Chapitre 4

Allongé sur le canapé et Kyanma pelotonné sur ses cuisses, Kuroo bâilla à s'en décrocher la mâchoire. Une main derrière la tête et l'autre tenant son bouquin, il tournait les pages à l'aide de son pouce. Il jeta un coup d'œil à l'horloge murale et laissa échapper un soupir en voyant 17 heures 46 affiché. Il savait bien que vivre avec un chef cuisinier ne lui permettait pas de le voir souvent, mais Bokuto était professeur, un fonctionnaire, tout comme lui, alors pourquoi rentrait-il toujours tard ? Il allait falloir qu'il lui explique le concept des heures de bureau. S'ils s'étaient installés dans un petit village, c'était pour vivre loin de la pression et l'agitation quotidienne des métropoles et pouvoir passer des soirées tranquilles chez eux.

Un miaulement le sortit de ses pensées et il entendit la porte d'entrée s'ouvrir. Il n'eut pas besoin de se retourner pour savoir qu'il s'agissait du gris, Kyanma ne réagissait que pour lui, à son grand dam. Il n'avait jamais compris l'affection de ce chat pour le grand benêt qu'était son ami. Après tout, il ne faisait jamais rien pour s'attirer les faveurs de la boule de poils, contrairement à lui qui cherchait constamment à lui faire plaisir et qui ne récoltait qu'une indifférence douloureuse. Kyanma se servait de lui comme coussin lorsque Bokuto n'était pas là et c'étaient les rares moments où il pouvait le câliner. C'est pourquoi son cœur se brisa lorsque le Ragdoll se leva et s'étira pour bondir sur le tapis, en direction du nouvel arrivant.

— Ingrat...
— Salut ! T'as passé une bonne journée ?
— C'était une journée comme les autres... Ah non, je crois que Madame Ikeda a définitivement perdu la tête, elle est venue nous voir et a réclamé une nouvelle carte d'identité.

Bokuto s'arrêta à côté de son ami et posa sa main libre sur sa tête.

— Elle n'est pas déjà venue en début de semaine pour ça ?
— Si, et la semaine dernière aussi, mais elle ne s'en rappelle pas à chaque fois. On a déjà fait les démarches pour qu'elle en obtienne une nouvelle. J'ai l'impression que ça sert un peu à rien, lorsqu'elle l'aura récupéré elle va la perdre à nouveau. On a déjà lancé les paris avec Suna pour savoir quand est-ce qu'elle va revenir pour la redemander.
— Vous êtes vraiment pas gentils avec elle...
— Si elle n'avait pas passé deux ans à me casser les pieds j'aurais pu être plus sympathique.

Kyanma se faufila entre les pieds de Bokuto et frotta affectueusement sa tête contre ses tibias, ronronnant de bonheur, et le jeune homme se baissa pour le prendre dans son bras valide. À hauteur de visage, le chat lui mordit doucement le nez, comme il aimait le faire à chaque fois qu'il était dans ses bras. Dégoûté, Kuroo se redressa en position assise et ses yeux lancèrent des éclairs en direction du félin pendant que le gris riait en se plaignant que ça lui faisait des chatouilles.

— Suna pense qu'elle fait semblant et que c'est parce qu'elle s'ennuie toute seule chez elle, reprit le brun. Son chat est mort il y a quelques semaines alors elle n'a plus d'animaux.
— C'est pas ça la solution du coup ?
— Super, on va lui donner Kyanma alors ?

Bokuto serra le chat plus fort contre son torse en lui jetant un regard réprobateur.

— C'est pour ça qu'il me préfère.
— Comme s'il pouvait comprendre ce que je viens de dire...

À peine eut-il terminé sa phrase qu'il sentit les grandes orbes félines scruter ses prunelles, comme si, justement, il comprenait ce que disait son maître, et celui-ci se sentit gêné.

