Chapitre 18
— Wow, Maman, j'ai l'impression que tu t'es surpassée pour ce repas ! s'émerveilla Keiko en entrant dans cuisine.
Attirée par l'odeur alléchante de la nourriture, la jeune femme avait passé la tête par l'arche menant à la pièce et lorgnait sur les plats disposés sur la table.
— C'est bien la moindre des choses, on ne fête pas le Réveillon de Noël tous les jours. Et puis, nous sommes si peu souvent réunis...
Mme. Akaashi lança une œillade (qu'elle pensait sûrement discrète) à son fils, occupé à dresser l'une des entrées. Il émit un faible soupir mais n'ajouta rien.
— Et c'est justement pour ça qu'il faut en profiter lorsque c'est le cas, plutôt que se faire des reproches et mettre la pression pour des choses qu'on ne veut pas faire.
M. Akaashi passa au même moment et se renfrogna, bien conscient d'être la cible des remarques. Il repartit rapidement sans rien dire. Depuis sa confrontation avec Keiji la veille, il n'avait pas décroché un mot, préférant ruminer en silence. Ce n'était clairement pas pour déplaire à son fils qui n'avait aucune envie de lui parler. Il lui avait fait part de son point de vue et c'était désormais à Kazuko de faire un pas en avant.
*****
Appuyé contre le dossier de sa chaise, Keiji posa délicatement les mains sur son estomac, de peur de vomir. Il aurait cru que son appétit serait moindre à cause de ses préoccupations – causées par la personne juste à côté de lui – et pourtant, il avait suffisamment mangé pour une semaine.
— Je crois que je vais m'installer quelques minutes sur le canapé, je ne me sens pas très bien.
— Cette deuxième part de gâteau était-elle de trop ? se moqua Keiko.
— Moi au moins j'ai terminé mon assiette.
— Ton frère n'a pas tort sur ce coup-là, pouffa Tomi en regardant le dessert à peine entamé par sa femme.
— Il faut que je perde encore six kilos pour retrouver mon poids d'avant.
Elle se pinça le ventre pour accompagner ses mots et son époux leva les yeux au ciel. Keiji sentit qu'il s'agissait d'un sujet de désaccord entre eux et lorsqu'il se leva pour échapper à la présence angoissante de son père, il entendit sa mère féliciter sa sœur.
— C'est important de ne pas se laisser aller après une grossesse, sinon tu ne récupères jamais ta silhouette, affirma-t-elle. Et quand tu as d'autres enfants, tu ne fais qu'accumuler des kilos en plus...–
— Ne t'en fais pas pour ça Maman, l'interrompit Keiko. Il n'y aura pas d'autres enfants.
Installé sur le canapé, son frère jeta un coup d'œil vers la tablée pour voir les réactions de ses parents. Comme il s'y attendait, ils furent atterrés.
— Mais enfin... Vous êtes sûrs de vous ? C'est un peu rapide pour pouvoir affirmer ça.
— Rapide ? J'ai plus de trente ans, je pense pas que "rapide" soit vraiment le bon terme. Je me sens fatiguée comme si j'avais accouchée hier, je n'ai toujours pas récupéré alors je suis désolée, mais non, je ne me vois pas revivre cette expérience en étant plus âgée. Je suis heureuse d'avoir Tomoko, soulagée qu'elle soit née dans de bonnes conditions et qu'elle soit en bonne santé. C'est pour ça que je peux profiter d'elle, tant que nous ne sommes pas encore trop vieux.
Tomi posa une main sur son poing tremblant contre la table avec tendresse. Ils étaient sur la même longueur d'onde, Keiji pouvait le voir. Une bouffée d'émotion le saisit à la gorge. Il était infiniment heureux de voir sa sœur avec un homme aussi bien, respectueux et aimant. Elle ne méritait pas moins, et Tomi n'aurait pu rêver mieux. Peut-être n'était-il pas objectif mais il s'en fichait.
— Des fois j'ai l'impression que vous me découvrez, finit-elle sur un ton plus léger.
Ils finirent par terminer leur repas en buvant un thé, puis tous s'organisèrent pour ranger la cuisine et nettoyer la vaisselle. Au bout d'une petite demi-heure, Keiko partit se coucher, épuisée, pendant que son père allait s'installer sur la terrasse avec un journal. Il n'avait cessé de faire la tête tout le long du repas et n'avait grommelé que quelques mots lorsque sa femme s'était adressée à lui.
Dès que la maison fut de nouveau impeccable, Kazuhi commença à s'occuper de ses plantes, coupant tiges et feuilles mortes et arrosant celles qui avaient soif. De son côté, Tomi s'assit à la table du salon avec son ordinateur pour travailler.
