Chapitre 9
Le vélo trembla quelques instants et Akaashi resserra la prise autour des poignets. Les pieds bien ancrés sur les pédales, il inspira profondément tout en gardant les yeux rivés sur le goudron sous ses roues. À nouveau stable, il continua de pédaler sur les derniers mètres le séparant de son allée. Le vélo s'arrêta juste devant Bokuto qui appuya les mains sur le guidon, souriant. Akaashi posa pied à terre tout en soufflant un grand coup et s'essuya le front d'un revers du bras. Le soleil cognait fort pour un jour de décembre et les deux jeunes hommes ne portaient que des pulls.
— Tu te débrouilles vraiment de mieux en mieux ! s'exclama le bicolore. Tu n'auras bientôt plus besoin de moi.
Akaashi attrapa la bouteille qu'il lui tendait et but de grandes gorgées avant de poser un regard neutre sur lui.
— Ça n'aurait plus grand intérêt.
— Comment ça ?
— Si je remonte sur un vélo c'est parce que tu m'aides. Certes, j'ai beaucoup moins peur maintenant et je pense pouvoir dire que j'arrive à surmonter ce traumatisme. Mais si tu n'es plus là, je ne vois pourquoi je continuerai, puisque je vivais déjà sans en faire.
— Mais tu pourrais aller te promener ! Passer des journées entières à visiter de beaux paysages tout en roulant, c'est génial !
Son cadet haussa les épaules comme si ça ne le tentait pas plus que ça. Il descendit complètement du vélo et l'appuya contre le mur de sa maison, avant d'aller caresser son chien, toujours attaché au magnolia.
— Je préfère quand c'est avec toi.
Bokuto eut du mal à rester calme en entendant les mots doucement soufflés par son ami et les paroles de Tendou, prononcées pas plus tard que la veille, lui revinrent à l'esprit : "C'est bien beau de vouloir aider ton amie à se caser, mais et toi ?" Si on enlevait le sous-entendu, ça lui donnait plusieurs idées. Il fourra ses mains dans les poches de son jogging pour se donner un air nonchalant et se jeta à l'eau.
— À chaque fois qu'on se voit c'est pour que tu fasses du vélo, tu voudrais qu'on fasse autre chose ?
— À quoi penses-tu ?
— Et bien, j'avais prévu d'aller faire une randonnée avec Kuroo le weekend prochain, ça te dirait ? C'est pas très loin d'ici, il y a un refuge sympa où passer la nuit et on peut admirer le lever de soleil. C'est cool. Je trouve.
Il n'allait pas se le cacher, il était terrifié à l'idée que l'autre homme ne refuse et l'envoie bouler. C'était sans compter sur la douceur naturelle d'Akaashi qui réfléchit quelques instants avant de lui faire un sourire chaleureux.
— Avec grand plaisir. Je ne travaille justement pas ces jours-là. Je me demandais si on allait continuer de se voir une fois que je pourrais remonter sur un vélo...–
— Bien sûr ! s'écria Bokuto avant de se reprendre. Enfin, je trouve ça agréable de passer du temps avec toi. Je suis content qu'on se soit rencontrés.
Kento aboya joyeusement, comme pour signifier qu'il était également heureux et Akaashi le détacha, prenant soin d'enrouler la laisse autour de se main.
— Moi aussi. Tu as chamboulé mon petit quotidien bien rangé et, étonnamment, ça me plaît. Tu restes manger, comme ça tu m'expliqueras tout ce que j'ai besoin de savoir pour cette randonnée.
Puis il se dirigea vers sa porte d'entrée sans attendre, ratant Bokuto piquer un fard.
****
— Au fait, tu as des nouvelles de Miya par rapport à Yukippe ?
Akaashi s'arrêta dans le décompte de ses barres de céréales pour adresser un regard étonné à Bokuto. Ses lunettes glissèrent légèrement et il les remonta jusqu'en haut de son nez.
— Pas depuis qu'il lui a demandé son numéro. Il m'a même dit qu'il l'avait vue s'accrocher au comptoir, comme si elle allait tomber et il a trouvé ça mignon.
