Pdv Justine

Cela faisait maintenant 5 mois que je travaillais dans ce petit café, situé en plein milieu de ma ville natale. Certes, le salaire n'était pas énorme, mais ça faisait les fins de mois (sans compter le fait que je pouvais ramener des échantillons gratuitement).

Je plaçai l'argent de Clara dans la caisse, examinant précautionneusement mon lieu de travail ; L'union de vert et bois se mariant parfaitement, les coussins dont le blanc aveuglant s'est cassé au fil du temps, les détériorations sur le tapis rappelant l'ancienneté de ce bâtiment... Travailler ici semble surréel.

Il y a encore quelques années, Nat et moi étions assises près de la fenêtre, buvant des chocolats chauds en se racontant les derniers ragots du collège. Je peux encore sentir l'air frais qui me brûlait les poumons, les différentes reprises de « vive le vent » émanant de la radio derrière le comptoir, la sensation de la boisson brûlante me réchauffant l'estomac, l'arrière-goût chocolaté m'envahissant la bouche.

Et maintenant ? J'y sers des boissons, les images de son couronnement tournant en boucle dans mon esprit, me rappelant incessamment les atrocités digne d'un film d'épouvante qui s'y étaient produites.

Je donnerais mon futur pour remonter dans le passé...

- Bon, on y va ? Léna doit se demander ce qu'on fout, ça fait déjà 5 heures qu'elle garde nos petits monstres.

Clara engloutit son café d'une traite, grimaçant au goût âpre de la boisson, comme pour illustrer ses propos. Si elle pense que je vais me dépêcher juste parce qu'elle me le demande, elle se fourre le doigt dans l'œil (et a oublié ma passion pour la faire chier).

J'ai beau passer mon temps à l'embêter, je suis infiniment reconnaissante envers elle. Durant ces trois dernières années, elle ne m'a jamais lâché.. Quand Natascha a disparu dans les fin-fonds de son palais, quand Alida a déménagé dans un autre pays pour ses études, quand on a passé des journées entières à coller des affiches pour retrouver Sarah (sans succès). Elle a toujours été la pour moi.

Mais ça, je préférerais me couper un bras que de lui dire. Imaginez la taille de son ego si elle savait ce que je pensais réellement d'elle. Notre relation chaotique fondée sur des querelles de gamines me va très bien ; à vrai dire, c'en est presque réconfortant, savoir qu'au moins une chose est restée la même.

Pdv omniscient

Karma s'adossa à l'encadrement de la porte, sa jambe gauche déjà à l'extérieur, et sorti une boîte de cigarette de sa poche, ce qui lui valut une expression lourde de reproches de la part de Clara. Elle a toujours détesté l'odeur de cigarettes, encore plus venant de ses proches, du père de ses enfants qui plus est. Justine se souvenait de la fois où Karma s'était échappé en plein milieu de la nuit pour acheter des cigarettes au 24/7, et que quand il était revenu, Clara l'attendait, assise sur le patio. C'était durant son troisième trimestre, Karma tremblait de peur. Vous connaissez la règle; ne jamais énerver une femme enceinte, ne jamais énerver Clara, et priez pour votre vie si vous veniez à énerver Clara enceinte.

La barista défît son tablier, soupirant. La journée avait été longue, elle avait hâte de rentrer. Certes, son appartement était minuscule, à la limite du studio, mais c'était chez elle. Clara et son mari venaient souvent boire un café le soir, histoire de lui passer un coucou, puis ils raccompagnaient Justine chez elle, leur maison étant dans la même direction. La rousse ne voulait pas l'admettre, mais elle en était vraiment reconnaissante, sans Natascha, sa santé mentale commençait à se détériorer.

Le trio partit du café, le vent leur fouettant le visage. Ces derniers temps, la météo était imprévisible, alternant entre journées ensoleillées et d'autres hivernales. Aujourd'hui, la température était plutôt correct, excluant la brise fraîche qui s'était installée durant l'après midi.

Justine reconnût le toit rouge à l'horizon, c'est le foyer de Clara et Kai, celle qui abrite leur deux petits bouts de chou. Elle adorait cette maison, toujours pleine de joie de vivre, de rires, de chaleurs, des couleurs vives tapissants les murs, toujours une odeur de soupe en émanant les soirs d'hiver. L'opposé total de son appartement, étroit, gris, les murs couverts d'anciens souvenirs rongés par le temps.

Deux minutes de marche plus tard, ils étaient arrivés. À peine Clara avait elle franchît la lisière de son jardin, que ses deux bambins se jetèrent hors de la maison, les enfants ont vraiment un sixième sens pour ce genre de choses.

Kai se tourna vers Justine, une main levée.

- Bon, le soleil va bientôt se coucher, on va rentrer faire prendre le bain à Molly et Audrey. Tu veux rester un peu ? Boire un café ? Même prendre le repas, ça nous dérange pas, tu es toujours la bienvenue tu sais !

Justine pesa le pour et le contre.

Pour;
- Chaleur
- Bonne ambiance
- Bouffe
- Temps entre amis

Contre;
- Clara

Clairement, Clara l'emportait, et de loin.

- Non, désolée, je veux pas déranger, ça m'embête... Et puis j'ai plein de trucs à faire chez moi. On se voit demain !
- Justine, tu sais que ça nous dérange pas, tu fais partie de la famille.