Réfugié dans sa chambre, Keiji bouillonnait. Il ne supportait pas cette ambiance, cette relation avec ses parents, cette "guéguerre" continuelle. Envieux d'améliorer les choses, il se résolut à aller doucement toquer à la porte de la chambre de sa sœur. Une voix ensommeillée lui répondit et il entra. La pièce était dans la pénombre et il pouvait distinguer Keiko assise dans son lit, Tomoko blottie dans ses bras. Il se rapprocha d'elles pour s'installer au pied du lit en se tortillant les doigts. Le silence douillet de la pièce enveloppa le jeune homme et il réussit à se détendre quelque peu. Il ne chercha pas à prendre la parole et sa sœur dû comprendre qu'il allait lui falloir prendre les choses en mains.
— Ça n'a pas l'air d'être la grande forme depuis que tu es revenu.
— Tu trouves ? grinça Keiji.
— Tu es devenu pinçant et sarcastique, donc ouais, rétorqua-t-elle sans se démonter.
Les coudes appuyés sur les genoux, Keiji cacha son visage dans ses mains dans un soupir. Il s'en voulait d'être désagréable avec celle qui le soutenait depuis toujours.
— J'ai besoin de ton aide sœurette, c'est en train de me ronger.
— Qu'est-ce qui se passe enfin ? C'est Papa ? Je croyais que vous vous étiez expliqués. Il n'a rien dit depuis hier soir, ce n'est pas ce que tu voulais ?
— Je ne voulais pas qu'il tire une tête de dix pieds de long et se mure dans un silence explicitement réprobateur. Ça me donne l'impression d'être venu pour me fritter avec lui et casser l'ambiance des fêtes de fin d'années.
Keiko serra un peu plus son bébé.
— L'ambiance n'a pas été ruinée je trouve. Au contraire, c'est agréable de ne pas avoir eu à subir les réflexions conservatrices et ringardes de Papa. J'ai beau l'aimer, il est bloqué dans une époque qui ne nous convient pas.
— Comment tu fais pour qu'il ne soit jamais déçu de toi ? Il n'a jamais contredit tes projets, tes envies ou même tes relations. Qu'est-ce que tu as fait pour qu'il n'ai rien à redire.
Keiko ne semblait pas s'attendre à ces questions et elle parut gênée. Se redressant un peu, elle prit son temps avant de répondre.
— Ça ne va pas te plaire. On en a déjà discuté et la réponse reste la même... J'ai juste eu de la chance. Je fais un métier "respectable et gratifiant", je suis devenue amie avec des enfants de médecins par pur hasard et j'aime la ville, donc je ne vois pas l'intérêt de partir. C'est terriblement injuste, je le sais, mais on est différents toi et moi. Ça ne justifie en rien sa stupide préférence et ses préjugés de m...–
Elle s'arrêta juste à temps en jetant un regard à sa fille, paisiblement endormie. Après un soupir de soulagement, elle reporta son attention sur son frère.
— Je serais très surpris si elle retenait une grossièreté dite devant elle et nous la ressortait comme premier mot, la taquina Keiji.
— Arrête, c'est ma hantise. Je me suis rendue compte que j'étais assez grossière en réalité, c'est affolant. C'est fou que Papa n'ai jamais rien dit là-dessus d'ailleurs.
— Il a essayé plusieurs fois.
— Ah bon ?
— Oui, mais tu n'en fais qu'à ta tête.
— Pas faux.
Un peu plus déprimé qu'à son arrivée, le jeune homme se laissa tomber sur le matelas dans un soupir las. Il espérait au fond de lui que sa sœur ait un secret pour plaire à leur père.
— Tu penses que je devrais rencontrer cette fille ? murmura-t-il.
— Pourquoi voudrais-tu faire ça ? répondit Keiko sur le même ton.
— Pour apaiser les tensions avec Papa. J'ai beau dire qu'il m'énerve et que je me fiche de ce qu'il veut... j'ai quand même envie que ça se passe bien avec lui.
Le silence accueilli ses paroles et il finit par tourner la tête vers sa sœur. Elle affichait une expression sérieuse qu'il ne lui avait que rarement vue.
— Je sais que tu vas me répondre que c'est facile pour moi de dire ça mais tu devrais essayer de vivre ta vie pour toi et d'être heureux. Je pense qu'il y a des moments clés dans la vie, où il faut d'abord penser à son propre bonheur et son bien-être. Il est clair qu'il se passe des choses importantes dans ta vie, même si tu essaies de les dissimuler et tu es sûrement en train de vivre l'un de ces moments. Tu as l'air d'avoir besoin de préserver certaines choses. C'est à toi de voir si tu y tiens réellement ou si ce n'est que passager.
*****
— Akaashi ! Ce que ça fait du bien d'entendre ta voix.
Le jeune homme ne put contenir le sourire qui naquit sur ses lèvres. À lui aussi ça lui faisait du bien de l'entendre.
— Tu n'avais qu'à m'appeler.
— Tu es en famille, je ne voulais pas te déranger.
— Tu ne me déranges jamais.
Quelques bégaiements se firent entendre à l'autre bout du fil.
