2. Dis-moi que j'ai tout imaginé

-Arrête tes délires Clara! Y a plus que nous dans le magasin, c'est pas possible!

-Mais je rigole pas! Vas-y, essaie! lui criai-je, en m'éloignant de la porte, terrifiée.

Alex prit la poignée et, comme par miracle, la porte s'ouvrit sur le couloir qui donnait à l'ascenseur.

-Alors, c'est bon, t'es rassurée? soupira-t-il.

-Bah, non encore moins! Imagine qu'on soit pas seuls dans le magasin, que quelqu'un s'amuse à nous effrayer!

t'effrayer, tu veux dire! rectifia-t-il. Non mais Clara, on est pas dans un film, arrête de faire ta parano! Tu vois bien qu'il y a personne là!

C'est alors qu'on entendit l'ascenseur descendre. Il y avait donc bien quelqu'un.

-Alex! T'as bien entendu l'ascenseur là! On est pas seuls je te dis!

-Mais ça doit être un employé qui rentre chez lui, y a rien d'anormal. Qu'est-ce que tu vas encore t'imaginer? me fit-il, exaspéré.

-Et bah je préfère rien m'imaginer, autrement je vais finir par faire une crise cardiaque! Bon, allez, on rentre, j'en ai marre là.

Je me dirigeai vers l'ascenseur et appuyai sur le bouton. Mais mon sang se glaça; l'ascenseur ne répondait pas. Les boutons ne s'allumaient pas, rien, pas un bruit provenant de l'étage inférieur. Je tentai encore une fois d'appuyer sur tous les boutons, mais mes derniers espoirs disparurent bien vite.

-On est bloqués ici! Alex, on va mourir ici, c'est sûr! fis-je, au bord de la crise de nerfs.

-Clara, calme-toi, calme-toi! me dit-il, en me prenant par les épaules, pour ne pas que je bouge. Peut-être que c'est juste une panne de courant, je sais pas!

-Mais regarde! Les lumières fonctionnent bien avec de l'électricité, alors c'est pas possible! Je veux sortir de là! paniquai-je.

-Mais arrête de t'imaginer toutes ces choses-là! C'est simplement que l'ascenseur n'est plus en état de fonctionnement, vu que plus personne n'est censé être dans le magasin!

- Viens alors, on va chercher les escaliers.

Alex me retint par le bras.

-Attends...

-Attendre?! Ici? Non merci.

Je tentai de m'éloigner mais il me retint plus fort. Je me tournai vers lui, ne comprenant pas ce qu'il faisait.

-T'as jamais rêvé d'être seule dans un magasin?

Je le fixai, la bouche entrouverte.

-Alex, c'est une blague? Tu rigoles j'espère? Ton humour est plus que mauvais si tu veux mon avis.

-Mais ça peut être génial! Passer toute une nuit à faire ce qu'on veut, à s'éclater!

-Je...

J'étais incapable de formuler une seule phrase. Ce que mon frère me proposait, c'était n'importe quoi, du grand délire.

-On pourrait manger ce qu'on veut pendant une nuit entière, boire ce qu'on veut, dormir où on veut!

L'argument de la nourriture ne me laissait pas indifférente, je devais bien l'admettre. Et c'est vrai qu'être seule dans un magasin était mon plus grand rêve, depuis que j'étais toute petite. Mais de là à ce que je puisse le réaliser aujourd'hui, je ne l'aurais jamais imaginé.

-Sérieusement Alex, c'est pas prudent...

-Et toutes les fois où on s'est dit qu'on le ferait quand on était gosses, qu'est-ce que tu en fais? Tu crois vraiment que l'occasion se représentera?

Je semblais terriblement le décevoir. Et moi aussi je me décevais tout à coup. Je me sentais lâche de balayer ces rêves d'enfant comme s'ils n'avaient jamais eu lieu d'être. J'étais trop sage, je réfléchissais trop.

