Chapitre 7
- Et il a fini par avancer ! Bon, vraiment pas beaucoup hein, mais quand même ! Il était pas remonté sur un vélo depuis une dizaine d'années !
Tendou pencha la tête sur le côté, tic qu'il avait développé lorsqu'il cherchait à répondre quelque chose à Bokuto sans le vexer pendant que Kuroo masquait difficilement un bâillement.
Les deux hommes étaient assis sur le canapé pendant que le sportif gesticulait dans tous les sens, faisant des allers-retours devant eux en même temps qu'il racontait sa session d'entraînement avec Akaashi. Il était rentré en sautillant la veille au soir, heureux de son après-midi avec le brun. Il avait fini par rester dîner chez lui et lorsqu'il avait voulu en parler avec ses colocataires, il les avait trouvé captivés par un film à la télévision et n'avait pas osé les déranger.
Par chance - pour lui - Kuroo commençait tard et Tendou avait été forcé par Miya d'arriver plus tard aujourd'hui, pour qu'il se repose un peu et il avait donc pu les retenir. Ils avaient eu l'air très intrigués au début mais lorsqu'ils avaient compris qu'il n'y aurait rien de "croustillant", ils s'étaient assez vite lassés.
- Est-ce qu'il faut relever le fait que tu le tenais par la taille ? demanda soudainement Kuroo.
- Non.
- Pourtant ça me semble assez important, rétorqua le rouge.
- Je vous ai dit que non !
Bokuto sentait le sang monter aux joues et il serra les dents, mécontent de les voir se jouer de lui. Il n'aurait jamais dû autant détailler ses gestes envers le plus jeune, c'était évident que ça allait se retourner contre lui !
- Et pourquoi vous insistez là-dessus ? J'ai déjà été proche physiquement avec vous deux aussi et ça ne vous a jamais fait cet effet.
- Parce qu'il y a jamais eu de romance entre nous.
Ce fut comme si Kuroo avait lâché une bombe. Le gris reste muet durant plusieurs secondes avant de se mettre à secouer les bras dans tous les sens. De la romance ? Mais où ça ? Qui ? Pourquoi soudainement ?
- Pourquoi j'ai la sensation que plus le temps passe, moins je vous comprends, et plus vous vous liguez contre moi ? Vous savez que vous êtes devenus amis grâce à moi à l'origine ? Vous essayez de m'évincer en me faisant devenir fou ?
- On n'a même pas besoin d'essayer quoi que ce soit, tu te prends la tête tout seul, soupira Kuroo.
- Tu ne te rends vraiment pas compte de ton comportement envers Akaashi ? demanda doucement Tendou.
Il s'était levé silencieusement pendant la tirade du gris et avait posé ses mains sur ses épaules en lui posant cette question, laissant l'autre muet.
- Enfin, ce n'est pas forcément ton comportement mais... Ton regard ? Il s'illumine comme jamais je ne l'avais vu auparavant quand tu parles de lui, ou quand tu es avec lui. Je t'ai bien vu au resto. Tu es plus enjoué aussi...-
- Je suis toujours enjoué !
- Pas dernièrement, intervint le brun encore assis. Les dernières semaines avant que tu ne fasses sa rencontre, tu paraissais moins passionné, comme si tu t'ennuyais.
Bokuto essaya de le contredire mais aucun argument ne lui vint à l'esprit et il se contenta d'ouvrir et fermer la bouche à plusieurs reprise sans émettre le moindre son. Il fit retomber ses bras le long du corps et serra les poings. À quoi bon essayer de s'opposer ? Lui aussi l'avait senti. Rencontrer Akaashi avait rallumé la flamme qui semblait s'être consumée. Assailli par cette soudaine prise de conscience, il se prit la tête dans les mains et gémit en s'accroupissant.
- Mais qu'est-ce que je fais...
- Rien de bien méchant, t'en fais pas, lui répondit la voix grave de son ami.
Il leva les yeux vers Kuroo qui le fixait, un air attendri plaqué sur le visage et grimaça.
