Chapitre 5
Le radiateur affichait 23°C et Akaashi comprit pourquoi il s'était réveillé en nage, la couverture jetée au pied du lit. Il passa une main à travers ses cheveux ébouriffés et la sensation de la transpiration glissant entre ses doigts le fit grimacer. Le radiateur possédait beaucoup trop de programmes pour que le brun, encore dans les vapes, ne comprennent à quoi servait les boutons sous ses yeux. À la recherche de la notice, il vit qu'il était 8h50 du matin et il grogna, mécontent de voir sa grasse matinée gâchée par son appareil.
La tête dans le tiroir à notices, il sentit Kento s'asseoir sur ses pieds et il souffla. La journée s'annonçait longue.
— T'as raison, il faisait un peu trop froid, tenons nous chaud.
Après avoir trouvé le papier tant désiré, il retourna vers la source de chaleur et étudia l'objet. Au bout d'une dizaine de minutes, il comprit comment le régler à une température plus décente, et lorsqu'il vit 18°C s'afficher, il serra le poing, vainqueur. Il retourna vers le tiroir de sa commode pour y ranger la notice salvatrice et entendit son téléphoner sonner, annonçant qu'il avait reçu un message.
Au moment où il lut le message de son meilleur ami — lui disant qu'il espérait être debout et présentable — la sonnette retentit. Inquiet, il se dirigea rapidement dans le vestibule et ouvrit la porte. Il poussa un couinement de surprise lorsqu'une bourrasque s'engouffra dans sa maison, faisant voleter son tee-shirt au passage.
— Vous allez attraper froid si vous sortez comme ça !
Levant les yeux, il tomba sur des prunelles mordorées pétillantes et il maudit Osamu.
— Bonjour Bokuto-san.
— Bonjour ! Je ne vous dérange pas j'espère ? Miya m'a donné votre adresse et m'a dit que vous seriez debout à cette heure-ci...
Comment son meilleur ami avait-il pu savoir une chose pareille ? Était-ce lui qui avait sciemment déréglé son radiateur ? Non, c'était bien trop tordu. Quoi qu'en y réfléchissant bien, Osamu pouvait se montrer particulièrement fourbe pour obtenir ce qu'il souhaitait, il en avait fait les frais à de nombreuses reprises. Mais comment serait-il rentré au milieu de la nuit ? Perdu dans ses pensées, il se mit à claquer des dents et Bokuto se pencha vers lui.
— Est-ce que ça vous dérange si nous rentrons ? Vous avez l'air d'avoir froid.
Reprenant ses esprits, Akaashi se décala pour le laisser entrer et réalisa qu'il était encore en pyjama, couvert de sueur, et devait avoir un visage bien fatigué.
— Je suis désolé, si j'avais su plus tôt que vous passeriez, je me serai préparé...
— Oh, non ne vous inquiétez pas ! C'est moi qui m'excuse d'arriver à l'improviste si tôt, je vois bien que vous venez de vous lever.
Akaashi passa à nouveau une main dans ses cheveux et enleva ses lunettes pour s'essuyer l'arrête du nez en expliquant qu'il avait eu un problème de radiateur.
— Je comprends mieux pourquoi il fait si chaud, répondit Bokuto en enlevant son manteau.
Le brun lui indiqua le canapé pour le poser et s'asseoir pendant que Kento apparaissait. Immédiatement, le regard du bicolore brilla et il se pencha vers le chien, tendant une main avenante vers lui. Cela dit prendre conscience à Akaashi qu'il n'avait plus le bras en écharpe. La blessure devait être minime, comme l'avait répété moult fois le gris. Prudent, l'Akita la renifla avant d'émettre un petit aboiement et de la lécher.
— Kento, doucement.
— Kento ? C'est un joli nom ça, murmura le gris en lui grattant les joues.
Le chien laissa pendra sa langue, conquit par les caresse de l'homme, et Akaashi souffla discrètement, rassuré qu'il ne se soit pas jeté sur lui.
— Miya m'a dit que vous ne travailliez pas ce matin.
— En effet, j'ai droit à une matinée de libre un samedi sur deux.
— Ça vous direz de sortir avec moi ?