— Bon, et sinon, pourquoi tu rentres si tard ? Les cours ne terminent pas à 15 heures ? demanda-t-il pour changer de sujet.
— Si, évidemment, mais j'ai dû faire un compte-rendu de ma matinée au principal. Et il avait envie de parler ce soir, visiblement sa femme est de plus en plus indépendante et ça ne lui plaît.
— C'est ça les vieux conservateurs.

Mal installé, le chat gigota au creux du bras du sportif qui desserra son étreinte pour le laisser sauter sur le tapis et s'en aller gracieusement après avoir reçu la dose de câlins souhaitée. L'homme se gratta l'arrière du crâne et Kuroo comprit qu'il voulait lui parler de quelque chose.

— Tu vas bien ? lança-t-il.
— Oui, j'ai passé une super journée !

L'oreille tendue, Kuroo porta toute son attention sur son ami. Les yeux plissés, il remarqua qu'il rayonnait, comme s'il s'était passé quelque chose de vraiment bien aujourd'hui. Tetsurou était très curieux et il ressentit le besoin urgent de savoir ce qu'il lui était arrivé.

— Et qu'est-ce qui fait que tu as passé une si bonne journée ? Je croyais que tu devais accompagner tes mioches à la bibliothèque et que, je cite : "Ça va être super chiant, j'aime pas les livres. Faut rester calme dans une bibliothèque ? Je sais pas me taire si longtemps. Et je pourrai pas aider les élèves, je vais juste passer pour un idiot."
— Tu es effrayant à retenir exactement tout ce que je dis...
— C'est ça de se servir de sa tête.

Mécontent, le bicolore gonfla les joues et Kuroo éclata de rire avant de s'excuser et de l'inviter à poursuivre.

— Ce matin en arrivant à la bibliothèque... Tu ne devineras jamais qui j'ai rencontré !
— Ton fantôme ?
— Mais ?! s'écria Bokuto, déçu. Comment tu fais pour toujours tout savoir ?
— Je vais éviter de répondre, je voudrais pas que tu te vexes à nouveau. Bon du coup, c'est pas un fantôme ?
— Non... Il est employé là-bas, il s'appelle Akaashi et se cachait derrière l'ordinateur.

Face à l'incompréhension du brun, il s'expliqua.

— Il est pas à l'aise avec les ados.
— Ça se comprend.
— Donc j'ai attendu que les deux autres bibliothécaires emmènent les enfants et je suis allé le voir. Il était tout timide et gêné par rapport au fait que je sois blessé ! Alors il m'a invité à manger ce midi.
— T'as eu un rencard ? s'étouffa Kuroo.

Le gris rougit en bafouillant que ça n'avait rien à voir.

— En tout cas, il est vraiment très gentil ! J'ai pas vu le temps passer avec lui.
— Tiens donc.
— Mais il n'est pas très bavard... Je devais lui poser des questions pour qu'il me parle de lui. Et encore, il répondait pas toujours. Parfois il contournait le sujet ou détournait carrément la conversation...
— Il est peut-être timide ?
— Il en avait l'air en tout cas !

Kuroo se gratta le menton, intrigué par la lueur brillant dans les yeux de son ami.

— Tu n'as qu'à l'inviter à ton tour.
— S'il m'a payé un repas c'était pour se faire pardonner... Je ne crois pas qu'il voudrait que je l'invite en retour.

Dépité, il s'affaissa légèrement, rentrant la tête dans les épaules et ses cheveux retombèrent légèrement. En le voyant ainsi, le brun ne put qu'être attendri. Il y avait en Bokuto cette innocence et curiosité enfantines qui le rendait particulièrement sociable, tour en restant attentionné. Il veillait toujours à ne pas dépasser les limites car il avait conscience d'être parfois hyperactif, facilement très heureux et envahissant. Les gens autour de lui ne suivaient pas forcément son rythme et cela avait souvent créé des conflits par le passé, notamment durant sa scolarité. Cependant, c'était ce qui avait attiré l'attention de Kuroo, lui qui était habitué au calme de son meilleur ami d'enfance. Il trouvait ça intéressant d'avoir des amis diamétralement opposés tout en ayant certaines similitudes comme le fait de se soucier de leurs proches et leur grande compassion.

