Chapitre 3
Adossé contre le mur et les bras croisés, Akaashi fixait Aisu d'un air mécontent. La jeune femme portait un très large sweat gris tombant au niveau de ses genoux et un jogging à l'air très confortable, le tout accompagné d'une paire de claquettes au style indescriptible pour l'employé. Elle avait attaché ses longs cheveux châtains en un chignon lâche d'où quelques mèches plus courte s'échappaient, tombant sur ses épaules et encadrant son visage.
— Vous ne vous êtes absentée qu'un jour.
— Il n'y a pas besoin de plus de temps pour détruire l'équilibre d'un lieu, rétorqua la bibliothécaire.
Elle continua de faire glisser son index sur la tranche des livres défilant devant ses yeux inquisiteurs.
Lorsqu'Akaashi était arrivé, à l'heure cette fois-ci, Aisu était déjà entre les étagères de livres, analysant l'emplacement de chaque bouquin. Il lui avait trouvé un air fou au moment où son regard écarquillé s'était posé sur lui et, avant même qu'il ne puisse faire le moindre commentaire, elle avait levé un doigt pour lui intimer de garder le silence. Il avait tenu neuf minutes avant de finalement prendre la parole.
— Et votre mari en pense quoi ?
— Il était occupé à nettoyer son potager, après la tempête et la pluie des deux derniers jours il en a bien besoin. Je suis partie en douce.
— Vous avez fugué ? s'étonna Akaashi.
En l'entendant, Aisu, qui était difficilement accroupie, se releva, une main appuyée sur une étagère et lui jeta un regard contrarié.
— Pourquoi faut-il toujours que tu tournes les mots de telle façon à me ridiculiser ? J'ai l'air d'une enfant quand tu parles de fugue.
— Au moins ça vous rajeunit.
— Qu'est-ce que tu cherches aujourd'hui ? grinça-t-elle, les mains sur les hanches.
Au même moment, Yaku et Lev entrèrent dans la bibliothèque et s'immobilisèrent en voyant leur supérieure énervée.
— Je cherche à vous faire rentrer chez vous. Travailler vous épuise et ce n'est pas bon pour le bébé. Une classe de collégiens va débarquer dans pas longtemps et je ne crois pas que ce soit une bonne chose pour vous de les voir rôder autour de vos livres.
— Oh non, c'est aujourd'hui ? C'est vraiment nécessaire de faire venir ces sauv...–
— Aisu-san, on a cette conversation à chaque fois, intervint Yaku avant de se tourner vers ses cadets. C'est dans le programme scolaire, chaque an les dernières années viennent choisir un livre d'un genre précis pour faire un devoir dessus ; ça change d'une année à l'autre mais ce qui ne change pas c'est madame la bibliothécaire qui n'aime pas les voir manipuler ses livres adorés.
— Ils ne sont vraiment pas soigneux. Pour la majorité, ils viennent contre leur gré et ne prennent donc pas la peine d'être respectueux avec le matériel mis à leur disposition.
Yaku haussa les épaules en répondant "C'est l'adolescence !" puis enleva son manteau, imité par Lev, attentif à leur échange. Leur collègue garda les bras croisé, le regard toujours rivé sur la bibliothécaire qui comprit qu'insister ne la mènerait nulle part. Une main posée sur son ventre rond, elle quitta la grande salle pour aller récupérer son manteau accroché à l'entrée et après plusieurs consignes données, elle quitta finalement le bâtiment.
Le calme reprit sa place et les trois hommes soufflèrent, soulagés qu'elle n'ait pas plus insisté pour rester.
— Son mari aurait fini par venir la chercher, elle a déjà fait le coup il y a deux ans alors qu'elle avait la grippe. Elle était toute emmitouflée, seuls ses yeux et ses cheveux étaient visibles. Tout le monde voyait bien qu'elle était souffrante mais elle était toujours là, fidèle au poste. Jusqu'à ce que son mari rentre le midi chez eux pour manger et se rende compte qu'elle n'était pas là. Il a dû la traîner de force hors de la bibliothèque...
— C'est donc ça être passionné ? demanda Lev.
