Chapitre 2 - EVA


Je récupère de notre nuit de travail devant une série débile quand Laïla déboule dans notre salon, son téléphone en main en criant mon prénom.

- Eva, regarde ça.

Elle me tend son téléphone ouvert sur un post Instagram. Je relis plusieurs fois le court message avant de comprendre que les mecs sur lesquels je dois écrire cherchent un ou une journaliste pour accorder une interview exclusive. J'ai déjà entamé mes recherches et ces deux mecs n'en ont jamais accordé une seule. Ils ont tous les deux un compte Instagram un peu bateau sur lequel ils postent des photos d'eux sur des yachts, sur des plages privées... Rien de passionnant. Leur business est assez flou. Ils ont débuté dans la musique, puis ils ont fait fortune dans l'immobilier. Ils ont des dizaines de sociétés différentes : textiles, hôtels, restaurants... Ils vivent officiellement en France. Ils ont grandi dans une cité en banlieue parisienne. Et aujourd'hui, ils sont assis sur plus de 450 millions d'euros. Un empire... Tout est lisse. Trop lisse pour ne pas cacher quelque chose. Certains croient peut-être à leur réussite au prix d'un travail acharné, moi pas. Alors, ce message que me montre Laïla est une aubaine. Une chance de me faire ma propre idée en les ayant tous les deux devant moi parce qu'ils peuvent bien cacher ce qu'ils veulent d'eux sur le net, j'ai bien l'intention de découvrir comment ils sont passés de rien à tout.

Le timing est trop parfait pour être vraisemblable mais je me dis que pour une fois, le destin est de mon côté. Peut-être suis-je trop naïve...

***

Quelques jours plus tard, je suis devant un building blanc d'une vingtaine d'étages armée de tout l'attirail du parfait journaliste. C'est moi qui ai été sélectionnée, je commence vraiment à croire que le vent est bon pour moi. J'attends patiemment que quelqu'un vienne m'ouvrir la porte. Ce matin, j'ai mis du temps à me préparer. J'ai essayé de coller à l'image qu'ils attendaient : une personne simple, qui ne cherchera pas à fouiner dans leur vie privée, qui fera le job. Quelqu'un de docile... alors, j'ai travaillé mon style. Je me suis habillée comme une étudiante un peu dépassée par tout ça. J'ai mis un jean, un petit top blanc, des baskets et j'ai ramené mes longs cheveux dans un chignon négligé. À ça, s'ajoute mes deux gros sacs qui paraissent trop lourd pour moi et mes cernes... J'ai retourné et retourné cette proposition de nos professeurs dans ma tête presque toute la nuit. Je ne vois qu'une seule chose, ils veulent voir qui a le plus de cran, qui prendra le plus de risques. Ce n'est pas un hasard si chacune des personnalités sur lesquelles nous devons bosser ont d'une manière ou d'une autre des sales petits secrets. Welligton est un riche alcoolique qui écrase des ados, le diplomate turc a quitté le territoire hier matin selon Tabatha, et ainsi de suite.

Je suis inhabituellement nerveuse quand l'assistante que j'ai eu au téléphone m'accueille. Nous prenons l'ascenseur jusqu'au dernier étage. Les portes s'ouvrent sur un espace polyvalent dans lequel il y a deux ou trois personnes qui travaillent calmement derrière d'immenses ordinateurs. Dans le fond, se trouvent une figurine grandeur nature d'un personnage de jeu vidéo, Link il me semble, et une machine à sous vintage décore les lieux.

Je suis « Pauline » vers une porte qu'ouvre un des hommes, Eli Farès. Le deuxième, certainement Isaac, se tient dos à moi, face à une baie vitrée qui offre une vue époustouflante sur Paris, pluvieuse aujourd'hui.

- Bonjour. Eli Farès, me dit le premier homme en me faisant signe d'entrer.

Je réponds un timide bonjour. Il doit mesurer un mètre quatre-vingts et il a l'air vraiment musclé. Il a un visage rieur, des cheveux longs, brun clair et attachés. Sa peau est matte et il est habillé avec un jean gris et un pull beige. Un style simple mais qui pue le fric. Pendant que j'installe mon matériel et que je m'assois sur un épais fauteuil en cuir blanc, l'autre homme est toujours dos à moi, habillé tout en noir.

Sur les 20 questions, ils en ont gardé 16. Eli Farès s'avance vers un bar.

- Champagne ? me demande-t-il en souriant toujours.

Je m'attendais à ce qu'il soit plus inaccessible mais son sourire a le mérite de me détendre. C'est ce moment-là que le deuxième homme choisit pour se retourner et planter ses yeux d'un vert aussi sombre que la forêt sur moi. Il me regarde durement, sans artifice dans un mélange de méfiance et de mépris. Je crois que j'arrête de respirer et je ne me sens plus du tout détendue. Lui a les cheveux foncés, mi-longs, en bataille et rasés sur les côtés. Il a également le teint matte de son frère. Ils se ressemblent tout en étant complémentaires : l'eau et le feu. Ils sont physiquement fidèles à leurs photos sur les réseaux mais bien plus intimidants en réalité.

Il attend ma réponse, ils me testent tous les deux alors je réponds le premier truc qui me vient en tête et qui m'enlève toute docilité :

- Tequila.

L'homme émet un son qui ressemble à un rire moqueur.

Je me retourne lentement vers celui qui est au bar en ajoutant tout sourire :

- Double ! 

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