❦ Chapitre 6 ❧

Mon regard se perdait dans les circonvolutions de l'eau. Les fontaines de Versailles n'étaient alors ce qu'elles deviendraient par la suite. Pour le moment, il fallait qu'une armée de jardiniers s'active, ouvre les robinets cachés dans les profondeurs du jardin pour que Jupiter, Apollon et Neptune flamboient au milieu des jets d'eau.

Ces sculptures de plomb constituaient un miracle de finesse tranchant avec la grossièreté de la matière. Le dieu solaire, devenu mon symbole, sortait de l'eau sur son char, ses chevaux s'élançant en hennissant, accompagnés de faunes soufflant dans des trompettes pour prévenir de son arrivée. C'était le premier bassin que j'avais bâti sur les bases bien plus modestes existant du temps de mon père.

Je recherchais le calme et la volupté apportés par la danse des gouttes sibyllines essayant de suivre les conseils de mon frère et de reléguer ces souvenirs d'enfance aux ténèbres. Le petit garçon que j'avais été prenant des bosquets pour des forts et des fourmis pour des armées ennemies avait assez d'imagination pour ajouter une créature enchanteresse aux éclats de l'eau.

Pourtant, le rêve persistait et offrait des détails supplémentaires au souvenir dont Perrette avait confirmé l'existence. Là face à l'eau, je pouvais presque voir sa peau irisée d'un bleu cristallin, et le fin ciselage d'écailles si délicates qu'elles étaient à peine visibles et produisaient un irrésistible jeu de lumière lui permettant de disparaître dans les éclaboussures dont elle adoptait la teinte. Je crus même discerner un rire délicat entre le bruissement de l'eau.

Une telle créature pourrait bien se rendre invisible pour peu que la lumière tombât sur elle comme il le fallait, songeais-je avec effroi. Moi-même n'orchestrais-je point mes apparitions pour paraître tel le soleil ? Mon frère participait à la mascarade en déplaçant le mobilier à chaque fois qu'il passait dans mes appartements où qu'ils fussent ?

— Majesté ?

La voix familière de mon Valet me sortit de mes pensées qui avaient voguées si loin. Je détournai le regard pour le porter vers Bontemps qui accourait, flanqué d'un mousquetaire ce qui n'était point inhabituel. Mais en constatant qu'il s'agissait de D'Artagnan en personne, je fronçais les sourcils. Le protecteur de feu ma mère n'était pas seulement responsable de ma sécurité, il lui arrivait de procéder à des arrestations de nobles de haut rang comme Fouquet ou mes oncles lorsqu'ils trahirent ma mère. L'affaire devait donc être grave.

— Messieurs, fis-je en les accueillant.

Les plumes du chapeau de mon capitaine des mousquetaires balayèrent le sol, ou du moins, l'effleurèrent.

— Sire, les médecins ont étudié la dépouille à votre demande, m'expliqua Bontemps. L'homme a été égorgé et suspendu par les pieds tel un cochon qu'on vide de son sang.

— Cela ne me paraît guère être l'action de quelques bandits, observais-je.

— Non, sire, me coupa Bontemps ce qui n'était pas du tout dans ses habitudes, l'égorgement encore aurait pu l'être, mais suspendre un homme et attendre qu'il se vide de son sang, cela ressemble plus à une pratique de sorcellerie.

Mon regard se posa sur D'Artagnan. Sa présence demeurait une énigme que Bontemps ne semblait guère daigner élucider.

— Il nous faut pousser l'enquête plus loin, ne nous lançons pas dans une chasse aux sorcières pour ce qui reste un meurtre sordide, répondis-je en me tournant vers mon Valet.

— La Reynie a commencé à étudier la question. Selon ses dires, les rumeurs de la pratique de magie noire sont légion dans la région. Même à Paris, de nombreux alchimistes préfèrent concocter des poisons plutôt que transformer le plomb en or.

À mes yeux, ceux prétendant faire de la magie vendaient surtout des mensonges. Leurs potions d'amour n'étaient rien d'autre que de la drogue. Et je connaissais le goût hélas trop prononcé de la noblesse pour les poisons que ces charlatans fournissaient. Les femmes se débarrassaient ainsi d'époux tardant trop à mourir, les neveux de vieilles tantes dont l'héritage devenait une nécessité. Les dettes dues au jeu n'arrangeaient rien. Lutter contre leur présence était difficile et rendait le travail de la police d'autant plus délicat. Mais cela était sans doute préférable au temps d'Henri III où les coups de dagues et de poignards constituaient une menace tangible ayant emporté dans la tombe mon pauvre ancêtre.

— Bontemps, me direz-vous pourquoi mon capitaine vous accompagne ?

Ce dernier hocha la tête avec un air de gravité qui m'inquiéta.

— En fouillant les bois nous avons également trouvé une bible protestante, m'avertit D'Artagnan. Elle comporte d'étranges symboles et certaines pages sont cornées, nous soupçonnons que ce soit un code.

— Je vois, un espion hollandais. Vous pensez qu'il s'agit du pendu ? demandai-je.

— Il se pourrait à moins qu'il ne soit l'auteur de l'assassinat, argua le gascon.

— Ainsi vous n'êtes pas d'accord avec monsieur de La Reynie ? Peut-être devriez-vous unir vos efforts pour dénouer cette intrigue ? proposai-je.

Mon regard se tourna vers mon Valet, ce dernier semblait tout aussi circonspect que je l'étais, mais pour des raisons très différentes des miennes. À ses sourcils froncés, j'imaginais déjà son inquiétude, comment me protéger au mieux s'il ignorait d'où provenait la menace.

— Très bien, Bontemps doublez la garde, je vous prie.

Je décelais un vif soulagement dans les prunelles de l'honnête homme. Mon capitaine me surprit en s'éclaircissant la gorge avant de me préciser à voix basse:

— Votre Majesté, nous pensons qu'il faudrait redoubler de vigilance lors de vos sorties, en particulier durant les chasses. Si cet espion a été démasqué et s'est caché dans ces bois, il n'en sera que plus dangereux...

Même si je détestais l'admettre, car j'aurais préféré y songer le premier, je devais convenir que la prudence s'imposait. Guillaume d'Orange serait trop heureux de pouvoir me frapper sur mon propre territoire.

— Je ne m'éloignerai plus, messieurs je vous en fais la promesse. Et puisque vous l'estimez nécessaire, la garde sera doublée lors mes sorties. Chasse ou pas.

Je vis à leurs expressions qu'ils étaient contentés, ce qui m'arracha un sourire, car enfin ils m'avaient apporté une information importante. Mes soupçons n'étaient point une folie, quelque chose se tramait et ce que j'avais vu au sanctuaire n'en était que le signe avant-coureur.

Ces songes qui me ramenaient à l'époque la plus dangereuse que j'eusse connue ne pouvaient que m'avertir d'une menace plus grande qui se dressait sur mon chemin. Et je ne comptais pas fuir, encore moins abandonner mon palais.

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