En entendant cette question, Akaashi avala sa salive de travers et s'étouffa, alertant l'homme qui était toujours dos à lui.
— Akaashi-san ? Ça ne va pas ?
— C-ce n'est rien, bégaya l'homme en reprenant son souffle, le visage rouge. Qu'est-ce que vous m'avez demandé ?
— Si vous vouliez bien m'accompagner quelque part ce matin.
Prenant appui sur la table à manger, le brun reprit son souffle en se traitant mentalement d'idiot. Heureusement que le gris — désormais les yeux braqués sur lui — ne semblait pas réaliser la méprise qu'il y avait eu. Il se ressaisit et lui demanda où il voulait aller.
— Je voudrais aller m'acheter une roue de vélo, bredouilla Bokuto, les mains dans le dos.
— Vous avez besoin de moi pour ça ? questionna Akaashi d'une voix douce.
— C'est que... J'aimerais passer plus de temps avec vous ! Enfin je ne veux pas y aller seul. Pas que vous soyez un bouche-trou, loin de là ! Mais, j'aimerais qu'on apprenne à se connaître. Parce que je vous trouve sympathique et je vous apprécie. Même si on ne s'est rencontrés que cette semaine. Je pensais que ça pourrait être un bon moyen pour passer du temps ensemble...
Le bicolore semblait s'embrouiller dans ses propres paroles et Akaashi n'était pas certain d'avoir compris tout ce qu'il essayait de lui dire. Il avait tout de même saisit l'essentiel : il voulait qu'ils passent la matinée ensemble.
N'ayant rien de prévu, il se dit que ce ne serait pas une mauvaise idée. Et puis, il demandait simplement de la compagnie, ça ne requérait pas de compétence particulière alors il pouvait s'en sortir. Il était toutefois hors de question qu'il sorte dans cet état.
— Est-ce que vous me permettez de prendre une douche avant qu'on y aille ? Et que je mange un bout ? demanda-t-il en coupant le gris toujours plongé dans ses justifications.
— Bien sûr, prenez votre temps Akaashi-san !
— Vous pouvez m'appeler Akaashi vous savez, je pense être plus jeune que vous.
Il sentit Bokuto se tendre imperceptiblement mais ne fit aucun commentaire et lui demanda s'il voulait boire quelque chose, ce à quoi il répondit qu'il n'avait besoin de rien. Keiji se tourna alors vers Kento et lui dit de tenir compagnie à son invité pendant qu'il se lavait.
Une trentaine de minutes plus tard, le propriétaire des lieux était propre, coiffé et habillé, une moitié de biscotte dans la bouche, prêt à affronter la météo peu clémente en cette fin de semaine. Il remonta la fermeture de son épaisse veste en polaire jusqu'en haut du cou et retourna dans le salon où il trouva Kento, sur le dos et les quatre pattes en l'air avec Bokuto lui grattant joyeusement le ventre.
— Je vois qu'une amitié est née, plaisanta-t-il après avoir avalé sa dernière bouchée.
— Ton chien est vraiment adorable ! s'exclama le bicolore en relevant la tête. Tu aimes bien le noir non ?
Akaashi le fixa avec des yeux ronds avant de se regarder. Effectivement, sa veste était noire, tout comme le jeans qu'il portait, le tout assorti à sa chevelure, il devait apparaître bien sombre.
— Je vais mettre des baskets blanches, ça contrastera.
Bokuto pouffa et se redressa, le suivant dans le vestibule. Chaussures enfilées, dernières caresses faites au chien, les deux homme se retrouvèrent dehors et l'aîné guida l'autre vers sa voiture, encombrée d'un bazar sans nom sur les sièges à l'arrière. Akaashi s'arrêta devant et l'inspecta.
— Avant que tu ne fasses le moindre commentaire, j'ai fait comme j'ai pu, je ne me balade pas en limousine et j'avais des trucs à transporter pour le boulot...
— Non je le sais bien, vous êtes à vélo généralement.
— Ah pitié, tutoie moi ! Et oui, je vois pas l'intérêt de prendre un voiture pour me déplacer dans le village.
— Même quand il fait orage.
— Je ne te pensais pas si moqueur Akaashi, lança le bicolore en ouvrant la portière côté conducteur.