— Comment vas-tu ? Ton séjour ne se passe pas trop mal ?
— Ce n'est pas mieux que ce que j'imaginais. Je me suis fritté plusieurs fois avec mon père, il n'a cessé de me montrer que je n'étais qu'une déception pour lui et ma mère ne me soutient pas face à lui. Le pire dans toute cette histoire, c'est qu'elle n'est même pas d'accord avec ses propos.
— Une déception ? Wow, c'est dur, il t'a vraiment dit ça ?
La voix de son ami était emplie d'inquiétude.
— Il l'a très clairement sous-entendu.
— Je sais pas trop quoi te dire à part que je suis vraiment désolé pour toi de vivre ça. Je ne comprends pas qu'on puisse te dire un truc pareil, tu es tellement...
Il ne termina pas sa phrase, à la grande frustration d'Akaashi.
— Je suis quoi ?
— Euh, eh bien, tu es toi.
Son interlocuteur pouffa.
— Oui, merci, je le sais déjà.
— Non mais ce que je veux dire c'est que... enfin ça me paraît évident ! Tu es merveilleux, je saisi pas la mentalité de ton père. Tu es indépendant, intelligent, bienveillant, humble et tellement d'autres qualités, qu'est-ce qu'il veut de plus sérieux ?
— Eh bien, bredouilla le brun en sentant le rouge lui monter aux joues. Il veut que je me marie avec une fille de bonne famille, que j'ai un métier "valorisant" et que je vive à Tokyo pour pouvoir garder un œil sur moi.
Un grand fracas résonna dans son oreille et il dut éloigner le téléphone. Bokuto ne dit plus rien et il commença à s'inquiéter.
— Tout va bien ? Tu es tombé ?
— Non, non c'est rien, j'ai juste trébuché sur une chaise, elle est tombée et c'est ça qui a fait du bruit. Tu parlais de... de mariage ?
— Oui. Je lui ai bien dit que c'était stupide, que je faisais ce que je voulais mais...
— Mais ?
Son cœur se serra.
— Je suis fatigué d'être constamment en guerre contre lui. Je veux faire un pas dans son sens pour qu'il en fasse un de son côté.
— Ce qui veut dire...?
— Ce qui veut dire que demain je rencontre la fille qu'il a choisi pour moi. Il était déjà très heureux quand je lui ai dit que j'acceptais et le dîner a été tellement plus agréable que tous les autres repas jusqu'à présent que je me dis que c'était la bonne chose à faire.
— Tu veux dire que, cette fille, enfin, cette histoire de mariage...
— Je ne me marierai pas avec elle.
Un faible soupir lui parvint aux oreilles et son cœur s'emballa. Parler de ça avec Bokuto était bien plus douloureux qu'il ne l'avait imaginé. Cette rencontre arrangée était vouée au néant, il le savait et tenait à être clair sur ce point avec le professeur et pourtant, il avait l'impression de le tromper. C'était ridicule puisqu'ils n'étaient qu'amis mais il ne pouvait s'empêcher de le ressentir comme tel. Au fond de lui, il souhaitait que Bokuto le vive de la même façon, en même temps qu'il voulait ne pas le savoir blessé. Il était définitivement tordu, il n'y avait pas d'autre explication.
— J'ai hâte de rentrer à la maison, lança-t-il pour changer de sujet.
— Moi aussi j'ai hâte que tu reviennes. C'est ennuyeux sans toi.
Un pincement au cœur le fit grimacer.
— Ce n'est pas très gentil pour tes colocataires.
— Kuroo n'est toujours pas rentré de chez Alisa – ce qui est une bonne chose, ça doit vouloir dire qu'ils se sont réconciliés – et Tendou est... il est... il m'embête pas mal en ce moment. Ses deux jours de repos l'ont un peu trop requinqué.
— Tu lui en as parlé ?
— Oui et il essaie d'être plus calme mais je vois bien que ça le démange.
Akaashi ne put s'empêcher de rire. Les deux hommes avait une relation fraternelle touchante et il savait que même si Bokuto s'en plaignait, au fond il n'était pas réellement énervé. Tendou avait un don pour ça.
— Bon, je vais devoir te laisser, je suis un peu fatigué et je dois me lever tôt demain, annonça Keiji tout en bâillant.
— D'accord je ne te retiens pas plus alors.
Il pouvait sentir dans le ton de sa voix que son ami était triste de devoir écourter leur conversation et cela ne fit qu'accentuer son pincement.
— Passe une bonne nuit Bokuto.
— Toi aussi.
Le téléphone éteint, le jeune homme se glissa sous sa couette. Il ne voulait pas être demain. Il voulait continuer de discuter avec Bokuto à l'infini. Il lui faisait tant de bien, il avait parfois l'impression de n'avoir besoin de rien d'autre. Il prit une grande inspiration et expira. Il répéta le schéma jusqu'à ce que l'angoisse au creux de son estomac s'estompe et il finit par s'endormir.
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