Plus de deux semaines étaient passées depuis qu'ils avaient été au restaurant avec la jeune femme pour la pousser dans les bras du gris. Ils s'étaient revus plusieurs fois entre temps et Akaashi avait suivi l'histoire d'un œil attentif, jusqu'à l'anecdote du numéro de téléphone. C'était arrivé quelques jours auparavant et le jeune homme avait décidé qu'il serait mieux de laisser les choses se faire naturellement.
— Tout ça m'a l'air d'aller dans une belle direction. Osamu fait rarement le premier pas pour quoi que ce soit donc je ne m'inquiète pas pour Shirofuku. Elle ne t'en a pas parlé ?
— Elle bafouille et m'envoie paître à chaque fois, prétextant que je vais encore mettre mes "gros pieds dans le plat". Je sais pas où elle va chercher ça, j'ai juste voulu l'aider.
Akaashi pouffa en entendant le bicolore nier une quelconque maladresse de sa part et ferma son sac avant de le déposer dans la malle de la voiture. Il serra sa veste dans ses bras.
Le soleil chauffa doucement le visage du brun. La météo était clémente, comme l'avait prédit Bokuto. Ils se retrouvaient tous les deux, Kuroo ayant attrapé un vilain rhume qui l'avait cloué au lit. Keiji avait proposé de reporter la randonnée mais son ami avait affirmé qu'ils pourraient y retourner une autre fois. Kento avait été déposé chez Osamu la veille au soir, au grand damne de celui-ci qui avait demandé à Akaashi de revenir rapidement.
Bokuto claqua la malle et ils s'installèrent tous deux à l'avant du véhicule. Une chanson rock se lança pendant qu'ils quittaient l'allée tranquille d'Akaashi.
— Tu es sûr qu'on aura assez d'eau ?
— Oui, on peut refaire le plein au refuge, il y a un ruisseau qui passe pas loin où l'eau est potable.
— D'accord. Mais s'il y a du monde dans le refuge ?
— Il n'y a quasiment personne en décembre, sourit Bokuto, tu es stressé ?
— Non, je veux juste m'assurer qu'il n'y aura pas d'imprévu.
— Le principe de l'imprévu c'est que tu ne peux pas le prévoir.
Akaashi leva les yeux au ciel, cachant sa surprise. Il ne pensait pas que le bicolore était du genre à jouer sur les mots. C'est alors qu'il se rendit compte qu'il ne connaissait pas grand chose du jeune homme. Il était incroyablement à l'aise en sa présence et pouvait rester des heures à discuter avec lui de tout et de rien sans jamais se lasser sans pour autant en apprendre plus sur qui il était. La curiosité se fit ressentir et il eut envie de lui poser la multitude de questions se bousculant dans sa tête. Tandis qu'il ouvrait la bouche, il se fit la réflexion que, peut-être, Bokuto ne voulait pas parler de lui, qu'il préférait garder cette distance. Il pinça les lèvres, indécis. Il ne voulait pas créer un froid alors qu'ils s'apprêtaient à passer un weekend entier ensemble.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
Keiji sursauta en entendant la voix inquiète de son compère. Il enleva ses lunettes pour masquer sa gêne et les essuya à l'aide de son pull.
— Rien.
— On aurait dit que tu voulais me demander quelque chose pourtant.
— Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée.
— Quoi ? Tu es encore timide après tout ce temps passé ensemble ?
— Bokuto, on se connaît depuis moins de deux mois.
— C'est vrai, mais tu n'as pas l'impression que ça fait plus ?
Le jeune homme acquiesça avec un sourire tout en remettant ses lunettes et garda les yeux braqués sur la route.
— Bon, qu'est-ce que tu voulais dire ?
— Tu ne lâches jamais l'affaire, souffla Akaashi pendant que l'autre souriait largement. Je me disais juste que c'était amusant, cette impression de te connaître depuis longtemps alors qu'en fait je ne sais presque rien de toi.
— Tu sais que je dors avec une veilleuse et à part mes colocs, personne d'autre n'est au courant ! D'ailleurs, n'en parle jamais à Yukie, elle s'amuserait à m'offrir toutes les veilleuses pour bébé du monde.
