Chapitre 16
— Non mais tu délires complètement Papa ?! Tu ne m'as jamais forcée à épouser un inconnu, pourquoi tu fais ça à Keiji ?
— Ce n'est pas la même chose. À vingt ans tu as rencontré Tomi, et il était un excellent parti pour toi. Je ne me voyais pas briser votre relation.
— Un excellent parti ?! Non mais tu t'entends ?
L'époux de Keiko était figé et Keiji n'avait pas ouvert la bouche depuis l'annonce de son père. Ses pensées s'entrechoquaient dans un tumulte et plus rien ne faisait sens pour lui. Un mariage ? Ce mot sonnait complètement étranger. Il n'y avait jamais pensé. Ça n'avait jamais été une priorité pour lui. Tout ce qu'il souhaitait, c'était être heureux, bien dans sa tête et bien dans son corps. Être entouré des personnes qui comptaient le plus pour lui. Bon sang, il venait à peine d'entrer dans la vie active qu'il devait déjà se caser ? Impossible. Il était encore en pleine recherche identitaire. Il ne pouvait cependant pas dire une telle chose à son père. Il jeta un regard désespéré vers sa mère mais, comme à son habitude, elle le laissait tomber. Les yeux rivés sur son assiette, elle gardait les mains à plat sur la table.
Il n'avait donc que sa sœur de son côté. Comme toujours.
— Papa...
— Oui ?
Tous les regards se tournèrent vers lui.
— Tu as bien dit qu'on allait parfaitement s'entendre avec cette fille ?
— Ema.
— Je m'en fiche. Donc tu disais qu'elle serait parfaite pour moi ? Comment peux-tu l'affirmer alors que tu ne me connais même pas ? Que tu n'as aucune idée de ce que j'aime ou de ce dont j'ai besoin ?
La bouche de Keiko s'ouvrit sous le coup de la surprise pendant que Kazuko écarquillait les yeux. Le ton du plus jeune était plus glacial qu'il ne l'avait jamais été sous ce toit. De plus, il avait fait preuve de rébellion en affirmant n'avoir rien à faire du prénom de sa future femme. Jamais encore il n'avait eu un tel comportement envers son père.
— Es-tu tombé sur la tête ? fulmina ce dernier. Je t'ai éduqué, c'est normal que je sache ce qui est bon ou non pour toi !
— Alors on n'a plus rien à se dire, asséna Keiji en se levant. Merci pour le repas Maman, je vais m'allonger un peu, le trajet m'a épuisé.
Et sans attendre l'aval de qui que ce soit, il s'éclipsa dans les escaliers. Le silence planait à l'étage, signe que sa nièce dormait bien. Il se faufila à pas de loup dans sa chambre, jetant à peine un coup d'œil à la pièce. Elle était toujours la même depuis qu'il en était partie quelques mois plus tôt. Il soupira. Ça ne faisait même pas un an, et déjà on lui demandait de revenir. Son père ne lui ficherait donc jamais la paix ?
Il se laissa choir sur son lit bordé soigneusement, manquant de s'écraser le visage contre l'oreiller. Il retira ses lunettes qu'il posa sur la table de chevet avant de poser son nez contre le tissu doux. Il s'en dégageait une odeur de camomille reconnaissable entre mille. Sa mère fabriquait sa propre lessive depuis plus de vingt ans et n'en avait jamais changé le parfum. Il ferma les yeux et l'image de Bokuto s'imprima dans son esprit. Souhaitant le revoir au plus vite, il s'endormit en quelques minutes.
