Chapitre 14



Bokuto tapotait nerveusement sur la table en bois de sa cuisine depuis une bonne dizaine minutes avant que Kuroo ne craque et lui demande d'arrêter. Les petits gestes frénétiques avaient le don pour le stresser et il n'était pas en état de subir ça aujourd'hui. En plus de sa dispute avec Alisa, le manque de sommeil dû à sa courte nuit de la veille n'était pas pour l'arranger.

Après de vagues excuses, Bokuto enfouit ses mains dans les poches de son sweatshirt tout en restant penché au dessus de son téléphone posé sur la table. Le brun soupira avant de retourner à son carnet. Son répit fut de courte durée avant que le calme ambiant soit à nouveau brisé par Bokuto. Celui-ci s'était mis à faire trembler sa jambe et les vibrations remontaient jusque dans la pointe du stylo de Kuroo qui ne tarda pas à pousser un soupir bruyant.

— Pardon ! s'exclama le gris.

— Bon sang, mais qu'est-ce que tu as ?

— Rien, rien, j'attends juste une réponse.

— Une réponse de l'Empereur non ? Parce que là je ressens tellement ton stress que je ne sais pas ce qui me retient de courir aux toilettes.

Koutarou se ratatina sur sa chaise. Le ton de son ami avait été plus sévère qu'il ne l'aurait voulu mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Voir Bokuto faire une montagne d'un rien alors qu'il était en pleine crise était au dessus de ses forces.

Voyant le visage peiné du jeune homme, Kuroo laissa à nouveau échapper un soupir avant de se passer une main dans les cheveux. Il tenta de remettre ses idées en place.

— Excuse moi, je ne voulais pas être méchant.

— Non, non, tu as raison, je fais n'importe quoi.

Kuroo soupira une énième fois et se fit la remarque qu'il n'y aurait bientôt plus d'oxygène dans son corps.

— Ne dis pas de bêtise. Je suis juste à cran et te voir toi aussi sous pression m'a juste agacé. Ça ne veut pas dire que tu n'as pas le droit de l'être. Qu'est-ce qu'il t'arrive ?

Son meilleur ami baissa la tête pour regarder ses doigts se tordre entre eux. Il lui fallu quelques secondes avant de répondre :

— C'est Akaashi...

— Jusque là rien de nouveau.

— ... qui ne me répond pas.

— Quoi, c'est tout ? s'étonna Kuroo avant de se mordre la joue.

Bokuto pris un air de chien battu tout en se tassant davantage sur sa chaise. Il acquiesça d'une toute petite voix. Le brun cru qu'il allait se gifler face à tant de maladresse de sa part.

— Non, c'est pas... bredouilla Kuroo, c'est pas ce que je voulais dire... enfin, qu'est-ce que tu entends par "il ne me réponds pas" ? Vous vous êtes disputés ?

— Non, pire...

Pire ? C'était possible ?

— Je l'ai invité au cinéma.

Le bruit du stylo tombant sur le sol ne fit même pas réagir Kyanma installé sur l'une des chaises autour de la table. Il ouvrit un œil paresseusement avant de le refermer. Kuroo se baissa pour ramasser son bien, des centaines de questions fusant dans son esprit.

— Mais, euh, comment ça au cinéma ? Enfin je veux dire, parce qu'un film vous intéresse ? Un truc dont vous auriez parlé et du coup c'est l'occasion d'aller le voir ou...?

— Non, c'est un rendez-vous. Enfin, c'est pas vraiment un rendez-vous, je veux dire, c'est pas romantique ou en fait je sais pas trop, j'ai pas mis d'étiquette dans mon message, il pourrait l'interpréter n'importe comment, débita rapidement Bokuto. Tu crois qu'il va mal l'interpréter ?

— Ça dépend, ce serait quoi selon toi une mauvaise interprétation ?

Les mains posées à plat sur la surface lisse de la table, les yeux mordorés de son ami se perdirent à nouveau en direction de son téléphone, toujours silencieux.

— Je crois que je ne sais pas. Je ne suis peut-être pas prêt à tenter de faire évoluer notre relation. J'aime ce qu'on a et, parfois, je rêve qu'on soit un peu plus que de simples amis. Et puis, à d'autres moments j'angoisse à l'idée de tout faire capoter et je préfère reculer.

Sa main se dirigea lentement vers son portable mais fut stoppée par celle de Kuroo.

— Tu vas un peu vite en besogne. Ne culpabilise pas de vouloir plus.

— Mais...

— Un cinéma n'engage à rien. Au contraire, c'est un excellent moyen de voir comment lui envisage votre relation. Tu lui tends une perche tout en lui laissant le choix de la saisir ou non, sans pression. C'est très sain et je suis sûr que Keiji ne te fera jamais de reproches.