— Je me demande si ce n'est pas un poil plus fort que la passion, répondit Akaashi.
Installé derrière l'ordinateur, le jeune homme venait de sortir son onigiri du petit sac en papier et mordit dedans, prenant une grande bouchée. Un sourire satisfait étira ses lèvres alors qu'il savourait son petit-déjeuner.
Ses deux collègues vaquèrent à leurs occupations et une trentaine de minutes plus tard, un brouhaha se fit entendre tandis qu'une masse passait devant les grandes fenêtres. Akaashi sentit l'appréhension le gagner. Il n'était pas du tout à l'aise avec les adolescents, ne comprenant jamais ce qu'ils pensaient. Leurs yeux lui faisaient plutôt peur, toujours emplis d'expressions différentes, malins, moqueurs, tristes, intrigués, ennuyés... Il n'était pas doué pour lire les émotions et les adolescents bouillonnaient d'émotions et sentiments multiples.
Par chance, Yaku avait compris son inquiétude et c'est pour cela que Lev et lui seraient ceux s'occupant principalement des collégiens. Bien décidé à ne pas interagir plus que nécessaire avec les futurs arrivants, Akaashi s'enfonça un peu plus dans son fauteuil à roulettes et braqua son regard juste au dessus de son écran pour les voir arriver. En voyant le professeur apparaître devant la porte vitrée, il fronça les sourcils. La porte s'ouvrit en grand.
— Chut les enfants, c'est une bibliothèque je vous rappelle...
— Oui mais Monsieur, vous ne vouliez pas venir vous non plus !
— Alors oui, mais c'est parce que ce n'est pas mon rôle et j'ai du travail en retard... Oh bonjour, pardon, est-ce qu'on est en retard ?
Un homme avec un bras en écharpe et à la carrure assez imposante se décala pour laisser entrer ses élèves. Ses yeux mordorés et sa chevelure grisée en deux tintes frappèrent Akaashi et il resta immobile, trop surpris pour réagir.
Yaku eut un rictus en entendant les collégiens râler plus ou moins discrètement et salua le professeur. Quant à Lev, il attira rapidement l'attention de tous les nouveaux venus, déclenchant quelques murmures voire cris de stupéfaction.
— Un géant !
— Un titan !
— Je vais avoir un torticolis si je continue de le regarder, au secours !
Alors que l'argenté ne savait pas comment réagir face à cette avalanche de commentaires relativement indélicats, le plus vieux contint difficilement un rire moqueur tandis que le professeur, visiblement dépassé, essayait de retenir ses élèves.
— Non mais... Pourquoi vous êtes comme ça aujourd'hui ? Vous allez me faire mourir de honte, c'est pas possible...
Puis il se tourna vers les deux employés de la bibliothèque pour se présenter.
— Bonjour, je suis Bokuto, leur professeur de sport... Ma collègue est malade et j'étais le seul remplaçant disponible. Je m'excuse par avance, je pense correspondre pas mal au cliché du prof de sport un peu idiot qui n'y connaît rien en livre.
— Ne vous en faîtes Bokuto-san, on a tendance à voir ce fameux cliché avec un corps bien différent du votre, répondit le roux avec un large sourire. Je me présente, je suis Yaku, le responsable en l'absence de notre supérieure, voici Lev, notre petit nouveau, et Akaashi qui se planque derrière son ordinateur.
En entendant son nom, ledit Akaashi se tassa un peu plus, mortifié à l'idée d'être reconnu.
— Il est un peu timide, continua Yaku.
En grognant, le brun décida de bouger avant que son aîné ne l'enfonce un peu plus. Il fit seulement dépasser sa tête de l'ordinateur et braqua son regard sur la vingtaine d'élèves tournée vers lui. Il retint un couinement apeuré.
— Bonjour.
Il se baissa à nouveau, ne supportant pas davantage le regard perçant du professeur braqué sur lui. Quelques filles murmurèrent sur le physique avantageux de l'homme et il se concentra sur son écran. Heureusement, cela sembla suffire à Yaku qui attira l'attention des collégiens pour les mener vers la salle principale, accompagné de Lev.
Une fois l'entrée vide, Akaashi laissa échapper un long soupir en s'appuyant contre le dossier de son fauteuil, les yeux fermés.