— Je ne parlais pas de ça... Et je l'ai su parce que tu m'en as accidentellement parlé, sinon je serai encore dans l'ignorance.
— Que veux-tu savoir ? demanda Bokuto de but en blanc.
Akaashi rentra la tête dans les épaules, ne sachant plus quoi dire. Il ne voulait pas se montrer trop indiscret mais d'un autre côté, son ami avait l'air prêt à répondre à n'importe quelle question. Triturant ses doigts, il coula un regard vers la fenêtre pour observer le paysage vert défilant devant ses yeux.
— Tu as de la famille ?
— Bien sûr ! Mes parents sont toujours mariés et fous amoureux l'un de l'autre et j'ai trois grandes sœurs.
— Oh bon sang. Est-ce qu'elles sont comme toi ?
— Qu'est-ce que tu insinues ?
— Rien, pouffa le brun.
Après un soupir, Bokuto lui raconta que l'aînée avait dix ans de plus que lui, était mariée et avait trois enfants. Ensuite venaient les jumelles, nées quatre ans après elle. L'une était mariée, mère d'une petite fille pendant que l'autre passait son temps à parcourir le monde sans se poser, au plus grand damne de ses grands-parents qui voulaient toujours plus d'arrière-petits-enfants.
— Ils me harcèlent au moins une fois par mois pour savoir quand est-ce que je leur présente une quelconque petite-amie... Ils sont infernaux avec ça, je comprends ma sœur. Être tonton me plaît bien plus, mes nièces et neveux m'adorent en plus !
— Ça ne m'étonne pas le moins du monde, souffla Akaashi.
Il est vrai qu'il imaginait parfaitement le bicolore s'entendre à merveille avec les enfants. Peut-être était-ce dû à son âme enfantine et sa simplicité. Sa bienveillance et son envie d'aider les autres faisaient certainement de lui un excellent oncle.
— C'est amusant, je t'aurais plutôt imaginé enfant unique ou comme l'aîné.
— Ah bon ? Il faudra que je le répète à mes sœurs quand elles me traitent de gros bébé !
À nouveau, le passager rit, imaginant l'énergie des discussions de la fratrie Bokuto. Le bicolore le coupa dans ses pensées en lui demandant en retour des informations sur une quelconque famille.
— Mes parents sont aussi ensemble. Je ne sais pas si on peut parler d'amour pour eux, mais ils se supportent.
Du coin de l'œil, il vit l'autre incliner la tête intrigué, sans pour autant l'interrompre.
— J'ai une sœur aînée.
— J'aurais parié que tu étais fils unique !
— C'est sûrement parce qu'elle a onze ans de plus que moi. On n'a jamais été particulièrement proches, elle a un très fort caractère et dit que j'ai trop tendance à me laisser porter. Elle est enceinte aussi. Je crois qu'elle va bientôt accoucher d'ailleurs, je devrais lui téléphoner, marmonna-t-il en se frottant distraitement le menton. Ma famille est à l'aise financièrement, ils font beaucoup de manière alors ils me demandent souvent quand est-ce que je leur présente une fiancée. Pour rentrer dans le moule et assurer la descendance, tu vois.
Bokuto fit une grimace en acquiesçant.
— J'imagine le tableau.
La discussion dériva sur comment chacun en était arrivé à pratiquer le métier qu'il avait et Bokuto avoua avoir une faiblesse au niveau d'une cheville causée par un grave accident dans son enfance, l'empêchant de devenir un athlète de haut niveau. Il n'en était pas particulièrement malheureux, partager sa passion auprès des jeunes lui plaisaient beaucoup. Pour lui, travailler dans l'univers sportif avait toujours été une évidence. Akaashi expliqua sa passion pour la littérature en tout genre et n'avoir jamais été trop attiré par les autres matières durant sa scolarité. C'est donc tout naturellement qu'il avait continué dans ce domaine jusqu'à se spécialiser.
— Tu n'aurais pas aimé devenir écrivain ?
— Je n'ai pas assez d'imagination pour ça. Puis tenir des délais, respecter des consignes strictes... C'est stressant.