Le brun s'installa côté passager et se sentit frémir dans ce nouvel environnement. Il n'était généralement pas friand des imprévus, préférant largement mener une vie calme et réglée mais à aucun moment il n'avait ressenti de l'irritation lorsque Bokuto était apparu devant sa porte. Ou dans l'entrée de la bibliothèque, ou sur le pont. Ses rencontres avec Bokuto avaient toutes été imprévues mais malgré tout agréables. Du moins, si on enlevait le moment où l'homme avait chuté de son vélo.
Le professeur lui avait expliqué qu'il y avait le magasin recherché dans la ville à quinze minutes d'ici. Il posa son coude sur le bord de la vitre et appuya son poing contre sa tempe, laissant ses yeux se perdre dans le paysage défilant rapidement. Le soleil s'était levé dans le ciel parsemé de nuages blancs, annonçant une météo clémente pour le week-end. Déjà les habitations laissaient places à de vastes champs cultivés d'où il apercevait brièvement des agriculteurs en train de travailler. Même s'ils étaient un samedi matin, la route était quasiment vide de voitures et Bokuto pouvait rouler tranquillement. Il alluma la radio et une chanson douce débuta. Il baissa le volume pour qu'elle ne soit qu'un bruit de fond et il fredonna par-dessus. L'ambiance était particulièrement apaisante, emportant Akaashi qui sentit ses paupières s'alourdir et, avant qu'il ne se rende compte de ce qu'il se passait, il s'assoupi, laissant tomber son bras le long de son corps, son crâne reposant contre l'appui-tête.
— ... ashi ? Akaashi ?
— Hein ?
Keiji cligna des yeux plusieurs fois pour faire partir le filtre de fatigue s'étant installé sur sa rétine et il se frotta la bouche dans un geste machinal. Son regard croisa celui de Bokuto et il se rappela de là où il se trouvait. Gêné, il s'enfonça dans le siège en bredouillant des excuses. Koutarou rit.
— Y a pas de mal ! T'as pas ronflé si c'est ce qui t'inquiète.
Cela n'arrangea en rien l'état du jeune homme qui plaqua le dos de sa main au niveau de son nez pour cacher ses rougeurs naissantes. Il regarda autour de lui et vit qu'ils étaient garés sur un parking, devant un magasin de sport et il se détacha.
— On devrait y aller, non ?
Bokuto sortit rapidement de la voiture et il l'imita, se faisant ensuite traîner dans le magasin et à travers les rayons. Le professeur connaissait visiblement les lieux et cela ne le surprit nullement. Arrivés au rayon cyclisme, il se demanda pourquoi il avait accepté de l'accompagner dans un tel endroit. Il ne se sentait pas du tout à l'aise et mit ses mains dans son dos, entremêlant ses doigts, dans l'espoir de cacher son état d'esprit. Malheureusement pour lui, Bokuto semblait plus perspicace qu'il n'en donnait l'air et quitta des yeux le vélo devant lui pour se poster face à lui.
— Tout va bien ?
— Oui. Je me demandais comment vous...– tu allais pouvoir récupérer juste une roue. Il n'y a que des vélos entiers ici, ou alors ce sont des équipements.
— Oh, c'est très simple ! Ils ont une réserve dans laquelle on peut avoir des pièces détachées. Je n'ai qu'à récupérer les caractéristiques de ma roue pour les donner à un vendeur.
— Je vois que tu es un expert, souffla Akaashi en resserrant ses doigts les uns autour des autres.
Son vis-à-vis posa ses poings sur ses hanches en bombant le torse et laissa échapper un ricanement.
— Je viens assez souvent ici.
— Pourquoi j'ai la sensation que ce n'est pas une bonne chose ?
À nouveau, Bokuto pouffa et se détourna pour se reconcentrer sur le vélo vers lequel il s'était dirigé. Il s'accroupit pour lire la petite carte attachée au cadre et sortit son téléphone pour comparer avec des informations qu'il avait visiblement notées au préalable. Il répéta l'opération pour un deuxième vélo et se releva en lançant un large sourire à Akaashi qui le suivait silencieusement.
— J'ai trouvé ce qu'il me fallait.