- Je pensais vraiment devenir ami avec lui.
- Peut-être que ça s'arrêtera là, qui sait ? lança Tendou en l'attrapant à l'arrière du col de son tee-shirt pour le relever. Te prends pas la tête Koutarou-kun, ça sert à rien. Le but c'est que tu continues de profiter des bienfaits de cette relation.
Bokuto ancra son regard mordoré dans celui rougeoyant du plus vieux et réfléchit. Après tout, il n'avait pas tort, il ne fallait pas se prendre la tête pour si peu et profiter de la présence d'Akaashi.
Mais comment rester calme maintenant qu'il avait conscience de ses sentiments ? Et si le bibliothécaire s'en rendait compte et le repoussait ? C'était hors de question ! Ou alors y avait-il une chance qu'il puisse un jour ressentir la même chose ? Il se remémora lorsque leurs visages étaient tout près l'un de l'autre et qu'il avait semblé parfaitement impassible alors que lui perdait tous ses moyens. Il se passa une main sur le visage pour effacer l'image avant de se remettre à rougir.
Il était seulement intrigué par Akaashi originellement. Il fallait que ça reste ainsi et que ça n'aille pas plus loin. Il allait devoir travailler dessus.
Tendou le relâcha et s'éloigna en annonçant qu'il devait aller travailler et Kuroo bondit hors du canapé en s'écriant qu'il était en retard. Il ne fallut que quelques minutes avant que Bokuto ne se retrouve seul dans le silence de la maison. Alors qu'il s'installait sur le canapé et que Kyanma s'approchait pour bondir sur ses genoux, il reçut un message sur son téléphone qu'il déverrouilla. En voyant le SMS de Yukie, il se releva en vitesse, envoyant bouler le félin qui feula de mécontentement.
"T'as pas oublié que t'as un rendez-vous avec des parents d'élève j'espère ?"
****
- Tu l'avais donc bien oublié.
- Pas de reproches s'il te plaît, j'ai pas l'habitude de me faire convoquer...- de recevoir une demande de rendez-vous de la part de parents. Les élèves ont tendance à être en difficulté dans ta matière où celle de Kugisaki-san.
Shirofuku lui fit un sourire un coin, n'annonçant rien de bon alors qu'ils marchaient tous les deux dans le couloir en direction de la salle des professeurs.
- Figure toi que j'en pas tant que ça. C'est ça d'être une super prof.
Puis elle envoya voler une mèche de cheveux derrière son épaule dans un geste arrogant. Le jeune homme leva les yeux au ciel et au même moment, ils croisèrent deux collégiennes discutant assez fort.
- Je propose qu'on aille s'acheter des trucs à grignoter après les cours.
- Tu crois qu'il y sera ?
- Oui, d'après Hana, y a moins de monde à cet horaire et c'est plus facile pour discuter avec lui !
L'autre adolescente laissa échapper un couinement d'impatience et Bokuto leur jeta un regard interloqué alors qu'elles disparaissaient à un croisement.
- Les jeunes de nos jours n'ont vraiment pas froid aux yeux, bredouilla-t-il.
- Mouais, grogna sa collègue.
Il tourna les yeux vers elle pour la découvrir en train de bouillir et il sursauta.
- Y-Yukie ? Ça va pas ?
- Mais si c'est...
Elle sembla prendre conscience de son état et se claqua bruyamment les joues, faisant une nouvelle fois sursauter le jeune homme toujours plus perdu.
- Woah, j'suis ridicule, j'en viens à jalouser des collégiennes !
Ils entrèrent dans la salle des professeurs, heureusement vide, et il la suivit pendant qu'elle s'installait à son bureau.
- Tu as compris de qui elle parlait ? demanda-t-il, de plus en plus inquiet quant à l'issue de cette conversation.
- Évidemment.
- Oh.
Il se dandina d'un pied à l'autre, mal à l'aise mais irrémédiablement curieux.
- Et du coup, elles parlaient de qui ?
- Miya Osamu.