Bokuto éclata de rire avant de s'exclamer que cette réponse ne surprenait absolument pas. Le brun leva les yeux au ciel avant de les rediriger vers l'extérieur. Il remarqua alors qu'ils s'engageaient dans un chemin plus boisé et le conducteur lui annonça qu'ils étaient arrivés.
Quelques instants plus tard, ils débouchèrent sur un parking. Du moins, c'est ce que supposa Akaashi en voyant le sol terreux recouvert d'anciennes traces de pneus. Une rangée de rochers empêchaient les véhicules de continuer plus loin et un large panneau avec une carte trônait à côté d'un sentier bordé de buissons. Bokuto gara la voiture puis coupa le contact avant de se tourner vers lui, un large sourire traversant son visage.
— C'est parti pour un weekend en montagne !
Puis il sortit précipitamment du véhicule pendant que l'autre homme l'imitait plus calmement. Akaashi scruta le ciel bleu à travers les branches des arbres tout en refermant sa portière. Il enfila sa veste. L'air frais parvenait à s'engouffrer dans le bois et le soleil de décembre ne put le réchauffer lorsqu'une brise effleura sa nuque. Il frissonna.
— Akaashi !
Le susnommé se retourna et eut tout juste le temps de réceptionner l'écharpe lancée par Bokuto.
— Ne va pas attraper froid.
Touché, Akaashi la porta discrètement à son nez après s'être détourné, humant l'odeur douce et rassurante du bicolore avant de l'enroule autour de son cou, jusqu'au nez. Elle dégageait un parfum d'agrumes, mélange de citron et d'orange, à la fois piquant et sucré. Il se dit que c'était l'odeur parfaite pour représenter Bokuto et il sursauta lorsque ce dernier surgit derrière son épaule en lui tendant son sac à dos. Après un remerciement timide, Akaashi enfila le sac et se dirigea vers le panneau pour étudier le carte. Il sentait ses joues chauffer et la gêne s'insinua dans son esprit. Bokuto l'avait-il surpris en train de sentir son écharpe ? Allait-il le prendre pour un détraqué ? C'était bien la dernière chose qu'il souhaitait. Il ne savait même pas pourquoi il avait fait ça, ça avait été comme un automatisme.
Ses pensées furent interrompues quand un petit oiseau vint se poser sur le haut du panneau. Il posa un regard indéchiffrable sur lui avant de piailler doucement. Il ébouriffa joyeusement son plumage kaki.
— C'est un zostérops. Y en a pas mal ici, murmura Bokuto dans l'oreille du brun.
Celui-ci serra avec force ses poings dans les poches de sa veste et tenta de ne rien laisser paraître. En temps normal, il n'était pas dérangé par la proximité avec le gris. Seulement là, il ne cessait de surgir sans prévenir et se retrouvait proche de son visage. Keiji n'était pas habitué. Son cœur non plus.
— Tu t'y connais en ornithologie ? demanda-t-il pour penser à autre chose.
— J'ai pris l'habitude de reconnaître les oiseaux à force de me promener dans la nature. Ils ne sont pas très peureux par ici étant donné que c'est pas mal fréquenté le reste de l'année.
Il dépassa son cadet pour jeter un coup d'œil au plan quelques secondes. Après un bref hochement de tête, il contourna le panneau en signalant à Akaashi qu'ils pouvaient y aller. Ce dernier prit une grande inspiration et après un dernier échange de regards avec le zostérops, il suivit son guide.
Une multitude de conifères s'écartait pour laisser place au chemin de terre sinueux qui s'enfonçait au plus profond de la forêt, là où la fraîcheur ambiante se renforçait. L'humidité des derniers jours se ressentait encore avec la terre compacte et les quelques gouttes de rosée perlant au coin des épines de sapins. Le chant d'oiseaux invisibles aux yeux des deux hommes rythmaient leur marche assurée à travers cette nature sauvage. Akaashi laissait traîner son regard sur chaque buisson, chaque branche et profitait de chaque rayon de soleil pénétrant l'épais toit de verdure que fournissaient les arbres.