Perdu dans ses pensées, il n'avait pas vu le professeur se lever et se diriger vers les escaliers, sûrement pour aller prendre une douche.

— Pourquoi forcément un repas ? demanda-t-il.

Bokuto s'arrêta et se retourna pour lui jeter un regard oblique.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Je veux dire que tu peux innover. Trouve un autre genre de rendez-vous possible qu'il pourrait accepter.

Le gris réfléchit quelques secondes avant de pousser un cri.

— Mais bien sûr ! Je n'ai qu'à lui demander de m'accompagner acheter une nouvelle roue de vélo !
— Je crois pas que jouer sur ce qui le fait culpabiliser soit une bonne idée...

Mais son ami ne l'écoutait déjà plus et fonçait dans les marches, de nouveau ravi. Kuroo se leva et posa ses mains sur les hanches, le regard rivé vers les escaliers qu'avait gravis son ami.

— Je sens que ça va être intéressant.

****

Assis en tailleur au milieu de son petit salon, Akaashi brossait avec grand soin l'épais pelage de son Akita, heureux qu'il ne soit pas à poils longs.

— Je hais les changements de saisons... T'en mets vraiment partout. Non, ne te secoue pas, je m'excuse !

Trop tard, le chien fit voler un nuage de poils dans toute la pièce et le brun laissa tomber sa tête contre Kento qui se rassit dos à lui, la langue pendue.

— Et tu es fier de toi, évidemment.

Il enleva les poils ramassés par la brosse et les jeta dans la corbeille placée à côté de lui. Alors qu'il recommençait à brosser le pelage brun, quelqu'un sonna à sa porte et Kento aboya, faisant grogner son maître qui se leva en se demandant qui pouvait bien venir chez lui à une heure pareille.

Lorsqu'il vit qui se trouvait derrière la porte, il poussa un soupir et ouvrit en grand.

 — Wow, cache ta joie.
— C'est trop dur. Qu'est-ce que tu fiches ici Osamu ?

Prenant une expression dramatique et plaçant une main au niveau du cœur, ledit Osamu feignit des sanglots grossiers.

— Alors je prends le temps de rendre visite à mon meilleur ami après une dure journée de travail et tout ce que je récolte c'est cet accueil glacial...

Tout en levant les yeux au ciel, Akaashi s'effaça pour laisser entrer le restaurateur à nouveau souriant. Il enleva ses chaussures dans le vestibule et quand il fut dans le champ de vision de Kento, celui-ci aboya joyeusement avant de lui sauter dessus, manquant de le faire tomber pendant que le propriétaire des lieux refermait la porte.

— Wow, tout doux mon beau ! T'as encore grossi non ? Ah ! J'ai avalé des poils !
— Tu tombes au mauvais moment aussi, je le brossais. Mais bon, fais comme chez toi, je vais ranger ça.

Il attrapa la corbeille et la brosse laissées par terre pour les ramener dans la salle de bain et alla chercher deux verres d'eau dans la cuisine pendant que Miya s'asseyait en tailleur sur le canapé et que Kento posait son museau sur ses chevilles.

Ce n'était pas la première fois que le gris débarquait à l'improviste chez lui le soir, c'était même habituel puisqu'il le faisait déjà lorsqu'ils vivaient à Tokyo. Cela ne voulait dire qu'une chose : c'était l'heure des potins. Osamu n'en avait pas l'air, mais il pouvait être une véritable commère et, tenir un restaurant où tout le monde venait manger était le métier parfait pour être au courant de tout. Surtout que le jeune homme attirait la sympathie de tout le monde ; il était donc assez facile pour lui de discuter avec les clients. Il remercia son ami lui tendant le verre et posa un regard neutre sur lui.

— Alors Keiji, comment s'est passée ta journée ?
— Ça a été, répondit le brun en serrant son verre d'eau entre ses doigts.
— Tu veux dire que je n'ai aucun collégien à remettre à sa place parce qu'il aurait osé te mettre mal à l'aise ?
— Nope. Tout s'est bien passé, Lev s'entendait à merveille avec eux. Ils avaient l'air d'avoir le même âge, c'était presque touchant. Et l'après-midi s'est déroulé calmement... Comme un après-midi en semaine quoi.
— Tu as oublié de me parler de ton midi.