— Ce fut rapide.
— Tu l'as dit toi-même, je suis un expert, sourit le bicolore.
Il partit rapidement et le plus jeune dut trottiner pour le rattraper, manquant de le percuter lorsqu'il s'arrêta brusquement devant un vendeur. Il resta en retrait pendant que son comparse expliquait ce qu'il venait chercher au vendeur attentif qui lui demanda d'attendre quelques instants, le temps qu'il aille récupérer la roue dans la réserve. Bokuto se retourna alors vers le plus petit.
— Dis Akaashi, tu as un vélo ?
— Non.
Il aurait jurer entendre le cœur du plus vieux se briser à l'entente de sa réponse et haussa un sourcil face à son air de chien battu. Il sentait que la conversation qui allait suivre n'allait pas être simple.
— Pourquoi un "non" si froid ? Tu ne sais pas en faire ?
— Si, je sais, répondit-il en croisant les bras. Je ne veux juste pas monter sur un vélo.
Bokuto s'inclina imperceptiblement vers son visage et ses orbes mordorées scrutèrent le fond de ses prunelles, à la recherche d'une quelconque réponse aux questionnements qui tendaient ses traits.
— Tu sais, il n'y a pas de honte à ne pas savoir faire de vélo à vingt ans passer.
Cela eut le don de crisper Akaashi qui serra les poings enfouis sous ses aisselles. Il lança un regard noir à l'autre homme qui eut un mouvement de recul.
— OK, OK, j'ai compris, tu sais faire du vélo. Tu ne veux pas me dire pourquoi tu ne veux pas monter sur un vélo ?
Au moment où le plus jeune laissait échapper un soupir en relâchant la pression sur ses bras, le vendeur réapparut, une roue dans les mains. Bokuto l'attrapa en le remerciant et ils se dirigèrent vers une caisse pour régler l'achat. En voyant le prix, Akaashi se sentit affreusement mal et quand ils furent de nouveau à l'extérieur, il dit au professeur qu'il allait le rembourser. En l'entendant, ce dernier gonfla les joues, une expression mécontente prenant place sur son visage.
— Ah non, ça va pas recommencer ! Tu t'es déjà excusé une dizaine de fois, tu m'as même payé un repas. Je vois bien la culpabilité dans ton regard dès qu'on te rappelle l'incident sauf que, comme je viens de le dire, c'était pas intentionnel ! Et j'ai aussi ma part de responsabilité, on en a déjà discuté. Le fait que tu sois venu avec moi ce matin me fait suffisamment plaisir.
Akaashi avait détourné le regard, gêné, pendant que le gris s'élançait dans sa tirade. Il marmonna un "d'accord, j'arrête d'en parler" qui sembla le satisfaire, et grimpa dans la voiture pendant que Bokuto rangeait la roue dans le coffre. Il grimaça en sentant le regard perçant du plus âgé braqué sur lui quand il fut installé derrière le volant.
— Tu ne m'as pas répondu tout à l'heure.
— Non en effet.
Il aperçut les mèches grises retomber légèrement mais garda les yeux rivés sur le pare-brise. Honnêtement, il avait peur que le professeur le trouve ridicule une fois qu'il lui aurait expliqué la raison de son aversion pour les bicyclettes. Il en fut d'ailleurs surpris, lui qui ne se souciait jamais de ce que les autres pouvaient penser de lui, incluant Osamu et sa famille. Intrigué par cette soudaine révélation, il jeta un coup d'œil à Bokuto qui s'était détourné pour mettre la clé dans le contact. Il soupira.
— Quand j'étais enfant, vers mes dix ans, je faisais du vélo avec un cousin habitant dans les montagnes. On était sur une route bordée par des sapins, elle n'était pas très large mais suffisamment pour que deux voitures se croisent sans problème. Elle n'était pas très fréquentée donc on était pas inquiets.
Bokuto le regarda brièvement pour lui signifier qu'il avait son attention et démarra le moteur, permettant à Akaashi de reprendre son souffle qu'il avait coupé sans le réaliser.