Bokuto arrêta de bouger et sa mâchoire manqua d'aller balayer le sol.
- Miya Osamu... Le Miya Osamu ? Du Miya's food ?
- Tu en connais d'autres dans le coin ? soupira Shirofuku.
- Je suis vraiment pas sûr de comprendre ce qu'il se passe. Pourquoi tu étais jalouse ?
Elle le regarda comme s'il ne comprenait rien à rien avant de s'appuyer sur le dossier de sa chaise.
- Tu ne comprends vraiment pas ?
- Euh...
- Je l'aime... bien, marmonna la jeune femme en détourna les yeux.
À nouveau, le bicolore dû rattraper sa mâchoire et essaya de montrer une expression neutre, tâche plutôt compliquée alors qu'il mourrait d'envie de sauter partout comme un adolescent mis dans la confidence.
- Je savais pas que tu le connaissais !
- Sans plus, je suis pas allée dans son resto depuis un moment...
- En fait ça n'a rien de surprenant, réalisa Bokuto.
En effet, les deux étaient des gloutons reconnus et passionnés de bonne cuisine. Ça ne pouvait que bien coller entre eux !
- Et donc tu lui en as parlé ?
- Tu es fou ? Il a la moitié de la gente féminine des environs à ses pieds, il n'a qu'à choisir celle qui lui plaît parmi la multitude de femmes qui fait la queue.
- Qu'est-ce que ça change ?
À nouveau, Yukie le fixa comme s'il était le dernier des imbéciles et elle souffla en appuyant son front dans le creux de sa main.
- J'ai l'impression que tu comprends rien à l'amour...
- Je suis pas aussi nul que tu sembles le croire.
Il fallut une seconde avant que la professeur ne relève la tête, et scrute son visage, à la recherche d'une quelconque signification cachée et il se dépêcha d'embrayer avant qu'elle ne le questionne.
- Vous avez des points communs et surtout une passion commune, t'es très jolie et tu as plus de succès que tu ne le crois. Je suis sûr qu'il pourrait tomber sous ton charme si c'est pas déjà fait.
- Wow, je suis touchée, lâcha-t-elle. Mais tu parles comme si tu le connaissais, c'est bizarre.
- Disons que je suis devenu ami avec son meilleur ami alors...-
- Akaashi Keiji ?
- Oui pourquoi ? Tu le connais ?
- Puisqu'on en parle, lui aussi a son petit succès.
Une pierre tomba dans l'estomac du gris et il eut du mal à déglutir alors qu'il bredouillait un faible "Ah bon ?". Il essaya de se montrer moyennement intéressé mais la jeune femme haussa les sourcils, pas dupe.
- Quelque chose à avouer ?
- Non, pas pour l'instant, répondit-il du tac au tac, se surprenant lui-même pendant qu'elle haussait un peu plus les sourcils.
Il fit glisser son regard sur le reste de la pièce et derrière lui, s'assurant que personne n'était rentré puis il se pencha vers Shirofuku.
- Aller Yukippe, raconte moi.
- Qu'est-ce que tu veux savoir ? demanda-t-elle en levant les yeux au ciel, vaincue.
- Quand ? Comment ? Où ?
- La première fois que je suis rentrée dans son resto, un bête coup de foudre après l'avoir vu derrière son comptoir en train de baver sur le plat qu'un serveur amenait à une table.
- C'est terriblement pas romantique !
- J'veux pas du romantisme mais un homme qui apprécie la cuisine au moins autant que moi et j'ai l'impression qu'il est le seul dans le coin.
- Pour pas dire dans le pays... AÏE !
Il se frotta la tête à l'endroit où son amie l'avait cogné et il grommela dans sa barbe en se dirigeant vers son propre bureau où il s'affala. Il repensa à Akaashi et aux moments où il lui avait parlé d'Osamu - donc peu - et se rappela qu'il était un homme assez simple qui ne cherchait pas à se prendre la tête, tout en étant protecteur avec les personnes auxquelles il tenait.