— Fais attention, on arrive dans une zone assez caillouteuse, annonça Bokuto en tapant dans une pierre qui roula sur quelques mètres avant de cogner un rocher sur le bord du sentier.
Après cela, le brun passa la majeure partie du trajet les yeux rivés sur le sol qu'il foulait. Il avait trop tendance à ne pas faire attention et ce n'était pas le moment de se blesser. Il jetait de fréquent coups d'œil sur la silhouette de Bokuto devant lui pour s'assurer qu'il ne se faisait pas distancer. Le sportif gardait une allure raisonnable, le dos droit et le nez en l'air. On devinait facilement les muscles de ses jambes rouler sous le vêtement et l'énergie qui se dégageait de chacun de ses mouvements. Akaashi se sentit quelque peu jaloux de la carrure du jeune homme.
— Ça te dit qu'on fasse une pause repas ici ? demanda le gris tout en le sortant de ses pensées.
Il pointait du doigt trois larges rochers empiétant sur le chemin de terre quelques mètres plus haut, illuminés par le soleil. En levant les yeux, Keiji remarqua un trou important au niveau des branches à cet endroit. Il acquiesça puis sonda le lieu jusqu'à trouver deux branches assez imposantes dans les herbes hautes à quelques pas de là. C'était comme si elles avaient été tirées.
Les deux hommes s'installèrent sur les pierres tièdes, poussant un râle de confort. Bokuto s'affala de tout son long sur deux des rochers pendant qu'Akaashi enlevait son sac à dos.
— Je ne m'étais pas rendu compte que je commençais à fatiguer.
Son estomac gronda, comme pour lui faire comprendre qu'il n'était pas seulement épuisé.
— J'attendais de trouver un coin assez sympa, bredouilla son ami en se redressant. Tu aurais dû me prévenir !
— Ce n'est pas une petite marche qui va me tuer. Pour qui tu me prends ?
Akaashi leva les yeux au ciel avant de les poser sur son smartphone. Osamu lui avait envoyé une photo de Kento, sur le dos, affalé de tout son long sur son lit, les fesses posées sur son oreiller. L'image était accompagnée d'un message où le cuisinier ordonnait à son ami de revenir le plus vite possible. Un fin sourire étira ses lèvres et alors qu'il répondait à son ami, il se sentit observé.
— Oui ?
— Euh ? Hein ah ! Je...– non rien.
Après avoir appuyé sur le bouton "Envoyer", Akaashi braqua ses orbes sombres sur les pommettes rougissantes de Koutarou. Il fronça les sourcils, perdu.
— Qu'est-ce qui te prends ?
— Non non, rien.
— Mais...–
— Tiens, ton sandwich !
Il lui colla l'emballage sous le nez, le laissant pantois. Au bout de quelques secondes, le brun laissa tomber et attrapa le sandwich, non sans soupirer. Il lui suffit d'un croc dans le pain croustillant pour ne plus y penser. Du coin de l'œil, il apercevait Bokuto mâchouiller sans grande conviction son repas. À nouveau, il fronça les sourcils. Il voulait bien faire l'effort de ne pas insister, mais voir le jeune homme perturbé ne faisait qu'attiser sa curiosité.
Deux oiseaux volèrent près d'eux, virevoltant dans le sillage l'un de l'autre et Akaashi les suivit du regard, émerveillé par leur chant mélodieux. La tension rompue, il en profita pour engloutir son sandwich et se tourner vers son ami.
— Est-ce que c'étaient aussi des zostérops ?
— Mh ? Non, c'étaient des moineaux. Ils ont le plumage marron, pas vert.
— Ah, oui !
Un silence s'installa pendant lequel Keiji se tortura les doigts, hésitant.
— Dis...–
— Est-ce que c'est un message qui t'as fait sourire comme ça tout à l'heure ?
Le brun s'immobilisa avant de laisser tomber ses mains sur ses cuisses. De quoi parlait-il ?
— Quoi ?
— Je veux pas m'immiscer dans ta vie privée ou quoi que ce soit ! Mais ton sourire... enfin tu souriais vraiment et, t'avais l'air très heureux et je me rappelle pas t'avoir déjà vu comme ça et bon, ça m'a rendu curieux mais c'est sûrement très mal placé et du coup j'ai pas osé te demander, mais c'est peut-être ridicule en fait et...–
— Respire.