— On était donc chacun sur nos vélos, on s'amusait beaucoup. À un moment, on a pris un virage assez sec dans lequel il n'y avait pas vraiment de visibilité. On était sur le bord de la route et je n'ai pas fait attention, il y avait un caillou, assez gros. Mon cousin était passé sans souci mais j'ai roulé dessus et j'ai perdu le contrôle du guidon qui a violemment tourné vers la route, m'envoyant bouler sur le bitume. J'étais complètement sonné, je n'ai pas entendu qu'une voiture arrivait derrière moi.
Il entendit le conducteur serrer les doigts autour du volant et reprit, serrant lui aussi ses doigts autour de ses biceps.
— Par chance, mon cousin a directement compris ce qu'il se passait en m'entendant pousser un cri et il s'est jeté de son vélo pour venir à ma rescousse. Il m'a tiré sur le bord de la route et la voiture a pilé, nous évitant de peu. Je crois que je n'ai jamais eu aussi peur de toute ma vie. Depuis... j'ai jamais pu refaire de vélo, termina-t-il dans un faible murmure.
Seuls les bruits du moteur et des roues sur le bitume se firent entendre suite à cette déclaration. Un frisson parcouru le corps du jeune homme et il claqua des dents tout en se mettant à trembler. Il resserra son étreinte et se tassa contre le dossier peu rembourré du siège, espérant conserver la chaleur qui le quittait au fur et à mesure que le silence les engloutissait. Ce n'est que lorsque ses tremblements envahirent ses genoux que Bokuto prit conscience qu'il n'allait pas bien et il tourna complètement la tête vers lui.
— Akaashi ?!
— La route ! s'écria celui-ci en s'accrochant au tableau de bord.
L'aîné reporta immédiatement son attention sur la route en bredouillant des excuses. En tournant la tête, il avait entraîné le haut de son corps dans le mouvement, dont ses bras, liés au volant, les faisant se rapprocher dangereusement du fossé. Akaashi plaqua une main au niveau de son cœur, dans une vaine tentative pour calmer les battements de l'organe. Ses iris accrochèrent la main quittant le volant pour se poser sur la molette qui permettait de régler la température de l'habitacle.
— Tu as froid ? Il fallait me le dire.
— C'est rien, ça va passer. C'est parce que je me suis remémoré... Enfin c'est rien.
— Je suis désolé, j'aurais dû comprendre que tu ne voulais pas en parler.
Akaashi leva les yeux au plafond et resta fixé sur une tâche bleue. Il se demanda comment Bokuto s'était débrouillée pour tacher son plafond et avec quoi il avait fait ça.
— Si je ne voulais vraiment pas t'en parler je ne me serais pas forcé. C'est juste que j'avais peur...
— Peur ? Je suis pas sûr de comprendre.
Les mains glissant contre ses cuisses, Akaashi baissa la tête pour laisser son regard rivé vers celles-ci.
— J'avais peur que tu me trouves ridicule.
Bokuto laissa échapper un cri étranglé, à mi-chemin entre la surprise et l'énervement, et le brun se tassa à nouveau contre le siège.
— Si je ne devais pas garder les mains sur le volant, tu peux être sûr que je t'aurais secoué comme un prunier ! s'exclama le bicolore.
— Je préfère que tu les gardes sur le volant du coup.
Il gagna une œillade sévère et déglutit difficilement pendant que le silence prenait de nouveau place dans le véhicule. Il n'osa reprendre la parole que quelques minutes plus tard, n'y tenant plus.
— Je t'ai énervé ?
— Et pas qu'un peu.
Penaud, il observa un oiseau traverser la route en volant à ras du bitume, juste devant eux, comme s'il se donnait le défi de survivre en esquivant la voiture.
— Tu me vois comme ça ? Comme un gars qui pourrait se moquer d'un traumatisme ?
— Ce n'est pas ce que je voulais dire. Je vois bien que tu es gentil et je ne sais pas pourquoi j'ai ressenti cette inquiétude. Ça m'a juste pris à la gorge d'un coup, sans que je puisse faire quoi que ce soit.
Nouvelle œillade de la part du plus âgé.
— Excuse moi, continua-t-il.
— Je t'en veux pas. Je suis pas du genre rancunier. Mais ne prends pas l'habitude de compter là-dessus, je peux aussi m'énerver !
