CHAPITRE 10

J'ai ce pincement au ventre en réalisant qu'il n'y a plus qui que ce soit visible à la ronde. Une réaction absurde considérant que la seule personne peut-être encore présente dans ce minuscule parc à cette heure et par ce temps nuageux et frisquet est celle que j'ai laissé en plan sur le banc, celle dont la compagnie me troublait et me dérangeait. C'était comme voler si près du feu, mais ne ressentir qu'une froideur extrême, marcher en plein jour et n'être entouré que par les ténèbres, être coincé entre le Yin et le Yang et se sentir englouti par cette dualité. Il y a quelque chose d'illogique, d'insensé, d'anormal et d'insondable à propos de lui.

Un regard bref vers l'heure sur mon téléphone me convainc de prendre la direction de la maison. Les cours sont terminés depuis dix bonnes minutes et la durée de la marche qui m'attend coïncide parfaitement pour arriver chez moi à la même heure que d'habitude. J'entreprends le trajet, bifurquant sur l'herbe pour couper à travers le parc dans l'espoir de gagner quelques minutes si jamais l'orage s'abat sans prévenir, mieux vaut être près de ma destination.

"C'est pas vrai", soupirais-je. Il est au coin de la rue, adossé à sa voiture noire, debout, les jambes croisées et les bras dans la même position sur son torse. Une malédiction s'est abattue sur moi, il n'y a pas d'autres raisons pour qu'il soit là, à flaner dans les parages, pratiquement partout où je vais.

De la même manière qu'un aimant attiré par une force magnétique, il relève la tête, son regard s'accrochant au mien. Totalement inexpressif, il ouvre la portière du côté passager et d'un geste de la main me fait signe d'y monter. D'un calcul rapide, je passe en revue les options à ma disposition. La distance nous séparant est encore suffisante pour que j'emprunte la rue à ma gauche et disparaisse derrière un buisson, une clôture ou même une maison avant qu'il ne m'atteigne. Quelques enjambées rapides, c'est tout ce dont j'ai besoin.

Pour une raison qui m'échappe complètement, il semble comprendre mon plan et commence à avancer vers moi. En un instant, la distance entre nous n'est plus assez grande pour m'éclipser, ce qui me fait stopper net. Mes jambes réagissent avant qu'une quelconque commande de mon cerveau n'ait l'opportunité de se former, me faisant rebrousser chemin.

La détermination dont il fait preuve me donne l'impression d'être une sorte de quête, un but à atteindre que lui seul connait. Ses motivations me perturbent, probablement parce qu'elles me sont inconnues, mais je ne veux pas qu'elles soient dévoilées, ça ne m'intéresse franchement pas. J'ai l'étrange impression que moins j'en sais, mieux ce sera.

J'entends le sons de ses pas sur l'asphalte qui se rapprochent rapidement. J'essaie de faire de plus grandes enjambées, mais étant déjà au maximum de mes capacités, il me rattrape facilement. Bien trop aisément, il me traîne par le bras et je vois la rue où je croyais pouvoir me sauver passer devant mes yeux. Tel un conquérant qui souhaite étendre son pouvoir, il me pousse presque à l'intérieur de la voiture et, malgré mes protestations, je me sens précipité dans une aventure hors de tout contrôle. Hors de mon contrôle.

La portière est refermée brutalement, ce qui me fait sursauter et c'est silencieusement que je me cale dans le siège, les mains sur les genoux, me demandant dans quel pétrin on vient de me balancer. Une atmosphère sinistre s'abat sur nous lorsqu' il démarre la voiture en esquissant un sourire mauvais .


"T'es une petite chose qui en a dedans."

Je détache mon regard du paysage pour lui lancer un regard méprisant qui n'a pour effet que de le faire rire, un rire franc et presque... joyeux?

Je reporte mon attention sur la route bordée d'arbres. Différentes teintes de vert défilent rapidement, se mélangeant, s'embrouillant.

"Il est dix-huit heures dépassée et, même si tu ne sembles pas y porter toute l'importance que tu devrais, on a des cours demain, j'ai des devoirs et un souper à manger en famille", soufflais-je en lisant le dixième textos en ligne que je reçois de ma mère. Elle panique. Trop. Mais je la comprends tout de même un peu. Le sentiment de panique que j'ai ressentie au début en voyant la pancarte de la ville nous souhaitant Au revoir, signifiant qu'on entrait dans la ville voisine  a fini par diminuer, mais rien n'empêche qu'il était bien présent au départ.

Je replonge mon cellulaire dans la poche de mon pantalon en soufflant bruyamment pour démontrer mon agacement grandissant au conducteur alias l'ange déchu. Un ange auprès duquel je ne souhaite pas graviter trop longtemps. En espérant que cette merveilleuse balade en voiture ne s'éternisera pas.

"Préviens que tu ne mangeras pas avec eux", avant que je ne puisse commencer à déblatérer, il tourne subitement à droite, sur un terrain boisé et sans aucune trace de vie. Je m'agrippe à la portière, plus par réflexe que par nécessité puisque je porte ma ceinture de sécurité.

"C'est ici que tu vas me tuer", lançais-je à la blague en observant le lieu isolé, essayant d'apaiser mon agacement. Je ne le connais pas vraiment, encore moins ses intentions et l'idée folle qu'il pourrait me laisser ici, seule et dans l'obscurité grandissante me pousse à agir gentiment avec lui, comme une personne avec qui je partage une amitié improbable. Cette pensée acapare toute ma tête tandis que je sors machinalement mon téléphone de ma poche.

"Je dois pisser", répond-t-il froidement. "J'espère que tu sors ça pour répondre à ta mère." Son index pointe mon cellulaire, avant que sa main n'enlève les clés du contact et que la portière soit ouverte. "Tu vas être chez toi à vingt et une heure." Sa voix grave est plus forte au fur et à mesure qu'il s'éloigne de la voiture, son corps s'approchant de la lisière de la forêt.

Désolé j'ai laissé mon téléphone sur le lit de Jess, ne m'attendez pas pour souper. Je reviens à 21h. Je t'aime.

Mon doigt appuie sur la touche envoyer puis je lève la tête, mais il n'y a plus personne. Mon regard frénétique cherche en vain la silhouette du bouclé.

"Génial", soufflais-je en tentant de garder mon calme. Le soleil baisse rapidement dans le ciel ce qui donne à chaque chose sur laquelle je pose les yeux une apparence de plus en plus sinistre.

Je pousse un cri lorsqu'un bip sonore retenti, ma main se posant sur ma poitrine telle une barrière qui empêche mon coeur de s'extirper de sa place tandis que l'adolescent rigole en agitant son téléphone de gauche à droite.

"Woah! Si j'avais su que recevoir un texto aurait cet effet, j'aurais enregistré la scène." En se marrant toujours, il redémarre la voiture, ne prêtant aucunement attention au regard meurtrier que je lui lance.

La voiture retourne sur la route et je me cale dans mon siège, résignée à faire ce trajet, direction l'enfer, sans un autre coup d'oeil ou une autre parole pour le conducteur totalement insondable.

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