❦ Chapitre 9 ❧
Les enquêtes n'avancent jamais aussi vite qu'on le souhaite. D'après Bontemps, le Premier lieutenant général était accaparé par les interrogatoires, il devait de plus agir avec discrétion s'ils voulaient attraper le ou les coupables.
— Qu'en est-il des Hollandais ? lui demandais-je au détour d'une galerie.
— Nous avons procédé à des fouilles, discrètement, dans les chambres de serviteurs suspects, mais n'avons rien trouvé.
Je doutais que les espions à la solde de Guillaume soient aussi négligents. Après la découverte du sous-bois, ils devaient se cacher à moins qu'ils n'aient gagné l'Angleterre.
— Avons-nous des nouvelles d'Henriette ?
— Cette dernière aurait débarqué à Douvres, je crois bien, Sire, qu'elle a obtenu que ce nous espérions...
Je me tournais vers mon Valet, les yeux brillants d'une joie sincère. L'alliance anglaise nous donnerait un avantage certain sur l'ennemi qui ne pourra plus s'appuyer sur sa flotte. Résistant à l'envie de prendre dans mes bras Bontemps, je me contentais de tapoter son épaule. Les trop grandes démonstrations d'affection devaient être réprimées chez un roi, en dépit de la joie le traversant.
— Quelle merveilleuse nouvelle, qu'on prépare une fête pour l'accueillir dignement !
C'est ainsi que, quelques jours plus tard, Versailles brillait de mille feux pour célébrer la victoire de ma belle-sœur. J'avais demandé à ma garde de les précéder, craignant que quelques bandits de grand chemin ne s'en prennent à sa calèche. Mais Henriette n'était plus aussi impétueuse qu'autrefois, ses huit grossesses l'avaient épuisée physiquement, le voyage sous la pluie ne l'ayant épargné, je vis ses traits fatigués en l'accueillant à son arrivée.
Quand elle manqua de vaciller, j'attrapais sa taille fine, ignorant le regard vert de jalousie de Philippe.
— Ma chère sœur, vous devriez vous reposer, la fête attendra, suggérais-je.
Mais elle secoua son adorable tête, clignant de ses yeux en amandes, remuant ses douces lèvres aussi roses que les pétales d'une fleur sous un soleil printanier.
— Alors que vous avez tant fait pour m'accueillir, mon cher roi ? Je ne raterais cette célébration pour rien au monde !
Sa volonté n'ayant été émoussée par l'éprouvant voyage, j'acquiesçais. Le regard inquiet de Philippe me pourchassa, mais il préféra accompagner son épouse plutôt que me fustiger. Je le savais déjà en colère contre moi pour avoir envoyé son amant, le chevalier de Lorraine en exil. Ce dernier avait trahi le secret de ce voyage diplomatique, je ne pouvais feindre d'ignorer ses constantes actions de rébellion envers mon autorité, comme je n'ignorais qu'il alimentait la rancœur de mon frère à mon égard.
Quelques heures plus tard, alors que la musique de Lully résonnait, que chacun avançait masqué, en des tenues dorées célébrant l'astre solaire devenu mon symbole, Henriette parue. Les courtisans s'écartèrent en l'applaudissant chaudement. Je m'approchais, déposant un baiser sur chacune de ses joues que j'estimais trop froides et trop pâles en dépit de son maquillage, avant de m'incliner face à la princesse anglaise. Elle s'inclina à son tour, et m'accorda la première danse.
Celle que j'avais si mal traitée autrefois, la qualifiant outrageusement d'os des saints innocents, me regardait avec tant de malice et d'adresse que j'oubliais un instant tous les signes évidents de son état. Les miroirs pourtant me les renvoyaient, comme les chuchotis des courtisans sur son chemin. Les masques et les plumes agitées ne parvenaient à me tromper, je connaissais trop bien ceux qui composaient ma Cour. S'ils pouvaient me flatter à l'excès, ils mettaient plus d'emphase encore à notifier la faiblesse d'un de leur pair, en particulier si c'était quelqu'un qui brillait un peu trop.
Comme un idiot je pris le tremblement de sa main glacée contre mon bras pour de l'émotion, cela faisait si longtemps qu'il n'y avait eu de bal en son nom. Elle tournoyait plus belle que jamais, paraissant flamboyer, comme si un voile lumineux l'entourait. Sa robe blanche étant couverte de perles et de diamants, participant à l'illusion. Mais alors que nous nous éloignions pour nous retrouver, je la vis vaciller. Me précipitant pour la retenir d'une chute, je m'inquiétais à son sujet :
— Henriette ?