Bokuto, dont le visage avait viré au rouge, prit une profonde inspiration salvatrice et son cadet croisa les bras, las.
— Tu m'as fait tout ce cinéma parce que j'ai reçu un message qui m'a fait sourire ?
— Je crois bien.
— Une explication ?
— Non.
Quelques secondes s'écoulèrent avant qu'Akaashi ne pousse un soupir en se détournant.
— C'était une photo de mon chien, ne va pas t'imaginer n'importe quoi.
Il sortit une bouteille d'eau de son sac et but plusieurs gorgées pendant que Bokuto piquait un fard. Il ricana en rangeant ses affaires et ils repartirent peu après. Aucun des deux hommes ne parlait et pourtant, aucune gêne ne régnait entre eux. Akaashi était passé à autre chose et Bokuto semblait ne plus vouloir y penser.
Le temps s'était encore un peu plus rafraîchit et en levant les yeux vers le ciel, le brun remarqua que des nuages commençaient à faire leur apparition. Alors qu'il allait en avertir son guide, ce dernier poussa une exclamation :
— J'entends de l'eau couler ! On arrive près de la cascade.
— La cascade ?
— Oui, depuis le début on suit son court d'eau en sens inverse.
— Mais je n'ai vu aucun ruisseau ou rivière de toute la montée !
— C'est parce que la cascade se jette dans une sorte de bassin qui s'écoule ensuite sous terre. Attends, regarde ! On y est !
Il quitta le sentier pour s'enfoncer entre deux épais buissons. Il maintint la branche d'une ronce éloignée d'Akaashi qui passa devant lui. Guidé par le son de l'eau et les paroles de Bokuto, il s'aventura plus profondément dans la nature dense, évitant branches, ronces et toiles d'araignée. Il manqua de trébucher sur une énorme racine qui sortait du sol et seule la puissante poigne de son ami l'empêcha de tomber tête la première sur un tronc affaissé. Ledit ami décida de passer devant pour lui ouvrir la voie et ils arrivèrent rapidement au bord d'une falaise. Postés entre deux immenses arbres dont les branches n'apparaissaient que plusieurs mètres au dessus de leurs têtes, ils purent admirer la fameuse cascade. Émerveillé, Keiji ne pouvait décrocher ses prunelles des centaines de litres s'écoulant entre deux énormes rochers pour jaillir dans le vide et s'écraser dans une sorte de cuve où l'eau prenait une couleur presque turquoise. Comme le lui avait dit Koutarou, l'eau disparaissait rapidement sous terre. Quelques rayons de soleil réussissaient à percer les nuages et la couverture feuillue que fournissaient les arbres pour venir se refléter sur l'eau.
— C'est absolument magnifique, souffla Akaashi.
Bokuto se redressa, fier.
— J'étais sûr que ça te plairait !
Le plus jeune sortit rapidement son téléphone afin de prendre plusieurs photos. Il fallait absolument qu'il immortalise cette image même s'il n'était pas prêt de l'oublier.
— On peut faire une petite pause ici, si tu veux. La nuit devrait tomber d'ici deux petites heures et on est plus si loin du refuge.
Ils s'assirent à même le sol, et sortirent leurs bouteilles pour se désaltérer. Les yeux perdus dans les torrents d'eau, Akaashi se rendit brusquement qu'il n'y avait plus de reflet sur l'eau. Il croqua dans sa barre de céréales et mastiqua minutieusement.
— Ces nuages ne t'inquiètent pas ? finit-il par demander.
Le bicolore scruta le ciel d'un air circonspect. Il se pinça le menton tout en grommelant des paroles inintelligibles et se saisi de son téléphone. N'obtenant aucune réponse, l'autre homme commença à s'impatienter.
— Bokuto ?
— On dirait qu'il y a un changement dans la météo.
— Ce qui signifie ?
— Qu'on devrait avoir de la pluie.
— Ma veste n'est pas imperméable, se lamenta Akaashi.