La rousse ignora son commentaire, et souhaita une bonne soirée à Léna, partant déjà en direction de son appartement. Même avec toutes ces années, Justine n'a jamais réussi à enlever ce sentiment d'être de trop, de ne pas mériter sa place au sein de la famille parfaite de Clara. Elle détestait l'admettre, mais elles étaient devenues meilleures amies, au fil des années. Et pourtant, être « Tata Justine » était quelque chose qu'elle n'arrivait pas à digérer.

Accepter que Clara est mère et mariée, c'est accepter le déroulement naturel du temps. Et ça, elle ne pouvait pas, pas sans Natascha, pas sans son monde parfait qu'elle s'était imaginée petite. Son futur idéal, celui ou elle était entourée de ses 4 amies les plus proches, celui où la reine était dans ses bras, celui où elle pouvait serrer son premier amours de toutes ses forces.

Justine se demandait quand elle avait rêvé pour la dernière fois.

Elle tourna les clés dans sa serrure, ouvrant la porte sur une vision triste et froide. Elle enleva ses chaussures, jeta son sac dans un coin, et s'assit sur son lit, allumant accidentellement la télé.

"Effectivement Lorna, cela fait maintenant 5ans que Natascha a été couronnée reine, mais aucune présence publique n'a été organisée. Aucune information ne nous a été donnée, à part une possible maladie qui la rendrait incapable de sortir. Certains affirment une certaine possibilité de la revoir, dans le prochain bal royal, celui qui arrive une fois chaque décennie, regroupant les quatre coins du royaume. De retour à toi Lorna.„

Justine allait éteindre la télé, ne voulant rien entendre d'autre au sujet de Natascha, quand elle sentit une vibration dans sa poche. C'était un message de Clara.

Chieuse
T'as vu les infos?????? Tu pense qu'elle va aller au bal???? Ce serait cool de se revoir je m'inquitzte !!!!

Chieuse
*m'inquiète

Justine
Si tu veux mon avis t'es la raison de pourquoi elle sort plus, elle a peur de voir ta sale gueule mdrrrrrrr

Chieuse
Va te faire foutre :\

Justine éteignit son téléphone, prête à aller dormir. Il était encore temps, mais ces temps ci, elle n'avait plus aucune énergie. Elle repensa à la maison de Clara, aux enfants sûrement couchés, bordés, au milieu de leur peluches. Elle se sentit pathétique, jalouse des enfants de son amie, mais bordel, elle avait besoin de quelqu'un pour prendre soin d'elle. Dans son futur idéal, Natascha lui embrassait le front pour l'endormir.

• • •

- SHHHHHHHH-
- C'est toi qui va les réveiller avec tes shhh ! Je venais te demander si tu voulais une tisane avant d'aller dormir.
- Non merci, je suis crevé, je vais dormir direct.

Kai embrassa la joue de Clara, avant d'aller dans leur chambre tout en lui tenant la main. Arrivés dans la pièce, les deux s'allongèrent sur le lit, laissant la lumière allumée. Ils ont ce rituel, de toujours parler de tout ce qui les tracassent avant de se coucher, pour garder les cauchemars et mauvaises pensées a l'écart, n'ayant souvent pas le temps de discuter durant la journée.

Clara commença, tirant sur le bout de son t shirt pour occuper ses mains.

- Je me fais du soucis pour Natascha. Dans une semaine, ce sera l'anniversaire de ses cinq ans de couronnement. Mais on ne l'a pas vu depuis ce jour... Alyssa m'a dit qu'elle était en quarantaine, malade et anéantie. Mais je n'ai même pas le droit de la voir ! Et pourtant, j'ai essayé, tu me connais, y a pas plus têtue que moi, mais rien y fait.

- Cherie, tu peux rien y faire, tu n'as pas à te sentir coupable..
- Je sais, mais c'est dur.

Clara se redressa, et se dirigea vers sa commode, voulant préparer sa tenue de demain. Mais les photos posées sur le dessus attirèrent son attention.

C'était sa photo de mariage. Clara la regarda tristement, pensant que Nat n'avait même pas pu venir au jour qui était censé être le plus beau de sa vie. Même avec l'euphorie qu'elle ressentait durant cette journée, elle ne pouvait pas pousser la petite douleur au fond de son cœur qui lui rappelait qu'elle n'était pas présente. Sarah était également déjà disparue, et Alida avait été recalée à la frontière, ne pouvant pas revenir dans le pays à temps. Heureusement pour elle, Justine était disponible, et la journée avait tout de même été pleine de rires et de joie. Mais elle se souvenait avoir pleuré durant sa lune de miel, réalisant à quel point les choses avaient changé, et à quel point elles étaient toutes éloignées les unes des autres. Quelques jours après, Alida avait réussi à revenir dans le royaume, et les trois amies avaient passées du temps ensemble pour rattraper celui manqué au mariage.

Clara jetta un coup d'œil derrière la photo, et se rendit compte qu'il y en avait une autre, posée juste en dessous. Les larmes lui montèrent aux yeux quand elle réalisa de laquelle il s'agissait.

....
- votre majesté, comptez vous vous rendre au bal royal ?