— Tout va bien, Louis, je t'assure, me rassura-t-elle.
Ne parvenant à me défaire de la sensation d'urgence qui me tenaillait, je l'emmenais au-dehors, pensant qu'un peu d'air frais lui ferait du bien. Philippe nous rejoint, la mine sombre et la tête basse.
— Nous allons rentrer à Saint-Cloud, déclara-t-il.
— Ne sois point idiot, vous avez une chambre ici ! lui assurais-je.
— Henriette a besoin de repos, insista-t-il.
Je lui renvoyais un regard chagriné, les sourcils froncés et les lèvres pincées.
— Je pensais que tu serais heureux du succès de ton épouse, le réprimais-je.
— Quel succès ? Tu as acheté le soutien des Anglais et sacrifié la santé d'Henriette pour cela !
— Philippe ! Je ne te permets point de t'adresser à ton roi sur ce ton !
Dans notre dispute, nous oubliâmes Henriette qui, éprouvée par la fatigue, glissa contre la pierre. Bontemps, plus vigilant que nous, se précipita pour la rattraper à temps.
— Tu vois ce que tu as fait ? m'accusa Philippe.
— Ce que j'ai fait ? répliquai-je.
— Messieurs, Madame ne se sent pas bien, nous devrions appeler un médecin, nous coupa mon précieux Valet.
Philippe insista pour la ramener à Saint-Cloud pour qu'elle y soit soignée, il avait toujours désapprouvé les saignées préconisées par mes praticiens. N'ayant guère envie de lutter plus encore contre lui, j'intercédais à sa demande, après tout, le palais de mon frère n'était qu'à deux heures de carrosse. Pourtant, le mauvais pressentiment ne s'éloigna guère.
— Je n'aurais dû les laisser partir, murmurai-je.
— Philippe a raison, elle sera mieux chez elle, me rassura Bontemps.
Ne parvenant à chasser le pressentiment, j'engloutissais des verres de vin, refusant de danser avec la marquise, me montrant particulièrement froid envers tous ceux qui tentèrent de me changer les idées. Si bien que Bontemps éloigna les importuns.
Plus tard dans la nuit, un messager m'avertir qu'Henriette était au plus mal. Pendant un bref instant, je la revis danser, son visage émacié, ses traits gracieux devenus anguleux, comme si le masque de la mort était déjà sur elle. J'accourus à son chevet, apportant avec moi mes médecins ainsi que la Reine et quelques mousquetaires.
Lorsque nous arrivâmes les cris de la malheureuse se faisaient entendre depuis l'extérieur, résonnant contre le marbre et la pierre, surpassant le son chantant de la magnifique cascade d'eau qu'avait bâti mon frère. Les œuvres choisies par Henriette exposées fièrement sur les murs des galeries nous accueillirent. En pénétrant en ces lieux que j'avais tant admirés, au point de les copier pour Versailles, mon cœur se déchira en réalisant que la plus belle des roses luttait contre le mal qui tentait de l'emporter au-delà du Styx.
— Messieurs, demandai-je aux médecins, dites-moi ce qu'il en est.
En habit noir, les hommes me regardèrent avec un air sombre ne laissant guère de place à l'espoir.
— Madame se meurt, Majesté. Nous avons tout tenté, la saignée, le lavement, car madame criait à l'empoisonnement, mais rien n'a semblé la soulager.
— Est-ce un empoisonnement ?
Les médecins se consultèrent, inquiets. Ils avaient raison de l'être, Henriette venait d'accomplir un miracle diplomatique qui nuisait considérablement à Guillaume d'Orange. Ce dernier aurait parfaitement pu envoyer un de ces hommes déguisés en servante verser de l'arsenic dans la chicorée.
— Les dames de compagnie ont bu la même eau qu'elle sans tomber malades, nous pensons qu'il s'agit d'autre chose.
Hélas, Henriette avait toujours été fragile. Enfant, quand elle tentait de se joindre à nos jeux, je prétextais sa constitution pour l'en empêcher. Un jour, sa mère m'entendit et eut tôt fait d'en toucher mot à la mienne, ce fut l'une des rares fois où la reine me gifla. J'ignorais bien sûr qu'elle songeait à me faire épouser la princesse anglaise. Notre union aurait consolidé les liens avec l'Angleterre.
