imposant un kit de survie qui nous sauverait à un moment donné. Un zombie viendrait alors nous-
— Prochain arrêt King Edward.
Déjà ? Je lisse la veste de mon uniforme et me remets sur pieds. C'est à cet instant que Taehyung me remarque. Ma respiration se coupe à l'idée de l'entendre me parler. Je n'ai rien à dire. J'ai échoué pour l'instant. Dans notre réalité actuelle, j'ai échoué mais dans celle de lundi, cet échec deviendra une réussite. Il doit juste attendre un week-end.
Le train s'arrête, les portes s'ouvrent. Je suis le premier de nous deux à rompre le contact et à descendre. Manche de valise entre les doigts, j'ignore pourquoi je presse le pas. On va au même endroit. Le bus 025 nous ramène dans nos maisons respectives. Je monte les escaliers en trottinant mais au bout, je vois une femme rouler son chariot avec difficultés. Je parcours le chemin qui nous sépare et après avoir eu sa permission, je l'aide à terminer la route avec ma main libre. Je la dépasse vers le portique pour rejoindre l'arrêt. Taehyung se présente deux à trois minutes après. L'endroit étant beaucoup plus étroit, on ne peut nier la présence de l'autre. Pour qu'il comprenne que je ne veux pas lui parler, je lui tourne le dos. Il ne tente rien. Cinq minutes après, le bus arrive. On rentre dedans en silence. En passant avec son bagage, son odeur de cannelle vient chatouiller mon nez. J'ai l'impression qu'elle me poursuit partout.
Le bus est bondé. Je me cale dans un creux entre deux places, la valise entre les cuisses. Il est reste au milieu du passage, à deux pas de moi. J'ai conscience de sa présence. J'en ai des frissons, c'est dire à quel point tout me démange quand il est dans les parages. L'envie de l'insulter, de le frapper, de lui parler, n'importe quoi mais le silence en sa présence, je ne maîtrise pas.
Il descend du bus quatre minutes après à l'arrêt Grainville. Il doit me passer derrière pour cela. Sa main frôle mon dos, la mienne se met à trembler. J'ignore ce qui lui prend mais il chuchote :
— C'est l'effet que je te fais ?
Avant que je ne puisse réaliser que ces mots me sont adressés, il est déjà dehors. Je lui lance un regard assassin et range ma main dans ma poche pour cacher et freiner le tremblement. Durant les seize minutes qu'il me reste pour rejoindre l'arrêt Camosun, je bouillonne. Une fois encore, le podcast n'a pas eu l'effet escompté à savoir, obtenir mon attention.
Le bus me dépose en face de l'école primaire. Ma soeur doit avoir terminé depuis une bonne heure ou deux. Je remonte l'allée, avec fatigue. Le mieux est toujours de la descendre car le passage est étroit et mal foutu. Les tons beiges et doux que le ciel portait quand j'ai quitté l'internat sont désormais gris. La pluie ne va pas tarder à s'abattre sur Vancouver. Je presse le pas jusqu'à atteindre la ruelle qui abrite notre dépendance. Je la longe en slalomant entre les différents arbres. Devant le lampadaire, je sors les clés de ma poche. J'ouvre le grand portail conscient que la petite porte est encore cassée. Il faut que mon père se bouge pour réparer ça. Du moins, le jour où il aura le temps de le remarquer.
— Monsieur Jeon. Content de vous revoir. Votre semaine a été comme vous vouliez ? m'accueille Stevenson dressé devant la porte de chez moi.
Je parcours l'allée et lui fais signe de ne pas venir récupérer les valises.
— Bof, franchement. Papa est là ?
— Dans son bureau. Votre mère aura un peu de retard pour le dîner, elle m'a demandé de vous avertir.
— Bien, merci.
Sur les trois marches plates, je fais monter ma valise. Il m'ouvre grand l'entrée. Je pénètre ma maison et la porte se referme dans mon dos. L'effet de retour de l'internat est toujours le même. Le calme me surprend. Dans le salon, pas un chat. Dans les escaliers au fond de ce dernier, pas un bruit. Je prends mes chaussures à la main pour éviter de salir la moquette dans les dalles puis, je me souviens qu'il n'y en n'a pas ici. Seulement un escalier en verre. J'opte alors pour l'ascenseur dans la pièce à vivre. Il m'amène dans l'étage que ma sœur et moi partageons. Je suis à peine dans le couloir qu'elle déboule de sa chambre à toute allure. Son fauteuil électrique s'arrête à mes pieds.
— Maman va rentrer tard ! On peut faire le dîner ensemble ?! J'ai demandé à papa d'acheter tes haricots en plus.