Il n'eut pas le temps d'ajouter quoique ce soit. L'écran du téléphone s'alluma, et un message apparu dans un bruit de notification. Le regard de Bokuto s'illumina alors qu'il lisait les mots affichés devant lui.

— Une bonne nouvelle j'imagine ? devina Kuroo.

— Excellente oui !

*****

Bokuto ne tenait pas en place et cela ne s'arrangea pas quand il aperçu Akaashi venir vers lui. C'était comme s'il ne savait pas quoi faire de son corps. Son cœur battait la chamade et ce n'est que lorsqu'il vit plus en détail le visage de son ami qu'il cessa de gesticuler. Malgré le sourire qui étirait ses lèvres, ses yeux, eux, étaient fuyards et des cernes obscurcissaient son regard.

— Salut Akaashi... Tu vas bien ?

— Très bien et toi ? répondit-il d'une voix douce. Je suis content de ton invitation, ça faisait un moment que je n'avais pas pris le temps d'aller au cinéma.

Alors qu'ils payaient leurs ticket, les pensées de Bokuto se bousculaient entre elles. Akaashi était malade ? Était-il vraiment heureux d'être là ? Avait-il appris une mauvaise nouvelle ? C'était impossible qu'il ne se soit rien passé. Tout dans son attitude et ses expressions criaient sa tristesse. Dépité, le jeune homme en vint à la conclusion qu'il ne devait pas se sentir assez proche pour lui en parler. Ne souhaitant pas gâcher leur sortie, il n'insista pas, et lorsque les lumières s'éteignirent dans la salle, Bokuto eut beaucoup de mal à se concentrer sur le film. Il n'y avait presque personne avec eux, et seul le générique de début du film brisa le silence lourd de la salle. La présence d'Akaashi juste à côté de lui l'enveloppa et il ne parvint pas à focaliser son attention sur la projection. Son odeur se faufila jusqu'à ses narines et il se sentit enivré. Un coup d'œil dans sa direction lui indiqua que son ami ne semblait pas lui porter attention. Le film se reflétait dans son regard orageux. Ses lunettes avaient légèrement glissées vers le bout de son nez et sa bouche était entrouverte, preuve d'une grande concentration. En plus des cernes, la peau du jeune homme était bien plus pâle qu'à l'accoutumé et Bokuto avait l'impression de ne voir que ça dans la pénombre. Pour autant, il le trouva beau. Non, magnifique. Même assis dans ce fauteuil au rouge fané, face à ce vieux film projeté chaque année à la période de Noël, il gardait cette aura noble qui lui correspondait tant.

— Ça ne va pas ?

Koutarou sursauta et son visage s'embrasa alors qu'il se détournait de sa contemplation. Akaashi avait tourné la tête vers lui et leurs regards s'étaient accrochés l'espace d'une seconde. Cela avait suffit pour que son cœur rate plusieurs battements.

— Si, si.

Le reste de la séance s'écoula très lentement. Trop lentement. Bokuto n'osait plus regarder ailleurs que devant lui, s'efforçant de rester concentré sur le film. Malheureusement, son attention ne cessait de glisser vers le brun. Son coude était posé sur l'accoudoir qu'ils partageaient et il avait fini par poser sa tête dans le creux de sa main, rapprochant dangereusement son visage de celui de Bokuto, plus tendu que jamais. Ce n'était pas la première fois qu'ils étaient proches physiquement, et pourtant, aujourd'hui, cela lui semblait beaucoup plus... intense. Était-ce à cause de l'obscurité ? Il n'en avait aucune idée et n'attendait qu'une seule chose : le générique de fin. Quand ce dernier défila enfin sur l'écran, les lumières se rallumèrent et Bokuto eut l'impression de respirer pour la première fois en deux heures. Il n'avait pas pris conscience de sa raideur, assis le dos droit et les mains fermées sur ses cuisses. En se relevant, il eut besoin de s'étirer.

— Je crois que c'est la troisième ou quatrième fois que je vois ce film et je ne m'en lasse toujours pas.

Akaashi semblait plus apaisé et invita le gris à le suivre hors du cinéma. Une fois à l'extérieur, le froid les saisit, les forçant à se cacher derrière leurs écharpes.

— Ça t'a plus ? finit par demander le plus jeune.

— Mh ? Oh, oui, j'aime bien ce film. J'avais été le voir ici l'an dernier avec Kuroo. Il ne le connaissait pas.

— Oh, je vois.

Un silence un peu gênant s'installa entre eux. Un couple sortit du cinéma, les obligeant à se décaler. Côte à côte au bord du trottoir, ils se regardèrent quelques instants sans rien dire. À nouveau, Akaashi sembla perdre de sa vitalité.

