Chapitre 1
Six mois se sont écoulés depuis l'enterrement d'Alexander. Il a fallu avancer. Malgré les pertes, les coups durs, la vie continue, et mon entreprise ne peut tourner toute seule. Rester enfermée chez soi à se morfondre n'est pas la solution.
Je ne suis pas mécontente que la journée s'achève. Entre les heures surchargées au boulot, mes nuits courtes et la pluie battante qui tombe sur Boston, je suis éreintée ! Car oui, le temps a toujours un impact sur l'humeur !
En hiver, le soleil se couche tôt, ce que je déteste. J'aime quand il fait clair tard, comme en été.
À travers la vitre de la voiture, j'observe la ville, illuminée par les lampadaires et les immeubles. Même avec le ciel sombre, le spectacle est magnifique. Je ne me lasserai jamais de ce panorama.
Le taxi s'engage dans une rue à côté de Colombus Park et s'arrête devant le cabinet de Jonathan. Je paie le chauffeur et m'extrais de l'habitacle tout en ouvrant mon parapluie pour ne pas être mouillée entre la portière et l'entrée du bâtiment.
Je le secoue ensuite et me dirige vers l'ascenseur.
Venir dans cet endroit me touche beaucoup, parce que c'est le lieu de travail de Jonathan, mais aussi celui où Alexander et moi nous nous retrouvions régulièrement pour emmener notre ami déjeuner.
Depuis qu'Alexander est parti, c'est l'horreur. Je m'y étais attendue, mais je n'avais, hélas, pas envisagé l'ampleur des dégâts.
Comme me l'a promis Jonathan, il m'épaule, m'aide. Il n'écoute pas les rumeurs, plus graveleuses les unes que les autres, qui vont bon train à mon sujet. Il n'y croit pas une seule seconde. Il me connaît, et il sait le lien que je partageais avec Alex.
À part cela, nul n'a encore deviné qu'en réalité je suis la fille de ce grand banquier qui nous a quittés beaucoup trop tôt.
Je n'ai pas rencontré ma demi-sœur ni mon demi-frère. J'aurais bien aimé, je désire les connaître. Alexander m'avait convaincue qu'il fallait attendre le moment propice pour tout leur raconter. Il voulait préparer le terrain. Il craignait que son épouse, Anaëlle, dont le cœur est fragile, n'ait une crise cardiaque en découvrant un passé dont elle ignorait tout. Même si je lui étais importante, préserver sa femme le plus possible était primordial pour Alex. Ce que je pouvais parfaitement comprendre.
Lorsque nous nous voyions, nous faisions toujours attention à être discrets. Non pas qu'il voulait me cacher, mais nous préférions être prudents. Nos rencontres furent donc mesurées, même s'il m'emmenait dans des endroits bondés où nous pensions passer inaperçus dans la foule.
Malheureusement, la presse à sensation avide de scandales n'a pas manqué de nous repérer. Il n'en a pas fallu plus pour nourrir des rumeurs...
Les articles, les photos, les questions sur mon identité et mes relations avec le richissime banquier ne cessaient d'alimenter les journaux.
C'était la panique ! Je ne savais pas quoi faire. Craignant qu'on ne nous proclame amants, Alexander comptait réagir. Nous n'avions plus d'autre choix, de toute manière.
Il n'en a pas eu le temps... Une crise cardiaque l'a terrassé, et il est mort quelques jours plus tard. C'est Jonathan qui m'a annoncé la nouvelle avant que je ne l'apprenne par les médias. Ensuite est arrivé son enterrement, où j'ai dû rester à distance...
En quelques mois, j'ai perdu mon deuxième parent que je venais à peine de rencontrer. J'ai maudit la vie pour me l'avoir arraché. Je n'ai pas vécu assez de choses avec lui, j'en voulais davantage. Hélas, c'était impossible, il était bel et bien parti. Je me suis donc retrouvée seule face à ces vautours qui continuent – encore aujourd'hui – de s'imaginer n'importe quoi ! Six mois se sont écoulés, mais ce n'est pas pour autant qu'ils m'ont lâchée.
Les événements se sont précipités lorsque j'ai appris qu'Alexander me laissait une très grosse somme d'argent dans son testament. J'en ai été grandement surprise. Et le mot est faible ! Je n'avais rien demandé, je n'en voulais même pas.
Évidemment, la presse s'est emparée de l'information et en a profité pour dresser de moi un portrait peu flatteur. Aux yeux de tous, je ne suis qu'une vulgaire croqueuse de diamants qui a réussi à faire tourner la tête au grand homme d'affaires. Et, bien sûr, ils ont ajouté que je l'avais envoyé prématurément dans la tombe.
N'importe quoi !
Ayant promis de ne rien révéler avant qu'Alexander ne le fasse lui-même à sa famille, je ne voyais pas comment faire éclater la vérité maintenant qu'il était mort. Quant aux insinuations de la presse, il était trop tard pour les nier. Tout le monde se serait demandé pourquoi je n'avais pas protesté plus tôt, pourquoi je n'avais pas essayé de rétablir la vérité au lieu de laisser publier ces calomnies. Une fois qu'on est dans le collimateur des médias, il est très difficile de s'en échapper, et tout se propage comme une traînée de poudre. Il aurait fallu les empêcher de publier quelque chose dès le début. Maintenant, il ne sert plus à rien de changer les choses, personne ne me croirait.
Alors, à quoi bon ? J'ai laissé parler, même si ça me blessait et que tout était faux.