— Bonjour !
— Ah !
Le brun manqua de tomber en sursautant et il se trouva nez à nez avec une paire d'yeux lumineux bien près de lui. Bokuto n'avait pas suivi sa classe, s'était avancé jusqu'à lui et s'était penché par dessus le comptoir. Il avait un large sourire et restait dans cette position, attendant une réponse.
— J'ai déjà...–
— Vous n'avez regardé que les élèves, je pensais que vous ne m'aviez pas remarqué.
Incapable de soutenir son regard innocent, Akaashi tourna la tête et fit reculer son fauteuil de quelques centimètres.
— Bonjour Bokuto-san.
— Vous connaissez mon nom ?!
— Vous vous êtes présenté il y a quelques instants...
— Donc vous m'aviez bien remarqué. Ma présence vous gêne ?
Il se redressa, l'air penaud et le bibliothécaire se maudit pour être tombé dans son piège.
— Non, ce n'est pas ça... Je me sens coupable.
— Coupable de quoi ?
— Votre bras. Vous êtes finalement bien blessé et c'est de ma faute, annonça le brun en pointant du doigt l'écharpe.
Tout en suivant le geste des yeux, Bokuto lui dit que ce n'était rien et que d'ici quelques jours il irait mieux. Face à l'air sceptique de son interlocuteur, il bomba le torse.
— Je suis costaud vous savez !
— Il faudrait être aveugle pour ne pas le voir. Il n'empêche que je suis responsable de votre blessure. En plus vous être professeur de sport, vous ne pouvez pas vous permettre de vous retrouver bloqué de la sorte.
Inclinant la tête, Bokuto resta muet, scrutant Akaashi qui se sentit mal à l'aise. Ses yeux scannèrent son visage et descendirent lentement au niveau de son cou, ses épaules puis son torse.
— Vous vous sentez drôlement impliqué, finit-il par dire.
— C'est que...–
— Je suis l'idiot qui a jugé bon de faire du vélo sous un orage, je suis responsable, point, asséna-t-il.
Akaashi referma la bouche, surpris face au ton autoritaire qu'il avait employé. Il remarqua une flamme de détermination danser dans ses prunelles et il soupira, rendant les armes.
— Je pourrais au moins vous inviter à manger ce midi ? Pour soulager ma conscience.
— Je ne peux jamais refuser un repas en bonne compagnie, s'émerveilla le bicolore.
****
Pianotant sur son téléphone portable, Akaashi attendait à côté de l'entrée de la bibliothèque, emmitouflé dans son épais manteau en laine et le visage à moitié caché derrière une grosse écharpe d'un bleu sombre. En le voyant ainsi, Bokuto accéléra le pas pour arriver à sa hauteur.
— Akaashi-san ! Je suis désolé pour l'attente, le directeur voulait un compte-rendu de la sortie de ce matin. Je suis persuadé qu'il me croyait incapable de surveiller cette classe d'hyperactifs !
Pour toute réponse Akaashi plissa les yeux, signe qu'il souriait, puis il rangea son téléphone dans sa poche.
— Heureusement qu'il ne pleut pas aujourd'hui, le taquina-t-il.
Il s'esclaffa en voyant l'air de chien battu sur le visage du professeur et il lui attrapa le bras pour l'entraîner à sa suite.
La pluie avait effectivement laissé place au froid, couplé à l'humidité des derniers jours. Bokuto n'avait mis que quelques minutes pour faire le trajet entre le collège et la bibliothèque mais il sentait déjà le bout de ses doigts s'engourdir et ses oreilles geler.
Ce qui était pratique dans le fait de vivre dans un village de campagne, c'était d'avoir tout à proximité à pieds ; commerces, culture, école, administration, tout se trouvait en son centre, le tout séparé par quelques quartiers d'habitations.
Il ne leur fallut donc pas plus de dix minutes de marche pour arriver face à la devanture du restaurant Miya's food.
— J'ai toujours été curieux vis-à-vis de ce nom.
— Osamu n'a jamais été très inventif quand il s'agit de nommer quelque chose... Je crois aussi qu'il ne voulait pas tourner autour du pot.