Il lança un coup d'œil en direction de Yukie et manqua tomber de sa chaise en croisant ses orbes marrons braquées sur lui.
- À quoi tu penses ? grogna la jeune femme.
- Mais à rien ! C'est quoi cette attitude agressive ?
- Je ne te crois pas.
La porte s'ouvrit avant qu'il ne puisse continuer d'alimenter leur conversation stérile et Madame Kugisaki entra dans la pièce en les saluant. Ils firent de même et Bokuto en profita pour se faufiler à l'extérieur pendant que l'aînée alpaguait sa cadette pour lui parler de la dernière collection de manteaux qui venait de sortir. La professeur de japonais était une fan incontestée de mode et pouvait en parler pendant des heures sans jamais se lasser. Par chance pour le bicolore, elle voyait en Yukie une poupée géante qu'elle entraînait souvent avec elle pour faire les boutiques ou dans des discussions interminables qui avaient offert la possibilité à l'homme d'échapper à son amie plus d'une fois.
Une fois dans le couloir, il s'éloigna rapidement et sortit son téléphone, espérant qu'il ne dérangerait pas Akaashi. Il lorgna sur l'horloge de son smartphone et se mordilla la lèvres, en proie au doute. Il repensa à leur rencontre à la bibliothèque et se rappela que le jeune homme avait reçu un appel à un moment et y avait répondu sans paraître énervé. Peut-être était-il souple là-dessus ? Son pouce resta quelques secondes au-dessus du logo en forme de téléphone et après une profonde inspiration, il appuya. Collant l'appareil contre son oreille, il marcha rapidement pour se rendre sur le toit du bâtiment, à l'abris de toutes oreilles indiscrètes. Il sentait le regard indiscret de certains adolescents se baladant encore dans les couloirs.
- Allô ?
- Akaashi ! Je ne te dérange pas j'espère ? Je pouvais pas attendre !
Il referma la porte derrière lui et une bourrasque souffla, faisant voler ses cheveux dans tous les sens. Son cœur battait la chamade depuis qu'il avait entendu la voix du brun et il ne pouvait s'empêcher de sourire.
- Pas de problème, j'étais partie faire une pause dans le resto d'Osamu.
- T-tu es encore avec lui là ?
- Non, je suis dehors. Qu'est-ce qu'il se passe ?
- J'aimerais avoir ton avis par rapport à un truc. Un truc qui le concerne, et je voudrais pas que ça se sache.
Le silence s'installa pendant quelques secondes avant qu'Akaashi ne dise qu'il ne répèterait rien.
- Super ! Est-ce que tu sais s'il s'intéresse à quelqu'un ?
Il entendit son ami s'étouffer à l'autre bout du combiné et il l'appela plusieurs fois, inquiet qu'il ne reprenne pas son souffle.
- Akaashi ? Akaashi, ça ne va pas ?
- Si, si... répondit-il finalement après une grande inspiration. T-tu voulais savoir si Osamu était en couple ?
- Ouais, et si c'est pas le cas, s'il t'aurait parlé de quelqu'un ?
- Et bien, non, ni l'un ni l'autre. On n'est pas trop du genre à parler amour entre nous.
- Oh ? Je croyais que vous étiez assez proches pour ça.
Il l'entendit souffler.
- On l'est. On a juste... Comment expliquer ça ? On se connaît depuis tellement longtemps qu'on sait tout de l'autre à force. Alors parfois on aime bien avoir notre petit jardin secret, tu vois ? Quand ce n'est pas très important, on ne se raconte pas forcément les choses.
- Oh, je comprends...
- Tu as l'air déçu, asséna Akaashi.
Sa voix soudainement froide fit sursauter le professeur qui se rongea les ongles. Avait-il fait une bêtise ?
- C'est que je t'ai dérangé pour rien au final, je m'en veux.
- Ne dis pas n'importe quoi.
Il pouvait facilement l'imaginer lever les yeux au ciel en lui répondant.
- Tu ne veux pas me dire pourquoi tu m'as demandé ça ? questionna le brun d'une voix hésitante. Je ne le répèterai à personne si c'est ce qui te fait peur, je te l'ai dit.
