Chapitre 22
— Bonjour, vous auriez quelques minutes à nous accorder ?
Osamu releva les yeux de ses feuilles pour voir le duo qui se tenait face à lui. Un homme et une femme, tous deux vêtus de noir et gris dans des vêtements très formels. Il se demanda l'espace d'une seconde s'ils ne revenaient pas d'un enterrement et leur expression neutre lui indiqua que non. Du moins, il l'espérait.
— Bien sûr.
Il posa la liste de l'inventaire derrière le comptoir et fit un sourire accueillant vers les deux inconnus.
— Êtes-vous installés ici depuis longtemps ? demanda la femme.
— En tant que patron, deux ans.
— C'est assez récent donc... Je ne crois pas avoir vu d'autres restaurants dans le secteur ?
— En effet, le plus proche est à vingt minutes de route. J'ai repris l'affaire de mon ancien patron parti à la retraite.
— Intéressant.
L'homme avait sorti un petit calepin pendant la discussion et prenait des notes. Osamu commença à se sentir mal à l'aise.
— Excusez moi, je ne vous ai pas demandé vos noms...?
— Suzuki Nao et voici mon collègue Yamamoto Ryota. Nous sommes venus vous voir car nous sommes en pleine prospection.
Le jeune homme leva les sourcils.
— Une étude de marché pour être plus précis, intervint l'homme d'une voix profonde.
Il n'avait pas quitté son calepin des yeux et Osamu mit une seconde avant de comprendre qu'il s'adressait à lui. Son malaise monta d'un cran.
— Voilà, donc nous cherchons à connaître les habitudes du client dans le secteur.
— Et vous voulez proposer quel produit ? questionna le restaurateur dont la patience commençait à s'amoindrir. Ou quel service ? Vous souhaitez ouvrir un restaurant ?
— Non, un supermarché.
— Pardon ?
— Qu'est-ce que vous dîtes ? Un supermarché va ouvrir ? s'exclama une voix derrière Suzuki et Yamamoto.
Tous deux se retournèrent et Osamu se pencha sur le côté pour voir qui venaient de les interrompre. Il soupira lorsqu'il croisa le regard horrifié de monsieur Nakamura. Il s'agissait du doyen du village et, comme on pouvait l'attendre de lui, il chérissait ses habitudes et l'ambiance traditionnelle qui régnait ici. Aucune enseigne issue d'une chaîne n'avait encore vu le jour dans ce coin reculé et le village subsistait grâce à l'agriculture, l'entraide et les deux épiceries, l'une au sud, l'autre nord. Elles se complétaient dans la proposition des produits et si quelqu'un avait besoin de quelque chose de plus spécifique, la ville la plus proche était à moins de vingt minutes. Tout le monde était habitué et personne ne semblait jamais s'en être plaint au point de vouloir faire changer les choses. La municipalité n'avait pas d'ambition ou de projet d'expansion – avec les commères qui y travaillaient, l'information aurait immédiatement était relayée – qui nécessitent l'arrivée d'un supermarché.
— Mais pour quelle raison ?
— Bonjour monsieur, nous travaillons pour...–
— Je me fiche bien de savoir pour qui vous travaillez, coupa M. Nakamura. Vous devez être des sous-fifres d'une enseigne qui pollue notre beau pays avec ses désirs d'argent et de capitalisme ! Vous voulez réduire en cendres de belles épiceries familiales ? Elles étaient déjà là bien avant que vous ne veniez au monde !
Osamu se demanda s'il fallait l'arrêter ou le laisser effrayer les deux prospecteurs. Après tout, lui non plus ne voulait pas d'un magasin ici. Il n'aimait pas ces grosses infrastructures et cela ferait de l'ombre à son restaurant ainsi qu'aux épiceries du coin.
— Ce ne serait qu'un simple supermarché ?
— Des locaux pour des boutiques pourraient être construits afin de créer un centre commercial. C'est encore en discussion.
— Mais vous êtes...–
— Monsieur Nakamura calmez-vous ! l'interrompit Osamu. Rien n'est encore sûr, on peut toujours voir pour interrompre le projet.
— Vous pouvez toujours essayer, les nargua Suzuki.
Osamu passa la moitié du corps par dessus le comptoir pour attraper la canne du doyen, devenu rouge de colère.
— Venir chez nous pour nous parler ainsi me semble bien impoli, lâcha-t-il d'une voix glaciale à l'attention de la femme désormais un mètre plus loin.
Yamamoto posa une main sur l'avant-bras de sa collègue et ils échangèrent un regard. Cette dernière réajusta son blazer avant de se retourner vers le restaurateur.
