DEPUIS QUAND les fruits de la science alimentent conflits et calamités ? Elle ignore comment tout c'était enchaîné jusqu'à en arriver là, à cette phase où la culpabilité la ronge l'âme éteinte. Elle ne se rappelle pas de cet élément qui eut déclenché ce virage strident. L'ensemble de la toile, qui s'offre à elle, à cet instant-là, a l'air effroyablement hostile. L'inconnu l'épie. L'anxiété la bouffe. Impitoyablement.

Elle se rappelle pourtant de l'existence sereine qu'elle menait. De longues balades nocturnes avec sa chienne. De petits plats que sa colocataire cuisinait pour se faire pardonner de son incapacité à honorer ses rendez-vous. De ses soirées passées à la baignoire, l'eau tiède lui chatouillant la peau. De quelques films qu'elle regardait dans le grand écran du driving. Des sorties avec ses meilleurs amis.

Sa vie n'avait rien d'extraordinaire. Elle était semblable à celle des autres. Elle s'amusait quand son emploi de temps lui permettait. Bossait d'arrache-pied pour boucler ses rapports semainiers. Et tentait de préserver une vie amoureuse en dehors de tout ce chaos.

Ça l'anéantit d'avouer qu'elle aurait pu éviter tous ses tracas si elle avait immobilisé l'avancé de ses recherches, au moment fatidique. Si elle avait baissé les bras après l'échec des expériences animales. Elle avait la possibilité de jouir de péripéties moins complexes à l'heure qu'il est. Sauf que sa curiosité la conduite à des fins peu enviables. Chose qui l'a obligé à grimper dans le premier avion, à se diriger vers une destination où elle avait juré de ne plus y mettre les pieds, à s'enfermer dans cette chambre inamicale où le réseau est aussi faible que sa chance de survivre après cet épisode épouvantable de sa vie.

Puisqu'ils viendront la chercher. Tôt ou tard.

Et l'embarqueront dans une de leur voiture noire, aux vitres fumantes. Elle ne sait où.