4. L'enquête

Même jour, 13h28.

L'association des chasseurs du Lac est une grande bâtisse, mais sa structure en chêne se fond si bien avec la nature, que je ne l'aperçois qu'une fois arrivé à quelques mètres du local.

Cours-la-forêt, comme son nom l'indique, est un petit village en pleine campagne,  entouré de centaines d'hectares de bois, proche de la ville de Louviers, dans l'Eure. Située au bord du Lac de l'Onglais, la région est un terrain de jeu idéal pour la randonnée, le tourisme sauvage, les activités aquatiques et surtout la chasse. Les trois quarts des habitants des environs pratiquent ce loisir ancestral, sport officiel numéro un de notre bourgade.
Je ne lancerai pas le débat, mais je n'en pense pas moins…

Chamblin, le président du comité, m'accueille à peine la double-porte battante franchie. Il n'y a personne à cette heure, mais lui est toujours là, derrière son bar. Cheveux blanc écrasés par son inséparable béret et barbe de la même couleur, joues rosies par l'excès de vignasse, il essuie un verre avant de le remplir de Pastis. J'ai l'impression d'être dans une pâle copie d'un saloon de série B, il ne manque que le Shérif pour parfaire l'imitation.

– Le p'tit Canteloup ! Comme ça fait plaisir de t'voir. Ton père va bien ?

– Oui, monsieur Chamblin. Bonjour.

– Et ta mère ? Ça fait un moment que j'l'ai pas vue, enchaîne-t-il.

– Elle va bien. Je voulais savoir…

– J'ai croisé ta sœur, la semaine dernière. C'est qu'elle avait bonne mine. C'est vraiment malheureux ce qui lui est arrivé,  pov' petiote. Si jeune…

Je désespère de réussir à en placer une avec lui. Il serait capable de tenir la journée sans s'arrêter de parler. C'est plutôt un avantage, si j'arrive à dévier sur le bon sujet. Je tente l'approche naïve :

– En parlant de malheurs, monsieur Chamblin, vous savez pourquoi il y avait la police, ce matin ?

Le voilà qui déambule sur le parquet de la salle d'accueil, façon coq de basse-cour, tout fier de pouvoir balancer ses potins de monsieur je-sais-tout.

– Si tu savais p'tit gars, un drame, commence-t-il. Ça reste entre nous, mais paraît qu'la mère Fauves a tué son mari à coups de fusil. Norman se s'rait pris quatre balles dans le dos. Quatre ! T'imagines ? Elle y est pas allée de main morte, la Jeannette.

– Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

– D'après Lepic, y aurait eu une grosse dispute, dans la soirée. Sûrement qu'elle en a eu marre de s'faire insulter de tous les noms. J'sais bien qu'on doit respecter la mémoire des morts, mais le Norman, il était pas fin. Étonnant qu'il se soit pas fait plomber plus tôt. C'est triste à dire, mais y en a plus d'un qui va être soulagé de plus l'voir.

Je fais mine d'acquiescer, sans conviction. Certes, Norman Fauves n'était pas un homme des plus amicaux, mais de là à mériter de se prendre quatre balles dans le dos, il y va un peu fort, non ? Je ne l'ai pas connu plus que ça, mais il n'avait pas l'air d'un monstre. Je me souviens de leurs dernières sorties en couple et il semblait plutôt amoureux de sa femme. Une famille heureuse, une entreprise florissante, une vie somme toute parfaite… en apparence, visiblement.
Qu'est-ce qui a bien pu arriver pour que tout bascule ?

– Ils étaient bons chasseurs ?

– Tu parles ! Ils savaient surtout gueuler, oui ! Y en avait qu'pour eux. Fallait toujours qu'ils aient la meilleure place ou que ce soit eux qui tirent en premier. Mais c'est vrai que j'ai jamais vu Jeannette manquer sa cible. Toujours en plein cœur.

Mes pensées s'égarent et j'imagine ce brin de femme de soixante-cinq ans viser son mari deux fois plus balèze comme un sanglier.

– Alors, je peux compter sur toi ?

De quoi il parle ? Je le regarde sans comprendre.

– Tu vas dev'nir membre ? Ton père s'rait fier que tu nous rejoignes. J'suis sûr que tu ferais un super chasseur.

J'ai envie d'éclater de rire. Moi, avec un fusil ? Je croyais qu'il me connaissait mieux que ça.

– J'y penserai, monsieur Chamblin. Je dois y aller.

Un signe de la main, et je file vers la prochaine étape de mon enquête.

Le quartier résidentiel des Sous-Bois est plus calme que ce matin. La vie a repris son cours et rien ne laisserait présager qu'un drame a eu lieu il y a quelques heures à peine, mise à part les jumeaux en uniforme qui font toujours le pied de grue devant le portail. La seule chose qui fait tache au milieu des pavillons.

Gérard Lepic, voisin des Fauves, me fait entrer dans sa cuisine. Rideaux en dentelle jaunie, papier peint fleuri, nappe cirée… je me retrouve propulsé au cœur des années 90, dans la maison de ma grand-mère dont la déco était déjà démodée à l'époque. Mon jus de café bouillu refroidit sur la table sans que je n'ose tremper les lèvres dedans, tandis que le maître des lieux, content d'avoir pour une fois les projecteurs braqués sur lui, se lance dans un récit faussement pathétique :

– Quel choc ! Quand on a vu la police, ce matin. Ma femme a tout de suite compris qu'il y avait eu un drame.

– Vous n'avez rien vu ou entendu de particulier chez les Fauves ?

– Ils ont passé le dimanche en famille sur leur terrasse. Il y avait leurs enfants. Il a dû pas mal picoler parce qu'il arrêtait pas de gueuler. Mais bon, c'est Norman, il gueule tout le temps. Il y a eu une dispute qui a éclaté en fin de journée, avec sa femme. Les gamines sont partis, mais lui, il continuait de péter les plombs. Jeannette a disparu à l'intérieur et il a fini par se calmer. Nous, on s'est pas inquiété, ça arrive quasiment tous les jours.

– Vous connaissez les raisons de cette dispute ?

– Norman a jamais eu besoin de raison pour s'énerver. La bouffe trop cuite, un truc qui traîne... Il buvait trop, surtout.

– Vous n'avez plus rien remarqué ensuite ? Dans la soirée, dans la nuit ?

Il réfléchit un instant, derrière ses petites lunettes rondes avant de répondre :

– Vers minuit, ma femme a cru entendre un bruit. J'ai regardé par la fenêtre, mais tout était noir, alors je me suis recouché. Elle m'a dit ce matin que c'était sûrement un coup de feu.

– Merci pour ces informations, monsieur Lepic. Si un détail vous revient, n'hésitez pas à m'appeler.

Il me raccompagne sur le pas de la porte, quand une voix d'homme l'interpelle :

– Eh Gégé, tu connais pas la dernière ? Il paraît qu'il y a une des filles Fauves s'est fait la malle !

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