Akaashi contint difficilement le sourire qui menaçait de poindre et tourna la tête vers la fenêtre, l'appuyant sur la paume de sa main. Il feignit un intérêt soudain pour le paysage mais gardait les yeux dans le vide, intrigué par la douce et agréable chaleur qui se répandait dans sa poitrine.
Le reste du trajet se déroula dans un calme plat, aucun des deux hommes n'éprouvant le besoin de le rompre. Ils arrivèrent rapidement devant la maison du plus jeune et celui-ci proposa au conducteur s'il voulait rester manger. Ils écarquillèrent les yeux en même temps, l'un surpris de sa propre question, l'autre heureux de pouvoir passer plus de temps avec le bibliothécaire.
Ils sortirent du véhicule et une fois dans la maisonnette, ils eurent droit à l'accueil chaleureux et baveux de Kento, euphorique en voyant son maître et son nouvel ami. Akaashi, après avoir jeté un œil à l'horloge murale affichant 11h, ordonna à son invité de rester dans le salon pendant qu'il s'occupait de repas et il les laissa, l'homme et le chien, avant de se rendre dans la cuisine. Il n'arrivait pas à réaliser qu'il avait invité le professeur sans réfléchir. Avait-il de quoi préparer un repas décent ? Il n'en était même pas certain. Se ruant vers son frigo, il l'ouvrit rapidement et expira profondément en voyant une barquette de blancs de poulets qu'il attrapa. Il prit les épices nécessaires pour faire un curry, et rempli une casserole d'eau pour faire cuir les nouilles.
Minutieusement mais avec hâte, il découpa un oignon, retenant ses larmes et reniflant le plus discrètement possible. Lorsque ce fut fait, il le mit à cuir pendant qu'il s'occupait de découper le poulet en dés, tout en surveillant la cuisson. Il entendit des pas pendant qu'il tournait les oignons dans la poêle et demanda à son invité s'il voulait boire quelque chose.
— De l'eau, ça me suffit...– Akaashi, tu pleures ?!
L'hôte s'était retourné vers lui pour écouter sa réponse et il avait ainsi pu voir les restes de larmes.
— Oui, parce que j'ai coupé un oignon. Il était sacrément puissant celui-là d'ailleurs, répondit le brun avec nonchalance.
Il attrapa deux verres dans un placard et les remplit d'eau avant d'en tendre un à Bokuto. Il se détourna sans attendre et se posta devant sa plaque de cuisson. Il ajouta les morceaux de poulets et l'huile se mit à crépiter bruyamment, emplissant la pièce d'une douce odeur de cuisson. Concentré sur sa tâche, il ne remarqua pas tout de suite que son invité s'était penché par-dessus son épaule et le percuta en voulant se reculer pour aller chercher les épices.
— Bokuto-san, ne reste pas derrière moi comme ça.
— Pardon, j'ai été attiré par l'odeur.
Akaashi se figea un instant et l'idée qu'il parlait de son odeur lui traversa l'esprit, faisant accélérer les battements de son cœur.
— Ça va ? Tu as chaud ? Ton visage est tout rouge.
— C'est parce que je suis resté près du feu longtemps.
Le professeur s'appuya contre un plan de travail plus loin afin de ne plus le gêner dans la préparation du plat. Akaashi pouvait sentir ses pupilles braquées sur lui.
— Est-ce que je peux te poser des questions par rapport à ton accident ?
— Je suppose que oui.
— Tu as été lourdement blessé en tombant ?
Tout en sortant de la crème d'un tiroir, il expliqua s'être méchamment râpé une épaule et un genou, avoir eu quelques bleus, mais rien de grave.
— Aucune séquelle physique donc. Et tu m'as dit que la voiture ne t'avait pas touché ?
— Non, tout en freinant la conductrice a tourné le volant dans la direction opposée. Heureusement que personne n'arrivait en face.
Il pouvait voir que Bokuto était plongé dans une profonde réflexion mais ne savait pas quoi en penser. Qu'est-ce que ces informations pouvaient avoir d'utile ?
— Tu as essayé de remonter sur un vélo après ?
— Une fois ou deux.
— Et ? demanda le gris en inclinant la tête sur le côté.