Les mois ont passé sans que la situation ait bougé d'un iota. J'ai souvent été montrée du doigt, on a chuchoté dans mon dos, on m'a insultée, mais j'ai gardé la tête haute. Il n'est pas question que je leur permette de me piétiner et qu'ils en savourent le résultat !
Heureusement, dans ce malheur, Jonathan a tout fait pour m'épauler du mieux possible. C'est un ami indéfectible.
À ce jour, il est le seul à connaître la vérité.
Anya, ma collaboratrice et une personne dont je suis proche, ignore tout de cette histoire. Oh, elle m'a interrogée, elle lit les journaux, comme tout le monde. J'ai pu esquiver en lui disant que c'était un ami de ma mère, qu'on s'était vus quelques fois et que la presse en avait déduit ce qu'elle voulait. Ce qui est en partie vrai. Elle n'a pas insisté, mais j'ai conscience qu'elle attend que je m'ouvre à elle. Elle me connaît bien, elle sait qu'il ne faut pas me bousculer.
Chassant mes sombres pensées, car songer à mon père et tout ce qui en a résulté me fait encore beaucoup de peine, je profite de la lente montée de la cabine pour m'observer dans le miroir. Je vérifie que mon maquillage n'a pas coulé et y apporte une petite retouche. La plupart du temps, quand je travaille, je coiffe mes longs cheveux bruns dans un chignon bas. Pas ce soir. Je les ai laissés libres.
Je ne suis pas du style à m'apprêter pendant des heures, mais aujourd'hui, j'ai fait plus d'efforts que d'habitude. Jonathan m'emmène manger dans un restaurant chic. Nous fêtons la signature de l'un de mes plus gros contrats. Il a désiré marquer le coup. Ça m'a fait tellement plaisir que je n'ai pu refuser. Qu'aurais-je fait, de toute façon, si j'avais passé la soirée seule ? Je préfère de loin cette sortie que d'être chez moi. Et puis, Jonathan est d'une agréable compagnie et j'aime passer du temps avec lui.
Pour l'occasion, j'ai porté mon choix sur une ravissante robe rouge, à fines manches, au décolleté légèrement en V, dont la jupe coule gracieusement sur mes hanches et mes pieds. Simple, mais classe. Et je me moque qu'une harpie ou une autre personne puisse lancer à ma vue, après m'avoir détaillée, que mes tenues sont la preuve de mon ascendant sur le banquier disparu. Ou qu'on me traite de « cocotte entretenue », et j'en passe ! Ce que je possède vient de mon dur labeur et non de l'argent qu'Alexander m'a laissé.
Personne ne semble prendre en compte que je suis une femme dynamique dont l'entreprise de pâtisserie, que j'ai montée avec Anya, m'assure une parfaite autonomie financière. Du moins, tant que ça marche, et, pour l'instant, c'est le cas.
Quand le scandale de ma prétendue liaison a éclaté, j'ai craint le pire pour mes affaires. L'angoisse m'en tordait l'estomac ! Toutefois, à ma plus grande surprise, le phénomène inverse s'est produit : les clients ont afflué, que ce soit sur mon site ou dans mon magasin, et les contrats se sont multipliés. J'ai rapidement compris que les femmes qui se présentaient dans ma boutique espéraient glaner quelques commérages. Leurs questions n'étaient pas très subtiles ! Certaines d'entre elles ont été déçues et n'ont pas donné suite au devis qu'elles étaient venues demander. Cependant, la plupart ont passé commande, apprécié la qualité irréprochable de mon travail et sont d'ailleurs revenues.
L'ascenseur s'immobilise. Je quitte l'habitacle, fais quelques pas et aperçois un rai de lumière filtrer sous la porte du cabinet de Jonathan. Je secoue la tête tout en souriant. Jonathan est un brillant avocat, mais quand une affaire l'absorbe, il en oublie généralement tous ses autres rendez-vous. Même de manger, c'est pour dire ! Un vrai bourreau du travail !
J'étais certaine qu'il aurait zappé, trop accaparé. Je l'ai deviné en l'attendant pendant une heure chez moi. Il était censé venir me chercher. Comme il est toujours ponctuel, je savais, en ne le voyant pas arriver, qu'il m'avait oubliée et que je le trouverais dans son bureau. C'est pour ça que j'ai fait le déplacement. Pour le ramener sur terre, mais aussi, car j'adore le surprendre.
Je m'approche de la porte, que j'ouvre en grand.
— Salut, Jonathan !
C'est évidemment sans étonnement que je le découvre, comme à son habitude, la tête plongée dans la masse de papiers qui jonchent son pupitre.
Un grand sourire fend mon visage face à ses cheveux décoiffés. La cravate dénouée, il lit un dossier à la lueur de sa lampe de bureau.
En m'apercevant, il sursaute violemment. Subitement, j'ai la sensation qu'il est nerveux. Je dois me faire des idées...
— Lucile ? Mais qu'est-ce que...
Il ne termine pas sa phrase. Son regard s'écarquille et s'éclaire. Je n'ai pas besoin d'en dire plus, il a saisi et comprend pourquoi je suis là.
D'un bond, il se lève et s'extirpe de son fauteuil tout en affichant un air penaud.
— Je suis désolé ! J'ai complètement oublié notre rendez-vous !
Je m'esclaffe. J'avais vu juste.
On s'approche l'un de l'autre pour s'étreindre un court moment.
— Décidément, tu es incorrigible !
Relevant la main, je lui ébouriffe les cheveux, et, comme à chaque fois que je fais ce geste, il se laisse faire.
— Qu'est-ce qui t'a retenu, cette fois ?
— Je crains que ce ne soit moi !
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