Évidemment, il était venu pour parler de ça. Akaashi l'avait comprit à l'instant même où il l'avait aperçu sur le pas de sa porte. C'est d'ailleurs pour ça qu'il n'avait pas abordé le sujet ; autant embêter un peu le gris.

— Non, tu voulais que je te dise ce que j'ai mangé ? Pourtant je suis sûr que tu le sais déjà.

Le regard de son meilleur ami lui brûla l'épiderme et un sourire en coin étira ses lèvres tandis qu'il continuait de fixer son attention ailleurs.

— Et toi tu sais que je ne partirai pas tant que tu n'auras pas répondu à toutes mes questions.
— Il est presque 22h, tu vas être crevé demain.
— Je prends le risque.

Il vit le gris se pencher vers lui, une expression déterminée sur le visage et il comprit qu'il serait prêt à passer la nuit accroché à lui s'il ne lui racontait pas ce qui l'intéressait. Portant le verre à ses lèvres, il laissa glisser ses prunelles sur son salon et elles s'arrêtèrent sur Kento, lui aussi tourné dans sa direction, comme s'il attendait également d'entendre l'histoire du jeune homme.

— Je suis venu manger chez toi, mais tu le sais déjà, alors qu'est-ce que tu veux savoir ? Qu'on en finisse rapidement...

Un sourire victorieux prit place sur le visage de son ami et une pointe d'agacement surgit dans son esprit. Il finissait toujours par céder !

— Tu avais l'air en bonne compagnie...
— Tu connais Bokuto-san ?
— Vaguement. J'en entends surtout parler à travers Tendou, ils sont colocataires.
— Je sais, il me l'a dit.

Il manqua frapper son ami en captant son œillade équivoque mais il se contint et reprit.

— Tu te rappelles quand je t'ai dit qu'à cause de moi, un homme avait fait une chute à vélo ? Et bien l'homme en question c'était lui. Il s'est retrouvé obligé d'accompagner la classe qui est venue ce matin et il m'a reconnu. Je l'ai juste invité à manger pour me faire pardonner.
— QUOI ? Ce n'est même pas lui qui t'as proposé ce repas en tête-à-tête ?
— Non et arrête de crier, je vais devenir sourd, grogna Akaashi, une main sur l'oreille. D'ailleurs je suis surpris, t'étais où quand j'ai payé ? J'aurais cru que tu ne raterais pas l'occasion de poser un millier de questions gênantes.

Osamu but son verre d'une traite et le posa sur la table basse devant eux avant de croiser ses doigts, l'air boudeur.

— C'est justement pour ça que je suis resté en cuisine. Tendou m'a dit que si j'intervenais tu serais gêné et tu allais fuir.
— Je vois qu'il y a au moins une personne perspicace parmi vous.
— T'es dur Keiji ! Je m'inquiète pour toi, c'est tout !
— Je croyais que tu connaissais Bokuto-san ? Pour quelle raison tu t'inquièterais ?

Un silence plana et Akaashi sentit l'inquiétude grimper en flèche.

— Oh non, il est vraiment dangereux ?
— Quoi ? Non ! C'est juste que... Enfin, comment dire ? Je sais que tu t'entends bien avec Morisuke et Nami parce que vous avez une passion commune, mais je ne t'ai jamais vu discuter avec qui que ce soit d'autre dans le village.
— T'es dur, je parle avec les gens qui viennent à la bibliothèque et les serveurs dans ton resto...

En voyant le regard blasé de son meilleur ami, il se laissa tomber contre le dossier moelleux du canapé. Il saisissait ce qu'il voulait dire mais il ne savait pas quoi lui répondre. Lui-même ne comprenait pas d'où lui venait cette aisance à discuter avec le bicolore.