- J'ai confiance en toi, répondit Bokuto en vérifiant que personne n'était monté sur le toit. En fait, j'ai une collègue, Yukie, c'est aussi mon amie, et elle en pince à mort pour Miya depuis qu'elle l'a vue. Je trouve ça assez fou parce que ça dure depuis à peu près deux ans et je pense qu'elle pourrait avoir ses chances.
Pour seule réponse, un long silence s'installa et il sentit la pression monter en lui. Avait-il fait une erreur ? Si jamais ça retombait sur son amie, il pouvait dire adieu à la vie et il se trouvait bien trop jeune pour mourir.
- Akaashi...?
- Bon sang...
- Qu'est-ce qu'il se passe ?!
- Non, rien, ne t'en fais pas. Je ne sais pas quoi te répondre, je ne connais pas ton amie mais je pense que c'est assez simple de savoir si elle peut lui plaire. Si elle voue un culte à la nourriture et qu'elle a un bon appétit ça part déjà très bien. Elle ne doit pas être du genre à se prendre la tête non plus, avec un certain caractère, et si elle sait prendre des décisions pour deux parce qu'Osamu n'en a pas l'énergie, elle serait parfaite.
Le regard de Bokuto s'illumina pendant qu'il levait un poing victorieux dans les airs. C'était Yukie tout craché !
- Akaashi, j'ai le sentiment qu'on peut faire une bonne action !
- Tu veux dire qu'on pourrait les pousser dans les bras l'un de l'autre ?
- Exactement !
- C'est risqué, tu en as conscience ? Est-ce que ton amie le supportera si ça ne se passe pas comme prévu ?
- Yukie est forte, répondit le bicolore après avoir réfléchi. Elle n'abandonnera que si elle voit que c'est vraiment fichu et elle saura passer à autre chose après. Mais pour l'instant elle n'observe que de loin et ça lui réussit pas. Aujourd'hui je l'ai surprise à être jalouse de collégiennes qui prévoyaient d'aller draguer Miya à la sortie des cours.
- ... Je vois. On va l'aider alors.
****
La tête dans son immense carton à moitié rempli, Akaashi analysait la place qu'il lui restait sur l'étagère devant lui avant qu'elle ne soit pleine à craquer. Aisu avait encore abusé lors des recherches pour renflouer leur bibliothèque et maintenant, il se retrouvait noyé sous les bouquins. Attrapant la lourde trilogie d'une série fantastique, il déposa doucement les livres sur un étage en hauteur et cogna une main apparue sans prévenir.
- Oh ! Akaashi, je ne t'avais pas vu désolé.
- Est-ce que c'est une manière de me dire que je suis petit ? Ou alors que tu es grand ?
Kuroo glissa une main derrière le crâne, ébouriffant un peu plus ses cheveux, tout en esquissant un sourire mutin.
- Tu es très perspicace, ça me plaît !
- Je vais finir par croire que tu essaies de me séduire.
- Oh non, j'oserai jamais...
Akaashi lui lança un coup d'œil, comme s'il le mettait en garde sur la suite sa phrase.
- ... je suis fidèle !
- Quoi ?
- Je suis déjà en couple, désolé de briser ton cœur mon petit Akaashi.
Il posa une main dramatique sur son épaule et détourna le visage, comme si c'était trop dur d'affronter le regard - las - du plus jeune. Ce dernier laissa néanmoins échapper un faible soupir de soulagement, s'attendant à une réponse bien différente.
- Mais dis moi, tu t'attendais à ce que je dise autre chose n'est-ce pas ?
- Qui est l'heureux ou l'heureuse élue ?
- Est-ce que tu viens d'ignorer ma question ?
- Est-ce que tu viens d'ignorer la mienne ?
Kuroo eut la surprise de voir un sourire en coin étirer les fines lèvres de son vis-à-vis et il se pencha vers lui, envahissant complètement son espace personnel.
- Je ne te pensais pas si joueur, toi qui avait l'air si timide la première fois qu'on s'est vus.