Le ciel était noir depuis plusieurs heures lorsque Keiji émergea des limbes du sommeil. En se frottant la joue, il eut la terrible surprise de découvrir qu'il avait bavé, et une grande tâche humide s'inscrivait sur son oreiller. Gêné à l'idée que sa sœur ou sa mère ait pu le voir comme ça, il s'essuya rapidement avec un mouchoir. Il remit ses lunettes sur son nez et attrapa son téléphone. Bokuto et Osamu lui avaient envoyé des messages mais il n'était pas d'humeur à les lire pour l'instant. Entrouvrant la porte de la chambre, il tendit l'oreille pour savoir si quelqu'un était encore debout malgré l'heure tardive. Son regard dériva sur le plateau repas posé par terre et faiblement éclairé par la lueur d'une bougie. C'était un peu dangereux, et il sut que cela venait de sa sœur. Elle était bourrée de bonnes intentions mais parfois, sa maladresse se ressentait dans ses gestes. Cela le fit sourire. Il l'aimait comme ça. La porte grande ouverte, il récupéra le plateau avant de se renfermer dans la chambre. Tout le monde avait l'air de dormir, mais il ne voulait prendre aucun risque. Il s'installa à son bureau et alluma sa petite lampe. De là où il était, il pouvait voir le ciel orageux à travers sa baie vitrée. Il réalisa alors qu'il avait sûrement était réveillé par le tonnerre lorsqu'il se mit à entendre la pluie tomber de plus en plus violemment. Un éclair déchira le ciel et un grondement le suivit de quelques secondes. Un frisson parcouru l'échine du jeune homme. Du bout des doigts, il entrouvrit l'accès à son balcon pour profiter pleinement de la météo. Les éléments qui se déchaînaient le faisait se sentir mieux. Ses pensées s'apaisèrent et le poids sur ses épaules se fit léger. Cet orage n'aurait pas pu mieux tomber. Il relativisait. Ses peurs et ses angoisses lui parurent moindre face à tant de majestuosité. Chaque éclair brisant les ténèbres lui permettait de voir les silhouettes des maisons voisines se dessiner devant ses yeux émerveillés.
Lorsqu'il eut terminé son repas, il quitta la chambre sur la pointe des pieds pour faire la vaisselle. Ce n'est qu'une fois son assiette essuyée qu'il vit son père assis sur son fauteuil dans le salon, faiblement éclairé par un lampadaire dehors. Poussant un couinement apeuré, il se racla la gorge, gêné. De toute les personnes logeant dans cette maison, il fallait qu'il tombe sur lui spécifiquement.
— Keiji...
Un grondement plus fort que tous les précédents retentit, annonçant qu'un éclair avait dû frapper tout proche de leur maison. Il ne fallut pas plus d'une seconde pour qu'ils entendent les pleurs de Tomoko.
— Bonne nuit Papa.
Et sans attendre la moindre réponse, Keiji s'enfuit dans les escaliers, remerciant l'orage pour sa diversion. Enfermé dans sa chambre, il n'attendit pas longtemps avant d'enfiler son pyjama et se glisser sous ses couvertures. Tant pis pour le brossage de dents mais il était hors de question de prendre le risque de croiser une nouvelle fois son père. Les pleurs du bébé s'estompèrent et il attrapa son téléphone puis répondit aux messages de ses amis, avant de sombrer une nouvelle fois dans un sommeil réparateur, avec pour dernière pensée, l'espoir de passer une meilleure journée le lendemain.
*****
Il pleuvait toujours quand Akaashi se leva, se doucha, prit son petit-déjeuner, s'amusa avec sa nièce en cachant son visage et le lui remontrant avec des grimaces, déjeuna et s'installa sur le canapé pour digérer son coma alimentaire. Les yeux rivés sur la fenêtre, il grommela un terne "Joyeux Noël" avant de commencer à s'assoupir.
— Tu vas quand même pas t'endormir ?
— Et pourquoi pas ? rétorqua-t-il sans même ouvrir les yeux.
Keiko se laissa choir à ses côtés, le secouant désagréablement.
— Pourquoi tu viens m'embêter ? Tu n'as pas une fille dont il faut s'occuper ?
— Figure toi mon petit Keiji, qu'elle a un truc absolument incroyable qu'on appelle généralement un "père". Ça sert à prendre le relais quand la mère est épuisée après s'être levée cinq fois dans la nuit pour s'en occuper.
— Cinq fois ? Je ne l'ai entendu qu'à un moment.
Sa sœur le fixa quelques instants, une expression indéchiffrable sur le visage.