— Vous avez raison, c'était peut-être présomptueux de ma part, je vous prie d'accepter mes excuses.
— Nous vous remercions pour le temps que vous nous avez accordé, nous allons vous laisser maintenant, compléta l'homme en costume.
Ils s'inclinèrent très légèrement avant de tourner les talons pour quitter les lieux. Osamu et Nakamura les regardèrent partir en silence avant de reporter leur attention l'un sur l'autre. Aucun des deux n'avait bougé.
— Tu aurais dû me laisser faire.
— Je ne crois pas, non.
*****
Aujourd'hui.
Il le ferait aujourd'hui.
Bokuto aurait son premier baiser avec Akaashi et rien ne l'en empêcherait.
Du moins c'était ce qu'il pensait en se levant ce matin. Il était bientôt 19h, et aucun contact intime n'avait encore été amorcé aujourd'hui. Ils ne s'étaient même pas tenus la main ! Son petit ami était dans la cuisine en train de préparer le dîner pendant qu'il était affalé sur le tapis dans le salon, subissant les assauts de Kento. Il se protégeait le visage d'une quelconque léchouille malvenue tout en sentant le stress grimper en lui.
Une semaine. Cela faisait une semaine qu'ils s'étaient mis en couple. Comment pouvaient-ils ne pas se faire le moindre baiser ? Bokuto n'y comprenait rien. C'était comme si cela ne venait pas à l'esprit du bibliothécaire. Il n'avait jamais abordé le sujet ni initié la moindre tentative. Il ne lui avait jamais laissé la moindre ouverture non plus. Tout ce qu'ils avaient fait – et c'était Bokuto qui l'avait fait – c'était un simple bisou sur la tempe. Un instant de courage, sorti de nulle part. Et même là, Akaashi n'avait pas réagi. Ils ne s'étaient même encore jamais câlinés sur le canapé devant un film ! C'était son rêve le plus cher à l'heure actuelle.
Il savait bien que c'était idiot de se prendre la tête pour ça et qu'il ferait mieux d'en parler avec Akaashi mais il avait peur de ce qu'il pourrait lui répondre. C'était la première fois de sa vie qu'il angoissait à l'idée de poser une question et il ne savait absolument pas le gérer.
Attrapant la balle de l'Akita, il se redressa. Il la lança doucement de l'autre côté du salon et regarda le chien déraper en lui courant après. Faire le vide dans son esprit, c'était ça la solution. Son regard se perdit vers la cuisine d'où il pouvait apercevoir le profil de Keiji coupant activement des pommes de terre. Il était au téléphone avec Osamu depuis plus d'une demie heure. La conversation semblait animée mais il n'y portait pas grande attention, son amoureux avait des écouteurs et parlait d'une voix douce, comme s'il essayait d'apaiser le cuisinier. Si ce n'était pas privé, il lui raconterait très certainement leur discussion.
Kento revint avec la balle dégoulinante de bave et Bokuto grimaça en la récupérant du bout des doigts.
— Ça te dit qu'on joue à autre chose ?
Le chien pencha la tête en s'asseyant à côté de lui. Il le fixa de ses grands yeux pleins d'interrogations puis laissa tomber sa langue sur le côté. Bokuto manqua de s'étouffer de rire et reposa l'objet de son dégoût.
— Il ne reste que les pommes de terre à faire bouillir ! lança Akaashi de la cuisine.
— OK ! Ça ne nous laisse pas beaucoup de temps ça, annonça le gris en se retournant vers Kento, toujours concentré sur lui.
Ce dernier laissa échapper un petit couinement en secouant de plus en plus vigoureusement la queue. Le mouvement faisait bouger son arrière train d'excitation et cela fit sourire le jeune homme. Il se releva et le chien l'imita, tirant davantage la langue. Cette fois il émit un jappement d'impatience et tourna autour de lui. Bokuto n'eut le temps de faire qu'un seul pas en direction de la porte d'entrée pour que le peu de retenue encore présente chez Kento s'envole. Une salve de joyeux aboiements résonna dans le salon pendant que le professeur enfilait ses chaussures. Il attrapa un autre jouet à lancer pour le chien et tous deux sortirent. Il faisait presque nuit et les lumières automatiques s'allumèrent à leur présence. Le ballon couineur fut lancé et Kento s'élança à sa poursuite. Bokuto espérait avoir le temps de suffisamment le fatiguer avant le repas.