- Bokuto-san m'a parlé de toi et on avait déjà un peu discuté, ça m'a permis de te cerner. Plus je me montrerai timide, plus tu me titilleras, alors je dois rentrer dans ton jeu. Ça fonctionne, non ?
Le regard brillant, Kuroo éclata d'un grand rire qui attira l'attention de tout le monde, faisant sursauter quelques personnes par la même occasion. Il s'excusa rapidement face à l'air sombre du bibliothécaire.
- Désolé.
- C'est pas grave... Bon, tu ne m'as pas répondu.
- Pourquoi tu veux savoir avec qui je sors alors que tu ne la connais sûrement pas ?
- Simple curiosité.
- Quoique je dis ça mais...
Il laissa trainer ses pupilles vers Lev qui venait de faire son apparition. Leurs yeux se croisèrent et l'argenté souffla. Akaashi, surpris, demanda au décoiffé s'il y avait un lien avec l'employé.
- Un peu, ouais. Je suis avec sa sœur, Alisa.
- Mais non ?! intervint Yaku, sorti de nulle part.
Son collègue lui intima de faire moins de bruit après avoir intercepté l'œillade réprobatrice d'une vieille femme en train de feuilleter une encyclopédie à quelques pas d'eux.
- La belle, la sublime et divinement gracieuse Alisa Haiba sort avec Kuroo Tetsurou ? Comme quoi, tout est possible !
Akaashi sentit le noiraud se tendre violemment à côté de lui alors qu'il le voyait serrer les poings, comme s'il s'apprêtait à cogner dans quelque chose. Ou quelqu'un.
- Est-ce qu'elle vit dans le coin ? demanda-t-il rapidement dans l'espoir de détendre l'atmosphère. Je me rappelle pas avoir vu une femme qui ressemblerait à Lev. À moins qu'elle ne lui ressemble pas du tout ?
- Oh si, ils se ressemblent énormément, le jour où tu la verras, tu comprendras tout de suite qui elle est, répondit nonchalamment Yaku en se détournant.
Lorsqu'il se fut assez éloigné, le plus jeune attrapa la manche de l'homme toujours tendu et tira dessus pour le forcer à se baisser un peu. Il ne le connaissait que depuis peu, mais il n'aurait jamais cru voir Kuroo dans un tel état pour si peu.
- Ça ne va pas ?
- Si pourquoi ? grogna-t-il.
- Je ne suis pas idiot, on dirait que tu rêves d'arracher la tête de Yaku-san. Qu'est-ce qu'il se passe ? Je ne savais pas que vous vous connaissiez.
Kuroo passa une main dans ses cheveux tout en faisant un sourire faux.
- On était dans le même lycée. C'est de là que j'ai connu Alisa d'ailleurs. Mais avec Yaku... On a toujours eu un peu de mal et même une fois qu'on s'est retrouvés par hasard ici, il a continué de me provoquer.
Désabusé, Akaashi croisa les bras et leva vers lui un regard perçant.
- Ne me fais pas croire que tu ne le cherches pas non plus.
- Je ne fais que répondre aux provocs' !
Balayant la salle d'un rapide coup d'œil, le bibliothécaire aperçu ses deux collègues, accroupis un peu plus loin en train de discuter autour d'un carton rempli de livres attendant d'être rangés. Cela faisait un petit moment maintenant qu'il les espionnait pour voir comment évoluait leur relation et il en était maintenant sûr, Yaku craquait toujours pour le russo-japonais et c'est ce qui pouvait parfois le rendre plus agressif que d'habitude. Lev quant à lui, dégageait une telle innocence qu'il était impossible de savoir ce qu'il pouvait ressentir pour son aîné.
La conversation qu'il avait eu la veille avec Bokuto lui avait donné l'idée de faire la même chose avec eux : il voulait essayer de les pousser dans les bras l'un de l'autre. Ça paraissait malgré tout bien compliqué depuis que Yaku avait compris qu'Akaashi avait deviné ses sentiments et il se dit qu'il aurait bien besoin d'un complice. Malheureusement, sans la présence d'Aisu pour les prochains mois, ça risquait d'être délicat.