C'est finalement mon frère qui l'épousa. Malheureusement, ils se ressemblaient bien trop pour s'accorder. Tous deux brillaient en société, dépensaient des sommes folles dans les jeux, les arts et les belles parures. Surtout, ils désiraient le même genre d'homme. Le comte de Guiche creusa le fossé entre eux si profondément, qu'aucun pont de réconciliation ne put s'établir.
En dépit des règles de l'Étiquette que me rappela Bontemps, je rejoignis le chevet de la malade qui saisit ma main. Ses râles d'agonie étaient si poignants qu'ils déchirèrent mon cœur. Relevant les yeux, je croisais ceux de mon frère chargé de reproches. Il me tenait responsable de l'état de son épouse. En vérité, il se sentait aussi coupable que moi. S'étant fâché contre le Duc de Buckingham qui courtisait Henriette, il était reparti sans l'attendre. La malheureuse princesse s'était retrouvée seule pour un long trajet de retour.
Toute la nuit, nous gardâmes le silence, nos regrets comme les cris de douleur d'Henriette nous empêchèrent de trouver le sommeil. Pas un seul instant, la pauvresse n'eut de répit. Elle se tordait en tous sens, accusait ses ennemis de l'avoir empoissonné puis fondait en larmes, saisissant nos mains, à Philippe et à moi, nous demandant si elle avait été assez bonne pour être acceptée dans le royaume de Dieu. Bossuet la soulagea de ses mots pleins de piété.
Bontemps se chargea de vérifier toutes les nourritures qui pénétraient la chambre. Il aérera également celle-ci au cas où c'était un mal contagieux, n'ayant réussi, malgré ses nombreuses suppliques, à m'éloigner du lit de la mourante.
Hélas, toutes les prières de Bossuet comme les nôtres ne suffirent. Quand l'astre luminescent zébra le ciel, ses râles d'agonie diminuèrent en intensité alors que ses forces la quittaient.
Mes yeux baignés de larmes discernèrent alors distinguer un être famélique comme la mort penché sur la mourante. De longs doigts effilés s'accrochaient à sa robe de chambre rougie par le sang qu'elle avait craché toute la nuit et l'horrible bouche s'ouvrit pour révéler une rangée de canines jaunes et une haleine fétide. Mon cœur battait à s'en rompre alors que je réalisais que cette gueule béante voulait aspirer le souffle de vie de ma chère belle-sœur.
— Arrêtez ! m'exclamai-je en me levant d'un bond.
Cependant, quand je clignais des yeux, je ne vis rien d'autre que mon frère, mon épouse et les médecins troublés. Je baissais la tête, dépité et vaincu, car la mort venait de prendre celle qui avait illuminé de son esprit mutin la Cour. Son cœur avait cessé de battre et ses yeux de biche demeuraient grands ouverts. Philippe n'ayant la force de les refermer, je m'en chargeai en embrassant une dernière fois son visage froid. Mes larmes se mêlèrent aux siennes séchant déjà sur ses joues blêmes.
— Pourquoi nous as-tu abandonnés ? Pourquoi Dieu m'arrache-t-il tous ceux que j'aime ? m'indignais-je.
Quand je me retirai, Philippe m'accompagna jusqu'à mon carrosse. Dans l'obscurité, à la lueur des bougies, on discernait difficilement la beauté du château qu'il avait passé toute sa vie à transformer en un véritable palais des délices. Ces splendeurs avaient-elles fané comme celle d'Henriette ?
— Tu ne me crois pas coupable ? s'inquiéta Philippe au visage tout aussi blême que celui de sa défunte épouse.
— De quoi, mon frère ?
— Elle a crié à l'empoisonnement... avoua-t-il.
— Henriette était à l'agonie, dévorée par la douleur. Les médecins pensent qu'elle a succombé du mal qui la rongeait depuis des années. Si quelqu'un a hâté son trépas, c'est moi en lui demandant d'aller en Angleterre.
Philippe secoua la tête, les larmes roulèrent sur ses joues. Il était fort rare que j'eusse des moments de tendresse et plus encore, des démonstrations de celle-ci en public, mais face à son chagrin, je le pris dans mes bras et l'enlaçai un instant.
— Je suis vraiment désolé, lui confessai-je.
Nous nous quittâmes ainsi, j'aurais aimé l'emporter avec moi à Versailles, mais je connaissais le cœur sensible de mon frère. Il veillerait sur la dépouille de son épouse autant qu'il le pourrait. Malheureusement pour lui, dès le lendemain les diplomates anglais exigèrent une autopsie, persuadés que les rumeurs d'empoisonnement étaient avérées.
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