— Ça va, je suis confiant ! Je suis sûr qu'on aura le temps d'arriver au refuge.
Il se redressa et fit signe au brun de le suivre. Ils reprirent donc la route et au bout d'un moment, Akaashi sentit une goutte d'eau lui tomber sur le bout du nez. Il leva la tête vers le ciel et une autre vint s'écraser sur le verre de ses lunettes. Il pesta tout en les retirant.
— Bokuto, on est encore loin ? Je crois qu'il commence à pleuvoir...
À peine eut-il terminer sa phrase qu'il entendit de plus en plus de gouttes tomber sur les feuilles des arbres et buissons. Un brouhaha ambient prit place dans la forêt et le bicolore s'arrêta pour regarder autour de lui.
— Il nous reste encore une heure. Pressons le pas !
Les minutes suivantes s'écoulèrent dans la confusion pour Akaashi, la pluie s'intensifiant drastiquement. Il n'entendait plus le chant des oiseaux, seules les gouttes d'eau s'écrasant autour de lui résonnaient dans ses oreilles. Le ciel nuageux s'obscurcissait un peu plus à chaque instant, plongeant la forêt dans une pénombre oppressante. La terre du sentier, devenue boueuse, collaient à ses semelles et ralentissaient sa course. Il devina facilement que Bokuto n'allait pas aussi vite qu'il le pouvait pour ne pas le perdre de vue et il lui cria qu'il n'était pas obligé de l'attendre, ce à quoi l'homme lui répondit qu'il avait perdu la tête.
Keiji ne savait pas depuis quand il courait lorsque la pluie devint encore plus violente et bientôt, il ne vit plus que ses pieds. Bokuto, quelques mètres devant lui était complètement invisible à cause du rideau de gouttes et il dut enlever ses lunettes.
Grosse erreur. Il ne fit pas attention que le chemin était devenu plus caillouteux et pendant qu'il glissait les lunettes dans sa poche, son pied se coinça entre deux pierres plus grosses que les autres.
— Wouaaaïe !
Perdant l'équilibre, la cheville se tordant dans un angle indescriptible, il tomba sur le côté dans un grand cri. Sa hanche heurta des cailloux et son coude ripa contre le sol. Il se mordit violemment la lèvre inférieure pour contenir la douleur et avant même de pouvoir comprendre ce qu'il venait de lui arriver, le visage déformé par l'inquiétude de son ami vint obstruer son champ de vision.
— Akaashi ! Akaashi, tu m'entends ? Est-ce que ça va ? Tu as mal quelque part ?
— Mon pied, bredouilla le blessé. Je peux plus le bouger.
Bokuto se recula pour analyser la situation et ses yeux s'écarquillèrent en voyant le pied du brun coincé. Délicatement, il fit rouler l'une des pierres et le libéra. Akaashi souffla bruyamment.
— Bokuto... je suis désolé mais je crois que je ne peux plus marcher...
— Ne t'excuse pas ! Je vais te porter !
Et, comme s'il ne pesait pas plus lourd qu'une plume, Koutarou le fit grimper sur son dos. Il le fit sauter et glissa ses mains sous fesses pour une meilleure prise. Le brun sentit un volcan exploser dans sa poitrine à ce contact et il enfonça son visage dans le cou de son guide, intimidé.
****
— Tu me dis si je te fais mal.
Akaashi acquiesça pendant que Bokuto défaisait les lacets de sa chaussure qu'il retira avec un grande délicatesse. La chaussette vint avec et tous deux grimacèrent en voyant la cheville enflée.
— Et bien, elle a doublé de volume.
— Oh bon sang, excuse moi ! Je suis tellement désolé !
— Pourquoi ? Tu n'es pas celui qui m'a fait tomber aux dernière nouvelles, soupira Akaashi en se libérant de l'écharpe imbibée d'eau.
Lorsqu'ils étaient enfin arrivés au refuge, la pluie battait toujours son plein et les deux hommes étaient tellement trempés que même plusieurs minutes après avoir allumé un feu, ils continuaient de dégouliner. Par chance, du bois avait été empilé à côté de la cheminé par les derniers occupants et ils avaient pu s'installer devant les flammes vascillantes.
