Jour 8 - C'est l'histoire de la mort
Joseph fixe du regard le corps étalé au sol. Il n'est pas certain de ce qu'il voit. Ce gars à terre lui ressemble quand même vachement. Et la pièce dans laquelle il est semble similaire à son bon vieux salon. Peut-être qu'il est en état de choc et dissocie ? Peut-être qu'il n'est pas vraiment Joseph. Il est certain d'avoir déjà vu ça dans un film.
Il n'est pas certain de ce qui s'est passé les dix dernières minutes. Il mangeait des cacahuètes, puis sans raison, il s'est retrouvé là, à fixer son corps d'en haut. On ne voit pas assez le haut de son propre crâne. Joseph ignorait jusque là avoir une calvitie naissante, par exemple. Personne ne lui avait dit.
Un peu perdu, le vieillard regarde autour lui. Si c'est bien son corps à terre, quelqu'un va forcément s'en rendre compte, n'est-ce pas ? Il a juste à attendre.
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Voilà trois jours que Joseph erre dans sa propre maison. Son corps est toujours là. Il est tombé du canapé à cause des travaux du voisin du dessous. Un morceau de peau est resté collé au fauteuil.
Joseph a longtemps fixé son dos purulent, avant de décider d'aller chercher de l'aide lui-même. Il est passé à travers la porte pour aller voir le voisin, mais peu importe le nombre de fois où il s'est agité devant lui, monsieur Gilbert est resté sourd à ses appels.
Alors il est remonté et a pris son mal en patience. Il aurait bien aimé profiter de ce temps pour ranger sa vieille armoire, mais ses mains n'arriivent pas à saisir les chemises mal pliées sur les étagères.
Être un fantôme, ça commence quand même à bien lui courir sur le haricot.
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Une semaine, ou pas loin. Joseph commence à penser qu'il est peut-être mort. L'idée ne lui avait pas encore traversé l'esprit, mais quand on a beaucoup de temps pour se faire chier, ce sont des pensées qui finissent par s'installer.
Monsieur Gilbert s'est plaint de l'odeur ce matin. Il n'avait pas remarqué qu'il ne sentait plus rien. Plus de toucher, plus d'odorat, plus de goût, il avait essayé aussi... Combien de temps avant de perdre l'ouïe et la vue ?
Son corps... commence à faire des choses bizarres. La peau semble se liquéfier par endroit. Il y a aussi des mouches, beaucoup de mouches. Il a parfois l'impression de voir quelque chose bouger sous sa peau, mais c'est sûrement une illusion.
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Deux semaines. Joseph est définitivement mort. Son corps est en train de se décomposer, et ce qu'il pensait être des mouvements de respiration étaient en réalité des asticots en train de le dévorer de l'intérieur. Charmant.
Ce matin, quelqu'un a frappé à la porte. Le voisin, il pense. Monsieur Gilbert est de plus en plus mécontent de l'odeur. Deux heures plus tard, c'est les pompiers qui défoncent la porte. De toute évidence, l'odeur leur prend à la gorge. L'un d'eux vide même ses tripes sur son parquet.
Ils tentent de retourner le corps. C'est pas beau à voir. Joseph regarde pourtant, fasciné. C'est pas tous les jours qu'on voit ses propres intestins. On l'emporte, et il suit le mouvement, curieux de voir où l'on emmène son corps.
Mais alors qu'il cherche à passer le palier de l'immeuble, une force invisible le repousse. Il regarde son corps partir dans l'ambulance, dans un sac noir, incapable de le suivre. Perdu, il retourne chez lui.
Monsieur Gillbert a ouvert les fenêtres. Il est aussi en train de vider son porte-monnaie et ses placards, sans aucune gêne. Joseph le regarde emporter tous ses objets de valeur d'un oeil vide.
Et maintenant quoi ? Il reste juste là, à errer sans être vu de personne ? Il ne peut pas être le seul à être mort dans cet immeuble. Où sont les autres fantômes ?
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Quatre ans. L'appartement a été totalement refait, et c'est un couple de petits jeunes qui y habitent maintenant. Ils ont eu un enfant il y a deux mois.
Joseph se sent faiblir. Il sait qu'il n'en a plus pour très longtemps. Il ne savait pas que les âmes avaient une date de péremption, comme les yaourts. Il n'est pas certain de ce qui va se passer pour lui. Est-ce qu'il va juste... cesser d'exister ? Existe-t-il seulement encore ?
Soudain, une lumière blanche. Ébloui, Joseph ferme les yeux. Quand il les rouvre, il n'est plus dans son appartement. Il est dans l'obscurité, face à une personne encapuchonnée avec une grande faux. Elle tend la main.
Heureux d'être enfin remarqué, Joseph lui sourit et prend sa main.
Il part. En paix.
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