9 novembre { Léonce }

Apparemment il faudrait que j'écrive plus, que je m'applique plus et que je prenne plus au sérieux ce travail, d'après mon adorable psychologue. C'est vrai que la présentation a été courte, je l'admet, mais je suis pas très douée pour ce genre de chose, écrire des mémoires ou simplement parler de soi. Je suis plutôt du genre directe, brute et souvent antipathique au premier regard. Et puis, franchement, je me demande à quoi va servir ce foutu compte rendu. Pardon c'est vrai il faut aussi que j'évite d'être vulgaire. Dr Arslow me l'a fait comprendre lors de notre dernier entretien. Je sens que ça va être long et j'ai écrit quoi, seulement une dizaine de ligne.

Bon, je devrais plus parler de moi aussi, mais je sais même pas à qui je pourrais dédier ces petites bribes personnelles. Alors je vais imaginer que vous vous en foutez parce que de toute façon si vous en êtes à lire ce que j'écris c'est qu'il y a un truc pas net chez vous, ou que vous êtes comme ma psychologue, Dr Arslow, une fanatique des histoires problématiques des autres.

Je sais, je vais vous raconter comment je suis venue à avoir des rendez-vous chez une psychologue. Histoire de vous remonter le moral en voyant qu'il y a des vies plus pourries que les vôtres.
On va dire que j'étais heureuse jusqu'à l'année dernière. Bien sûr c'est pas le bonheur que vous vous imaginez. Je travaillais dans un petit restaurant dans le centre de Lyon et je pense que les journées où je n'ai pas traîné des pieds ou insulter mon patron dans mes moustaches se comptent sur les doigts de ma main. Mais je vivais au moins à cette époque. Je vivait dans un petit appartement avec... bon, je sens qu'on arrive à un point qui fait mal et qui me donne envie de frapper tout ce qui bouge. On va dire que j'avais une relation avec... appelons-le Deg, oui c'est bien Deg. Mais lui c'est pas important. Enfin si, mais pas dans le même contexte. La personne dont je veux vraiment vous parler est née un soir d'été en pleine canicule il y a maintenant cinq ans et demi. C'est ma fille, elle s'appelle Alice et je l'aime plus que tout au monde.
L'année dernière, on m'a retiré sa garde et son père, mon fameux Deg, est parti avec elle. Il est retourné vivre avec sa première femme, celle avec qui il avait divorcé, et son fils qui est aussi le sien.
Vous vous demandez comment ça a pu arriver et pourquoi j'ai laissé faire une chose pareille ? Tenez vous bien, même moi j'ai du mal à croire à cette histoire.

L'année dernière, on nous a retrouvées, Alice et moi, victimes d'un grave accident de voiture : sortie de route sur une départementale. Je me suis réveillée deux jours plus tard avec une fracture de la jambe, une contusion pulmonaire et plusieurs côtes de cassées.
Des policiers viennent m'interroger sur l'accident, mais impossible de me rappeler quoi que ce soit du jour de l'accident jusqu'à mon réveil. On m'annonce l'état critique de ma fille quelques heures plus tard seulement. Elle est dans le coma et on ne sais pas si elle se réveillera.
J'ai peur pour Alice. Je demande pourquoi Deg n'est pas venu me voir et on m'annonce qu'il n'a pas le droit de venir. On me dit que je vais être jugée pour ce que j'ai fait lorsque je serai en état.
Je comprends de moins en moins. Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?
J'obtiens la réponse quelques jours plus tard. Quelques jours plus tard !On m'accuse d'avoir voulu me tuer et tuer mon enfant dans cet accident. On me présente une lettre écrite, d'après ce qu'ils disent, de ma main et dans laquelle j'annoncerais mon suicide en demandant à être pardonnée. Je ne me souviens pas avoir écrit ça ni même d'y avoir pensé. La seule chose que je ne pourrais pas oublier, c'est la réponse du policier.

" Madame Amira, vous ne vous souvenez de rien, votre témoignage actuel ne fait pas le poids face à cette lettre, je sais que vous en avez conscience. Regardez où se trouve votre fille maintenant, on ne peut pas prendre le risque."

C'est vrai que j'ai toujours eu des pulsions meurtrières et je pourrais vouloir finir ma besogne. Mais oui, bien sûr. J'ai dû me retenir de ne pas cracher au visage de ce policier au coeur de pierre. Vous avez raison, protégez ma fille de la seule personne qui l'aime autant. 

Alice s'est réveillée au bout de deux semaines et demi et je ne l'a voit pas souvent. Je lui parle seulement au téléphone, mais ça fait un an que je ne l'ai pas serrée dans mes bras.
Elle avait quatre ans, elle en a déjà cinq. Je me bats chaque jour pour ne pas sombrer, pour essayer de la revoir un jour, pour lui prouver à quel point je l'aime.

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