- Bon, qu'est-ce que tu as à soupirer en regardant les deux autres ?
Il sursauta en réalisant qu'il tenait toujours Kuroo par la manche et que celui-ci le fixait d'un œil interrogateur. Il s'excusa en le relâchant et se détourna à son tour pour reprendre son rangement.
- Hop, hop, hop.
La grande main de Kuroo s'abattit sur son épaule et il laissa échapper un couinement en même temps qu'elle le forçait à lui faire face. Ses genoux fléchirent et il se retrouva à moitié en position assise contre les étagères. D'abord aveuglé par la lumière au plafond, son champ de vision fut bientôt rempli par le visage beaucoup trop près de l'employé de mairie.
- Pourquoi faut-il toujours que tu sois si proche ?
- Oh, pardon.
Kuroo le relâcha et, avant qu'il ne puisse dire ou faire quoi que ce soit, il se retrouva les fesses par terre.
- Ça, ce n'était pas nécessaire.
- J'y peux rien si tes jambes sont toutes faibles face à mon charisme, rétorqua le noiraud en lui tendant une main.
Alors qu'il se relevait, Akaashi croisa de nouveau le regard de la vieille femme à l'encyclopédie et il pouvait facilement deviner à son expression qu'elle était à deux doigts d'appeler la police. Il faut dire que Kuroo n'arrangeait rien à se tenir constamment dans une position menaçante. Faire quelques centimètres de plus aurait bien aidé le bibliothécaire qui fit un signe rassurant de la main vers la femme, avant de tirer l'autre homme à sa suite.
- Yaku-san, Lev, je m'absente quelques minutes, j'en ai pas pour longtemps.
- Si c'est pour nous débarrasser du grand dadais, y a pas de soucis, répondit le roux sans même se retourner.
Dès qu'ils eurent passé la porte et que les quelques rayons de soleil présents caressèrent leurs peaux, Kuroo fit mine de sangloter.
-Tu vas vraiment me jeter comme ça, sans aucune autre forme de procès ?
- Arrêtes un peu avec tes répliques toutes faites, je fais ça aussi pour toi. On était dans une bibliothèque, c'est pas un lieu où on peut faire des esclandres comme tu sembles en être friand.
- Non t'as raison, c'est un lieu où on peut tranquillement mater ses collègues.
Akaashi tourna brusquement la tête vers lui, prêt à lui dire que ce n'était absolument pas le cas, quand il vit son large sourire goguenard. Il se moquait de lui. Las, il le lâcha et entremêla ses propres doigts. Une légère brise vint caresser leurs visages et fit virevolter les feuilles mortes des peupliers alentours. Il se surprit à être parfaitement apaisé.
- Tu veux me dire ce qui te travaille ?
- Je ne suis pas sûr que tu sois la meilleure personne pour m'écouter, aux vues de ta relation chaotique avec Yaku-san.
- On a peut-être l'air de deux gamins qui se supportent pas, mais la réalité c'est qu'on ne se déteste pas. C'est plutôt un réflexe, tu vois ? C'est plus naturel pour nous de nous tacler que de se parler cordialement. Mais s'il s'agit d'un truc sérieux... Je me permettrai jamais de l'utiliser contre lui.
Akaashi était abasourdi. Il savait bien que Kuroo n'était pas qu'un grand adolescent un poil trop dragueur, mais cet air sérieux, cette voix posée et ce regard assuré, il ne s'y attendait pas. Il était évident qu'il savait faire preuve d'une grande maturité le moment venu et Keiji se sentit soudainement en confiance.
- Tu pourrais peut-être m'aider, mais j'en doute.
- Dis moi, on verra bien.
Après un bref coup d'œil autour d'eux, Akaashi expliqua la situation à son aîné qui l'écouta d'une oreille attentive et, lorsqu'il eut terminé, il serra un peu plus ses doigts entre eux en espérant ne pas avoir fait le mauvais choix.