Tout en remuant le poulet dans la poêle, Akaashi ajouta sel et poivre, puis versa la crème. Il resta dos à l'autre homme pour lui répondre.
— À chaque fois j'ai l'impression de perdre l'équilibre, comme si le sol me tirait à lui. Je me revois tomber, la voiture qui arrive... Et la panique sur le visage de mon cousin. Quand j'étais à terre mes idées étaient encore en désordre et je ne me rappelle pas de ce à quoi je pouvais penser, mais s'il y a bien une chose que je revois encore parfaitement, c'est son expression. Il me criait des choses mais j'entendais rien, tout ce que je saisissais, c'était la peur dans ses yeux. Et puis juste après, le bruit des pneus crissant sur le bitume.
Il ajouta les épices et mélangea le tout, baissant le feu au minimum. Il restait focalisé sur la poêle, refusant d'affronter le regard de Bokuto toujours posé sur lui.
— Et vous en avez discuté avec ton cousin ?
— Oui, il m'a dit qu'il était terrifié et persuadé que la voiture allait me rouler dessus.
— Tout pour te rassurer quoi, grogna l'aîné.
— Il a été honnête, il n'y a pas de mal à ça.
— Il aurait pu le dire d'une autre façon. Et dire que ça n'avait été qu'un évènement exceptionnel, que ça n'arriverait pas à chaque fois que tu ferais du vélo. Que tu t'en étais sorti sans grandes blessures et que c'était le plus important. Que désormais tu savais que cela pouvait arriver et que cela te permettrait d'être plus attentif. Que tu pouvais continuer de vivre normalement sans te mettre à trembler en y repensant.
Sans qu'il ne s'en rende compte, le brun s'était accroché au plan de travail devant lui et remarqua ses jointure blanchirent à force de serrer les doigts sur le bois. Il n'aurait jamais cru entendre ça de la part de Bokuto et assimila lentement ce qu'il venait de lui débiter. En gros, il était resté focalisé sur les sentiments négatifs ressentis pendant l'accident, et les peurs qui en avaient découlé, sans jamais voir outre cela. Il n'avait tiré aucune leçon de cet accident, il n'avait pas avancé. Pourquoi n'y avait-il jamais pensé ? Pourquoi n'avait-il jamais cherché à arrêter de se sentir mal en pensant à ce jour-là ? Alors qu'on lui reprochait souvent de trop réfléchir, cette fois-ci, il n'avait pas utilisé sa tête un seul instant, préférant fuir le problème.
— Akaashi ? Je suis désolé si j'ai dépassé les bornes.
— Quoi ? s'exclama-t-il en redressant la tête vers le bicolore. Non, ne t'excuse pas. Tout ce que tu as dit est vrai, je crois. Je n'y avais juste jamais pensé.
— C'est compréhensible, ça te faisait du mal alors tu ne voulais plus t'en préoccuper. Je me dis juste que cette histoire a plus de dix ans maintenant et que tu as sûrement assez de recul pour pouvoir y penser plus calmement. Surpasser ce traumatisme ne pourrait t'être que bénéfique.
L'hôte mit les nouilles à cuir et resta silencieux. Il continua de remuer la viande, les sourcils froncés. Il ne savait plus quoi penser de toute cette histoire et le fait que ce soit Bokuto Koutarou qui lui balance la réalité en pleine tête n'arrangeait rien à son état. Cette situation était tout simplement improbable.
— Tu sais, je ne te force à rien. Je me suis juste dit que tu avais sûrement besoin d'entendre un autre point de vue, même si tu ne le voulais peut-être pas. C'est à toi de décider quoi faire de ce que je t'ai dit.
— Pourquoi m'aides-tu ? demanda subitement le plus jeune, toujours de dos.
— Honnêtement ? J'en sais rien. J'éprouve beaucoup de sympathie pour toi, c'est tout.
— Alors qu'on se connaît à peine ?
— Et toi ? Tu n'éprouves rien ?
Une douce chaleur s'insinua dans le visage du plus jeune contracta sa mâchoire tout en éteignant les feux et allant égoutter les nouilles, prenant soin de rester le dos tourné.
— Tu es différent des gens que je côtoie, ça m'intrigue.
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