— Eh oh, bonjour morveuse.
Ma petite-soeur soupire et me tape dans la main. J'imagine que de préparer les repas ensemble lui a manqué pendant la semaine.
— On peut pas faire le dîner, tu le sais.
En vacances, on s'en charge tous les deux en équipe. Yuna adore cuisiner et j'adore la voir prendre plaisir à des choses aussi banales. Maintenant, lorsque nous sommes en période scolaire, c'est Jason qui s'occupe des repas. Elle le sait.
— Mais, on peut lui demander de faire ce qu'on veut, ajouté-je face à sa petite mine déçue.
— Mouais. On peut jouer aux cartes au moins ?
C'est moi où ses cheveux ont encore poussé ? Je l'ai amené pour son carré pas plus tard que la semaine dernière.
— J'aide un peu papa et après ouais. Si tu veux on jouera.
— Ouais, dans une éternité, quoi. Laisse tomber.
Yuna actionne le bouton de son appareil et aussi vite qu'elle est apparue, elle disparaît dans sa chambre. Je déteste quand elle fait la grincheuse. Je ne lui apprends rien. Il y a du travail, j'aide papa. Ça ne me prend pas plus de trois heures par soir. Troublé par ma propre journée, j'abandonne ma valise et mes chaussures dans l'entrée de ma pièce et ressors de suite.
Je dévale les deux étages qui me séparent du premier. Le podcast en fond est mis sur pause même si je ne retire pas mon écouteur. Au bout du couloir, la porte du bureau de mon père est entrouverte. Ma démarche se fait moins confiante. J'espère tomber dans un de ces bons jours en la poussant mais la tête qu'il tire en m'apercevant me confirme que ce n'est pas le cas.
— Bonjour, papa.
Sur son bureau, une pile de dossiers. Je m'installe en face de lui par réflexe et cherche la thématique sur l'un des papiers. C'est l'affaire de Niels, je la reconnais. J'étais pourtant persuadé qu'on l'avait bouclé et que la garde avait été attribuée au père.
— Comment était ta semaine ? À part te faire attraper comme un débutant en versant de l'alcool dans du jus et te manger une semaine de colle, elle a été productive.
Ils ont appelé mon père ? Vraiment ?
— Papa, je-
— Suis un idiot, oui je sais. Pas besoin de le scander. Ce que moi je vais te dire par contre, c'est que la prochaine fois qu'on m'appelle pour une futilité pareille, j'envoie quelqu'un te foutre la honte à l'école, tu vas t'en souvenir.
Il ne se salirait jamais les mains pour si peu. Même pour me foutre la honte, il a besoin de désigner quelqu'un. J'avale la pilule avec difficultés. S'ils l'ont appelé pour si peu, que feront-ils si on me chope avec les copies ?
Je ne peux plus perdre de points sur Fearless et en plus, je ne peux plus prendre le risque que mon père soit mis au courant. Mon pied se met à heurter le bois frénétiquement. Il me lance un regard clair. J'ai cinq secondes pour arrêter, sinon il sévit.
— Je reviens.
Je ressors du bureau dans l'idée de me calmer. Je ne peux pas reprendre un médicament maintenant. Ce qu'il me faut, c'est une solution rapide et efficace. Je tire sur le fil de mon écouteur pour faire sortir mon téléphone de ma poche. Les doigts tremblants, je me rends dans une conversation au fin fond de l'application. Seul un point nomme ce contact.
Aucun message n'a été envoyé depuis deux ans. Le dernier apparaît.
. : Jungkook, viens à l'hôpital. Vite.
Je jure discrètement et m'oblige à écrire ce message. J'ai le choix entre mettre ma haine de côté et décevoir mon père. Le choix est vite fait.
Moi : J'ai pas pris tu sais quoi.
Moi : On les récupère lundi.
Moi : On fait équipe.
Mon ventre se noue en les envoyant. C'est pourtant fait. Je ne compte pas trois secondes que déjà, la réponse arrive. Elle est telle que je l'imaginais. Elle porte son sourire narquois.
. : Ah bah voilà quand tu veux.
. : Que les choses sérieuses commencent alors.
Il faut croire que c'est le prix à payer pour obtenir ce que je désire.
🍂
Fin de chapitre !
Allez hop, il aura tenu 2 chapitres mdrr ! Mais bonne nouvelle ! Ça veut dire que maintenant, ils vont travailler ensemble 🤗.
Hâte de vous montrer l'évolution de leur relation, vraiment !
On se dit à mercredi ??
Kiss, kiss <3
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