- Bah dis donc. Il a beau se la jouer "mec super cool sans attache", il n'a pas changé d'un poil. Déjà au lycée, j'le voyais bien être distant mais pas trop non plus avec Lev, mais je comprends que c'est toujours le cas, plusieurs années après.
- Tu étais déjà au courant ?
- Oui. Enfin, je croyais qu'il était passé à autre chose. Et donc toi, tu voudrais savoir s'ils peuvent pas finir ensemble ?
- En gros, oui.
Un sourire mesquin étira les lèvres du plus grand et Akaashi déglutit avec difficulté.
- Que nous vaut cette soudaine reconversion en Cupidon ?
- J-je me disais juste que ça pourrait aider Yaku à se détendre.
- À d'autres.
- Mais c'est la vérité !
- Peut-être, mais je sens qu'il n'y a pas que ça !
Le bibliothécaire détourna les yeux et la scène de la veille s'imposa de nouveau à lui.
- Bokuto...-
- Je le savais ! le coupa Kuroo avec un cri victorieux.
Ahuri, le jeune homme ne put que le fixer sans comprendre, attendant une explication. Il le savait ? Mais qu'est-ce qu'il savait ? Lui-même avait l'impression de ne plus rien savoir depuis quelques temps alors comment ce gars pouvait avoir tout compris ?
- Il nous a raconté votre petite conversation téléphonique d'hier.
- C'est moi où il vous raconte absolument toute sa vie ? soupira Keiji.
- Disons qu'il y a certaines choses spécifiques qu'il nous raconte toujours en détails. Aller, avoue. T'as eu peur qu'il veuille se caser avec Miya ?
Alors là, c'était trop. Comment faisait-il ça ? Il lisait dans ses pensées ? Il avait placé un micro sur lui ? Ça relevait du surnaturel à ce stade.
- T'es surpris par mon incroyable esprit de déduction ?
- Non, je suis à deux doigts d'appeler les flics parce que je suis sûr que t'as mis un mouchard dans mon téléphone ou sur moi.
Kuroo leva les mains dans un geste d'innocence.
- J'aurais jamais fait ça, j'te jure, j'ai juste deviné. Bokuto détaille vraiment, ses conversations avec toi et j'ai pu un peu te cerner, je pense. Il te plaît alors t'as eu peur et c'est pour ça que tu t'es comporté bi...-
- Wow, stop. Quoi ? Mais qu'est-ce que tu racontes ? D'accord, j'ai cru au départ qu'il voulait sortir avec Osamu mais si ça m'a fait réagir c'est parce que je ne les vois pas ensemble...-
- Parce que tu te vois avec Bokuto.
- ... étant donné qu'ils sont vraiment différents l'un de l'autre et pas franchement compatibles.
Une bataille de regards s'engagea entre les deux bruns, chacun refusant le point de vue de l'autre et Akaashi crut que ses doigts allaient se briser sous la pression.
Lui ? En pincer pour Bokuto ? On aura tout vu. Il ne l'attirait absolument pas et n'était même pas intéressé par une relation de couple ou l'amour. Sa petite vie tranquille avec son chien lui suffisait amplement.
"Mais oui, bien sûr, on te croit. Et c'est pour ça que depuis que tu l'as rencontré tu parais plus vivant et plus joyeux."
D'un geste rageur, il envoya bouler l'image d'Osamu lui jetant la vérité en pleine tête et son vis-à-vis sursauta.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Un fantôme t'embête ?
- Très drôle Kuroo-san. Bref, maintenant que tu sais tout, est-ce que ça t'intéresserais de m'aider ?
- Avec Bokuto ?
- Avec Yaku, grinça-t-il.
- Oui, pourquoi pas. Si ça peut le faire se détendre, et m'offrir une nouvelle occasion pour l'emmerder une fois qu'il sera avec Lev...
Akaashi leva les yeux au ciel en se demandant s'il ne faisait pas une erreur en confiant cette mission à cet homme.
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