Le doux ronflement provenant du salon participait à l'ambiance détendue régnant dans la maison. À peine étaient-ils rentrés que Kento s'était écroulé dans son panier, le souffle court. Il n'avait pas fallu plus de dix minutes pour qu'il sombre et Akaashi avait remercié son partenaire de l'avoir un peu sorti. Ce dernier avait pas mal réfléchi pendant son temps d'amusement avec la grande boule de poils et en était venu à la conclusion – plutôt simple – qu'il devait cesser de se prendre la tête.
— Tout va bien ? Tu es silencieux ce soir, s'enquit Keiji.
— Tu dis ça comme si c'était rare.
— Et bien... Ça l'est.
Bokuto prit une bonne cuillerée de curry qu'il enfourna rapidement. C'était le bon moment, il le sentait. Il eut besoin de quelques secondes pour avaler sa bouchée.
— On ne s'embrasse jamais.
Ça y est. Il l'avait dit, enfin !
— C'est vrai, répondit son petit-ami avec un air surpris.
— Quoi...? C'est tout ce que ça t'inspire ?
— Excuse moi, je ne m'attendais pas à ce que tu me lâches ça de but en blanc. Je ne pensais pas que ça te tracassait.
Akaashi ne semblait pas particulièrement emballé et Bokuto sentit qu'il allait se dégonfler.
—C'est que... Ça fait plusieurs jours maintenant et... Enfin... Non laisse tomber.
Il se replongea dans son assiette, mortifié par la réaction de son petit-ami. Quelque chose clochait ? Est-ce qu'il ne lui plaisait pas ? Est-ce qu'il regrettait ? Allait-il le quitter ?
Son cœur battait si fort dans ses oreilles qu'il n'entendit pas Keiji se rapprocher de lui pour se mettre à genoux à ses côtés.
— Koutarou, enfin ! Calme toi, ne le prends pas comme ça. Je suis désolé si je t'ai donné l'impression d'être insensible ou réfractaire à une quelconque relation physique avec toi, sincèrement. Ce n'était pas du tout mon intention.
Il l'obligea à tourner légèrement sa chaise et pris ses mains dans les siennes avant de les poser sur ses genoux. Bokuto, qui avait gardé la tête baissée, releva un peu les yeux, juste assez pour voir l'expression navrée sur le visage de son amoureux. Ce dernier prit une grande inspiration.
— Si je n'ai rien tenté c'est pour toi.
— Quoi ?
— Je pensais que tu n'étais prêt.
— Que... Mais...? Qu'est-ce qui t'as fait penser ça ? bégaya le gris.
— Ton attitude en général. Déjà à la gare et dans le train du retour de Tokyo. Tu semblais très mal à l'aise avec les rares contacts qu'on a eu. Je me suis dit que tu devais avoir besoin de temps alors j'ai voulu t'en laisser. Je me suis dit que tu initierais un geste quand tu te sentirais prêt. Et j'ai cru que c'est ce qu'il s'était passé l'autre jour ! Quand tu es venu me chercher au travail, tu m'as embrassé.
Il toucha sa tempe, comme s'il sentait encore les lèvres du jeune homme contre sa peau.
— Après ça on a eu une conversation profonde et tu m'as dit que tu m'aimais. J'ai cru que c'était bon, que tu avais passé un cap mais tu n'as rien tenté...–
— C'est parce que tu ne me laisses jamais la moindre ouverture ! explosa Bokuto.
Akaashi se redressa, surpris par l'éclat de voix soudain.
— Je.... Oui, je t'aime ! Je t'aime tout entier, je t'aime sur le plan émotionnel, intellectuel, physique, tout. Je te trouve hyper attirant. J'ai envie de te prendre dans mes bras à chaque seconde, j'aimerais te couvrir de baisers et j'aimerais qu'on ne soit jamais séparés. OK je me rends compte que c'est peut-être un peu flippant en fait, mais je t'assure que mes sentiments sont purs. Je te respecte. Infiniment. Et jamais je ne pourrais te forcer à avoir le moindre contact si tu ne le veux pas. J'ai mal interprété ta distance. J'ai cru que je ne te plaisais pas et que tu souhaitais avoir une relation platonique... Ça m'est monté à la tête, ça m'a paralysé et j'avais l'impression de ne voir aucune ouverture. J'avais peur de faire un geste déplacé, j'avais peur que tu te sentes oppressé... Je... J'aurais dû parler. Tout est de ma faute !
Keiji posa une main sur sa joue tout en se redressant.
— Ne parle pas de faute. Tu as parlé aujourd'hui non ? Quelque chose te tracassais, tu m'en as fait part, le malentendu a été levé. Alors ne te blâmes pas.
Et dans un geste naturel, presque évident, il s'avança davantage et déposa un baiser sur les lèvres d'un Bokuto heureux.
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