— Vous connaissez le proprio ? s'étonna Bokuto en ouvrant la porte au jeune homme.
— Nous sommes amis depuis l'école primaire.
Akaashi le remercia d'un signe de tête et entra, avant que le bicolore ne referme la porte derrière eux. Le premier les dirigea vers une table à côté de d'une fenêtre où trônait sur son rebord une plante grasse. Seules quelques tables étaient occupées en ce milieu de semaine, créant une ambiance chaleureuse et peu bruyante, les clients ayant la délicatesse de ne pas crier à tue-tête.
L'ami du propriétaire trouvait que ce dernier avait réussi à créer un lieu particulièrement accueillant, avant son plancher vintage en châtaignier, ses poutres apparentes sur un plafond crème, tout comme les murs. Les encadrements des cinq fenêtres étaient également en bois et sur leurs rebords trônaient plantes ou sculptures en cuivre à l'effigie de personnages faisant une activité quelconque sortis tout droit de l'imagination de Tendou. Il s'agissait de son unique contribution à la décoration de la salle. Les tables et chaises étaient en bois de chêne, plus clair que les autres, allant de deux à douze places.
— Est-ce que ça signifie que vous mangez gratuitement ici ? demanda le professeur en s'asseyant sur la chaise que lui présentait le brun.
— Oh non, pas du tout, s'esclaffa celui-ci. Osamu est bien près de ses sous. Et puis, je mange si souvent ici qu'il finirait par faire faillite.
Bokuto ricana en le questionnant sur ses talents culinaires.
— Ils sont malheureusement inexistants !
Un serveur s'approcha et les salua. Il leur tendit à chacun un menu et déposa une carafe remplie d'eau avant de s'éloigner vers une autre table, leur laissant le temps de choisir ce qu'ils souhaitaient manger.
Après s'être mis d'accord sur une dégustation de différents makis et sushis, ils commandèrent et le serveur repartit.
— C'est quand même incroyable d'être tombé l'un sur l'autre ce matin !
— C'est sûr que si on m'avait dit que je croiserais un professeur de sport emmenant sa classe à la bibliothèque, je ne l'aurais pas cru...
Bokuto fit la moue et répondit que ce n'est pas ce qu'il voulait dire. Le brun inclina la tête sur le côté, attentif.
— J'étais persuadé de connaître tout le monde ici alors quand je vous ai vu l'autre jour, j'étais un peu perdu. Est-ce que nous nous sommes déjà rencontrés ?
— Non, je me serais souvenu de vous.
— C'est aussi ce que je me suis dit. Alors hier j'y ai réfléchi...
— Vous avez de drôles d'occupations.
— ... et, ne vous moquez pas, mais j'en étais venu à la conclusion que vous étiez un fantôme. Mon amie m'a dit que c'était tout à fait possible, elle n'a pas su me dire qui vous étiez lorsque je vous ai décrit !
Akaashi resta dubitatif, semblant ne pas en croire ses oreilles.
— Je dois vous avouer quelque chose moi aussi.
— Oh ?
— J'ai eu peur que vous ne soyez quelqu'un d'étrange qui voulait me faire du mal lorsque nous étions sur le chemin pour aller chez vous.
Complètement abasourdi, Bokuto sentit sa mâchoire se décrocher et Akaashi éternua, le réveillant.
— Mais, vous êtes celui qui a proposé de me ramener !
— Vous auriez pu être malin et me manipuler pour que j'en arrive à faire une telle proposition !
— Est-ce que vous sous-entendez que je ne suis pas malin ?
Pour toute réponse, le brun esquissa un sourire et l'autre homme croisa les bras, l'air boudeur. Akaashi s'excusa en riant et Bokuto se dérida.
— Je vois que nous avons chacun une imagination débordante, dit le brun.
— En effet. Mais je pense être celui qui est allé le plus loin. Pour vérifier ma théorie, j'ai voulu retourner sur le pont cette nuit mais lorsque j'en ai parlé à Tendou, il m'a empêché de sortir en me disant que j'étais un idiot qui passait son temps à mettre sa vie en danger.