-Fais quelque chose de fou une fois dans ta vie! Tu vas le regretter sinon, c'est moi qui te le dis!

Alex avait beau être ma moitié, il était aussi un redoutable manipulateur. Et bien que j'en sois consciente, il était parvenu à me convaincre petit à petit. Après tout, on ne vivait qu'une fois, non?

-Bon d'accord, t'as gagné, fis-je contrariée. Mais Maman attend depuis dix minutes dans la voiture alors je te laisse trouver une excuse, sachant qu'on sera aussi enfermés demain.

-J'ai pas pris mon téléphone portable... Passe-moi le tien!

C'est ce que je fis en soupirant.

-Je leur dis; "Des amis nous ont invité à dormir chez eux, alors on y est directement allés. On va passer tout le dimanche chez eux. Faut pas vous inquiéter! Bisous!". Hop, envoyé!

-Mais t'es sérieux? C'est quoi cette excuse? Elle va jamais avaler ça. Donne-moi le téléphone, fis-je en le reprenant des mains.

Mais lorsque j'allais rectifier le message envoyé par mon frère, malheur; mon portable s'éteignit, faute de batterie.

-Oh Madame-Panique, on se calme. Elle va y voir que du feu! Tant qu'elle a ses produits de nettoyage, le reste lui passe au dessus de la tête.

-Mouais, répondis-je à moitié convaincue. Et mon téléphone qui a plus de batterie, c'est pas grave non plus je suppose?

-Qu'est-ce que tu comptais en faire? Il y a de la lumière dans le magasin de toute façon et puis on est pas là pour rester derrière un écran.

Je savais bien qu'il avait raison au fond de moi.

-Allez, plus de temps à perdre, on va se construire une cabane et on apportera toute la nourriture, d'accord?

À cette idée, je sentis mon enthousiasme revenir. Sans dire un mot, Alex se précipita à l'intérieur du magasin en courant. Je le suivis, sans plus attendre. Il avait l'air d'un vrai gamin, mais je devais bien admettre que c'était si bon de retrouver son âme d'enfant! Alors qu'on traversait le rayon literie, j'eus l'idée de prendre deux matelas et quelques coussins. Alex m'aida à porter les plus gros. Puis, on se choisit un coin du magasin, pas trop isolé, et relativement bien éclairé, où nous commençâmes à construire des sortes de murs, ainsi qu'un sol moelleux, recouverts de couvertures et de coussins. J'avais déjà envie d'y dormir, mais notre mission n'était de loin pas finie.

-Bon, on va chercher de quoi manger et boire? demandai-je à Alex.

-Bah oui! C'est quand même le plus important! De toute façon, on va arpenter tous les rayons, autant goûter à tout! me répondit-il, en se dirigeant vers le rayon des chips.

Après plus d'un quart d'heure de marche entre les rayons, nous avions les bras chargés de provisions, largement suffisantes pour nous faire tenir un mois. Toute notre nourriture n'était de loin pas la plus diététique ni la plus saine, mais cela nous changeait de nos habituels repas équilibrés que nous préparait notre mère.

On revint vers notre petite cabane pour y déposer tout notre ravitaillement, que l'on dissimula avec soin sous des coussins, on ne savait jamais. Toute cette nourriture me donnait tellement envie! Finalement, je savais que cette nuit allait être géniale!

-Viens, il faut qu'on aille chercher des lampes de poche, peut-être que les lumières du magasin ne resteront pas allumées toute la nuit, me dit Alex.

-Les plus puissantes alors, parce que sinon je vais quand même commencer à avoir peur!

-Mais quelle trouillarde! rigola-t-il.

Nous allâmes donc dans le rayon des lampes de poche et commençâmes à toutes les tester, pour pouvoir choisir la meilleure. Dès que notre choix fut fait, on en prit chacune une, et on se redirigea vers notre petit campement, et effectivement, les lumières du magasin s'éteignirent. Cela me fit frissonner. Ce fut si soudain et inattendu que je sentis la chair de poule me recouvrir le corps. En fait, je n'étais clairement pas rassurée, même avec ma lampe de poche. Je pressai le pas et Alex fit de même.

