13 novembre { Léonce }
La journée avait plutôt bien commencé. D'habitude, mon idiot de chat vient exprès sur mon visage pour s'y laisser tombé, m'asphixiant un instant dans mon sommeil avant que je ne le dégage. Aujourd'hui, il s'est couché sur mon ventre. Il aura ma peau ce bestiot. Il n'a que deux loisirs dans la vie, me pourrir la vie et dormir. D'ailleurs, il s'appelle Ramollo, si ce n'était pas prémonitoire...
Je suis entrée quelques instants dans le bureau fraîchement repeint dans un style artistique plutôt osé, si vous voyez ce que je veux dire. J'ai pris mes guitares et rien que le fait d'en tenir une entre mes mains m'emplit d'un sentiment d'exaltation. L'une d'elles avait une corde rompue, je devais réparer ça très vite.
J'ai quitté l'appartement en hâte, guidée par l'euphorie, ma guitare en mauvais état bien au chaud dans son étui. Quelques étages plus bas, je suis tombée sur des pompiers. Le vieux qui s'était moqué de moi hier était mort pendant la nuit. Sa femme semblait anéantie sur le pas de sa porte, encore en robe de chambre rose pâle. Je sentis une petite pointe de remords au creux de ma poitrine. Et dire que la dernière chose que j'aurais pensé de lui c'est qu'il n'était qu'un vieux croûton exaspérant.
La journée s'écoula plus vite que je ne l'aurais cru. Ma guitare réparée sonnait tellement juste que j'y ai joué toute la fin d'après-midi. J'ai dû payer un peu plus cher le gars pour qu'il me la réparé dans la journée, mais j'avais hâte de jouer comme avant. Je jouait un morceau avec une guitare et un autre avec l'autre. Je me suis même mise à chanter.
C'est donc le cœur léger que j'ai pris mon portable vers 19h00 et que je me suis blottie dans mon fauteuil contre la fenêtre.
"Allô ?
- Salut Mathias, comment vas-tu ?
- Salut.
- ...
- ...
- Est-ce que je pourrais parler à Alice, s'il te plaît ?
- Elle lit avec Julie.
- C'est super ! Je la dérangerais pas longtemps, dis-lui que c'est maman.
- Laisse-la, elle n'a pas envie de te parler.
- Comment tu peux dire ça, elle n'est même pas avec toi. Passe-la moi s'il te plaît.
- Elle est occupée, Léonce !
- Elle ne sait pas que j'ai appelé ! Va la voir, Mathias !
- Non, elle ne veut pas te parler !
- Tu ne lui as pas demandé, comment tu peux savoir ?!
- C'est ma fille, je n'ai pas besoin de lui demander, je le sais !
- C'est ma fille aussi ! Laisse-moi lui parler ! Il faut que je lui parle, Mathias ! Dis-lui de venir cinq minutes ! Juste cinq minutes !
- J'ai dit non. Au revoir Léonce.
- Mathias, attends, tu ne peux... "
Il avait raccroché. Je n'avais pas parler à ma fille. Le salaud. Pardon pour le gros mot, c'est juste qu'il ne peut pas me faire ça ! Si ça se trouve, il ne va pas lui dire que j'ai appelé. J'étais au bord des larmes et après un instant, je ne pu les retenir plus. Je me suis mise à pleurer sans pouvoir m'arrêter. Mon cœur était devenu si lourd que j'avais l'impression qu'il me tirait vers le sol. Je me suis effondrée dans le fauteuil et même mon chat, qui n'est pas émotif d'ordinaire, a relevé la tête.
Ma mère a débarqué une demie heure plus tard. Depuis que j'avais perdu mon travail, elle passait plusieurs fois par semaine pour manger avec moi. Comme à chaque fois, elle avait fait les courses et ses yeux de mère perçurent en un éclair mon mal-être. Je lui racontais tout bien entendu et elle me consola du mieux qu'elle pu. Il faut dire qu'on avait l'habitude des mauvaises nouvelles. J'avais deux grands frères. L'un était déjà allé deux fois en prison pour des petits délits, et l'autre avait sombré dans l'alcool et la drogue dès la sortie du lycée. Le premier faisait maintenant partie d'un groupe de musique de ville, ce qui lui permettait de se nourrir et d'avoir un toit qu'il partageait avec ses potes. Le deuxième vivait dans sa voiture, il passait nous voir de temps en temps et on soupçonnait qu'il dépensait aux jeux le peu d'argent qu'il gagnait. Mon père et ma mère nous aidait le plus possible, mais ils ne pouvaient pas tout faire.
Je devais absolument retrouver un travail bientôt. Même minable, il le fallait.
Ce soir-là, après que ma mère m'ait quittée, j'eus beaucoup de mal à trouver le sommeil. Comment Mathias, ah oui parce que vous connaissez maintenant le prénom de mon fameux Deg. Comment pouvait-il m'empêcher de parler à Alice ? C'était le seul moyen que j'avais de connaître sa vie.
A la suite le procès, j'ai eu le droit à du sursis pour ce qu'ils assuraient que j'avais fait. Par contre, je n'ai plus le droit de m'approcher de ma fille.
Je n'ai jamais voulu la tuer, ni même me tuer.
Et je m'en voudrais toute ma vie d'être responsable de cet accident qui l'a rendue paraplégique.
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