Il pouvait voir les lèvres de son interlocuteur frémir, signe qu'il contenait un rire et lui dit qu'il n'était pas obligé de se retenir.
— Si je ne le fais pas, j'ai peur de rire trop fort, répondit Akaashi avec difficulté.
Le serveur revint à cet instant avec un grand plateau, généreusement fourni et Bokuto eut l'eau à la bouche, le regard illuminé. Il remercia chaleureusement Akaashi et ils commencèrent à manger.
— Vous avez dit "Tendou" tout à l'heure ? demanda soudainement le brun.
— Oui, c'est mon colocataire et il travaille ici d'ailleurs. Pourquoi ?
— Je le connais vaguement, nous avons déjà discuté.
Bokuto écarquilla les yeux en s'exclamant que le monde était vraiment petit. Puis il se rappela d'une information donnée par l'homme en face de lui.
— Donc vous, vous êtes amis avec Miya Osamu depuis l'école primaire ?
— En effet.
— Je suis jaloux, je n'ai aucune amitié remontant aussi loin.
Akaashi posa sa tête dans le creux de sa main et afficha un air rêveur.
— Je ne sais pas vraiment comment nous avons fait pour rester amis tout ce temps. Ça s'est fait naturellement je pense, nous n'avons jamais eu à nous questionner là-dessus. Nous sommes amis, tout simplement. La plus longue période où nous avons été séparés a été lorsqu'il a quitté Tokyo pour installer son restaurant ici.
— Ah ! Vous venez d'emménager ?
— Ça va faire deux mois. Il m'a demandé de le rejoindre au bout d'un an, il a proposé ma candidature à la bibliothèque et dès que j'ai été engagé, j'ai tout quitté pour venir m'installer ici.
Bokuto était impressionné. Il observait le jeune homme parler avec calme de sa relation avec Miya comme s'il s'agissait d'une chose banale alors qu'il était évident qu'ils avaient un lien particulier. Curieux, il lui demanda s'il se rappelait du moment où ils étaient devenus amis.
— Oui. Je crois que c'était en deuxième année ? Osamu venait de se disputer pour la énième fois avec Atsumu mais cette fois-ci, il était en pleurs. Son frère y avait été un peu fort alors je me suis approché et je lui ai mis un pansement avec des onigiris imprimés sur la main. Je crois n'avoir jamais vu quelqu'un arrêter de pleurer aussi vite. Je me souviens encore de son regard, comme s'il observait la huitième merveille du monde. Suite à ça, nous ne nous sommes plus jamais quittés. Enfin, au début c'est lui qui me suivait partout mais j'ai fini par l'apprécier. J'ai aussi sympathisé avec son frère, mais ce n'est pas pareil.
— C'est absolument incroyable et improbable. Pour son frère, il n'y a pas eu cette espèce de connexion, c'est ça ?
— Si on veut, répondit Akaashi avec un demi sourire.
Il avala un maki et une expression satisfaite prit place sur son visage. À son tour, il demanda à Bokuto comment il avait rencontré Tendou.
— Oh, ce n'est pas aussi intéressant.
— Vous trouvez qu'un pansement c'est intéressant ?
— En tout cas celui-ci a créé une relation durable, c'est pas rien ! pouffa le bicolore. Sinon, j'ai rencontré Tendou en première année au lycée, on était dans la même classe. Il était tout seul dans son coin et ne parlait quasiment jamais. Un jour j'ai entendu un redoublant se moquer de lui et ça m'a énervé. Je ne sais plus exactement ce que je lui ai dit... Mais pour résumer, je l'ai traiter d'imbécile qui cherche à attirer l'attention et il n'a pas aimé. On s'est battus mais j'ai bien évidemment gagné.
— Bien évidemment.
— Tendou ne comprenait pas qu'un inconnu prenne sa défense alors je lui ai dit que je n'étais pas un inconnu mais Bokuto Koutarou et qu'à partir de cet instant j'étais son ami. On a passé le reste du lycée ensemble et même si on a été dans des Universités différentes, on est restés en contact. Une fois diplômés, on s'est retrouvés, on a enchaîné les petits boulots à droite à gauche puis on cherché du travail ensemble et la chance a fait qu'on a tous les deux été pris ici à peu près en même temps.