Ils étaient à même le sol, Akaashi assis et Bokuto accroupi au dessus de son pied, la trousse de premier soin dans les mains. Il se sentait tellement désolé pour son jeune ami qu'il n'arrivait même plus à penser correctement. Déjà qu'il n'arrivait pas à remettre ses idées en place suite au contact du brun collé à son dos durant la marche, le voir blessé n'arrangeait pas son état. Ledit brun quant à, lui gardait un regard las posé sur son visage, le déstabilisant encore un peu plus. Il était donc le seul touché par la situation ? Il se renfrogna quelque peu.
— On devrait se déshabiller, sinon on va avoir froid.
Enfin, les joues de Keiji prirent une teinte rosée. Bokuto sortit fièrement une poche plastique de son sac.
— Heureusement que j'ai toujours eu le réflexe de protéger mes affaires ! J'ai des couvertures sèches pour toi.
— Merci.
Il enleva chacune des couches de vêtements avec difficulté et lorsque vint le moment d'enlever son pantalon, il jeta un coup d'œil à Bokuto en train d'enfiler un épais pull en laine. Il avait déposé ses vêtements trempes à côté de la cheminé.
— Tu as b-besoin d'aide ?
Le bicolore se maudit instantanément pour avoir bégayé et il déglutit avec difficulté en voyant son ami hocher la tête. Doucement, il lui retira son pantalon, prenant soin de regarder ailleurs et ce n'est que lorsqu'il entendit Akaashi rire tendrement qu'il reporta son attention sur lui.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Tu es très doux.
C'en était trop pour le gris qui sentit tout son visage s'enflammer. Il bredouilla des mots inintelligibles avant de jeter un énorme plaid sur son ami. Quand ils furent enfin au sec, les vêtements étendus plus loin, Bokuto se repencha sur la cheville du blessé.
— J'ai pas pu m'empêcher de remarque que tu t'étais écorché le coude...
— Ah, oui, en tombant. Je crois que je saigne aussi à la hanche.
Bokuto sauta au plafond en entendant le ton léger du jeune et lui arracha presque le plaid pour étudier la blessure, passant outre le fait qu'il ne portait qu'un sous-vêtement. Effectivement, sur sa hanche pointait déjà un énorme hématome presque noir avec, en son centre, une bosse proéminente et une trace de sang. Il sortit une compresse de la trousse qu'il imbiba de désinfectant avant de la coller à la blessure.
— Ça pique !
— Je n'en doute pas.
Akaashi lui lança un regard noir et s'abstint de tout commentaire le temps que l'aîné panse ses blessures.
Alors qu'il terminait de bander l'énorme cheville, Bokuto s'excusa à nouveau.
— Je t'ai déjà dit que ce n'était pas de ta faute.
— Mais si j'avais mieux surveillé la météo ! Si je ne t'avais pas laissé derrière moi...
— Si, si, si, tu n'as que ce mot là à la bouche. C'est bien toi qui m'as dit qu'on ne pouvait pas prévoir l'imprévisible non ?
— Certes mais...–
Une douce chaleur vint s'écraser sur ses lèvres et lorsqu'il comprit qu'Akaashi avait plaquer sa main contre sa bouche, il devint muet. Ses yeux s'écarquillèrent, ses joues s'enflammèrent une énième fois et son cœur tambourina comme un fou dans sa cage thoracique. Il vrilla son regard mordoré dans celui orageux du brun qui rapprocha son visage du sien. Bokuto était paralysé.
— Je ne veux plus t'entendre t'excuser, souffla Akaashi d'une voix étonnement profonde. D'accord ?
Toujours silencieux, le gris hocha la tête de haut en bas. Il ne l'aurait jamais cru si autoritaire et ce n'était pas pour lui déplaire.
Ils grignotèrent ensuite et la fatigue leur tomba rapidement dessus. Bokuto insista pour que le blessé prennent la paillasse pendant que lui, installait son duvet sur le sol. Il rajouta quelques bûches dans le feu crépitant et il ne leur fallut que quelques minutes avant de sombrer tous deux dans un sommeil réparateur.
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