— Ça s'est fait naturellement, je ne saurais pas te l'expliquer. Quand je le regarde, j'ai l'impression que je peux dire n'importe quoi, il ne me jugera pas. Son regard est toujours sincère et innocent. Et puis, c'est un vrai moulin à parole, je n'ai pas forcément beaucoup parlé. Sa présence est juste agréable.

Cette fois-ci, Osamu posa un regard attendri sur lui, le faisant soupirer. Alors qu'il allait lui dire qu'il ne voulait aucun commentaire, son ami lui tomba dans les bras en pleurnichant qu'il était très fier de lui et qu'il était heureux de le voir si bien grandir. Akaashi râla qu'il avait un comportement pire que celui de sa mère et l'autre se décolla tout en ricanant. Kento choisit ce moment pour participer à l'embrassade et écrasa les deux hommes sous ses larges pattes et ses coups de langue.

Ayant obtenu toutes les informations qu'il souhaitait, Osamu ne resta pas plus longtemps. Il se tourna une dernière fois vers son ami avant de partir et lui sourit sincèrement.

— Je suis heureux de voir que tu te sociabilises Keiji.
— Moi aussi maman, répondit le brun en levant les yeux au ciel, une main sur le battant de la porte.

Après un dernier ricanement, le gris s'en alla et il verrouilla sa porte, une douce chaleur se répandant dans sa poitrine. Il soupira une énième fois en se disant qu'Osamu en faisait toujours des caisses.

****

Le chant des oiseaux résonnait dans le parc en ce doux vendredi après-midi. Le soleil était enfin réapparu après plusieurs jours de pluie et grisaille pour le plus grand bonheur de tous. L'humidité se dissipait peu à peu, emportée par la légère brise d'octobre. Installé sur un banc sculpté dans un large tronc d'arbre, Kuroo pouvait entendre le ruisseau traversant le parc s'écouler non loin de lui. Pour lui, il n'existait aucune sensation plus apaisante que celle-ci.

Il releva les yeux de son téléphone pour voir un  groupe de collégiens qui n'avaient pas cours, assis dans l'herbe, à l'ombre d'un large saule pleureur. Sur un autre banc un peu plus loin se trouvait un couple de retraités, profitant de l'air pur en pas encore trop frais. Son regard dériva sur la silhouette d'un homme marchant sur le sentier dans sa direction, accompagné d'un gros chien visiblement surexcité. Il plissa les yeux, intrigué par cet air las plaqué sur le visage de l'homme. Plus il se rapprochait, plus il distinguait ses paroles.

— Kento pitié, arrête, on est au parc, comme tu le voulais alors calme toi...

Ledit Kento, inatteignable, continuait de sautiller tout autour de son maître, l'obligeant à suivre son mouvement des bras pour ne pas se retrouver emmêler dans le cordon de la laisse. En les voyant ainsi, Kuroo se dit que jamais il n'adopterait de chien, de peur de tomber sur un hyperactif ingérable. Ses parents en avaient deux, des Bergers Australiens et il se sentait épuisé dès l'instant où il posait les yeux sur eux alors il comprenait l'état de lassitude du jeune homme se rapprochant.

Alors qu'il allait reporter son attention sur son téléphone, toujours dans ses mains, il croisa les prunelles brun foncé du chien, lui déclenchant un aboiement. Il se raidit immédiatement, le dos droit et le chien tira de plus belle sur la laisse, niflant les environs. Pris au dépourvu, son maître ne pu le retenir et la laisse lui échappa des mains, laissant Kento complètement libre.

— Ah ! s'exclama-t-il. Non Kento, revient !

Voyant l'énorme masse de poils se ruer vers lui, Kuroo eut tout juste le temps de se protéger le visage avec ses bras qu'il sentait un lourd poids lui tomber dessus.

— AH ! Au secours ! s'écria-t-il.

Son heure était-elle arrivée ? Il allait vraiment finir mangé par un chien ? Dieu lui faisait-il payer d'être team chats ?