Akaashi s'adossa contre sa chaise et haussa un sourcil, le regard rivé vers Bokuto qui englouti un sushi.
— Et donc ça, c'est moins bien qu'un pansement ?
— Vous sous-estimez les pansements Akaashi-san.
Éclatant d'un rire cristallin, le brun se tourna vers la fenêtre. Bokuto suivit son regard et observa les nuages blancs ne laissant entrevoir que de minces rayons de soleil. Tout était encore mouillé dehors mais vu la clarté du ciel nuageux, il se dit qu'ils allaient avoir quelques jours de répit.
— Vous avez l'air d'être une bonne personne, dit Akaashi, les yeux toujours perdus vers l'extérieur.
— Vous trouvez ? demanda le bicolore en suivant du regard une voiture qui passait. On ne s'est vus que deux fois pourtant. Et à notre rencontre, vous avez cru que j'étais un homme dangereux.
— Ça ne vous ai jamais arrivé de faire une erreur de jugement ?
Akaashi fit la moue, boudeur, faisant doucement rire le gris qui le trouva touchant. Il semblait réellement s'en vouloir d'avoir pensé que Bokuto pouvait être un psychopathe cherchant à lui faire du mal. Ce dernier lui dit de manger le dernier maki restant sur le plateau et ses iris bleus scrutèrent les siens, comme s'ils étaient à la recherche de quelque chose. Il pinça les lèvres, ne comprenant pas son silence alors il répéta sa phrase, poussant légèrement le plateau dans sa direction.
— Je suis celui qui vous invite, ce serait à moi de vous le laisser.
— Je vous ai taquiné, je veux me faire pardonner.
À nouveau, le brun inclina la tête sur le côté et un sourire étira ses lèvres.
— Vous êtes vraiment une bonne personne, annonça-t-il en attrapant le maki.
****
Osamu était heureux de voir en ouvrant ses volets qu'il ne pleuvait pas. La pluie signifiait moins de gens dehors, et si les gens ne sortaient pas, ils ne venaient pas manger au restaurant. Pas qu'il ai un besoin impérieux d'argent, la boutique tournait à merveille. Seulement il aimait servir les clients, voir le plaisir sur leur visage lorsqu'ils dégustaient leurs plats, leurs sourires et leurs remerciements lorsqu'ils payaient l'addition et quittaient l'établissement.
Arrivé de bonne heure pour faire l'ouverture du Miya's food, il passa un coup de balais dans la salle de restauration, arrosa les plantes et leur raconta sa soirée. Il s'agissait là de son rituel quotidien. Osamu vivait seul et n'avait pas d'animaux de compagnie, alors il discutait avec ses plantes. Lorsqu'il eut fait le tour de toutes les tables et fenêtres, il s'arrêta devant un coin vide. Pensif, il réfléchit à ce qu'il pourrait y mettre pour égayer ce côté de la salle et alors qu'il poussait une exclamation, la clochette placée au-dessus de la porte d'entrée tinta.
— Un ficus, ce serait parfait !
— Tu veux encore rajouter des fleurs ? demanda Tendou en se dirigeant vers la cuisine d'un pas nonchalant.
Son patron leva les bras au ciel, scandalisé par ce qu'il venait d'entendre.
— Un ficus ça se rapproche plus d'un tout petit arbre que d'une fleur, ignare !
— J'suis cuistot, pas paysagiste, rétorqua le rouge en baillant.
Abandonnant son poste, Miya le suivit en cuisine et l'observa attentivement. Des larmes perlaient au coin de ses yeux à cause de ses bâillements à répétition et des cernes se dessinaient sous ses yeux. Le col de sa chemise était à moitié plié et il avait visiblement oublié de rentrer l'arrière de son vêtement dans son pantalon.
— Tu tentes de lancer une nouvelle mode ? demanda le gérant en tirant sur le pan de tissu.
Tendou sursauta et après un coup d'œil dans son dos, il grommela et rentra correctement sa chemise. Il leva les bras à mi-hauteur, demandant implicitement s'il avait meilleure allure et Miya soupira en se rapprochant de lui pour plier son col correctement.