— J'espère très sincèrement que tu n'auras jamais d'enfant alors. Pour son bien.
Il croisa les bras, vexé.
— Franchement t'abuses. Je suis responsable comme personne et si le bébé est dans ma chambre c'est évident que je vais l'entendre. Les portes sont juste bien insonorisées.
— Ouais, ouais...
Elle balaya ses mots d'un geste de la main avant de s'installer plus confortablement dans les coussins. Elle ferma doucement ses paupières et Keiji sentit qu'elle s'était endormie en seulement quelques secondes.
— Wow. Ça ne donne absolument pas envie d'avoir des enfants.
Il se releva au moment où sa mère arriva, un énorme plaid dans les bras.
— Ne dis pas ça Keiji. C'est merveilleux d'élever un enfant.
Il l'aida en silence à mettre le plaid sur sa sœur et ils s'éloignèrent dans la cuisine.
— Disons que ça reste quelque chose de compliqué malgré tout. C'est une lourde responsabilité, ça change la vie. Faut être prêt à faire des sacrifices et à accepter qu'ils aient leur propre vie, leur propre opinion.
Il n'avait pas pu s'en empêcher. Sa mère n'était pas méchante, mais elle était trop effacée. Il aurait souhaité qu'elle ai plus de place dans sa vie, et surtout plus de parole face à son père. Elle baissa les yeux, honteuse. Il se mit à culpabiliser d'avoir été aussi sec envers elle et ne put s'empêcher de la prendre dans ses bras.
— J'espère qu'un jour tu me pardonneras, murmura-t-elle.
— Fais en sorte qu'on n'ai plus à vivre des situations où le pardon est possible dans ce cas, répondit-il sur le même ton. Tu es ma mère. Personne d'autre que toi ne peut avoir ce rôle.
Elle répondit à son étreinte avec force.
— Keiji, il faut qu'on parle.
Le jeune homme sursauta en entendant la voix de son père. Celui-ci venait de surgir dans la pièce sans bruit. Keiji le soupçonna de les avoir entendu discuter.
— Qui a dit que j'avais besoin de parler ?
— Keiji... gronda M. Akaashi.
— S'il vous plaît, intervint sa femme. Keiko a vraiment besoin de repos. Vous ne vous rendez pas compte dans quel état de fatigue physique et mentale elle est, vous n'avez jamais eu à accoucher d'un bébé.
Son mari, qui avait ouvert la bouche, l'avait immédiatement refermée, comprenant que ce n'était pas le moment de l'interrompre.
— Elle était si heureuse de voir la famille à nouveau réunie... Elle est terriblement frustrée de l'issue du repas d'hier. Alors, par pitié, réglez votre différent. Et faîtes le à l'extérieur. Si elle se réveille parce que tu auras encore haussé le ton, je ne laisserai pas couler.
La menace s'adressait à son père, et pourtant, Keiji se sentit mal. Pourquoi était-elle une mère exemplaire avec Keiko, mais complètement dépassée lorsqu'il s'agissait de lui ? Elle l'aimait pourtant, il le voyait bien dans son regard et dans ses quelques gestes à son attention. Alors pourquoi ? Son cœur se serra et il dut se mordre les lèvres pour ne pas exploser. Il détourna les yeux.
— Très bien, allons sur la terrasse dans ce cas.
Et sans attendre de réponse, Kazuko se détourna pour sortir. Il fallut plusieurs seconde à son fils pour le suivre. Il n'en avait pas envie, oh que non. Il aurait voulu quitter cette maison pour ne plus jamais y mettre les pieds. Pourtant il obéit. En passant à côté de sa sœur encore assoupie sur le canapé, une vague de tendresse l'envahie malgré lui. Il aimait sincèrement Keiko et c'était en grande partie grâce à elle qu'il pouvait affirmer avoir une belle vie. Il se sentait redevable et voulait la rendre heureuse à son tour. Il attrapa son manteau sur le portant dans le vestibule.
Quand la porte se referma sur les deux hommes, la température extérieure – pourtant très proche du zéro – sembla plus chaleureuse que l'ambiance entre eux.
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