— Est-ce que tu veux qu'on aille boire un chocolat chaud ? finit par demander Bokuto.

Son ami haussa un sourcil.

— Ou un café, ou un thé. Une boisson chaude quoi.

— Je ne dirais pas non à un thé bien chaud.

— On peut aller au salon, deux rues plus loin.

— Je te suis.

L'ambiance chaleureuse du salon de thé détendit rapidement les deux hommes qui s'installèrent dans des fauteuils rembourrés et divinement moelleux. Une serveuse vint prendre commande et Bokuto voulu disparaître lorsqu'elle essaya de le draguer sans grande discrétion. Le regard désintéressé d'Akaashi lui avait fait un pincement au cœur même s'il ne voulait pas se l'avouer. Dès qu'elle fut repartie, il se pencha par dessus la table.

— Akaashi, je peux te demander quelque chose ?

— Bien sûr Bokuto.

Il prit une grande inspiration.

— Est-ce que... Est-ce que tu me considères comme un ami proche ?

Le jeune homme face à lui sembla troublé.

— Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

— Eh bien, je voulais savoir si j'avais la légitimité de te demander ce qui ne va pas.

Visiblement, son ami ne s'attendait pas à ça et sa mâchoire se décrocha. Il se ressaisit rapidement avant de se murer dans le silence. Un demi sourire finit par étirer ses lèvres alors qu'il poussait un faible soupir.

— Je n'ai pas réussi à cacher mon état, pas vrai ?

— Disons qu'il y a des signes qui ne trompent pas...

— Je suis désolé, je ne voulais pas t'inquiéter. J'étais très heureux que tu me proposes cette sortie, je pensais que ça m'aiderait à me changer les idées. Mais bon, il semblerait que je n'y arrive pas.

— Je suis désolé que tu te sois senti obligé de cacher ce que tu ressentais...

— Ne le sois pas, ce n'était pas une question d'obligation. Je ne voulais pas y penser, je voulais juste profiter de ta présence. Mais de toute façon, j'aurais bien été obligé de t'en parler.

— Ah ? Mais, pourquoi ? Je...– j'ai fait quelque chose de mal ?

— Pas du tout !

La serveuse revint avec leur commande et Bokuto se redressa. Il attrapa rapidement son chocolat pour se réchauffer les mains. De son côté, Akaashi trempa délicatement ses lèvres dans son thé aux agrumes. L'odeur embauma rapidement l'espace.

— Je vais m'absenter quelques temps. Je passe Noël en... famille. Donc on ne se verra pas pendant un moment. Je me disais que ça serait normal de te prévenir.

Alors là, Bokuto ne s'y attendait pas. Et pourtant, en y réfléchissant, ça n'avait rien de surprenant. Énormément de monde passait les fêtes de fin d'année en famille. Ses parents s'offraient un voyage sous les tropiques et ses sœurs étaient éparpillées au quatre coin du pays en ce moment alors il n'avait pas réfléchi à la possibilité que ses amis retrouvent leurs familles.

— Oh. C'est super alors ! Enfin, je crois ?

C'était pour ça que Keiji ne semblait pas aller bien ?

— Pas tant que ça en réalité. On va dire que nous ne sommes pas très proches à cause de divergences intellectuelles. Mais je ne pouvais pas refuser, ma sœur vient d'accoucher et elle m'a demandée de venir. Je n'ai rien contre elle et j'aimerais bien rencontrer ma nièce, je viens de devenir tonton. J'espérais qu'elle puisse me loger mais ils n'ont plus du tout de place chez eux et avec le bébé en plus, c'est déjà assez stressant... je suis condamné à loger chez mes parents.

— Tu ne pourrais pas dormir à l'hôtel ?

— Oh bon sang, non ! s'esclaffa Akaashi avec un rire jaune. Ce serait un affront pour mes parents. Vois-tu, ça n'aurait absolument aucun sens que j'aille payer une chambre alors que la mienne est déjà toute prête chez eux. Et puis, rien ne vaut la cuisine de sa mère, c'est évident.

Les mains fermement serrées autour de son mug, Bokuto pouvait ressentir toute l'antipathie que son ami éprouvait pour ses parents. Il n'était pas rentré en détails sur les fameuses "divergences" et il sentit que ce ne serait pas correct d'essayer d'en savoir plus. Il avait tout de même un mauvais pressentiment. Il n'aurait pas su expliquer pourquoi, mais il sentait au fond de lui que ce séjour avait une importance. Peut-être que Keiji lui cachait quelque chose ou peut-être ne savait-il réellement rien de plus, mais une chose était sûre, ces vacances familiales forcées n'annonçaient rien de bon.

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