— Ça ne te réussit pas la colocation, ils trouvent rien à redire quand ils te voient partir comme ça ?
— Tu penses réellement qu'ils sont debout quand je pars bosser ?
Osamu appuya son bassin contre le plan de travail et croisa les bras, affichant une mine exaspérée.
— Tu ferais mieux de te trouver une femme. Ou un mec, ou qu'importe, quelqu'un qui prenne soin de toi. Et qui surveille ton sommeil. Je suis prêt à parier que tu t'es encore couché à pas d'heure à cause de Bokuto.
— Je vais finir par croire que tu as placé des caméras chez moi, marmonna Tendou en attrapant son tablier.
Il le noua autour de la taille et récupéra sa toque de chef avant de faire de nouveau face à son patron.
— J'ai rien raté cette fois ?
— Non ne t'en fais, répondit Miya avec un sourire en coin. Alors, avec Bokuto ?
Après avoir lâché un énième soupir de lassitude, le cuisinier vérifia les stocks tout en racontant sa soirée.
En rentrant du travail, il avait trouvé Bokuto et Kuroo assis sur le canapé en train de discuter avec énergie. Il leur avait demandé ce qu'il se passait et le brun, mort de rire, avait frappé la cuisse de son comparse, lui disant de vite raconter ce qu'il venait de lui dire. Le bicolore s'était exécuté en expliquant qu'il était presque sûr que l'homme qu'il avait vu la veille sur le pont était un fantôme puisqu'il ne l'avait jamais vu et qu'il ne savait même pas son nom.
— Mais si tu ne sais pas comment il s'appelle c'est parce que tu ne lui as pas demandé ! s'était exclamé Tendou.
— Et tu ne trouves pas ça bizarre ? Ça ne me ressemble pas de ne pas poser de questions !
Le rouge avait beau eut lui dire que c'était dû au choc de la chute, son ami n'avait rien voulu entendre et avait continué de dire qu'il s'agissait très certainement d'un esprit attendant toutes les nuits sur le pont, à la recherche de nouvelles rencontres.
Kuroo pleurait de rire pendant que Tendou restait sans voix et, ce ne fut qu'au moment où Bokuto se leva, annonçant qu'il allait y retourner, que le rouge frappa dans ses mains, réclamant le silence. S'en était alors suivi une discussion houleuse où il alternait entre interdiction de sortir pour le gris et demande de soutien de la part du brun qui semblait prendre un plaisir fou à assister à un tel chaos. Il avait toutefois fini par avoir de la peine pour le rouge qui semblait exténué et avait cogné Bokuto en lui expliquant que ce n'était pas un fantôme mais bien un être humain et qu'il le retrouverait pour lui. Le musclé avait alors abdiqué et Tendou avait pu aller se coucher, l'esprit moyennement tranquille.
— Tu avais peur qu'il sorte en douce pendant que vous dormiez ? demanda Osamu, un sourire aux lèvres.
— Oui, soupira son ami en saluant Fushiguro, un commis qui venait d'entrer dans la cuisine. Il en aurait été parfaitement capable. Inconsciemment j'ai eu le sommeil léger alors la nuit a été longue...
Gentiment, le gérant déposa une main sur la nuque de son cuisinier et exerça une légère pression du bout des doigts.
— Je te laisserai partir plus tôt ce soir pour que tu puisses te reposer. Déjà, Itadori ne revient que demain donc je vous aiderai en cuisine si on a trop de monde.
— C'est pas...–
— C'est non négociable. Je rangerai et nettoierai à ta place, ça ne me fera pas de mal.
Puis il s'éloigna de son ami pour retourner vers l'accueil du restaurant.
Rapidement, l'heure d'ouverture arriva et les premiers clients se présentèrent, des habitués comme des nouveaux et bientôt, le lieu se rempli d'un léger brouhaha ambiant. À 9h pile, Akaashi poussa la porte, faisant relever la tête de son ami penché sur ses comptes. Après de brèves salutations rituelles, Osamu lança à son cuisinier que le brun était arrivé pour récupérer son petit-déjeuner.
— Prêt pour une nouvelle une journée ? demanda-t-il en se retournant vers Keiji.