Un coup de langue réussit à  passer la barrière de ses avant-bras et il retint sa respiration, mi-effrayé, mi- dégoûté.

— Oh bon sang, Kento arrête ! On ne fait pas ça aux inconnus !

Ah parce qu'on pouvait seulement dévorer ceux que l'on connaissait ?

Le poids qui l'écrasait disparu, alors il ouvrit un œil, pas rassuré pour autant, et tomba sur deux orbes bleues sombres. Il abaissa ses bras.

— Vous allez bien ? Je suis vraiment désolé, il n'est pas comme ça habituellement, c'est juste qu'il est très heureux et a du mal à se contenir, je sais pas vraiment pourquoi il a jeté son dévolu sur vous, mais...–
— Pitié, stop, je comprends rien à ce que vous racontez.

Un air penaud pris place sur le visage de l'inconnu tenant toujours son chien à côté de lui et Kuroo dut se mordre les lèvres pour ne pas sourire. Il prit alors conscience que l'homme le dominait totalement et ses mèches noires chatouillaient son front découvert.

— Est-ce que... Vous pourriez juste vous reculer un peu ? demanda-t-il.

Semblant prendre conscience de leur position, le jeune homme rougit en se reculant rapidement, bégayant des mots sans queue ni tête. Il se retrouva par terre et resserra l'étreinte autour de son chien qui lui jeta un regard intrigué.

— P-p-pardonnez-moi, j-je ne voulais pas...
— Respirez, je ne vais rien vous faire, souffla Kuroo en glissant une main dans ses cheveux. Vous me faîtes passer pour un méchant à être effrayé comme ça.

Le brun face à lui baissa la tête d'un air coupable en s'excusant.

— C'est juste que je ne suis pas très à l'aise pour parler avec les gens et là, avec mon chien qui vous saute dessus, c'est vraiment la pire façon de se rencontrer...

Kuroo marmonna que si c'était juste pour un câlin, il n'allait pas en faire tout un plat. Il préféra cacher le fait qu'il avait vu sa vie défiler devant ses yeux et sortit un mouchoir de sa poche pour se frotter le visage. Son regard dériva à nouveau sur l'homme toujours paralysé et il laissa échapper un soupir. Après avoir rangé le mouchoir, il quitta le banc pour se mettre à genou devant lui et, pinçant son menton entre l'index et le pouce, il l'obligea à affronter ses prunelles noisette.

— Arrêtez de trembler, je ne vous en veux pas, ni à vous, ni votre monstre.

Le visage de l'inconnu vira au cramoisi et il manqua d'échapper à nouveau son chien.

— C-ce n'est pas un monstre, il est très gentil et affectueux, rétorqua-t-il en se libérant de l'emprise de Kuroo. C'est juste qu'il est tombé malade récemment et j'ai dû le laisser enfermer dans la maison toute la semaine. Il n'a pas l'habitude et était en train de devenir fou.

Kento niflait à nouveau Tetsurou qui fronça les sourcils, avant de comprendre pourquoi il s'était jeté sur lui.

— Oh. J'ai un chat, c'est peut-être ça qui l'a attiré ? Ou alors il a juste très bon goût en matière d'homme.
— Je pense que c'est plutôt l'odeur de chat, bredouilla l'autre homme en clignant rapidement des yeux et détournant le visage.

Un rictus étira les lèvres de Kuroo alors qu'il se relevait. Il tendit une main au jeune toujours assis par terre qui l'attrapa, se levant à son tour. Une fois debout, il essaya de la récupérer mais elle était prisonnière de l'autre main.

— Je m'appelle Kuroo Tetsurou.
— Akaashi Keiji, ravi de vous rencontrer.

Kuroo relâcha sa main sous le coup de la surprise et un sourire encore plus large pris place sur son visage. Il vit l'inquiétude illuminer le regard bleu en face de lui et il pencha la tête vers son minois.

— Alors c'est vous le fameux Akaashi ?

Ledit Akaashi sembla surpris.

— V-vous me connaissez ?
— Plus ou moins, on m'a parlé de vous.
— Quoi ? Mais qui a pu...– Osamu ?
— Nope.
— Les employés de la bibliothèque ?
— Toujours pas.

