1. La nouvelle

Lundi 11 septembre 2017, 8h03.


Philéas débarque comme un ours en quête de miel dans la salle de pause, pile au moment où j'allais appuyer sur expresso. Mon doigt rippe sur je ne sais quel bouton, tandis que je me tourne vers mon rédacteur en chef, et accessoirement meilleur ami, qui fait trembler les murs de sa voix de ténor :

– Bastien ! Heureusement, t'es déjà là. Je suis venu dès que j'ai su. T'es au courant ?

Il ne me laisse pas le temps de réagir, qu'une main s'abat dans mon dos et me décolle une omoplate au passage.

– Il vient de se passer un truc ! Ça va nous booster les ventes, j'te raconte pas.

Il trépigne comme un gosse. Ce qui rend vraiment bizarre sur un mec d'une toise et demie.

– Phil, je t'adore, mais je préfère quand tu te pointes pas avant dix heures, comme les autres jours. Laisse-moi au moins boire mon café avant de me casser les... os, je grimace. Qu'est-ce qui se passe pour que tu sois tombé du lit comme ça ? Macron a été surpris en pleine orgie à l'assemblée ?

– Oublie la politique, mon vieux ! Les élections, c'est démodé. Je te parle d'un truc encore plus énorme. Un événement qui s'est passé juste ici, à Cours-la-forêt.

J'éclate de rire et tente de deviner. Plus énorme qu'une partouse avec le nouveau président ? Dans un village qui compte plus de vaches que d'habitants, où tout le monde se connaît et où il ne se passe jamais rien ?

– Quoi ? Une prise d'otages à la maison de retraite ?

J'attrape le gobelet en carton qui me brûle à moitié les doigts et le porte à ma bouche, tandis que Philéas s'excite de plus belle :

– Mieux. Un meurtre.

Je recrache ma mixture aussi sec, la bouche déformée de dégoût :

– Bordel ! De la soupe à la tomate ! Foutue machine, qui a l'idée de boire cette... Attends, quoi ?

Philéas pose ses grosses paluches sur mes épaules, et me fixe de ses petits yeux bleus pleins de malice :

– T'as bien entendu, mon pote. Un meurtre. La mère Fauves a buté son mari, hier soir.

– Fauves ? L'entreprise Fauves ?

– T'en connais plusieurs ? Fauves&co fait tourner la moitié de la ville.

– J'y crois pas. T'es sûr que c'est elle ? La mamie a au moins soixante piges !

– C'est mon indic dans la police qui m'a prévenu. Jeannette Fauves aurait appelé les secours cette nuit en disant qu'elle avait tué son mari, confirme mon ami.

Je m'affale dans le premier fauteuil que je trouve et j'essaie de réaliser ce qui est sur le point d'arriver. Cet événement, bien que tragique, va bouleverser le quotidien de notre village.
C'est ma chance ! Le moment pour moi de me fondre dans la peau d'un vrai journaliste.
Je passe les mains dans l'espèce de crin de cheval brun qui me sert de cheveux et me relève, sans plus attendre :

– Il faut que je sois sur l'affaire.

Le visage carré de Phil se fend d'un rictus moqueur. Apparemment, je suis loin d'avoir gain de cause, et il le confirme :

– Je ne sais pas, Bast, j'ai besoin de mon assistant de direction, ici. Tu gères le journal comme personne. Et puis, Benjamin sera parfait.

– Benjamin ? Il n'a fait que couvrir le loto ou la dernière brocante, il a pas les épaules pour ça. Être ton assistant n'a jamais été ma fonction. Je suis journaliste et je n'ai pas eu l'occasion d'écrire un article depuis des semaines, je me défends.

Il a l'air d'hésiter. Bon point.

– Je suis sûr que tu t'en sortiras très bien tout seul, pour une fois, je continue. La boîte ne serait rien sans toi.

Il grimace. Mon cirage de pompes en bonne et due forme n'a pas fait mouche. Il va falloir que je mette le paquet, mais je ne me débine pas. Je connais la bête, et je sais comment ferrer le poisson :

– Tu sais pourquoi j'ai voulu faire des études de journalisme ?

Il hausse un sourcil, je me mets en mode actor studio. Je pose mon regard dans le vide et pars dans un drame à la soap opera dont le cœur Philéas ne pourra pas sortir indemne :

– J'avais envie de faire des reportages à travers le monde, couvrir les terrains les plus dangereux, les enquêtes les plus mystérieuses. Je voulais une vie trépidante... Au lieu de ça, je me retrouve au fin fond d'une cambrousse où il ne se passe jamais rien. Je ne regrette pas d'avoir monté ce journal avec toi, mais c'était ton rêve, pas le mien. Pourtant je t'ai suivi sans retenue, parce que c'est ce que font les amis. J'aurais espéré que tu en fasses de même le jour venu.

Je m'étonne tout seul, j'entendrais presque les violons et leur musique pleine de mièvreries. Philéas souffle et je sais qu'il a mordu à l'hameçon. Maintenant, je dois le ramener doucement sur la berge :

– Je sais que je couvre pas les faits divers, d'habitude. Mais je vais assurer. J'te garantis que tu ne seras pas déçu.

Le bougre résiste. Il croise ses bras de la taille de mes cuisses autour de ses pectoraux d'acier et contracte sa mâchoire en signe de protestation. Je tente un dernier coup de moulinet et joue la corde sensible en espérant que la ligne ne casse pas :

– Allez, mon frère. J'ai toujours fait ce que tu voulais sans jamais rien demander en retour. Cette fois, c'est moi qui ai besoin d'un service.

Je plante mon regard dans le sien et donne le coup de grâce :

– Fais-moi confiance. Au nom de notre amitié.

Il ferme les yeux et un grognement s'échappe de sa gorge avant que les mots n'en sortent :

– Benjamin pas être content.

Le type en question, c'est le pigiste qui s'occupe de la rubrique faits divers. Il n'a pas eu son diplôme et il passe son temps à errer au journal, quand il ne décuve pas au fond de son lit. Il risque d'enrager si je lui enlève le pain de la bouche, mais pour l'heure, le principal c'est que je comprends direct que Philéas est enfin dans mes filets, bien que je préfère assurer mes arrières :

– Sérieux ? Tu me mets sur le coup ?

À son air taquin que je connais depuis qu'on est gosse, je réalise alors que c'est lui qui me mène en bateau depuis le début.

– Mec, pourquoi tu crois que j'ai couru jusqu'ici pour arriver avant tout le monde ? Je voulais t'annoncer moi-même la nouvelle, explique-t-il. Parce que je savais que tu voudrais couvrir l'enquête. Et que, même si j'adore Ben, c'est encore qu'un p'tit merdeux qui vit chez sa mère et qui pense qu'aux gonzesses ! Comme tu dis, il a pas du tout les épaules pour ça. Alors que toi, on sait tous les deux que tu vas assurer.

Je lui donne un coup d'épaule qui fait à peine bouger son coude et lance :

– T'es vraiment con !

Mauvais réflexe, sûrement dû à mon réveil au jus de tomates bouillies, car sa pichenette m'envoie valser à travers la pièce :

– Peut-être, mais en attendant, tu vas avoir du boulot, pendant que moi, je vais finir ma nuit dans mon bureau ! Tu te chargeras d'annoncer la nouvelle à Benjamin, par la même occasion. On se voit au brainstorming, déclare-t-il.

Il s'éloigne et sort de la pièce juste avant que mon coussin, envoyé trop tard, ne vienne s'écraser sur la porte.

– Espèce d'enf...

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