— Ne m'en parle pas, je sens que la matinée va être longue.
Intrigué, le gris scruta son visage neutre. Seuls ses yeux laissaient voir une certaine anxiété.
— Suis-je donc le seul à apprécier cette journée ?
— Sûrement.
— Raconte moi ce qu'il t'arrive.
— Pas grand chose, répondit Keiji en tendant la monnaie à son ami. On reçoit une classe de collégiens ce matin, je n'ai pas hâte. Yaku m'a dit que je n'aurais rien à faire mais on sait jamais, si Lev n'a toujours pas pris ses marques je vais devoir le seconder.
Il laissa échapper un soupir, comme s'il portait tout le poids du monde sur ses épaules et Osamu compatit. Il savait à quel point son ami avait du mal avec les pré-adolescents et adolescents puisque c'était déjà le cas lorsqu'eux-mêmes l'étaient. C'était à cause de cela qu'il n'avait eu que très peu d'amis et n'avait gardé contact qu'avec les jumeaux Miya, n'ayant pas eu l'occasion de créer de liens forts avec qui que ce soit.
Le gérant observa son ami quitter l'établissement après avoir récupéré sa commande et il retourna à sa paperasse pour le restant de la matinée, alternant avec l'accueil des clients lorsque midi approcha.
Il retourna finalement en cuisine pour voir si Tendou gardait le rythme et ne se laissait pas submerger par la fatigue. En le voyant courir entre la cuisson d'un steak, l'assaisonnement d'une soupe miso et le dressage d'une salade composé, il se dit qu'il lui en demandait peut-être trop.
— Je sais ce que tu penses, et la réponse est non, je m'en sors parfaitement bien.
— Je vais finir par croire que tu entends mes pensées, se moqua Osamu.
Avant que Tendou ne puisse répliquer, un serveur arriva en annonçant une nouvelle commande, un grand plateau dégustation de sushis et makis. Le gris tiqua et demanda au jeune homme s'il s'agissait d'une commande faite par Akaashi, ce à quoi il reçu une réponse affirmative.
— C'est un peu flippant d'avoir demandé à tout ton personnel de retenir le nom et visage de ton ami, lança Tendou en donnant l'assiette de salade au serveur. On dirait une mère surprotectrice.
— Je veille sur mon meilleur ami, je vois pas où est le mal, rétorqua Osamu en quittant la cuisine. Puis tu peux parler, t'es exactement pareil avec Bokuto.
Arrivé derrière le comptoir de l'accueil, il scruta la salle où mangeaient les clients et son regard tomba sur une table contre l'une des fenêtres. Quelle ne fut pas sa surprise en voyant Keiji avec un homme, en pleine discussion qui plus est. Il sentit la présence de son chef cuisinier derrière lui et un sourire narquois étira ses lèvres.
— Je vois que toi aussi tu veux savoir.
— Tu nous as tous matrixé, j'y peux rien.
— C'est pas Bokuto le mec aux cheveux étranges avec lui ? demanda Osamu en ignorant sa remarque.
— Si pourquoi ?
— On dirait qu'il a apprivoisé Keiji.
Au loin, ils virent le brun éternuer.
— Ça c'est ta faute.
— Il ne parle à personne à part ses collègues et là il mange avec ton coloc ? Non mais qu'est-ce qu'il se passe ?
Il voulu les rejoindre mais la poigne de Tendou l'en empêcha.
— Ne fais pas ça !
— Et pourquoi pas ?
— Quand les parents deviennent intrusifs, les enfants se renferment un peu plus, c'est bien connu. Si tu vas le voir maintenant il risque de fuir alors qu'ils semblent bien s'entendre. Tu voudrais pas gâcher une potentielle amitié pour ton fils introverti quand même ?
Ne sachant pas quoi répondre à cela, Miya se détourna de la salle de restauration et ils retournèrent dans la cuisine. Il questionnerait Keiji plus tard, lorsqu'ils seraient seuls.
— Non mais franchement... Comment tu peux raconter de pareilles absurdités tout en ayant un raisonnement logique ?
— L'habitude de te côtoyer, on devient tordu.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top