Tout en serrant les doigts autour de la laisse, Keiji ancra son regard dans celui de son vis-à-vis, à la recherche d'une quelconque réponse, et la lumière se fit dans son esprit au bout de quelques secondes.

— Vous êtes une connaissance de Bokuto-san ?
— Bingo, sourit le plus grand. On est colocataires pour être exact, c'est pour ça que j'ai entendu parler de vous plusieurs fois. Vous l'avez pas loupé à votre rencontre.

Les joues du plus petit prirent une teinte rose pendant que Kuroo pouffait.

— Je croyais qu'il vivait avec Tendou-san...!
— Oui, aussi. On vit à trois dans la même maison.  Ça vous donne envie ?
— P-pas du tout ! s'exclama Akaashi.
— Wow, Koutarou va être tellement triste quand je vais lui dire que son fantôme a réagi comme ça...

Kuroo prenait un malin plaisir à se jouer du jeune homme qui était dans tous ses états à chacune de ses phrases et, alors qu'il se détournait d'un geste théâtral, une main saisie son coude, le faisant à nouveau sourire. C'était plus fort que lui, il ne pouvait pas s'en empêcher. Du haut de ses vingt-sept ans, il se comportait encore comme l'adolescent plein d'assurance et un peu dragueur qu'il était au lycée. 

— S'il vous plaît, n'allez rien lui dire d'étrange...
— Pourquoi ça ? demanda le grand en lui lançant un regard oblique.
— Je sens qu'il débarquerait avec son air de chien battu à la bibliothèque en réclamant une explication.
— Et vous ne voulez pas vous justifier ?
— Je ne veux pas le voir triste.

Alors celle-là, Kuroo ne s'y attendait pas. Il se retourna pour lui faire de nouveau face et scruta son visage désormais neutre. S'il ne se trompait pas, Bokuto et Akaashi ne s'étaient vus que deux fois. Pas assez donc pour créer un véritable lien normalement, mais l'homme devant lui était sincère en disant ne pas vouloir le voir triste. Qu'elle en était la raison ? Parce que ça l'embêtait de devoir gérer le comportement enfantin du bicolore ? Ou parce qu'il s'y était déjà attaché ? Il se rappela du jour où son colocataire lui avait dit que le brun n'était vraiment pas bavard mais gentil, et du moment où ce dernier lui avait dit ne pas être à l'aise quand il s'agissait de parler avec des gens. Décidément, il était de plus en plus intrigué par ces deux-là.

— Ne vous inquiétez pas, je ne dirai rien. Il me harcèlerait aussi et je ne suis pas assez fou pour me faire subir ça.

Distraitement, il caressait le haut du crâne de Kento, désormais assis contre sa jambe, à la recherche d'affection. Le vent se fit un peu plus fort et les pans de son blazer s'envolèrent derrière lui, laissant l'air frais s'infiltrer dessous. Il frissonna et jeta un coup d'œil à sa montre.

— Bon, je vais devoir vous laisser, ma pause est terminée. Ce fut un réel plaisir de vous rencontrer.
— Oh, pour moi aussi, marmonna le plus jeune.
— Ne faîtes pas cette tête, je suis sûr qu'on sera amené à se recroiser !

En voyant l'œillade inquiète qu'il reçut, Kuroo éclata de rire en s'éloignant. Après un dernier geste de la main, il planta Akaashi et Kento, et partit en direction de la mairie. Il sentit une vibration dans sa poche et sortit son téléphone. Il le déverrouilla, vit un message d'Alisa, et un autre de Suna ; ce dernier le pressait de revenir à l'heure pour la réunion qui allait avoir lieu. Un soupir passa la barrière de ses lèvres lorsqu'il se dit qu'il aurait aimé embêter Akaashi un peu plus longtemps. Imaginer la réaction de Bokuto lorsqu'il lui annoncerait avoir rencontré son fantôme lui redonna le sourire et il pressa le pas.

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