Mais alors que nous étions en train de regagner notre cabane, une porte, dont je n'avais pas remarqué l'existence avant, attira notre attention. C'était une énorme porte de métal grise.

-Qu'est-ce que ça peut bien être? demandai-je à mon frère.

-Aucune idée. Viens, on va aller voir!

Parfois je n'avais vraiment pas envie de suivre ses propositions, mais là, j'étais aussi angoissée que curieuse, alors je l'accompagnai.

La poignée était plutôt étrange; elle ressemblait à un gouvernail, comme dans un bateau. Alex tenta de la tourner, pour que la porte s'ouvre. Mais celle-ci était tellement lourde qu'on dut s'y mettre à deux, pour pouvoir la faire coulisser. Dès qu'elle fut ouverte, nous fûmes instantanément enveloppés d'une énorme bouffée d'air froid.

-C'est la chambre froide! m'exclamai-je.

-Ouais, peut-être qu'on peut y trouver des trucs sympas à manger! Genre des glaces, par exemple, me fit-il.

-Là-dedans? Je pense pas, il y a des frigos remplis dans tout le magasin, je vois pas pourquoi il en mettraient ici. Mais bon, il faut voir.

Nous nous engouffrâmes dans cette énorme salle gelée. Nous grelottions si fort que nous ne pouvions plus nous contrôler. Nos dents s'entrechoquaient violemment, mais la curiosité était plus forte que tout, alors nous décidâmes de rechercher de la nourriture. Et effectivement Alex avait raison; des cartons remplis de nourriture s'entassaient un peu partout. Nous décidâmes d'en ouvrir trois au hasard, et de se contenter de ce que nous allions trouver dedans.

Le premier fut un carton de poissons, pas génial, puisque nous ne pouvions pas les faire cuire, mais on allait trouver une solution. Le deuxième était pleins de canettes de soda, le bonheur!

-Mais tu crois pas qu'ils vont s'apercevoir qu'il leur manque de la marchandise? demandai-je alors à Alex.

-Non, on va essayer de dissimuler tout ça!

Alex fit un tour de la salle avant de pousser un tas de carton vides qui traînait dans un des coins.

-Tiens, regarde ça! s'écria-t-il. Il y en a un énorme juste là, me dit-il en pointant du doigt un gros emballage.

Je m'en approchai. Il devait effectivement faire plus d'un mètre quatre-vingts de long et était bien large d'un mètre, au moins. Il n'était pas scotché, contrairement aux autres, comme si quelqu'un l'avait déjà ouvert avant nous. Avant même que j'y touche, je sentis une affreuse odeur en sortir.

-Il doit rien y avoir de bons à manger là-dedans! Ça sent le pourri, c'est dégueulasse! m'écriai-je.

-Essaie toujours de l'ouvrir! Peut-être que c'est simplement des légumes! me lança mon frère, occupé à empiler méthodiquement les sachets de poisson et les canettes ensemble.

Des légumes? Il se fichait vraiment de moi! Mais je décidai de quand même regarder ce que contenait cet énorme carton. Il était coupé en longueur, alors je pris les deux bouts et ouvris. Je remarquai rapidement que je devais avoir fait la plus grosse erreur de ma vie. Mais non, ça n'était pas possible, ce qui se trouvait dedans n'était pas réel, je devais rêver, forcément!

Malgré mes pensées que je voulais rassurantes, je savais bien que je ne rêvais pas. Alors d'un bond, je m'en écartai et m'agrippai à mon frère de toutes mes forces.

-Clara, qu'est-ce qui te prend?! Lâche-moi!

-A-alex, re-re-regarde dans le carton, et dis-moi que j'ai tout im-imaginé, pitié...

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